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Origine : ftp://mse.univ-paris1.fr/pub/mse/cahiers2002/R02041.pdf
MATISSE, UMR 8595, Université Paris I, Maison des Sciences
Economiques, Bureau 201 106-112 boulevard de l'hôpital, 75013
Paris
Adresse électronique : eric.mulot at univ-paris1.fr
Le terme « néolibéralisme » est aujourd'hui
très utilisé. Pourtant, aucun consensus n'existe ni
sur sa définition ni sur ses origines théoriques.
Il paraît donc important d'amorcer une réflexion en
ce sens, afin de mieux cerner ce qui est souvent présenté
comme un courant de pensée cohérent. Pour ce faire,
sont mobilisés à la fois les travaux des libéraux
classiques, dont les « néo-libéraux »
seraient les continuateurs, et ceux des fondateurs du « néolibéralisme
». L'étude de certains aspects de ces écrits
mène à la conclusion que si le néolibéralisme
constitue bien un courant de pensée, il n'a que peu à
voir avec le libéralisme classique, et représente
un bon exemple de pensée moniste, articulé autour
d'une conception limitative de la liberté.
L'une des évolutions marquantes au sein de la pensée
économique serait la domination, depuis les années
1970, d'un courant "néolibéral", qui aurait
donné lieu à une série de politiques du même
nom d'abord en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, puis dans les
pays dits " en développement ", sous l'égide
de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International,
en réaction aux politiques keynésiennes qui prévalaient
auparavant. Ces politiques ont suscité et suscitent encore
de nombreux débats ; par contre, les réflexions épistémologiques
sur la "théorie" néolibérale ne sont
pas légion.
Cet état de fait tient peut-être au caractère
imprécis du terme, dans la mesure où "il s'agit
tout à la fois d'une idéologie, d'une vision du monde,
d'un ensemble de politiques, et d'une collection de théories
qui ne sont pas nécessairement cohérentes les unes
avec les autres" (Dostaler, 2001, p. 107). L'autre source de
confusion vient du fait que ce mot n'est pas utilisé, encore
moins revendiqué, par celui qui est aujourd'hui considéré
comme son père spirituel : Milton Friedman. Ce dernier se
définit en effet comme un héritier du libéralisme
du XIXe siècle, qu'il appelle aussi "libéralisme
benthamien" (Friedman, 1963, p. 10) et qui serait caractérisé
par la défense systématique de la "décentralisation
politique" (Friedman, 1963, p. 6). Cette filiation s'accompagne
de la dénonciation de la "corruption" (Friedman,
1963, p. 6) du terme "libéral" qui se serait produite
aux Etats-Unis, au XXe siècle, sous deux formes. La première
altération viendrait du fait qu'aux Etats-Unis, le terme
" libéral " désigne les défenseurs
de l'intervention de l'État, ce qui entre pour Friedman en
contradiction totale avec le libéralisme originel. L'autre
déviance consiste à présenter les libéraux
classiques (Adam Smith, Jeremy Bentham, etc.) ainsi que les véritables
libéraux actuels (qui incluent Friedman) comme des "conservateurs-libertaires"
ou des "aristo-conservateurs" (Friedman, 1963, p. 5).
En somme, il semble que le terme "néolibéral"
ait été, tout comme le terme "néoclassique",
forgé par ses détracteurs...
L'autre source de confusion réside dans l'assimilation courante
entre théorie libérale, théorie néoclassique
et théorie néolibérale. Pour Bernard Guerrien,
une telle assimilation est erronée, car le néolibéralisme,
tout comme le libéralisme, ne peuvent pas constituer une
théorie, mais en seraient le "résultat"
ou la "conséquence" (Guerrien, 1999, p. 5). Il
y aurait donc une théorie néoclassique (et classique)
et des politiques néolibérales (et libérales),
dérivées de ces théories. Pourtant, beaucoup
des principaux théoriciens néoclassiques, parmi les
plus connus, comme Gary Becker et Robert Lucas, se réclament
de la pensée de Milton Friedman1. Ce serait, dans ce cas,
la théorie néoclassique qui serait issue de la théorie
néolibérale...
Ce bref aperçu des débats en présence n'est
pas encourageant. C'est pourquoi une tentative d'éclaircissement
s'avère nécessaire. Il nous paraît pertinent,
dans cette perspective, de se centrer sur un angle d'analyse qui
permette d'aborder toutes les indéterminations précédemment
énumérées. Une des démarches possibles
consiste à relire de façon critique l'argument de
Friedman selon lequel le vrai libéral du XXe siècle
est l'héritier des libéraux du XIXe.
1 Gary Becker souligne la dette intellectuelle qu'il a envers Milton
Friedman dès 1957, date de publication de son livre The economics
of discrimination (Becker, 1973, p. 12). Inversement, Friedman fait
plusieurs fois référence à la pertinence des
travaux de Gary Becker, par exemple dans le chapitre sur l'éducation
et celui sur les discriminations de son Capitalism and liberty,
un de ses ouvrages les plus connus. Pour l'influence de Friedman
sur Robert Lucas, et son accord avec les thèses présentées
dans Capitalism and liberty, voir (Klamer, 1988, p. 50, 66 et 78).
La relecture de cet argument sera basée sur le fait, fondamental,
que toute théorie
implique une représentation de la société idéale2.
Le point commun du libéralisme et du néolibéralisme
serait dans ce cas de penser que c'est la liberté individuelle
qui est ou doit être le fondement d'une bonne société.
Il s'agira donc de se demander si libéraux et néolibéraux
partagent la même vision du monde. Pour cela, nous avons choisi
de comparer les principaux aspects constitutifs des représentations
idéales de la société dans les théories
libérales et néolibérales, à savoir
: le concept de liberté puis les rapports entre Etat et sphère
marchande.
L'évocation de ces thèmes, qui se fonde sur le concept
de liberté et ses conséquences sur la représentation
du monde qu'ont les courants de pensée étudiés,
nous semble plus riche que l'approche en termes de classiques /
néoclassiques, dans la mesure où elle permet de prendre
en compte leurs aspects politiques. Le fait que les libéraux
étaient des philosophes et/ou juristes avant d'être
des économistes est trop souvent négligé, ce
qui se traduit fréquemment par l'oubli du fait que leur analyse
des phénomènes économiques n'est qu'un aspect
d'une pensée plus large, et qu'elle se base sur des concepts
très souvent issus d'autres domaines, comme la philosophie
politique, par exemple. De même, la prétention des
néolibéraux (et néoclassiques) à expliquer
l'ensemble des phénomènes sociaux est rarement prise
sérieusement en compte, alors qu'il s'agit selon nous d'une
conséquence directe de l'idéal de société
de ces penseurs, et tout particulièrement de leur conception
de la liberté individuelle et de son exercice dans une société
libre.
Afin de faciliter cet essai de questionnement interdisciplinaire
de l'idée d'une continuité entre théories libérale
et néolibérale, il nous faut préciser le sens
que nous donneront aux principaux termes auxquels nous auront recours.
Les penseurs "classiques" désigneront ici ceux
qui ont offert une vision systématisée du fonctionnement
de l'économie fondée sur la division du travail et
la division de la société en classes (pour simplifier
:d'Adam Smith, premier héritier des grands philosophes libéraux
à offrir un tableau systématisé de l'économie,
à Karl Marx). Le terme "libéraux" ou pensée
"libérale" désigne les penseurs classiques
partisans de la division du travail fondée sur la propriété
privée (Adam Smith, Jeremy Bentham, James et John Stuart
Mill, Condorcet, etc.)3, excluant ainsi Marx et un bon nombre de
penseurs socialistes. Nous parlerons de "néoclassiques"
pour désigner les marginalistes et une partie de leurs héritiers
(Theodore Schultz, Gary Becker, Robert Lucas) 4.
Le terme "néolibéralisme" désigne
quant à lui, comme nous le montrerons plus en détail
au cours de notre réflexion, le courant de pensée
qui définit une société libre comme une économie
capitaliste dont le fondement politique principal est le respect
de la liberté individuelle, conçue comme liberté
de choix d'un individu exercé sur un marché concurrentiel
au sens néoclassique du terme.
1. Libertés politiques et liberté économique
: de la société politique et commerciale aux robinsonades
Le point de départ logique d'une comparaison entre libéralisme
et néolibéralisme est le concept de liberté,
puisque ces deux courants offrent une conception détaillée
de la société libre idéale.
2 C'est une idée évoquée par Bernard Guerrien
au sujet des modèles économiques, lorsqu'il affirme
que "tout modèle suppose une forme d'organisation sociale"
(Guerrien, 1994, p. 32). Nous ne faisons ici qu'appliquer ce constat
aux théories libérales et au néolibéralisme.
3 Ne sont citées ici que quelques unes des grandes figures
du libéralisme classique. Dans le cadre restreint de cette
réflexion, le choix a été fait de n'évoquer
que trois auteurs, parmi les plus connus et les plus influents de
leur époque, en termes de diffusion des concepts libéraux
ou d'élaboration de politiques libérales, à
savoir :
Adam Smith, Jeremy Bentham et John Stuart Mill.
4 Nous ne nous intéresserons qu'à un petit nombre
de représentants du courant néoclassique, choisis
selon deux critères : leur indéniable fidélité
à la pensée de Milton Friedman ainsi qu'au rayonnement
de leurs travaux (capital humain et théorie de la croissance
endogène notamment, deux des pans les plus connus et les
plus en vogue de la théorie néoclassique).
Si nouveauté il y a dans la pensée développée
par Friedman, c'est d'abord, comme le laisse entendre le terme "néolibéralisme",
au niveau de la définition de la liberté qu'il faut
la chercher.
1.1 Division du travail et liberté individuelle
L'une des préoccupations essentielles des libéraux
classiques, dans leurs écrits économiques aussi bien
que philosophiques, juridiques et politiques, est celle de l'interdépendance
entre les individus, qui appartiennent à différentes
classes sociales. Définir une société libre
et bonne, c'est faire en sorte que les interrelations entre individus
soient bénéfiques à tous, notamment aux détenteurs
de capitaux et aux travailleurs. Cette dimension collective est
présente dans les trois champs de la pensée libérale
(juridique, philosophique, politique) ; c'est dans cette approche
qu'est défini le concept libéral de la liberté,
qu'il est par conséquent possible de qualifier de "multidimensionnel".
1.1.1 Société commerciale et société
politique
L'un des points communs entre les classiques libéraux, c'est
que tous conçoivent l'homme comme un animal social : pour
eux, le propre de l'homme est de vivre en société.
Ce qui ne les empêche pas d'évoquer l'existence d'un
état de nature originel par rapport auquel la société
moderne, la société politique, sera défini
ou caractérisé soit dans le cadre d'une description
historique de l'évolution de l'humanité, soit dans
celui d'une réflexion philosophique ou politique, par exemple
relative à l'apparition et à la nature du pouvoir
politique. Cette démarche n'est pas nouvelle, bien au contraire,
et ne suffit pas à identifier la spécificité
de la pensée libérale.
L'intérêt de Smith, pour l'économiste, est
qu'il affirme que c'est la division du travail qui est à
l'origine de la société politique, de l'interdépendance
des individus, rompant ainsi avec la tradition lockienne selon laquelle
c'est la volonté divine qui explique l'existence de la vie
sociale (Locke, 1992, p. 200). Il s'agit d'une explication économique
: les individus entrent en relation parce que la division du travail
a pour conséquence l'impossibilité pour un individu
de satisfaire lui-même à tous ses besoins. Cette impossibilité
du maintien de l'autonomie et de l'indépendance entraîne
l'échange du surplus de production. Toute société
humaine est avant tout une " société commerciale
"5 (Smith, 1976, p. 37). La division du travail, constitutive
de sociétés différenciées, est par ailleurs
présentée comme un phénomène naturel,
c'est-à-dire lié à un aspect essentiel de la
nature humaine, qui est la propension naturelle à échanger6.
Cette naturalisation de la division du travail, reposant sur une
affirmation peu argumentée7, permet d'en faire un phénomène
irréversible.
5 "When the division of labour has been once thoroughly established,
it is but a very small part of a man's wants wich the produce of
his own labour can supply. He supplies the far greater part of them
by exchanging that surplus part of the produce of his own labour,
wich is over and above his own consumption, for such parts of the
produce of other men's labour as he has occasion for. Every man
thus lives by exchanging, or becomes in some measure a merchant,
and the society itself grows to be what is properly a commercial
society." (Smith, 1976, p. 37).
6 " This division of labour, from wich so many advantages
are derived, is not originally the effect of any human wisdom, wich
foresees and intends that general opulence to wich it gives occasion.
It is the necessary, though very slow and gradual consequence of
a certain propensity in human nature wich has in view no such extensive
utility ; the propensity to truck, barter, and exchange one thing
for another.'' (Smith, 1976, p. 25). 7 Smith admet que son affirmation
pourrait être étayée : "Wether this propensity
be one of those original principles in human nature, of wich no
further account can be given ; or wether, as seems more probable,
it be the necessary consequence of the faculties of reason and speech,
it belongs not to our present subject to enquire. " (Smith,
1976, p.25). Il faudra attendre les travaux de Karl Polanyi pour
avoir une critique détaillée de cette conception de
la division du travail (Polanyi, 1957, chapitres 4 et 5).
L'objectif de Smith, avec son Enquête sur la nature et les
causes de la richesse des nations, est de démontrer que cette
inévitable division du travail est bénéfique
à l'ensemble de la société.
Cette origine commerciale, économique, de l'interdépendance
qui caractérise les sociétés humaines ne signifie
pas que les relations interindividuelles sont exclusivement commerciales.
Ce que Smith décrit, c'est l'origine économique des
sociétés politiques, qui supposent l'existence de
relations sociales complexes, notamment des relations de pouvoir,
d'autorité8. Ce sont principalement ces dernières
qui préoccupent les libéraux. L'existence d'un pouvoir
politique, donc de gouvernements, de lois, a forcément des
conséquences sur la liberté des individus. Leur but
est de définir les caractéristiques de la meilleure
société politique libre possible.
Une société politique sans Etat est par conséquent
inconcevable pour les libéraux :
c'est ce qui la définit. Par contre, au-delà de ce
consensus sur la nature de la société politique, apparaissent
des divergences sur les formes concrètes que doit prendre
le gouvernement dans une société politique libre.
Pour certains, une monarchie est nécessaire, alors que pour
d'autres celle-ci est inconciliable avec l'existence d'une société
libre. Les autres débats portent sur la séparation
des pouvoirs (est-elle indispensable ? ; comment doit-elle être
organisée ?), le mode de désignation des gouvernants,
etc. Ainsi, hormis sur quelques principes fondamentaux, dont le
rejet du pouvoir absolu, propre à l'Ancien Régime
que tous les libéraux abhorrent, il est difficile d'identifier
une ligne de pensée libérale homogène. La recherche
d'une telle homogénéité ne servirait d'ailleurs
pas notre propos. Ce qui est important dans le cadre de cette réflexion,
c'est de déterminer pourquoi l'Etat, les lois, l'autorité,
sont jugés conciliables avec la liberté individuelle.
1.1.2 Une conception systémique de la liberté
La réflexion des libéraux sur la liberté part
du constat du caractère social de l'homme.
Une bonne société est une société où
les interactions humaines sont harmonieuses, où en tout cas
permettent d'éviter les conflits violents, garantissent la
perpétuation dans la paix de la société. Leur
caractéristique est d'estimer que c'est le respect de certaines
libertés fondamentales, plutôt que le recours à
la contrainte, à la coercition, qui est le plus susceptible
de mener à cet état idéal de la société
politique. Mais cette convivialité ne se constitue pas naturellement,
mécaniquement. Elle est le produit d'une bonne législation,
d'un bon gouvernement. Il ne faut pas en effet que l'exercice par
un individu de sa liberté soit préjudiciable à
celle d'un autre. Il faut donc qu'un gouvernement établisse
des lois qui respectent les libertés individuelles tout en
prenant en compte les interactions entre individus.
C'est pourquoi il ne peut y avoir de société politique
libre sans Etat9. Autrement dit, il ne peut y avoir de liberté
individuelle sans lois qui délimitent le champ d'exercice
de cette liberté.
C'est l'essence même des sociétés modernes,
le constat de l'existence d'interdépendances entre individus,
qui font des lois et des gouvernements la condition sine qua non
de l'existence d'une société politique libre.
8 Ainsi, selon Jeremy Bentham : " When a number of persons
(whom we may style subjects) are supposed to be in the habit of
paying obedience to a person, or an assemblage of persons, of a
known and certain description (whom we may call governor or governors),
such persons altogether (subjects and governors) are said to be
in a state of political society " (Bentham, 1990, p. 40).
9 "It is evident that, if government were totally useless,
it never could have place, and the sole foundation of the duty of
allegiance is the advantage wich it procures to society by preserving
peace and order among mankind" (Hume, 1987, p. 35)
Ainsi, le principal point commun entre les libéraux classiques
est qu'ils estiment qu'il ne peut y avoir de liberté sans
gouvernement, sans Etat, c'est-à-dire sans que les individus
consentent à se soumettre à un pouvoir politique dont
la fonction principale est de prévenir les interactions négatives,
dommageables à la société, que peut produire
l'exercice de la liberté individuelle dans une société
politique. En somme, c'est le fait que les individus libres sont
avant tout les citoyens d'une société politique que
les lois, qui constituent un système de droits et de devoirs,
sont indispensables.
La formation d'un état de droit est très couramment
présentée comme le fruit d'une évolution historique
longue, mais pensée en référence à un
état de nature hypothétique, abstrait. Il s'avère
que bien souvent l'état de loi est présenté
comme le portrait en négatif de l'état de nature.
Ce dernier est en général caractérisé
par l'absence de pouvoir ou d'autorité politique10, expliquée
par le fait que les individus vivent en autarcie ou prennent des
décisions en discutant librement. Il y a dans tous les cas
indépendance et autonomie absolue des individus ou groupes.
Mais les libéraux ne voient pas l'état de nature comme
un idéal à atteindre. Il est en effet considéré
comme une abstraction philosophique nécessaire à la
compréhension des sociétés modernes. Ils ont
par contre conscience de ce qu'il faut absolument éviter,
à savoir : les guerres et conflits, et l'absolutisme. Des
exemples de ces situations sont fournis par l'histoire concrète
des pays dont sont issus les libéraux. Leur démarche
intellectuelle est finalement pragmatique : à partir du moment
où les hommes ont quitté l'état de nature,
c'est-à-dire sont entrés en société
(en sociétés modernes, différenciées),
s'est posé le problème de la gestion des relations
interindividuelles. L'histoire semble montrer que ces interrelations
ont eu des conséquences négatives (guerre civiles,
guerres de religion, guerres de conquêtes, etc.). Le but des
libéraux est par conséquent de proposer des alternatives
viables à ces situations, ce qui implique de trouver un système
politique et juridique assurant la convivialité pacifique.
Les libéraux s'accordent à penser que c'est le respect
des libertés qui doit servir de base à un tel système,
par opposition aux systèmes prévalant à leur
époque, fondés sur l'absolutisme, la coercition, etc.
Des lois sont nécessaires à la constitution d'une
autorité, d'un pouvoir légitime, qui sera garant de
l'intérêt général en prévenant
et gérant les conflits et en garantissant les libertés
individuelles. La liberté individuelle passe par la soumission
libre, volontaire, à la loi. La conception libérale
de la liberté est donc avant tout juridique. C'est la loi
qui définit les domaines d'exercice de la liberté.
Elle délimite une sphère de vie privée, d'intimité
et d'autonomie absolue, qu'aucune loi ne serait en droit de contrôler,
et un domaine public, où par contre les lois sont indispensables11.
Les divergences surgissent quand il s'agit d'établir l'ampleur
de chaque sphère ainsi que les libertés fondamentales.
Tous les libéraux sont d'accord pour considérer la
propriété privée, la liberté de posséder
privativement des biens (ainsi que sa propre personne) comme le
fondement de la société politique libre. Les autres
libertés, parfois présentées comme des droits,
sont sujettes à discussion. Apparaissent couramment la liberté
d'expression, d'association, de déplacement et de religion.
10 Locke, dont on connaît l'influence sur les classiques,
écrivait : " To understand political power right, and
derive it from its original, we must consider what state all men
are naturally in, and that is, a state of perfect freedom to order
their actions, and dispose of their possessions, and persons as
they think fit, within the bounds of the law of nature, without
asking leave, or depending upon the will of any other man.."
(Locke, 2000, p. 116).
Bentham, quant à lui, définit l'état de nature
(natural society) par opposition à sa définition de
l'état de droit : " The idea of natural SOCIETY is,
as we have said, a negative one. When a number of persons are supposed
to be in habit of conversing with each other, at the same time that
they are not in such habit as mentioned above [il s'agit de l'habitude
d'obéissance, propre aux sociétés politiques.
Voir note 6], they are said to be in a state of natural SOCIETY."
(Bentham, 1990, p. 40).
11 C'est, d'après nous, dans ce sens qu'il faut comprendre
les propos de John Stuart Mill : " The only part of te conduct
of any one, for wich he is amenable to society, is that wich concerns
others. In the wich merely concerns himself, his independence is,
of right, absolute. Over himself, over his own body and mind, the
individual is sovereign." (Mill, 1993, p. 13)
Les discussions portent également sur la nature du pouvoir
(monarchique ou non), et sur le mode de désignation des gouvernants12.
La focalisation sur les aspects juridiques de la liberté
explique peut-être la faible importance des considérations
de justice distributive qui caractérise la pensée
libérale. La théorie juridique de la liberté
(et de la justice13) stipule en effet que les individus sont égaux
devant la loi, et que cette égalité devant la loi
est constitutive de la liberté. Par contre, les inégalités
entre individus ne sont pas pleinement pensées, alors qu'elles
étaient fondamentales dans ce que Quentin Skinner appelle
les théories néo-romaines de la liberté, qui
définissent cette dernière comme une situation d'autonomie
et d'indépendance14. Cette caractéristique du libéralisme
peut s'expliquer par la lecture optimiste qu'ils ont des conséquences
économiques et sociales de la division du travail. Cette
dernière, par définition, différencie les individus
(différenciation entre détenteurs de capitaux et non
détenteurs de capitaux). Mais cette différenciation
n'est pas considérée comme une source possible d'inégalités
sociales, ou de relations de domination, par exemple entre détenteurs
de capitaux et travailleurs, parce que les libéraux sont
convaincus, depuis Smith, que la division du travail est bénéfique
à tous les individus. C'est dans ce contexte qu'il est possible
d'affirmer que l'égalité devant la loi, l'égalité
des droits, prévient l'apparition de conflits sociaux ou
de rapports de domination entre individus ou groupes. Mais ce raisonnement
ne peut être admis que si l'on considère que les rapports
de domination, d'autorité, de limitation de la liberté
ne concernent que le domaine politique (rapport individu / Etat,
ou gouvernant / gouverné). Le point de vue libéral
est que le système économique qu'ils défendent
(le système capitaliste concurrentiel) ne peut pas entraîner
de privation de liberté des individus, car, d'un côté,
tous sont soumis, volontairement, à une autorité centrale
dont la fonction est d'empêcher que des individus privent
d'autres individus de leur liberté, et de l'autre le système
économique garantit l'opulence de tous. L'idée, typiquement
néo-romaine, selon laquelle des inégalités
sociales ou économiques peuvent constituer une limite à
la liberté individuelle n'est pas sérieusement envisagée15.
C'est même pour la contrer que sont élaborés
les travaux libéraux en économie, qui visent à
démontrer que l'économie marchande est bénéfique
à tous, c'est-à-dire ne génère pas d'inégalités
fondamentales.
12 Albert Hirschman insiste sur l'importance du débat sur
le suffrage universel, qui sera un des éléments constitutifs
des différents courants libéraux au XIXe siècle
(Hirschman, 1991, p. 18).
13 Pour un exposé clair de la conception juridique de la
justice chez les libéraux utilitaristes, voir (Vergara, 2001,
p. 78-81)
14 "Qu'est-ce donc qui sépare la conception néo-romaine
de la liberté de celle des libéraux ? Ce que les auteurs
néo-romains rejettent avant la lettre est le postulat clé
du libéralisme classique selon lequel la force ou la menace
coercitive de la force constituent les seules formes de contrainte
qui interviennent sur la liberté individuelle. Les auteurs
néo-romains soutiennent en revanche que vivre dans une condition
de dépendance constitue en soi une source et une forme de
contrainte." (Skinner, 2000, p. 55). Cette situation de dépendance,
qui est une menace à la liberté, peut par exemple
être provoquée par des inégalités...
15 L'un des seuls libéraux qui, à notre connaissance,
prend en compte cet argument néo-romain, est Condorcet, dans
ses mémoires sur l'instruction publique. Il constate en effet
que la division du travail tend à abrutir les travailleurs,
qui peuvent alors être exploités à outrance
par leurs employeurs (relation de dépendance absolue travailleur
/ employeur de même nature que la relation maître /
esclave ou maître / serf qui caractérise l'Ancien régime).
C'est, conformément à ce que nous avons essayé
de montrer, le gouvernement qui doit palier à cet effet négatif
des interactions interindiviuelles, d'ordre économique, en
créant un système national d'instruction publique.
L'essentiel, pour l'instant, est de souligner que la définition
de la liberté chez les libéraux est avant tout juridique
et politique. Le rapport complexe entre liberté et égalité
est lui aussi traité juridiquement : dans une société
politique libre, l'égalité qui prévaut est
l'égalité devant la loi, le système économique
libre étant censé prévenir l'apparition d'inégalités,
menace potentielle à la liberté16. Dans ces conditions,
le système de lois, de droits et devoirs, est constitutif
de la liberté individuelle. L'individu, en s'inscrivant volontairement
dans ce système, qu'il juge avantageux, obtient le statut
de citoyen, d'homme social libre. La liberté ainsi conçue
est la liberté d'agir selon sa propre volonté, compte
tenu du système juridique prévalant. Ce système
juridique n'est cependant viable que s'il est accompagné
d'un système économique laissant le plus de place
possible à la liberté individuelle. Système
juridique, système politique (mode d'organisation du gouvernement)
et système économique sont donc indissociables, constituent
la structure dans laquelle l'individu peut exercer sa liberté
sans nuire à autrui. C'est pourquoi il nous semble pertinent
de qualifier la conception libérale de la liberté
de multidimensionnelle, ou de systémique.
1.2 Individu et liberté de choisir
Le rappel de la vision idéale de la société
que revendiquent les libéraux permet désormais de
considérer sérieusement l'affirmation de Milton Friedman,
selon laquelle il y aurait continuité entre sa théorie,
qu'il qualifie de libérale, et celle des libéraux
classiques.
1.2.1 La liberté économique comme fondement
de la société
Friedman considère que l'individu est l'élément
fondamental de la société. La liberté individuelle
est, par extension, la condition à la constitution d'une
société libre. Ce point de vue général
n'est pas suffisant pour juger du degré de continuité
entre pensées libérale et néolibérale.
Un autre des aspects de la pensée de Friedman est l'affirmation
que la base de toute société libre est " l'économie
d'échange à entreprise privée libre" (free
private enterprise exchange economy) (Friedman, 1963, p. 13). Cette
dernière est décentralisée et fondée
sur le marché concurrentiel. La représentation la
plus simple de cette société est celle d'un groupe
de Robinson Crusoé (" collection of Robinson Crusoes",
p. 13). Un Robinson est en situation de totale indépendance,
qui lui permet de produire exclusivement pour lui17. Il ne peut
y avoir entrée en relation entre deux Robinson que si ces
derniers ont envie d'échanger des biens. Ce qui est important,
dans cette représentation de la société, c'est
d'abord que l'échange est volontaire : la première
liberté est la liberté d'entrer ou non dans l'échange.
C'est une liberté de choisir, et une liberté qui
concerne l'économie. L'autre aspect de la liberté
économique est la liberté de choisir les biens librement,
c'est-à-dire conformément à ses préférences
individuelles. La liberté première pour Friedman est
donc la liberté économique.
L'autre conséquence est que le type d'interrelations qui
caractérise la société de libre marché
est économique (marchand) : les individus-robinsons n'entrent
en contact que pour échanger.
Cette approche pourrait être considérée comme
proche de la vision libérale et du concept de société
commerciale. Cependant, elle s'inscrit chez les libéraux
dans une théorie philosophique et politique, ou bien, comme
chez Smith, anthropologique et historique. Ici, il ne s'agit que
d'un procédé d'exposé du fonctionnement de
la société libérale, en allant du cas le plus
simple (échange bilatéral, entre deux Robinson) au
cas général (l'échange entre des millions d'individus).
Milton Friedman ne se pose même pas la question de la validité
historique de ce schéma.
16 Le rôle de l'économie "libre" ne doit
pas être négligé. Il répond à
un problème politique et philosophique fondamental, souligné
par exemple par Locke (Locke, 1992, p. 143), qui est que l'homme,
en quittant l'état de nature, quitte également l'état
d'égalité. C'est pourquoi les rapports entre liberté
et égalité sont fondamentaux dans la pensée
néo-romaine, à travers le concept d'indépendance.
17 Friedman admet que dans cette situation d'autarcie, le concept
de liberté n'a pas de sens (Friedman, 1963, p.12). Il ne
devient pertinent que lorsqu'intervient l'échange économique
entre deux personnes. C'est pourquoi la liberté de base est,
pour Friedman, la liberté économique.
Il ne cherche pas non plus à expliquer ce qui incite les
hommes à échanger. Quoi qu'il en soit, cet exposé
du cas simple est présenté par Friedman comme la justification
au fait qu'une société libre, au sein de laquelle
évoluent des millions d'individus, donc où les interrelations
marchandes sont multiples, est une société où
l'échange est libre et se réalise sans intervention
centralisée. Il affirme que seul le libre marché peut
permettre de réaliser cet échange libre. Sous ce système,
la coordination des décisions des individus se fait de façon
"impersonnelle" et "sans autorité centrale"
(Friedman, 1963, p. 15). La conséquence en est que le seul
autre mode d'organisation envisagé par Friedman, centralisé,
est par définition contraire à la liberté de
base, la liberté de choix.
L'existence d'institutions économiques est évoquée.
L'émergence d'entreprises, par exemple, est interprétée
comme un intermédiaire entre les individus ; elles sont créées
parce qu'elles rendent plus efficace la coordination (Friedman,
1963, p. 13-14). De même, la monnaie est simplement un "moyen
de faciliter l'échange" (Friedman, 1963, p. 14). Ces
institutions doivent être privées et, dans l'optique
de Friedman, ne sont pas le produit d'une autorité centrale,
mais la conséquence des actions économiques individuelles.
Le libre marché garantirait donc la coordination interindividuelle
volontaire, et permettrait l'émergence d'organismes améliorant
l'efficacité de cette coordination. Dans ce cadre, toute
tentative humaine de coordination, ou encore toute tentative de
contrôle du marché, est une atteinte à la liberté
individuelle. Les alternatives n'existent pas, il n'y a qu'un seul
modèle, universellement valide, de société
: la société libre de marché. Et tout argument
contre le libre marché représente un "manque
de croyance en la liberté elle-même" (Friedman,
1963, p.15).
1.2.2 Caractère économique des relations
interindividuelles
Les interrelations qui sont considérées dans ce cadre
théorique sont, nous l'avons vu, marchandes, et par conséquent
intermédiées par le marché. L'homme qui évolue
dans la libre société de marché est, comme
dans la théorie néoclassique, un homo oeconomicus.
La liberté fondamentale est la liberté de choisir.
Le comportement caractéristique de l'individu est dès
lors la consommation de biens sur le marché. Cet acte de
consommation est guidé par les besoins et goûts de
l'individu-robinson. Les actions humaines sont ainsi largement déterminées
par les caractéristiques individuelles, subjectives, des
individus. Cette conception du comportement humain explique la difficulté
des néolibéraux, mais aussi des néoclassiques,
à saisir les interrelations humaines qui se réalisent
hors du marché. Dans la grande majorité des cas, ces
interrelations sont ramenées à des choix économiques
rationnels, à l'expression d'un goût et d'un besoin
qui sont satisfaits sur le marché.
C'est notamment sur ce point que la similitude entre théorie
néolibérale et théorie néoclassique
est flagrante. Les néoclassiques ont assis leur position
dominante dans le domaine de la science économique en affirmant
pouvoir expliquer la plupart des phénomènes sociaux
par l'économie. L'école du choix public parle de marché
politique. Friedman, quant à lui, évoque un "marché
libre des idées", où ces dernières seraient
mises en concurrence et devraient recevoir l'approbation de la majorité
des personnes (Friedman, 1963, p. 114). La discrimination est considérée
par Friedman aussi bien que par Gary Becker comme l'expression d'un
goût, qui génère un coût supplémentaire
lorsque le consommateur rationnel veut le satisfaire18. Les services
sociaux (éducation, santé, etc.) sont également
pris en compte, à travers la théorie du capital humain
principalement. Le chômage est parfois expliqué comme
la conséquence d'une aversion pour l'effort, qui est l'expression
d'un goût.
18 Voir (Friedman, 1963, p. 110) et (Becker, 1971, p. 6).
La création d'entreprises, ou bien les comportements vis-à-vis
des assurances privées, sont déterminées en
partie par le goût (ou l'aversion) des individus pour le risque.
Gary Becker prétend quant à lui expliquer n'importe
quelle "interaction sociale" (la bienfaisance, la fertilité,
la famille, le crime, etc.) par la théorie microéconomique
néoclassique standard (Becker, 1974)19. L'individu-consommateur
étant perçu comme rationnel (au sens économique
et néoclassique du terme), et toute action humaine pouvant
donner lieu au calcul économique rationnel, néolibéraux
et néoclassiques appliquent l'individualisme méthodologique
de la façon la plus extrême qui soit, ce qui entraîne
l'éviction de toute autre science que l'économie.
C'est ce qui nous pousse à affirmer qu'il y a continuité
et complémentarité entre théorie néoclassique
et théorie libérale. Cette caractéristique
de la pensée néolibérale permet également
d'affirmer qu'il y a rupture avec la tradition libérale classique,
qui ne ramène pas tous les comportements humains à
des comportements marchands, et se caractérise par sa démarche
multidisciplinaire.
L'autre point de rupture est l'absence de dimension historique
de la pensée néolibérale. Il n'y a pas chez
Friedman d'explication précise aux motivations de l'échange,
au fait que ce dernier constitue la seule relation entre individus.
Le passage de l'autarcie (l'individu robinson) à l'échange
(entre deux robinson) est justifié par l'introduction de
la division du travail (Friedman, 1963, p. 12). Contrairement aux
libéraux, et tout particulièrement à Smith,
il n'y a aucune tentative de justification à l'existence
de cette division, alors même qu'elle est le fondement de
la société marchande. La première explication
de Smith (la propension à échanger) a déjà
été évoquée. Mais Smith évoque
également les conséquences concrètes de la
division du travail, à savoir la formation de classes de
possesseurs de biens de production et de travailleurs. L'état
originel était formé des seuls travailleurs ; avec
l'appropriation privée de la terre sont apparus les rentiers
; puis sont venus, avec l'extension de la division du travail, les
capitalistes. Ce processus de différenciation sociale laisse
place à des éléments historiques, et surtout
décrit la structuration de la société. Le recours
des néolibéraux (et des néoclassiques) à
l'image des Robinsons empêche toute introduction de l'histoire.
Les néoclassiques, quant à eux, font appel pour justifier
l'échange à l'hypothèse de dotations initiales
différentes, rendant nécessaire l'échange.
L'argument de la division du travail chez Friedman ou des dotations
initiales évite de prendre en compte la dimension collective
des sociétés (existence de classes économiques)
ainsi que les problèmes politiques (répartition initiale
des biens, constitutive des dotations initiales)20.
Ces artifices permettent aux néolibéraux et aux néoclassiques
de poser, dans des modèles ou analyses théoriques,
l'hypothèse que les goûts et comportements individuels
ne sont pas influencés par l'environnement social. Les comportements
(marchands) ne sont déterminés que par les choix individuels
exercés sur le marché, en fonction de l'information
économique reçue. Gary Becker a tenté de prendre
en compte les normes sociales, qu'il définit comme "those
common values of a group wich influence an individual's behaviour
through being internalized as preferences" (Becker, 1996, p.
225). Il admet que ce sont souvent les classes "supérieures"
qui produisent les normes. Mais aucune place n'est faite aux rapports
de domination : les classes "inférieures" acceptent
les normes consciemment et volontairement en contrepartie d'une
compensation monétaire, prix de l'altération de leurs
préférences. Il n'y a interrelations qu'à travers
le marché (le marché des "normes sociales"),
et respect de la liberté de choix (la norme n'est pas imposée,
mais achetée librement) (Becker, 1996, p. 226). Ainsi, les
actions de certains groupes (ici, les familles des "upper classes")
ne sont pas négatives tant qu'elles sont soumises aux "mécanismes
de marché". D'ailleurs, les interventions de l'Etat
dans le domaine des interactions humaines sont très souvent
nuisibles.
19 Sa " théorie des interactions sociales" vise
à reconquérir le champ perdu par l'économie
dans le domaine des sciences humaines : " This essay uses simple
tools of economic theory to analyze interactions between the behavior
of some persons and different characteristics of other persons.
Although these interactions are emphasized in the contemporary sociological
and anthropological literature, and were considered the cornerstone
of behavior by several prominent nineteenth-century economists,
they have been largely ignored in the modern economic literature.
" (Becker, 1974, p. 1065)
20 Sur les dotations initiales, voir (Guerrien, 1999, p. 65)
C'est par exemple ce que pense démontrer Milton Friedman
lorsqu'il étudie la discrimination et le cas de la ségrégation
aux Etats-Unis. Conformément à la conception néolibérale
de la liberté, l'Etat ne peut empêcher un individu
de satisfaire ses préférences sur le marché.
Il existe un goût pour la discrimination, qui peut amener
(c'est l'exemple étudié par Friedman) le gérant
d'un bar à refuser l'entrée aux Noirs, pour satisfaire
les goûts de ses clients. Dans ce cas, l'Etat ne peut obliger
le gérant à accepter les clients noirs, car il entraînerait
la faillite du magasin. La solution consiste à essayer de
convaincre les clients que leur goût pour la discrimination
est mal21. Il est important de souligner le fait que dans cet exemple,
ne sont pris en compte que la préférence des clients
(blancs) pour la discrimination, et pas l'aversion probable des
discriminés pour la ségrégation. Friedman évoque
ce problème en disant que le marché libre de l'emploi
sauve les discriminés de l'exclusion totale : ils ont en
effet accès à des petits emplois, qui certes peuvent
ne pas correspondre à leurs goûts, mais sont un palliatif
à l'isolement complet22. Le but de Friedman est évidemment
de défendre le credo néolibéral, selon lequel
le marché est un mode de coordination des décisions
impersonnel, donc neutre et où la liberté est totale.
Il ne peut dans ces conditions exister de discrimination sur le
marché (du travail, par exemple) : la discrimination est
produite socialement, et résolue ou compensée par
le marché. Une telle vision du fonctionnement du marché
exclut l'idée qu'un marché peut sciemment être
dualisé, afin d'institutionnaliser des inégalités,
notamment raciales.
En somme, l'existence de groupe et de relations interpersonnelles
autres que le simple échange de marchandises, qui obligent
à altérer le modèle de référence,
n'est pas en soi gênant pour ce courant de pensée,
tant qu'ils peuvent être ramenés à des comportements
marchands. Par contre, il existe des formes de relations et de groupes
sociaux qui doivent être exclus autant que faire se peut.
C'est par exemple le cas des syndicats, des partis politiques, qui
ont des comportements de recherche de rente perturbant le fonctionnement
du marché.
L'existence de groupes antagonistes est également niée.
Nous venons de voir que l'idée d'imposition de normes par
des classes "supérieures" ou dominantes est évincée
de la théorie néoclassique. L'existence de groupes
potentiellement antagonistes (possesseurs de capital / travailleurs)
est également évacuée du champ de réflexion
à travers la théorie du capital humain, qui fait des
travailleurs des capitalistes, au sens d'individus rationnels investissant
et maximisant leur capital, qui est de même nature que celui
des entrepreneurs23.
Nous avons en somme affaire à un processus de négation
des conséquences sociales de la division du travail, qui
se manifeste à travers la différenciation des sociétés,
et à une théorie qui, par construction, exclut tout
recours à l'histoire. Marx avait déjà, en son
temps, identifié ce problème en critiquant Proudhon,
qui fondait son analyse en partant de l'individu isolé qui
échange, en fonction de ses besoins. En faisant cela, dit
Marx, il faut admettre que " la division du travail, et l'échange
qu'elle implique, sont tout trouvés." (Marx, 1965a,
p. 10).
21 "As already stressed, the appropritae recourse of those
of us who believe that a particular criterion such as color is irrelevant
is to persuade our fellows to be of like mind, not to use the coercive
power of the state to force them to act in accordance with our principles."
(Friedman, 1963, p. 115)
22 Friedman donne l'exemple de la liste noire d'Hollywood, établie
durant le maccarthysme aux Etats-Unis, et affirme que "(...)
the fact that people who are running enterprises have an incentive
to make as much money as they can, protected the freedom of individuals
who were blacklisted by providing them with an alternative form
of employment, and by giving people an incentive to employ them."
(Friedman, 1963, p. 20). Il en conclut que cet exemple "(...)
illustrates how an impersonal market separates economic activities
from political views and protects men from being discriminated against
in their economic activities for reasons that are irrelevant to
their productivity--whether these reasons are associated with their
views or their color." (Friedman, 1963, p. 21)
23 "Laborers have become capitalists not from a diffusion
of the ownership of corporation stocks, as folklore would have it,
but from the acquisition of knowledge and skill that have economic
value" (Schultz, 1993, p. 99).
Autrement dit, il faut renoncer à intégrer l'histoire
longue de l'échange et de la division du travail, et nier
la nature sociale de l'homme24. Il n'est pas étonnant dès
lors que ce caractère anhistorique est encore plus présent
chez des théoriciens qui appliquent de façon extrême
l'individualisme méthodologique. Il y a par conséquent
à nouveau rupture avec la théorie libérale
classique, qui essaie de prendre en compte l'histoire, et considère
la division du travail comme un phénomène économique
et social. Le passage de la valeur travail à la valeur utilité,
considéré comme l'acte de naissance de la théorie
néoclassique, peut être interprété comme
la volonté d'évincer les aspects historiques et conflictuels
auxquels la valeur travail, "avec son odeur désagréable"
(Robinson, 1962, p. 48) laissait place. Il est en tout cas difficile,
sur ce plan, à la fois de trouver des points communs entre
libéraux et néolibéraux, ces derniers ayant
adopté une méthodologie fondée sur un monisme,
et de différencier néolibéraux et néoclassiques.
Théories néolibérale et néoclassique
partagent la même conception de la liberté économique,
et la même conception de l'exercice de cette liberté
sur le marché et de la coordination des individus par le
marché, instance impersonnelle utopique et anhistorique.
Ces constats sont confirmés par l'étude d'un autre
thème fondamental, celui de la conception des rôles
respectifs de l'Etat et du marché.
2. Etat, marché et pouvoir : les domaines d'exercice
de la liberté
L'approche qu'ont les économistes de l'Etat est souvent
fonctionnaliste. L'adoption de cette démarche aboutit très
souvent à minimiser, voire à exclure les autres dimensions,
notamment politiques, de l'intervention étatique. Pourtant,
les justifications aux interventions économiques de l'Etat
ne sont pas forcément valides pour ses interventions politiques.
Nous avons déjà donné un aperçu de l'importance
politique de l'Etat dans la théorie libérale. L'idée
que les libéraux et les néolibéraux auraient
la même conception de l'Etat, c'est-à-dire seraient
partisans d'un « Etat minimum », est cependant très
répandue. L'étude des rapports entre Etat et marché
dans ces deux courants devrait nous permettre de montrer que tel
n'est pas le cas.
2.1 Etat, liberté, statuts et classes : limites
des catégories de pensée libérales
L'Etat de droit est, dans la théorie libérale, un
élément indispensable à la pérennité
d'une société libre. Dans le domaine économique,
il est erroné, comme le souligne Francisco Vergara, de dire
que les libéraux sont systématiquement contre l'intervention
de l'Etat, ou encore que les interventions de l'Etat dans la pensée
libérale seraient une exception à un principe de non
intervention (Vergara, 2000, p. 71). De fait, dans le domaine de
l'économie, il n'y a pas rejet a priori des actions étatiques
; si un tel rejet est admis, c'est qu'il est l'aboutissement de
l'étude des avantages et inconvénients de l'intervention
pour la société. En général, mais pas
toujours, la conclusion est que la libre concurrence est plus efficace.
L'action étatique est notamment tolérée lorsque
surviennent des conflits d'intérêts. Par ailleurs,
il n'y a pas toujours consensus entre penseurs libéraux sur
la définition des domaines légitimes d'intervention
de l'Etat dans la sphère économique. Enfin, la limitation
des interventions publiques dans l'économie ne remet en aucun
cas en cause la nécessité des interventions dans d'autres
champs des activités humaines.
24 "Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, dans la " société
bourgeoise", que les différentes formes de connexion
sociale se présentent à l'individu comme un simple
moyen de parvenir à ses fins personnelles, comme une nécessité
extérieure. Pourtant, l'époque qui voit naître
cette conception, cette idée de l'individu au singulier,
est précisément celle où les rapports sociaux
(...) ont atteint leur plus grand développement. L'homme
est (...) un animal qui ne peut s'individualiser que dans la société.
L'idée d'une production réalisée par l'individu
isolé, vivant en dehors de la société--fait
rare qui peut bien arriver à un homme civilisé égaré
par hasard dans une contrée sauvage et qui possède
virtuellement les forces de la société--n'est pas
moins absurde que l'idée d'un développement du langage
sans qu'il y ait des individus vivant et parlant ensemble. Nul besoin
de s'y arrêter plus longtemps." (Marx, 1965b , p. 236)
De fait, les domaines où l'intervention publique est prônée
par les libéraux sont importants, dans la mesure où
ils concernent des éléments clé de l'économie
marchande. Par ailleurs, elles concernent souvent des conflits ou
des problèmes économiques provoqués par la
division du travail. L'analyse de quelques exemples connus peut
contribuer à identifier certaines caractéristiques
et contradictions fondamentales relative à ce thème.
2.1.1 Liberté d'association et formation des salaires
: Adam Smith
Le premier cas d'école qui nous intéressera est celui
de la formation des salaires chez Adam Smith (Smith, 1976, Livre
I, chapitre VIII). Il est possible de repérer dans ce passage
crucial, en se basant sur le travail d'André Gilles Latournald
(Latournald, 2001), une contradiction importante entre la conception
politique du libéralisme de Smith et l'organisation économique
de la société marchande qu'il appelle de ses souhaits.
Il est nécessaire de rappeler que Smith affirme que la division
du travail est bénéfique à tous, travailleurs
comme capitalistes (Smith, 1976, Livre I, Chapitre 1, p. 10). Par
ailleurs, il est un libéral au sens classique du terme, qui
défend l'idée d'égalité des droits de
tous les individus, qu'ils soient détenteurs de capitaux
ou travailleurs. L'appartenance à une classe économique
ne saurait donc être contraire aux bases de la société
politique libérale, fondée sur le principe d'égalité
devant la loi. Rappelons enfin que la même division du travail
accroît l'interdépendance des différentes classes
sociales, y compris, donc, des travailleurs et des capitalistes.
Cette interdépendance est elle aussi bénéfique
car elle serait simplement la traduction sociale d'un phénomène
économique.
Cependant, lorsque Smith est amené à décrire
les relations des travailleurs et des détenteurs de capitaux
pour expliquer la formation du salaire, il apparaît que la
dépendance des travailleurs vis-à-vis des détenteurs
des capitaux est de nature différente de celle de ces derniers
vis-à-vis des travailleurs : ils ont besoin d'un salaire
pour survivre25, tandis que les détenteurs de capitaux ont
besoin des travailleurs pour valoriser leur capital. Cette asymétrie
dans la dépendance semble d'ailleurs mécontenter les
travailleurs qui, constate Smith, émettent diverses réclamations
visant à obtenir des augmentations de salaire26. Quelles
que soient les formes que prennent ces réclamations, elles
sont brimées par l'Etat, qui a, en Angleterre, interdit les
grèves et les associations de travailleurs, qui de toute
façon "n'aboutissent en général à
rien d'autre que la punition ou la ruine des meneurs." (Smith,
1979, p. 85). Il s'agit bien d'un cas d'intervention de l'Etat dans
la sphère économique, qui passe par la limitation
d'au moins une liberté fondamentale : la liberté d'association.
Mais cette limitation ne vise qu'une classe précise, puisque
les associations d'employeurs ne sont pas concernées par
ces mesures. Bien au contraire, c'est à leur demande que
l'Etat intervient.
L'intervention de l'Etat est fondamentale, car elle concerne le
marché du travail, et permet aux détenteurs de capitaux
d'obtenir le niveau de salaire qu'ils désirent. Il n'y a
pas libre concurrence, mais bien gestion institutionnelle du travail.
L'action de l'Etat vise par ailleurs à accentuer la dépendance
des travailleurs vis-à-vis des détenteurs de capitaux.
Il y a ainsi une contradiction flagrante entre l'affirmation théorique
selon laquelle la division du travail est profitable à tous,
y compris les travailleurs, et le constat (et non pas la condamnation)
du recours à la répression pour maintenir le salaire
à son niveau "naturel". Les travailleurs ne bénéficient
pas pleinement de cette organisation de l'économie.
25 C'est ce qu'implique le statut de travailleur : "A man
must always live by his work, and his wage must at least be sufficient
to maintain him. They must even upon most occasions be somewhat
more ; otherwise it would be impossible for him to bring up a family,
and the race of such workmen could not last beyond the first generation."
(Smith, 1976, p. 85). Le salaire qui assure la reproduction des
travailleurs est le salaire naturel.
26 "(...) they [les travailleurs] have always recourse to
the loudest clamour, and sometimes to the most shocking violence
and outrage." (Smith, 1979, p. 84).
Cet état de fait est confirmé par Smith lui-même
dans le chapitre 1, article II du livre V de la Richesse des Nations,
où il décrit l'état d'abrutissement (Smith,
1979, p. 759) dans lequel se trouvent les travailleurs du fait de
leur spécialisation, produit de la division du travail, dans
des activités répétitives et ne faisant pas
appel à leurs facultés intellectuelles.
2.1.2 Liberté de circulation et gestion de la pauvreté
: Jeremy Bentham
La condition des travailleurs telle que décrite par Adam
Smith, caractérisée à la fois par la faiblesse
des rémunérations, les conflits sociaux et la détérioration
des conditions de travail, a préoccupé tous les intellectuels
libéraux des XVIIIe et XIXe siècles, à travers
les débats sur ce qui sera appelé en France la "question
sociale". Si Smith se contente de décrire la situation
des travailleurs, Jeremy Bentham est un des penseurs libéraux
qui a le plus réfléchi aux moyens de résoudre
le problème de la pauvreté des travailleurs. Ses réflexions
s'inscrivent dans le mouvement libéral de critique des anciennes
lois sur les pauvres. Pour lui, le problème vient de l'existence
de pauvres valides, c'est-à-dire capables de travailler,
mais fuyant la discipline que le travail salarié et les nouvelles
formes de production imposent (Bentham, 1848, p. 370)27. La solution
prônée par Bentham, exposée de façon
détaillée dans ses écrits sur la gestion de
la pauvreté, est celle de l'enfermement des pauvres valides
dans des institutions spécialisées (workhouses, industry
houses, etc.). L'enfermement est temporaire : il doit durer le temps
d'inculquer aux pauvres l'amour du travail. Ces institutions sont
gérées par des entrepreneurs, mais sont sous contrôle
de l'Etat.
Cet autre aspect de la gestion de la main-d'oeuvre entraîne
cette fois-ci la privation de la liberté de mouvement. La
finalité de ces établissements étant d'inculquer
la discipline de production aux travailleurs, il est possible de
dire qu' il y a aussi une part de coercition. En effet, même
si l'inculcation de l'amour du travail se fait selon des principes
libéraux, il y a une forme de contrainte : il s'agit somme
toute d'obliger des individus à exercer des activités
qu'ils ne désirent pas exercer, pour différentes raisons
(conditions de travail trop pénibles, rémunération
trop faible ou mode de rémunération trop désavantageux,
autoritarisme de l'employeur ou du contremaître, etc.). Une
fois encore, cette contrainte n'est supportée que par une
classe précise : celle des travailleurs. Par ailleurs, il
semble évident que ce sont les producteurs qui bénéficient
le plus de cette politique de contrôle de la mobilité
des travailleurs. Le passage dans l'institution proposée
par Bentham doit assurer aux entrepreneurs une main-d'oeuvre disciplinée.
Le problème de la pauvreté est interprété
non pas comme une conséquence du système économique
capitaliste, mais comme celle du comportement incorrect des travailleurs.
Ici, l'Etat n'intervient pas pour régler un conflit, mais
pour modifier le comportement d'une classe précise d'individus
(les travailleurs), afin d'assurer la continuité de la production
marchande et par là même le bonheur de la société.
On retrouve là le fait que les libéraux tolèrent
certaines formes de contraintes à partir du moment où
ils estiment qu'elles contribuent au bonheur de la société.
Il semble que ces contraintes pèsent en général
sur les travailleurs.
2.1.3 Liberté d'opinion et liberté d'action
: John Stuart Mill
Le troisième cas que nous voulons présenter permet
de revenir plus explicitement aux domaines politique et juridique,
qui constituent le coeur de la pensée libérale. John
Stuart Mill, dans son livre sur la liberté, présente
un des thèmes centraux de la pensée libérale,
qui est le lien entre liberté d'opinion et liberté
d'action. Dans une société libre, tout le monde a
le droit de penser ce qu'il veut et d'exprimer cette pensée
publiquement.
27 Notons que Bentham, dans ce texte intitulé Pauper management,
dresse une liste des "Coercitive powers" que l'on peut
employer pour appréhender les pauvres valides, montrant que
les libéraux, quand il s'agit des travailleurs, sont moins
rétifs à l'utilisation de la coercition qu'on ne le
dit généralement...
Par contre, certaines actions qui découlent des opinions
émises ne peuvent être tolérées. C'est
tout particulièrement le cas de l'opposition à la
propriété privée. Un individu peut dire qu'il
est contre la propriété privée, mais il n'a
pas le droit d'agir contre (Mill, 1993, p. 64-65). Cette interdiction
s'explique facilement dans la logique libérale : la propriété
privée y est considérée comme un droit fondamental,
au même titre que la protection de la vie et des personnes.
Ainsi l'Etat, en tant que garant de la justice, doit empêcher
que certains individus tentent de prendre les possessions d'autrui.
Ce raisonnement est conforme à la conception juridique de
la liberté.
Cependant, l'analyse économique libérale de Smith
nous apprend que le passage de la société de nature
à la société politique a été
provoqué par l'appropriation privée des terres, qui
est elle-même à l'origine du processus d'accumulation
de capital (Smith, 1979, p. 82).
N'existaient dans la société de nature que des travailleurs
; c'est l'appropriation privée de richesses par certaines
personnes qui a généré un processus de différenciation
sociale entre possesseurs de richesses (terre, capital, etc.) et
travailleurs. Autrement dit : l'appropriation privée est
à l'origine de la division du travail qui caractérise
la société politique. Cette différenciation
en classes de la société est perçue par des
travailleurs comme une inégalité. Ils raisonnent en
termes de justice redistributive. C'est entre autres pourquoi certains
mouvement ouvriers prônent la propriété collective.
Les libéraux, eux, raisonnent en termes juridiques, et pensent
que les travailleurs, en remettant en cause la propriété
privée, mettent en danger la société libérale
qui seule mène au bien commun. Par conséquent, il
est légitime de limiter la liberté d'action des travailleurs
qui mettraient en cause ce droit fondamental. Les revendications
ouvrières sont souvent présentées comme le
fruit de l'ignorance des ouvriers, qu'il faudra éclairer,
c'est-à-dire initier aux principes libéraux de justice
et de liberté.
L'argument selon lequel la structure de propriété
prévalant dans les sociétés marchandes est
injuste car inégalitaire n'est pas recevable pour les libéraux,
dans la mesure où ils estiment démontrer, dans leurs
travaux économiques, que ce système économique
sera bénéfique aux travailleurs. Interviennent donc
des arguments philosophiques (définition juridique de la
liberté, qui fait que le respect de la propriété
privée prime malgré la différenciation sociale
et économique qu'elle génère) et des arguments
économiques (le système économique fondé
sur la division du travail induite par la propriété
privée sera bénéfique aux travailleurs).
Le point commun de ces trois exemples est qu'ils illustrent une
contradiction entre la théorie politique des libéraux
et leur vision du fonctionnement concret de l'économie. Il
y a impossibilité de concilier le statut théorique
d'individus-citoyens égaux devant la loi et les catégories
économiques de possesseurs et non possesseurs de capitaux,
qui de fait ne sont pas égaux devant la loi : le bon fonctionnement
du marché du travail, ou autrement dit la mise au travail
de ceux qui ne possèdent pas de capital, implique comme nous
l'avons vu la limitation de certaines libertés fondamentales.
Cela est explicable par le fait que la conception de liberté
comme autonomie et indépendance n'est pas prise en considération.
Celle-ci implique qu'un individu dépendant d'autrui pour
survivre ne saurait être libre. Dans ce cadre, une inégalité,
par exemple entre un salarié et son employeur, peut constituer
un obstacle à la liberté. Cette acception de la liberté
dépasse la relation juridique entre gouvernants et gouvernés.
Elle peut conduire à remettre en cause l'idée que
le salarié est, dans une société respectueuse
des principes libéraux, totalement libre, car sa condition,
son avenir, dépendent de l'employeur.
C'est ce type de préoccupation que l'on trouve chez Condorcet
(voir note 13). Mais c'est évidemment chez Marx que l'on
trouvera les critiques les plus radicales de la conception libérale
de la liberté, à travers la notion d'aliénation
du travailleur, et la théorie marxiste de l'Etat, qui remet
en cause l'idée de bienveillance des gouvernants-législateurs
éclairés et de gouvernement garant de l'intérêt
général.
2.2 L'Etat contre la liberté économique ?
: l'ultra-individualisme néolibéral
Les néolibéraux, comme les néoclassiques,
affirment prolonger et actualiser la pensée des libéraux.
Nous avons déjà évoqué la position de
Friedman. Un néoclassique comme Gary Becker affirme régulièrement
que son approche des comportements humains et des interactions sociales
ne fait que reprendre et développer les intuitions de Jeremy
Bentham, Adam Smith ou William Nassau Senior. Il existe, en ce qui
concerne la définition des rôles respectifs de l'Etat
et du marché, quelques points communs entre libéraux
et néolibéraux, comme la protection par l'Etat de
la propriété privée, mais qui ne doivent pas
dissimuler des différences profondes entre ces deux courants.
2.2.1 Interdépendance, coordination et représentation
politique
La société de référence des néolibéraux
et néoclassiques est une robinsonade.
Cependant, les néolibéraux reconnaissent que la coordination
dans les sociétés modernes, où existe de fait
une interdépendance des individus, met en présence
des millions de personnes.
Elle devient dès lors problématique, parce que la
complexité d'un tel processus peut rendre inopératoire,
pour des raisons de coûts et de temps, le principe de décision
le plus respectueux des préférences individuelles,
à savoir : l'unanimité (Friedman, 1963, p. 23). Dans
ces conditions, c'est le principe de majorité qui doit être
utilisé. Mais il constitue une solution de second ordre,
à laquelle il faut avoir recours le moins souvent possible,
car elle implique que la représentation proportionnelle stricte
n'est pas réalisée. Du point de vue libéral,
la règle de majorité, qui caractérise les systèmes
politiques représentatifs dans les sociétés
démocratiques, aboutit toujours à ce qu'une majorité
temporaire impose à des minorités ses décisions,
issues de ses préférences (Friedman, 1963, p. 114).
Le principe de majorité aboutit alors à la "conformité",
au sens d'oubli de la diversité des préférences
individuelles, perçue comme une uniformisation (Friedman,
1963, p. 23). La majorité réduirait l'ampleur des
choix possibles, qui prendraient souvent la forme d'approbation
ou de rejet (oui ou non). Les intérêts représentés
selon cette règle sont limités, entraînant la
formation de groupes, qui vont se concurrencer afin de capter la
rente que génère l'accès temporaire au pouvoir
politique. Ici, le lien entre la pensée néolibérale
de Friedman et l'école du choix public est flagrant.
Selon cette interprétation de la majorité, et plus
généralement du pouvoir politique, tout gouvernement
représentatif, par nature, limitera la liberté fondamentale,
qui est la liberté de choix, en imposant les préférences
d'une majorité. Ce ne sont donc pas, dans la perspective
néolibérale, des points de vue politiques que les
gouvernements représentent, mais les préférences
de certains groupes. Vu les défauts qui sont prêtés
à ce système de représentation et de coordination,
il est jugé préférable de recourir le plus
souvent possible à la coordination impersonnelle du marché.
Friedman, qui ne donne pas de définition économique
du marché, en donne une politique : le marché est
pour lui un "système de représentation proportionnel"
(Friedman, 1963, p. 15), qui permet de prendre en compte toutes
les préférences individuelles.
Seul le marché est apte à pleinement respecter la
liberté individuelle dans son sens néolibéral.
La démarche à suivre est par conséquent de
réfléchir, au cas par cas, aux moyens de limiter autant
que possible le recours à la majorité, et de substituer
celle-ci par le marché, qui permet d'appliquer le principe
d'unanimité.
La rupture avec les libéraux du XIXe siècle est nette.
Ceux-ci font de l'Etat, représentant de l'intérêt
général, le garant de la liberté individuelle.
Les néolibéraux considèrent l'appareil étatique
comme limitant par construction la liberté individuelle28.
Ce point de désaccord est fondamental : il est la conséquence
de la différence de conception de la liberté. Friedman
lui-même a conscience de ce problème, mais n'y voit
pas le signe d'une divergence profonde. Il y voit plutôt une
"erreur" de la part des libéraux, qui estiment
que la liberté politique prime sur la liberté économique.
Lui, dit-il, privilégie la liberté économique.
28 "Every act of government intervention limits the area of
individual freedom directly and threatens the preservation of freedom
indirectly (...)" (Friedman, 1963, p. 32).
Mais il ne s'agit pas d'une simple différence de hiérarchisation
des libertés économique et politique. En fait, la
divergence porte sur la vision idéale de la société.
Au sein de celle des néolibéraux, l'Etat n'a aucune
fonction politique légitime. L'existence d'un gouvernement
est perçue comme un "expédient" (Friedman,
1963, p. 24). Le mode idéal de coordination est celui assuré
par le marché. Cependant, les modalités concrètes
de cette coordination marchande idéale sont rarement décrites,
et quand elles le sont, c'est la libre discussion qui est évoquée,
comme dans l'exemple de la ségrégation, traité
précédemment.
Le rôle de l'Etat en tant qu'instance politique est donc
négatif pour les néolibéraux. Il limite la
liberté individuelle. Il est perçu comme un mal inévitable,
dû à l'impossibilité concrète, dans certains
cas, d'une coordination par la discussion libre ou la négociation
marchande. Dans le cas "pur", idéal, d'une société
de robinsons, il n'a pas sa place. Pourtant, les néolibéraux
n'ont cessé de dire qu'ils n'étaient pas des partisans
de l'Etat minimal. Cette affirmation ne peut être comprise
qu'une fois étudiées les fonctions économiques
de l'Etat.
2.2.2 Les fonctions économiques de l'Etat : "
rule-maker and umpire "
De fait, il y a place dans la théorie néolibérale
pour l'Etat. Les formes d'intervention de ce dernier sont cependant
étroitement définies et limitées. Un néolibéral
"cohérent" n'est certes pas un " anarchiste",
comme le rappelle Friedman (Friedman, 1963, p. 34) ; mais il n'est
pas non plus un interventionniste. La mission première d'un
gouvernement est d'assurer le respect des règles nécessaires
au fonctionnement de l'économie. Il ne s'agit pas de lois
au sens juridique et libéral du terme, mais de "règles
du jeu" économique, qui ne font que cautionner des pratiques
individuelles qui sont perçues comme efficaces. L'autre domaine
privilégié d'action étatique est la protection
des droits de propriété privée, qui sont constitutifs
de la liberté économique. La propriété
privée est d'ailleurs la seule entité constitutive,
chez les néolibéraux, de droits, base de l'exercice
de la liberté de choix. La protection des droits de propriété
peut donner lieu à l'élaboration de contrats. En cas
de conflits sur l'interprétation des contrats, c'est le gouvernement
qui doit trancher. La fonction première de celui-ci est donc
avant tout la réglementation, qui se limite au domaine économique.
D'autres interventions sont ensuite tolérées, qui
sont cependant de nature différente.
La réglementation économique est indispensable au
fonctionnement de la société libre de marché.
Théoriquement, dans une société marchande idéale,
les fonctions de l'Etat s'arrêtent là. Mais les sociétés
réelles ne sont pas parfaites. Apparaissent en effet des
problèmes d'ordre technique qui pourront parfois être
résolues par l'Etat. Ces problèmes sont dus aux imperfections
de marché, ou bien à la nature de certains biens faisant
qu'ils ne peuvent donner lieu à une production marchande
privée. Il s'agit principalement des externalités,
de la gestion des biens publics et de l'imperfection des informations.
Ces imperfections ne doivent cependant pas être systématiquement
gérées par l'Etat. Les avantages et inconvénients
d'une intervention étatique doivent être évalués
au cas par cas, et une intervention privée sera toujours
préférée à une intervention publique.
Un monopole privé, par exemple, est considéré
comme moins dommageable qu'un monopole public (Friedman, 1963, p.
28). Le rôle du gouvernement est bien, dans ce contexte, de
pallier aux défauts du marché : il en est la "béquille".
Il est important de souligner que dans une société
marchande, les décisions les plus efficaces sont celles prises
par des individus rationnels. La formation de certains groupes est
souvent considérée comme négative quand elle
concerne le domaine de l'économie. Les syndicats, par exemple,
vont chercher à élever les salaires, au lieu de laisser
jouer les "mécanismes" du marché. Ils permettent
par ailleurs aux travailleurs membres des syndicats d'obtenir des
privilèges dont sont exclus les autres (les outsiders). Les
monopoles sont une autre forme de groupe qui perturbent les mécanismes
de marché. Les interventions d'un gouvernement dans l'économie
(entreprises publiques, quotas, subventions, etc.) sont également
néfastes, et sont aussi des décisions prises par des
groupes d'intérêt. L'étude des effets perturbateurs
des actions économiques des groupes constitue la base de
la théorie de la concurrence imparfaite. Cette dernière
ne remet que rarement en cause la vision idéale de la société
libre au sens néolibéral du terme ; au contraire,
celle-ci en constitue la base de référence : les imperfections
étudiées constituent toutes les éléments
qui empêchent l'avènement de la société
libre...
Enfin, certaines interventions étatiques paternalistes sont
tolérées. Ce sont celles qui visent à aider
les individus "irresponsables" : fous, vieillards et enfants
(Friedman, 1963, p. 33). Par contre, l'Etat ne doit jamais essayer
d'influencer, de prévoir ou de contrôler les décisions
des individus rationnels, qui cherchent à satisfaire leur
intérêt. En effet, les résultats des actions
individuelles ne sont pas prévisibles ; les anticipations
du gouvernement seront par conséquent toujours erronées.
Il s'agit là d'un argument courant utilisé par les
théoriciens appliquant l'individualisme méthodologique,
selon lequel il y aura toujours un gouffre entre les intentions
des réformateurs au pouvoir, qui se manifestent en général
par des politiques volontaristes, et les résultats, souvent
contraires aux attentes. C'est ce que Hirschman appelle l'argument
de l'effet pervers, qui est utilisé pour défendre
le laissez-faire (Hirschman, 1991).
Cet argument est fréquemment présent chez les néoclassiques
et néolibéraux, et a constitué la base du mouvement
de critique des Etats providence occidentaux. Les individus étant
rationnels, toute intervention étatique hors des limites
définies par la théorie néolibérale
est vouée à l'échec...
Les néolibéraux croient donc en la supériorité
d'une coordination décentralisée. Il s'agit bien d'une
croyance, car la possibilité d'un tel mode de fonctionnement
n'a pas été démontrée. La théorie
néoclassique de l'équilibre général,
par exemple, n'a pas réussi a formaliser ce type de coordination
; au contraire, la coordination est assurée par un seul agent,
le commissaire priseur, ce qui permet de dire que les modèles
d'équilibre général représentent en
fait une économie "semi-planifiée" (Guerrien,
1996, Article "Concurrence parfaite, p. 88).
Pourtant, toute la nouvelle macroéconomie néoclassique
prétend modéliser une économie concurrentielle
décentralisée, oubliant les doutes de leurs prédécesseurs.
La macroéconomie néoclassique, qui se vante d'avoir
des "fondements microéconomiques", résout
le problème de la coordination de façon simple. Elle
évacue le problème des interdépendances entre
individus en ayant recours à un agent représentatif,
ou bien à une multitude d'agents identiques. C'est cette
fois-ci la problématique de l'interdépendance, qui
fonde toute la pensée libérale, qui est reniée.
La rupture avec l'héritage libéral est désormais
consommée...
CONCLUSION
L'évocation de deux thèmes suffit à montrer
le divorce quasi complet entre la théorie libérale
et néolibérale. La première est fondée
sur le concept moral de justice, qui "se réfère
(...) à des règles morales très précises
qui doivent être respectées dans le processus marchand
lui-même (...)" (Vergara, 2001, p. 80). Ces règles
sont la condition nécessaire à l'existence de relations
interindividuelles bénéfiques à tous. Leur
respect et leur existence même impliquent la création
de lois et d'un Etat de droit, sans lesquels la liberté ne
peut pas être garantie. Cette conception juridique de la liberté
n'est pas exempte de défauts, comme nous l'avons vu. Elle
tend à estimer que l'égalité des individus
face au droit suffit à créer une égalité
de fait, résolvant de façon trop tranchée le
problème des relations entre liberté et égalité.
Ce faisant, elle minimise les effets sociaux de la division du travail,
qui peut générer des rapports de domination entre
catégories sociales, entre détenteurs et non détenteurs
de capitaux. C'est d'ailleurs une des causes de l'échec des
politiques libérales de gestion de la pauvreté : les
solutions appliquées mettaient en présence de lourdes
interventions de la part d'institutions publiques, n'hésitant
souvent pas à employer certaines formes de coercition. La
résistance des travailleurs à ces pratiques a été
sous-estimée, provoquant, au moins en Angleterre, l'application
de mesures qui donneront naissance à l'Etat-providence (Hirschman,
1991, p. 58). Malgré ces limites, la pensée libérale
admet que les relations entre personnes sont la base de toute théorie
sérieuse. L'économie n'échappe pas à
ce constat.
La théorie néolibérale, elle, adopte une démarche
exactement opposée, en considérant l'économie
et le politique comme deux sphères autonomes et indépendantes.
Prime, dans ce courant, la sphère économique. Le politique
est considéré comme un obstacle au fonctionnement
du marché, qui seul peut assurer la coordination des décisions,
autrement dit la bonne gestion des interdépendances individuelles.
La vision de l'individu qui caractérise ce courant de pensée
est également opposée à celle des libéraux
: le seul déterminant des comportements individuels est le
calcul rationnel, qui n'est en aucun cas guidé par des règles
morales. Si le terme "néolibéral" est utilisé
pour défendre l'idée d'une continuité entre
courant libéral et néolibéral, il est totalement
inapproprié. S'il vise au contraire à souligner la
rupture entre les deux courants, qui passe par une conception de
la liberté complètement différente, il paraît
alors approprié. Si c'est cette deuxième conception
qui est choisi, il devient difficile de différencier théorie
néolibérale et néoclassique, cette dernière
accordant la même primauté au choix individuel et au
calcul rationnel. Elles n'apparaissent ainsi que comme les deux
facettes d'une même fable, d'une "parabole"29 :
celle de Robinson Crusöe.
Un économiste ne peut se contenter des concepts développés
par ces théories que s'il n'aspire à devenir un bon
conteur. Nous espérons avoir convaincu le lecteur que cela
ne peut constituer un objectif sérieux.
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