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FROMM ERICH (1900-1980)
Né à Francfort-sur-le-Main, Erich Fromm étudia la sociologie
à Heidelberg, à Francfort et à Munich : il
s’initia à la psychanalyse à l’université
de Munich et auprès de l’Institut de psychanalyse de
Berlin de 1923 à 1925. Il fut analysé par Hanns Sachs.
À Berlin, il admire les travaux de G. Groddeck, qui n’est
pas accepté par la communauté analytique de l’époque.
Psychanalyste d’obédience freudienne pendant une dizaine
d’années, il évolue peu à peu en dehors
de ce courant traditionnel et développe, sous la bannière
de Rank et de Marx, une critique qui va dans le sens d’une
analyse socialiste marxisante.
Membre, avec T. Adorno, G. Lukács et M. Horkheimer, de l’École
de Francfort, il élabore une conception de la liberté
humaine qui, encore implicite dans la théorie freudienne,
intègre la psychanalyse dans la pensée sociale contemporaine,
laquelle fait à la perspective socio-politique une place
plus importante qu’à la perspective clinique.
Il est un des premiers psychanalystes à mettre au jour les
implications morales des idées psychanalytiques. Installé
aux États-Unis en 1933, il travaille avec K. Horney, A. Adler,
H. S. Sullivan et se révèle écrivain prolifique
et critique forcené des théories de Freud ; il analyse
Clara Thompson et David Riesman, mais s’attire l’animosité
des représentants de la psychanalyse freudienne, aux yeux
desquels les travaux de Fromm souffrent de ce que leur auteur n’a
pas connu personnellement Freud.
Dans sa pratique culturaliste de la psychanalyse Fromm reproche
à ce dernier ses conceptions touchant la nature éternelle
de l’homme et l’universalité du complexe d’Œdipe.
Il établit un parallèle entre les rapports œdipiens
envisagés par Freud et les relations économiques dans
la société capitaliste.
Au concept freudien de caractère anal, il substitue celui
de caractère autoritaire, qui désigne une attitude
spirituelle autonome n’ayant pas de base dans le corps. Ainsi,
dépouillée du matérialisme que constitue un
tel ancrage corporel, la psychanalyse chez Fromm et les néo-freudiens
redevient ce qu’elle était avant Freud ; une psychologie
de l’âme autonome.
Dans son ouvrage Escape from Freedom , (1941 ; La Peur de la liberté
, trad. C. Janssens, éd. Buchet-Chastel, Paris, 1963), Fromm,
traitant de la psychologie sociale, du protestantisme, du capitalisme
et de l’autoritarisme, montre que le problème fondamental
de la psychologie n’a pas de rapport avec la satisfaction
ou la frustration d’une pulsion, mais plutôt avec la
relation spécifique de l’individu au monde. Bien que
certaines pulsions organiques, telles la faim, la soif, la sexualité,
soient communes à tous les hommes, les traits qui différencient
les individus, tels la sensualité, l’amour, le désir
de puissance ou de soumission, sont des produits des processus sociaux.
En essayant de recouvrer la sécurité que lui donnaient
les liens primaires infantiles, l’individu tourne le dos à
la liberté : sa situation affective est déterminée
par les événements sociaux, lesquels sont en fait
maintenus, élaborés ou changés par son caractère
prédominant. Pour désigner ce processus de fuite de
la liberté et le système dans lequel il se déroule,
Fromm emploie le terme de marketing, qu’il reprend au vocabulaire
de l’économie américaine.
La névrose résulte d’un conflit entre les pouvoirs
innés de l’homme et les forces qui font obstacle à
son développement, ce conflit ne constituant qu’un
phénomène secondaire, car l’homme est mû
par une pulsion innée d’intégration et de croissance
: chacun a le pouvoir de s’adapter au milieu social et de
mener une vie productive.
Bien qu’il affirme que sa conception de la psychanalyse est
marxiste, Fromm fonde sa théorie sur l’individu, non
pas sur la société, dont la structure agit sur la
santé de celui-ci. Selon lui, «un groupe est formé
d’individus seulement : les mécanismes psychologiques
que nous trouvons dans un groupe ne sont que les mécanismes
opérant chez les individus».
Traçant l’histoire des mouvements autoritaires, il
considère que les masses manifestent une soumission innée
à l’autorité, mais ne fait pas une analyse de
cette soumission en termes de classe et n’offre aucune stratégie
pour la combattre ; il se borne à défendre la démocratie
pratiquée aux États-Unis. Sa thérapeutique
sociale et morale n’emprunte à la théorie marxiste
que des éléments affadis. De même, dans sa recherche
d’une éthique psychanalytique, il s’appuie à
la fois sur la planification socialiste et sur l’éducation
morale, ce qui le rattache à l’école néo-freudienne
de l’egopsychology aux États-Unis. Redoutant la lutte
des classes et refusant la révolution socialiste, il s’en
prend à la technologie elle-même, non pas à
son utilisation capitaliste.
À propos du marxisme, il écrit : «Une véritable
doctrine humaniste ne représente pas quelque force travestie
et supérieure à l’individu, mais l’expression
cohérente de l’ultime affirmation du moi. Toute idéologie
qui s’oppose à l’épanouissement complet
de l’homme prouve par là même qu’elle n’est
que la transposition d’un besoin pathologique.»
L’individu, né dans un monde où tout est réglé
d’avance et où les conditions et méthodes de
travail sont déterminées par la société
dans laquelle il se trouve, ne peut pas changer le système
social, dont dépendent pourtant ses traits et sa personnalité.
Pessimiste sur les possibilités d’une libération
humaine, la psychanalyse culturaliste de Fromm en vient donc à
concevoir une nature humaine inaltérable. Centrée
sur l’adaptation dynamique de l’individu à la
société et sur le caractère social du psychisme,
cette théorie voit la solution des problèmes humains
dans la coopération avec l’autorité rationnelle
et dans le rejet de l’autorité irrationnelle. Le but
thérapeutique est la réalisation du potentiel humain
pour la productivité, la maturité, la liberté
et la spontanéité.
Parmi les œuvres principales de Fromm, citons, outre
La Peur de la liberté :
L’Homme pour lui-même (Man for Himself , 1947) trad.
J. Claude, E.S.F., Paris, 1968 ;
Société aliénée et société
saine (The Sane Society , 1955), trad. J. Claude, Courrier du Livre,
Paris, 1971 ;
L’Art d’aimer (The Art of Loving , 1956), trad. J. L.
Laroche et F. Tcheng, Épi, Paris, 1969 ;
Espoir et Révolution (Revolution of Hope , 1970), trad. G.
Khoury, Stock, Paris, 1970 ;
La Crise de la psychanalyse (The Crisis of Psychoanalysis , 1970),
trad. J. R. Ladmiral, Anthropos, Paris, 1971 ;
Bouddhisme, zen et psychanalyse (Zen Buddhism and Psychoanalysis
, 1971), trad. T. Léger, Presses universitaires de France,
Paris, 1971.
1995 Encyclopædia Universalis
L’égalisation relative des conditions sociales
mène à une certaine unification des comportements
économiques qui empêche souvent l’individu d’exprimer
sa propre personnalité. Les communications de masse renforcent
de plus l’unification culturelle. De tels processus
rendent difficile toute différenciation personnelle et s’opposent
au développement normal du « je » et du «
moi » : comme l’ont remarqué Erich Fromm, Karen
Horney ou David Riesman, l’individu risque d’être
aliéné dans la foule solitaire des sociétés
de masse et d’être atteint de certaines maladies mentales
puisque c’est désormais sa personnalité même
qui se trouve désintégrée.
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