Origine : http://www.radio-canada.ca/par4/Mag/20010225/vb/fromm_artdEtre.html
La semaine dernière, à peu près à la
même heure, on cheminait en compagnie de Erich Fromm, à
partir d'un ouvrage qui s’intitule L’art d’écouter
( Erich Fromm : la névrose de caractère). Aujourd’hui,
comme convenu, je vais vous parler brièvement de L’art
d’être paru chez Desclée de Brouwer. Il faut
savoir qu’un des ouvrages majeurs de Fromm s’intitule
Avoir ou être, paru en 1996 : on peut encore le trouver aux
éditions Robert Laffont. Dans cet ouvrage, l’auteur
avait retiré un certain nombre de chapitres qu’il ne
jugeait pas utile du publier à l’époque où
il l'a fait paraître. C’est une partie de ces chapitres
qu’on retrouve maintenant dans L’art d’être.
Les obstacles à l'apprentissage
FROMM, Erich. L'art d'être, Éd. Desclée de
Brouwer, Coll. " Psychologie ", 2000
Dans L’art d’être, Fromm explique que notre civilisation
met l’accent sur l’avoir et non pas sur l’être
et qu’il faut trouver un équilibre entre les deux,
favoriser l’être, etc. Mais ce n’est pas tout
de prêcher l'être : l’art d’être qu’est-ce
que c’est? C’est l’art de vivre, finalement. Alors
il nous dira dans cet ouvrage quels sont les obstacles de l’apprentissage
de l’art de vivre. Son propos sur l’apprentissage de
l’art de vivre recoupe très bien, du reste, les réflexions
de Théodore Monod. Que ça se tient donc cette émission-là!
Obstacle principal
" Le plus grand obstacle dans l’apprentissage de l’art
de vivre est sans doute ce que je nomme la ‘ grande
imposture ’, qui se répand dans toutes les
sphères de la société ", nous dit Erich
Fromm, avant de faire la critique de la société actuelle.
" Un grand nombre de phénomènes contemporains,
comme la fabrication de produits neufs dont la détérioration
est prévue dès l’usine, la production de produits
de luxe inutiles, sinon nocives pour l’acheteur, la divulgation
de publicités où se mêlent un peu de vérité
et beaucoup de mensonges, fait partie de cet usage du faux
pratiqué par notre société, et qui
n'est sanctionné que dans les extrêmes. […]
" En politique, la grande imposture de notre siècle
s’est nettement précisée à travers des
événements comme le scandale du Watergate et la conduite
de la guerre du Vietnam. […]
" Ces exemples, dit-il plus loin, nous mènent au sujet
primordial qu'est le problème de l’imposture dans le
domaine du salut, du bien-être, de la croissance intérieure
et du bonheur de l’homme. […] ‘ Expérience
vécue ’, ‘ croissance humaine ’, ‘
épanouissement de la personnalité ’, ‘
réalisation intérieure ’, ‘ vivre dans
le présent ’, etc., toutes ces expressions furent rabaissées
et commercialisées à des fins publicitaires. "
Il semble trouver que cette tendance manque de rigueur, généralement,
et que ça n’est pas aussi exigeant que ça devrait
l’être pour vraiment parvenir à une croissance
personnelle sérieuse. Il donne quelques détails sur
cette question, les techniques, etc.
Deuxième obstacle
" Un second obstacle à l’apprentissage de l’art
d’être ou l’art de vivre est le verbiage trivial,
souligne Fromm. Littéralement, trivial, veut dire ‘
lieu commun ’ (du latin tri-via, ‘ carrefour, point
de rencontre de trois voies ’). Le terme dénote la
superficialité, la monotonie, le manque de talent et de qualités
morales. Mais trivial se dit aussi d’une attitude consistant
à ne voir que les choses en surface sans se préoccuper
d’en pénétrer les motifs dans leurs couches
profondes. " Il est très sévère…
Rigoureux et sévère.
Troisième obstacle
Ce troisième obstacle me touche énormément
(il faudrait faire circuler ce passage dans le monde de l’enseignement…)
:
" Un troisième obstacle à l’apprentissage
de l’art d’être est la doctrine ‘ du moindre
effort et de la moindre souffrance ’, si populaire qu’elle
se passe de plus amples explications. […] Nous tenons l’éducation
pour essentielle et persuadons les jeunes de la nécessité
absolue de s’instruire. Mais notre système d’éducation
est tel qu’au nom des principes de la ‘ libre expression
’, du ‘ libre arbitre ’, de la ‘ non-performance
’ et de la ‘ liberté ’, l’enseignement
doit être abordable et se dispenser dans un cadre agréable.
"
" La doctrine de la moindre souffrance, liée à
celle du moindre effort, relève d’une phobie consistant
à éviter à toute force la douleur et la souffrance
– psychique et physique. "
Récemment, on entendait dire que si on baissait les exigences
de l’examen du français, les gens le réussiraient
davantage. Débile! Je crois que Erich Fromm aurait été
du même avis là-dessus puisqu’il poursuit dans
son élan, un peu plus loin :
" La libération de la machine conduit à l’idéal
de la paresse absolue qui mit en avant l’épouvantail
de l’effort réel. Une bonne vie est une vie sans effort.
[…] Afin d’éviter ‘ l’effort ’
de marcher, on circule en voiture […]. La doctrine de la moindre
souffrance, liée à celle du moindre effort, relève
d’une phobie consistant à éviter à toute
force la douleur et la souffrance – psychique et physique.
L’ère du progrès garantissant la Terre promise,
une existence sans souffrance, l’homme commence bien sûr
à développer une sorte de phobie chronique de la douleur.
[…]
" Pourtant, l’apprentissage des choses essentielles
de la vie, des rudiments du métier, l’avancement dans
tout domaine exige, s’il nous est précieux, qu’on
endure sans rechigner les petites douleurs. "
Finalement, il juge très sévèrement cette
civilisation qui est la nôtre, qui soutient la doctrine de
la moindre souffrance liée à celle du moindre effort.
D’après lui, tout ça relève de la phobie.
L'anti autoritarisme
Plus loin, Erich Fromm parle de l’anti autoritarisme, qui
consiste à dire non à toute autorité.
" La phobie de tout ce qui est autoritaire, ‘ imposé
’, et postule une certaine discipline, constitue également
un obstacle à l’art d’être. " Il ne
s’agit pas de se plier à toute forme d’autorité
mais il y a l’obligation de se plier à une forme d’autorité
qui va forcément nous imposer une discipline pour arriver
à quelque chose.
" L’individu ne se rend pas compte qu’il est plus
impuissant que jamais, à cause justement, de la puissance
et de la grandeur gigantesque de la bureaucrate étatique,
du pouvoir militaire et de l’industrie. Ce sont ces bureaucraties
impersonnelles et non pas l’individu qui tiennent les rênes,
etc. "
Les conditions
" Ne vouloir qu’une chose suppose de décider d’un
but et implique que l’homme tout entier se destine et se voue
à l’objet de sa résolution. "
Vouloir autre chose, mais une seule
Alors que faire? Ne vouloir qu’une chose, par exemple, mais
la vouloir très fort. " L’épanouissement
suppose, si l’on refuse la médiocrité, dans
tout domaine, mais notamment dans l’art de vivre, que l’on
ne veuille qu’une chose. Et ne vouloir qu’une chose
suppose de décider d’un but et implique que l’homme
tout entier se destine et se voue à l’objet de sa résolution,
que toutes ses énergies affluent vers le but choisi. Aspirer
à un but demande une énergie qui vient à manquer
si on la disperse. "
On a compris qu’il s’agit de se mobiliser pour parvenir
à la réalisation de soi ou du Soi, comme vous préférez,
et d’écarter tout ce qui n’y contribue pas, sans
être rigide dans nos choix, ou même stupide dans certains
cas.
L'éveil et la vigilance
Être, pour E. Fromm, c’est d’abord être
éveillé. Il dit :
" La plupart de ceux qui ambitionnent de modifier leur état
de conscience ont en réalité une conscience à
peine plus évoluée que ceux qui cherchent l’épanouissement
dans le café, l’alcool, la drogue et les cigarettes,
et que l’on pourrait très bien appeler des compagnons
d’infortune. " Il va très loin là-dedans.
Apprendre également à être attentif. Il nous
entraîne petit à petit à l’idée
d’accorder du temps à la réflexion méditative
et à la méditation comme telle.
" Être attentif à quelque chose, explique Fromm,
signifie ne pas relâcher sa vigilance, connaître ou
prendre conscience en vertu d’un effort d’attention
soutenu. […]
" Fermez les yeux et bannissez toute pensée de votre
esprit, sentez seulement votre respiration. – Cela fait partie
des techniques qui sont des classiques. – […] Quand
je suis attentif à la joie, à l’angoisse, à
l’amour, à la tristesse et à la haine que j’éprouve,
je n’y pense pas, je n’y réfléchis pas.
J’éprouve ces sentiments, et donc, je ne les refoule
pas. J’ai ‘ conscience ’ de ce que je ressens.
" Il revient beaucoup sur le vocable " conscience ",
de con (avec) et scire (savoir), c'est-à-dire participer
au savoir, garder l’esprit éveillé par des facultés
mentales.
" Être conscient possède une composante active
voisine de l’attention ", dit Fromm.
Plus loin dans ce montage que l’on a préparé
pour avoir une idée générale de tout ça,
il dit :
" Lorsque nous sommes parvenus, dans notre vie personnelle,
à un haut degré d’indépendance à
l’égard des autorités irrationnelles et des
idoles de tout genre, l’attention libère l’énergie,
désembue l’esprit, rend indépendant, vivant
et permet de trouver un centre en soi. Qui est attentif n’adopte
pas un comportement moutonnier mais sait que la réalité
ne peut être changée. Il vit et meurt en être
humain. "
Rien à ajouter...
émission du 25 février 2001
Par 4 chemins/ Le 25 février 2001/3e heure
Micro : Jacques Languirand/ Transcription : Noëllise Turgeon/
Édition : Stéphanie Adam Le Roch/ Révision
: Nicole Dumais
Documentation : Rosalie Dumontier /Infographie : Pascal Languirand
2001 Productions Minos Ltée
|