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origine :
http://www.psychanalyse-paris.fr/cet-article-d-Erich-Fromm.html
http://erich-fromm.blogspot.com/
Lu sur le site antisectes.net cet article d’Erich Fromm critiquant
dès 1950 l’ouvrage clé de Hubbard, fondateur
de la scientologie :
NEW YORK HERALD TRIBUNE - Critiques des ouvrages 3.9. 1950
Pour ceux qui rechercheraient un bonheur préfabriqué
DIANETICS. (en France, le titre original était "Dianétique,
Science Moderne de la santé mentale" ; il fut modifié
en "Dianétique, puissance de l’esprit sur le corps"
et finalement en dianétique, puissance de la pensée
sur le corps- pour des raisons éminemment politico-légales
(apparence pseudo-religieuse de la secte). L. Ron Hubbard. 452 pp.
New York : Hermitage House. $4.
Critique de Erich Fromm
Les gens n’ont jamais été si passionnés
de psychologie et d’art de vivre que de nos jours.
L’intérêt que portent les lecteurs potentiels
envers ces sujets n’est pas sans provoquer des inquiétudes
sur l’homme, davantage que sur les aspects matériels
de l’existence.
Parmi ces livres, certains comblent le besoin de conseils rationnels,
tandis que d’autres attirent les lecteurs au moyen de promesses
de bonheur préfabriqué et de remèdes ou recettes
miracle.
La "Dianétique" est le dernier de cette série
d’ouvrages dans lequel l’auteur use sans la moindre
vergogne de tous les ingrédients de la recette en vogue.
"La création de la dianétique représente
une étape pour l’humanité : elle est d’importance
comparable à l’invention du feu et supérieure
à celles de la roue ou de la voûte".
L’auteur prétend avoir non seulement "découvert
l’unique source de toutes les formes de névroses, psychoses,
criminalité et maladies psychosomatiques", mais aussi
"le remède à tout cela." "La dianétique
guérit sans jamais échouer" L’auteur présente
d’abord une théorie générale sur la structure
mentale ; il bâtit ensuite une théorie portant sur
les troubles mentaux, et une pratique pour en venir à bout.
"Le seul moteur de l’humanité est la survie".
L’homme survit pour lui, pour le sexe, le groupe, l’humanité,
et chacune de ces subdivisions du principe de cette survie est dénommée
une "dynamique".
Il établit une distinction entre "mental réactif"
- la partie qui mémorise les émotions négatives
et douleurs et "mental analytique", qu’il compare
à une superbe calculatrice pensant en termes de différences
et similitudes, tandis que le mental réactif ne penserait
qu’en termes d’identité/égalité.
Le mental réactif "cherche seulement à diriger
l’organisme selon un schéma de stimuli-réactions".
Ce concept de mental réactif est le fondement de la théorie
de la pratique permettant de soigner les maladies mentales.
Durant les moments de douleur physique ou d’émotion
intense, le mental analytique serait "déconnecté",
les mots prononcés alors en présence de la personne
"inconsciente" seraient alors enregistrés comme
"engrammes".
Ceux-ci ne seraient pas accessibles dans les souvenirs normaux.
La personne serait alors dirigée sans le savoir par les contenus
de ces engrammes, similaires à des suggestions hypnotiques.
"Si jamais le diable a existé, il a inventé le
mental réactif…
Ce mental fait tout, on peut tout lui attribuer dans la liste des
maladies mentales : psychoses, névroses, compulsions, répressions…
ainsi que tout le catalogue des maladies psychosomatiques... l’engramme
est l’unique source de toute aberration et maladies psychosomatiques.
." La thérapie dianétique est issue de ces prémices.
Le patient -"le préclair"- est malade en raison
de ses engrammes.
Lorsque tous les engrammes importants - surtout ceux de la période
prénatale - sont remémorés ("on y retourne"),
le patient est définitivement "clarifié"
[dans le sens des machines à calcul, où la commande
’clear’ efface les commandes précédentes,
ndt] de toutes ses "aberrations", et son intelligence
est alors supérieure à celle des autres.
Le thérapeute ou "auditeur" permet ce "retour"
de l’engramme en mettant le patient dans un état dit
"rèverie dianétique" : il annonce : "Lorsque
je compterai jusqu’à sept, vos yeux se fermeront.
Vous resterez conscient de tout ce qui se passera.
" Puis l’auditeur compte "lentement, calmement,"
jusqu’à ce que le patient ferme les yeux.
Il lui demande ensuite de "retourner" aux périodes
antérieures de son existence, éventuellement jusqu’à
la conception, et le ramène dans le présent en fin
de séance.
Chaque engramme doit être entièrement décrit-raconté
à plusieurs reprises jusqu’à "effacement
complet".
Si l’on omet les prétentions colossales de l’auteur,
on trouve à peine quelques originalités dans l’ouvrage,
hormis les mots nouveaux expliquant un mélange de freudisme
mal compris et d’expériences de régression datant
des âges de l’hypnose.
Quelques notions vraiment originales peuvent pourtant surprendre
: nous lisons par exemple que le patient raconte les mots prononcés
par le médecin à la mère enceinte, ou par le
père, dès après la conception.
Lorsque j’ai fait la revue de cet ouvrage et observé
les histoires de certains cas qu’on y trouve, j’ai été
tenté de croire que l’auteur avait expressément
construit une parodie subtile de certaines théories psychiatriques,
et mis à l’épreuve la crédulité
du public.
On peut difficilement imaginer que l’ouvrage d’Hubbard
soit une contribution sérieuse aux sciences humaines, mais
il faut le considérer comme le symptôme d’une
dangereuse tendance.
S’il ne s’agissait que d’une sur-simplification
d’anciennes théories freudiennes, il serait sans risques.
Mais la dianétique dévoile un esprit très précisément
opposé aux théories freudiennes.
Le but de Freud consistait à aider le patient à comprendre
la complexité de son mental, sa théorie se fondant
sur le concept suivant : c’est en se comprenant soi-même
que l’on pourrait se libérer de fardeaux irrationnels
provoquant malheur et maladie mentale.
Cette notion se rencontre dans la grande tradition orientale ou
occidentale, de Bouddha à Socrate, en passant par Spinoza
et Freud.
La dianétique ne respecte pas - et ne comprend pas - les
complexités de la personnalité.
L’homme est une machine, si bien que rationalité, jugements
de valeur, santé mentale et bonheur s’obtiennent par
un travail d’ingéniérie.
"Dans une science d’ingéniérie comme la
dianétique, nous pouvons travailler par pousse-boutons.
" Il n’y a rien à savoir sur l’homme en
dehors de l’application des théories hubbardiennes
sur l’engramme.
Si l’on n’accepte pas ces théories, c’est
que l’on a d’autres motifs ultérieurs, ou que
l’on souffre d’un "dénieur" - ou "négateur"
qui "est une commande engrammique faisant croire au patient
que l’engramme n’existe pas".
Tout est excessivement simple.
Quand vous avez avalé l’ouvrage d’Hubbard, vous
savez tout ce qu’il y a à connaître sur l’homme
et la société puisque vous savez sur quels boutons
appuyer.
Les valeurs ou la conscience n’existent pas ; si les engrammes
sont effacés, vous n’avez plus de conflits.
Toutes les grandes religions et philosophies ont perdu leur temps.
Aucun problème n’a pas pour origine un ordre engrammique,
si bien que tout ce qui a été pensé avant Hubbard
n’a pas de sens, vu que les penseurs ignoraient la découverte
hubbardienne.
Il reste difficile de croire l’auteur lorsqu’il écrit
que "les écritures hindoues anciennes, les oeuvres des
anciens grecs ou romains y compris Lucrèce, les travaux de
Francis Bacon, les recherches de Darwin et certaines de pensées
d’Herbert Spencer" composeraient "les bases philosophioques"
de son travail : la dianétique ne se soucie certes pas de
ces prédécesseurs.
La découverte selon laquelle "la survie serait le seul
et unique but de la vie" n’exprime certainement pas les
préoccupations des anciens hindouistes, ou des grecs anciens
: c’est plutôt une expression biologique brutale selon
laquelle les valeurs éthques seraient subordonnées
à la pulsion de survie - si tant est qu’elle existe.
Peut-être l’élément le plus maladroit
de la dianétique réside-t’il dans le style.
Ce mélange de quelques vérités hyper-simplifiées,
de demi-vérités et de pures absurdités, s’ajoutant
à la technique propagandiste consistant à impressionner
le lecteur par l’affirmation de grandeur, d’infaillibilité
et de nouveauté du système de l’auteur, ou cette
promesse de résultats immanquables directement accessibles
par le simple biais de l’adoption des techniques dianétiques,
tout cela retentit hélas dans les domaines médecine
et politique.
Ce serait aussi grave en cas d’application à la psychothérapie
et à la psychiatrie.
Cette critique négative sur la dianétique ne résulte
pas de croyances présentes selon lesquelles le critique affirmerait
que les méthodes actuelles de la psychiatrie et de la psychologie
sont satisfaisantes : elles ont besoin d’idées et d’expérience
nouvelles.
Fort heureusement, nombre de psychiatres et psychologues en sont
conscients et cherchent les méthodes permettant d’approcher
l’inconscient (entre autres, le test de Slesinger "Looking-in").
Mais on doit au minimum prendre comme point de départ le
renforcement de la responsabilité, de la perspicacité
et de l’esprit critique du patient.
Le Dr Fromm, psychanalyste, est co-auteur de "Famille et Autorité",
auteur de "S’échapper de la liberté"
et "L’homme en soi".
Son dernier ouvrage "Psychanalyse et religion" sortira
en fin d’année [1950].
Publié par Jean-Michel, dit JV
source : http://erich-fromm.blogspot.com/
mardi 12 juin 2007,
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