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AVOIR OU ETRE ? par Stéphane CHARLIER
Erich Fromm , Avoir ou être ? : un choix dont dépend l'avenir de l'homme.

Origine : http://erich-fromm.blogspot.com/feeds/posts/default

Erich Fromm commence par une analyse linguistique consistant à distinguer dans son usage le verbe avoir d’avec le verbe être. Par exemple, affirmer que l'on « a une femme » comme on « a des problèmes » ou qu’on « a une voiture », c'est toujours ramener les choses et les êtres à une notion de propriété. On peut voir cela différemment et affirmer au contraire que l'on est marié, que l'on utilise une voiture et que l'on est perplexe ou embarrassé. Selon Fromm, cette distinction est lourde d'implications quant à notre rapport au réel et notre mode de vie. Être perplexe indique bien qu'il s'agit de quelque chose qui se trouve d’abord en nous, qui peut être lié à notre perception et sur lequel on peut agir. Avoir un problème c'est mettre une distance, mais en même temps ajouter un élément nouveau à tout ce que l'on possède sans parvenir à s'en détacher et à agir dessus.

Fromm applique ensuite cette distinction entre être et avoir à un tas de domaines : la conversation, la connaissance, les études, l'amitié, l'amour, le travail, etc. Chaque fois il montre comment le mode de vie avoir révèle une approche à la fois égocentrique, utilitariste et passive des choses, au contraire du mode de vie être. J'ai retrouvé cette distinction dans une étude sociologique menée auprès de travailleurs français à propos des liens bonheur-travail. Dans les catégories populaires les gens (en général) affirment avoir un travail pour toucher un salaire qui permet d'acheter des choses et qui ensuite permet (éventuellement) d'être heureux. Dans les catégories plus favorisées (en moyenne), les travailleurs insistent sur le fait que le travail permet — au même titre que d'autres activités — de s'épanouir et d'être heureux, et que l'intérêt même de ce travail en fait une fin en soi, non un simple moyen.

Autre exemple : les études. Les étudiants du mode avoir arrivent en cours sans connaissances, sans questions, sans s'être intéressés au préalable au thème qui sera traité. Ils essayent de prendre en note un maximum d'éléments qu'ils tenteront par la suite d'ingurgiter pour mieux recracher le tout à l'examen. Les étudiants du mode être arrivent avec quelques idées (peut-être des préjugés) et ne cherchent pas à noter le cours de façon frénétique. Le cours est une occasion de voir les choses autrement, de faire évoluer leur compréhension du monde et de détruire justement leurs a priori : c'est une démarche qualitative et non quantitative (applicable si le cours est bien fait).

Pour mieux comprendre le mode de vie être, Fromm évoque la pratique du sabbat chez les Juifs. Le jour du sabbat rien n'est produit, rien n'est détruit. Comme il l'affirme, ce jour-là on ne fait qu'utiliser ses pouvoirs essentiels : manger, prier, chanter, étudier, lire et discuter, faire l'amour (beau programme n'est-ce pas ?).

Enfin, comme beaucoup d'auteurs de la même veine, il renvoie dos à dos capitalisme libéral et économie socialiste qui l'un comme l'autre visent à produire toujours plus, et fustige la société de consommation et l'idéologie publicitaire. Chacun, chacune d'entre nous agit parfois en mode être et parfois en mode avoir. En fonction de la société dans laquelle nous vivons et de l'idéologie dominante, nous serons plutôt orientés vers l'être ou l'avoir. Dans nos sociétés occidentales, c'est l'avoir qui l'emporte, et de loin...

Pour conclure, je crois que Fromm peut nourrir nos réflexions quant au choix d'un mode de vie plus serein et moins matérialiste. Son ouvrage date de 1976 mais ces idées coïncident très bien avec les thèmes de la décroissance et de la simplicité volontaire (notion appliquée pour la première fois par un journaliste à propos de Gandhi, je crois).

Enfin, vous trouverez dans son ouvrage un grand nombre de références culturelles occidentales : Socrate, Jésus, Maître Eckhart, Freud, Marx et autres.

Stéphane Charlier

BETHUNE (FRANCE)

Du nouveau, ici et ailleurs
Ce site consacré principalement à Erich FROMM a jusqu'ici avancé peu et lentement. Peu d'articles, un peu longs et soigneusement travaillés. J'ai privilégié le fond sur la forme et la réflexion sur la diffusion.
C'est pourquoi, très logiquement, il a reçu fort peu de visiteurs ( à peine plus de 200) à comparer à bientôt 10 000 sur mon blog d'accueil (Les blogs Jyvais) et pas loin de 4000 (en trois mois !) sur mon blog consacré à la Série TV française Plus Belle La vie...
Je ne crois pas pour autant que FROMM en particulier et la PSYCHANALYSE en général soient condamnés à rester dans l'obscurité...
Je ne crois pas non plus qu'il faille cliver impitoyablement culture / et / peuple : comme si celle-ci devait être réservée à une élite soi-disant éclairée ; comme si celui-là devait être maintenu dans une débilité culturelle permanente.
Ce clivage est en fait une garantie que se donnent les classes possédantes et dirigeantes pour assurer la pérénité de leur règne. Il est bon d'enfreindre cela.

Quelle n'a pas été ma surprise de lire, il y a quelques jours, le message de Frans Tassigny, posté de Belgique si je ne m'abuse, m'apprenant que certains de mes articles avaient été , par ses soins, reproduits sur son groupe de discussion.

D'où échanges : d'informations et de bons procédés. Je me suis inscrit à ses groupes google ainsi qu'à celui traitant de sujets connexes nella lingua italiana dans laquelle je n'écris pas mais que je lis et traduis volontiers. J'ai noté ces liens sur ce site qu'ils soient accessibles à mes rares visiteurs. Frans vient, pour sa part, de publier des informations sur (et de) mon blog sur deux autres sites...

Bonnes lectures !
La psychanalyse est-elle un humanisme ?
UN DEBAT SUR LE BLOG "GERMINALYSE"

Non la psychanalyse n'est pas plus un humanisme qu'une "Weltanchauung"
ce qui n'empèche pas le psychanalyste de vouloir rester accrocher à
l'humanisme et parfois mème de s'en revendiquer...
Relisez l'intro de "Télévision"
Michel Leca

C'est peut-être vrai, mais il en reste que tout change, évolue, se transforme, voyez certains groupes où la psychanalyse propose à ses co-listers trop "captifs" d'une pensée unique toujours les mêmes thèmes " qu' on se demande si certains échanges ne pouvaient pas se faire mieux entre eux, c' est à dire, ne pas occupant l' ordinateur de chacun tous les jours avec des dizaines de messages." (répétitifs voire compulsifs)

je vous cède bien-sûr

"mais le mot(humanisme) ne sonne-t-il pas trop épuisé? C' est a dire, usé par de multiples points de vue à un point qu' il parfois sonne comme un passe-partout...
(je pense à tout l' anti-humanisme qui est évidemment une façon de défendre 'homme, tout en dénonçant les discours de répression qui le détruisent... C' est à dire, il faudrait conjuguer la psychanalyse avec la sociologie, la politique et l' anthropologie pour ne pas en faire une espèce de religion de bonne volonté...

C'est bien pour cela qu'il faut FORGER un nouvel éclairage sur ce concept VIEILLI et je crois que l'efficace psychanalytique dans un champ d'ouverture à d'autres disciplines peut y souscrire.
de plus nous avons déjà un héritage ;

la preuve

Erich Fromm, le penseur et le psychanalyste (1900-1980)

Il est l'un des représentants de l'école de Francfort. Il étudie la philosophie avec Jaspers et la psychanalyse avec Theodor Reik. Ancien membre de l'Institut psychanalytique de Berlin, il pratique une psychanalyse " humaniste " ou " existentielle ".

c'est donc un formidable acquis culturel sur lequel on peut se baser, en voici les grandes lignes :

L'humanisme de Fromm se fonde sur sa croyance et sa compétence en psychanalyse, en vertu de cette connaissance, que l'inconscient de l'humain est l'expression en lui de l'humain " total ", universel et de toute l'humanité. L'humain étant un être social, sans nulle réalité en dehors d'une société, c'est sa société qui décide des facultés qu'elle va favoriser en lui, par exemple à travers les traditions culturelles. " Les besoins de la société sont transformés en besoins personnels et finissent par constituer le caractère de la société, la personnalité de base de tout individu. " (" Humanism and Psychoanalysis " in Contemporary Psychoanalysis, vol. 1, 1964, p.27.) L'esprit d'une société dont l'humain est membre influe fortement sur le développement de sa personnalité. Il favorise certaines facultés présentes dans l'inconscient, les fait émerger à la conscience, jusqu'à ce que l'individu s'identifie à elles. Mais à l'inverse, les facultés et dispositions allant à l'encontre des modèles culturels d'une société, sont aussi souvent refoulées et déniées. De là vient que " notre conscience représente essentiellement la société et la culture dans laquelle nous vivons, tandis que notre inconscient représente l'homme universel au sein de chacun de nous. " (L'humain au cœur, p.128).(Dominique Terrazzoni)

Cet objet idéal de la pensée, je crois que l'on peut le moderniser, l'actualiser sans pour cela tomber dans ses lacunes, et si vous me permettez de citer Søren Kierkegaard :

«Il s'agit de trouver une vérité qui soit une vérité pour moi, de trouver l'idée pour laquelle je veux vivre et mourir...»

cordialment

frans tassigny

source : http://germinalyse.blogspot.com/2007/05/psychanalyse-spculative.html
UN NOUVEAU GROUPE DE DISCUSSION : GERMINALYSE
Je viens d'avoir la (bonne) surprise d'apprendre que la présentation de ce blog vient d'être republiée par Frans TASSIGNY sur son blog "GERMINALYSE" et sur son groupe de discussion (Google group) du même nom. Trop rares sont les occasion d'échanger idées et informations sur ce thème pour que l'on s'en prive! Pour ma part j'ai adhéré au group de discussion et je reproduis ci-dessous le MANIFESTE du groupe.

Frans TASSIGNY : MANIFESTE

Tous les membres du collectif, responsables, intervenants, contribuent
à élever la psychanalyse en un espace spéculatif, telle une recherche
fondamentale. On n’y apprend ni des systèmes, ni des cultes, on y
reçoit un éveil de la pensée dépassant les limites de la psychanalyse
pure pour se tourner vers l’ethnologie à l’exemple de Frazer ou de
Malinowski et dans ce pluralisme se dégagent des idées non-dirigistes,
des non-certitudes en quelque sorte.

Jamais cette recherche ne prendra matrice dans une quelconque
corporation, guilde, défendant ses droits et privilèges plutôt que la
pertinence de ses doutes. Cet enseignement ne se développera pas à
l’encontre d’autres écoles. Telle serait la seule façon de renouer
avec la pensée freudienne. Renouer avec ces passeurs ne consiste pas à
enseigner la psychanalyse, ni même à prétendre à réinventer la
psychanalyse, mais à penser, réfléchir, à un élément même irrationnel
au collectif, quitte à déconstruire pour ensuite mieux rebâtir, ce qui
est vrai pour un est différent pour l’autre.

Bien sûr, c’est l’étude des textes qui sera la pierre angulaire du
“Comment savoir poser un problème” et à lui donner une solution
argumentée, raisonnée, en évitant toutefois d’être trop conceptuelle.

Que proposera-t-on à ces enseignants ? Avant tout une méthode car cet
enseignement n’est pas une entreprise de formation où le collectif
accouchera d’apprentis sorciers.

Le professeur de psychanalyse commencera la lecture d’une œuvre
freudienne. Mais renouer avec l’héritage freudien ne reviendra pas à
se prendre soi-même pour cette figure originaire de la pensée
psychanalytique, mais à devenir ce passeur d’idées consistant à
comprendre et à faire comprendre leur traversée à ce siècle tumultueux.

Réflexions sur Avoir ou Etre
Avoir ou Etre, un choix dont dépend l’avenir de l’Homme, est l’un des derniers grands livres d’Erich Fromm. Dans ce livre, nourri des apports de la psychanalyse, mais aussi du marxisme, de l’humanisme classique, du bouddhisme zen, Fromm distingue entre deux « modes » d’existence : le mode être et le mode avoir. Ce sont, plus que des types de caractères ou des modes de vie, de véritables orientations déterminant l’identité et la place qu’un individu assume dans le monde. Cela dépend de multiples facteurs, dont deux principalement, la structure sociale, celle d’une société humaine à une période donnée de l’histoire, et la structure de caractère individuelle.

Notre époque se caractérise par la prédominance du mode avoir. Cela veut dire que les choses sont le plus souvent pensées, ressenties, vécues en termes de possession. Dans le mode être, à l’inverse, ce qui a de l’importance est ce qu’on est plus que ce qu’on a.

A plusieurs reprises dans Avoir ou Etre (mais cette analyse était déjà présente dans son œuvre antérieure ) Fromm souligne comment certaines façons de s’exprimer, dans la vie courante, traduisent la prévalence du mode avoir ou du mode être. Ainsi, au lieu de « j’aime », on dira « j’ai un amour », si le mode avoir est celui qui l’emporte. Ou « j’ai une pensée » au lieu de « je pense ».

Le lecteur adhèrera rapidement à cette remarque d’Erich Fromm et à la critique sociale qu’elle implique contre l’esprit de possessivité et d’accumulation de nos sociétés où l’on mesure les individus en termes de valeur en fonction de ce qu’ils possèdent. Vaut davantage celui qui a non seulement un bon compte en banque mais aussi un bon « compte identitaire » : qui a un amour digne de ce nom, une pensée valorisante, des amis de valeur, une existence riche en tout point.

Mais il serait sans doute intéressant de fouiller davantage cette question : je pense que la remarque de Fromm, prise textuellement et limitée à cela, est somme toute assez banale (sans être fausse pour autant). Ou trouve pas mal de réflexions du même ordre dans le discours « baba cool » des années soixante dix, y compris ses avatars spiritualistes, voire sectaires. Cela peut aller jusqu’à l’appel à se dépouiller de ses biens et de son héritage intellectuel pour tendre vers un idéal d’ « être » désintéressé et forcément pur…

En lisant ces phrases sur le mode avoir (« j’ai un amour, une pensée… ») et l’être (« j’aime, je pense… ») on dérive aisément dans une observation introspective sur soi-même et sa façon de s’exprimer. On se surprend à s’interroger et à scruter son propre discours : « suis-je quelqu’un de possessif, qui thésaurise les sentiments, ou un être actif et aimant ? La façon dont je parle trahit-elle cette identité ? »

Dans cette petite exploration mentale on constate peut-être une certaine tendance à « avoir » (une religion, des idées avancées, des principes, des amours etc.). On plaidera sans doute alors la défense suivante, face à l’accusation de possessivité ou, osons ce néologisme, d’ « avoirisme » : « n’existe-il-pas des structures linguistiques dont je dépends car elles existent avant moi et en dehors de moi, on me les a inculquées dès mon plus jeune âge, qui m’imposent ces tournures de phrase, sans qu’elles soient nécessairement des tournures d’esprit… »

En fait la réflexion frommienne sur le mode être et le mode avoir ne s’attarde pas sur l’aspect langagier de la question ; la remarque n’est pas non plus faite par hasard. Il s’agit d’impliquer le lecteur, de l’associer à la réflexion de l’auteur, de solliciter de sa part une lecture active et participative. Cette stratégie est typique du psychanalyste Fromm. Dans l’Art d’Aimer, il faisait une autre remarque tout aussi impliquante et dérangeante si on s’y arrête de trop. Il proposait en effet l’idée suivante : dans l’amour, contrairement à ce que pensent la plupart des gens de notre temps, l’important n’est pas d’être aimer mais d’aimer. C’est pourquoi son « Art d’Aimer » ne sera pas un manuel du « comment séduire et se faire des amis »… L’aimer et non l’être aimé.

Même stratégie, mêmes effets sur le lecteur. Qui lit l’Art d’Aimer se demande bientôt s’il est plus préoccupé de recevoir et garder l’amour de l’être aimé ou bien de ce qu’il (ou elle) met en action et donne à l’autre dans l’état amoureux.

Cette remarque de Fromm non plus n’est pas à prendre au pied de la lettre ! Faute de quoi on aboutirait à un terrible paradoxe amenant à la conclusion de l’impossibilité de l’amour (au sens d’une relation réciproque et égalitaire à deux) : si l’important est aimer et non être aimé, et si je me soucie de l’autre qui m’aime, l’important pour lui (elle) est de m’aimer ; je lui dois donc d’être dans cet état « passif » du désir d’être aimé, sans quoi je nie l’amour de l’autre… D’où d’ailleurs la délicieuse ambiguïté de ce terme, l’amour de l’autre : celui qu’il me porte ou celui que j’ai pour lui ?

Après ce détour, la question de deux modes d’existence, l’Etre et l’Avoir, doit être posée avec la même acuité. Oui c’est aliénation de ne plus aimer ou penser mais seulement avoir des sentiments ou des idées… C’est le propre d’un monde ou l’on ne veut plus : on « a » de la volonté. Mais c’est tomber dans une autre forme d’aliénation que de s’enferrer dans une sorte d'idéal de l’Etre-en-soi.

Etre ou Avoir : un choix dont dépend l’avenir de l’homme ? Que sont et que deviendront ceux qui n’ont rien : pas de travail, pas de logement, pas de papiers… ?
Article publié dans FROMM-FORUM (en anglais et en ...
Article publié dans FROMM-FORUM (en anglais et en allemand)
reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur Gérard D. Khoury

Une rencontre décisive : Erich Fromm.

Il est des êtres qui vous marquent pour la vie et sans lesquels celle-ci aurait eu une toute autre tournure. Erich Fromm est de ceux-là. Il a modifié le parcours de ma vie et m’a donné les moyens - quand j’avais la vingtaine - d’affronter les impasses d’une histoire familiale et nationale ancrée dans un univers proche-oriental que j’ai mis plus de trente ans, par la suite, à comprendre, parce qu’il obéit à d’autres codes culturels et anthropologiques. Elevé dans un monde bourgeois, où le commerce et l’argent étaient les seules valeurs reconnues, assurant non seulement la sécurité et le statut, mais aussi l’identité et la liberté, j’ai eu beaucoup de mal à me constituer, à me libérer de cet univers.
J’étais ainsi soumis à une dévalorisation relative de la culture et de l’art et il fallait braver milieu familial et social pour oser croire à la force des idées, celles qui pouvaient changer ce monde largement inégal et injuste déployé sous mes yeux. Je ne savais pas alors que ces valeurs marchandes allaient devenir en Occident aussi prégnantes, sous l’influence d’autres légitimations liées probablement à l’éthique du protestantisme et à celle de l’Amérique libérale contemporaine qui érige le marché en arbitre suprême .
Sans aborder le détail de ce moment décisif, ma rencontre avec Erich Fromm avait été précédée par ma lecture de ses œuvres durant les années 1959-1960. Je me débattais alors face à l’autorité paternelle, ce qui n’était pas une mince affaire. Bien plus tard seulement je me rendis compte qu’au Proche-Orient tout était encore régi par la famille, le clan, la communauté. Je me heurtais à un mur de déterminisme. Aucun choix n’était possible hormis celui que me présentait mon père. M’opposer à lui était invraisemblable et, si je m’y risquais, c’était source de colère de sa part et de culpabilité de la mienne. Aucune liberté ne semblait possible et quand j’échappais momentanément aux foudres paternelles, je devais ne pas céder aux pressions affectives de ma mère, qui essayait par d’autres moyens de me conduire au même but que celui souhaité par mon père. Elle cherchait à me convaincre de suivre la voie commerciale tracée par mon père en la faisant évoluer vers un monde financier plus moderne que celui des affaires paternelles, somme toute restées archaïques et artisanales. 1
Tout choix personnel semblait exclu : un garçon était supposé prendre la succession de son père, épouser sa cousine germaine, vivre auprès de ses parents dans la même maison, « le reste de son âge » pour citer Joachim du Bellay...Ce n’est que bien longtemps plus tard que je compris ce que signifiait l’endogamie.
Sur le plan politique, économique et social, je parvenais difficilement à analyser la réalité libanaise. A cette époque on parlait volontiers de miracle libanais, de la force d’un état faible, de Beyrouth comme d’un Paris oriental, d’un pays jeune de 6000 ans, de Suisse du Proche-Orient et de tant d’autres clichés. Ce petit pays, à peine indépendant, scintillait de tous les feux du libéralisme et de la réussite matérielle, et semblait imperméable à l’histoire de la région, sauf pour profiter des coups d’états et des malheurs consécutifs pour les bourgeoisies nationales qui venaient se réfugier avec leurs capitaux dans ce havre de paix . Les inégalités sociales ne troublaient apparemment personne dans les cercles du pouvoir. A l’âge de la révolte et du besoin de justice, tout m’angoissait et m’était incompréhensible. Tout me paraissait confus : l’histoire du Liban, l’origine des états du Proche Orient, l’existence d’Israël, la présence au Liban des réfugiés de Palestine, etc...
Etudiant en troisième année de Sciences économiques, je bénéficiais d’une invitation, émanant du Département d’Etat américain, à me rendre avec un groupe d’étudiants arabes aux Etats-Unis. Une des raisons qui me firent l’accepter, c’était l’idée secrète de rencontrer Erich Fromm, après avoir lu l’ensemble de ses écrits publiés en anglais.
J’écrivais à Erich Fromm chez Routledge and Kegan son éditeur anglais, sans savoir quelle serait sa réaction. Quelle ne fut ma surprise quand je reçus quelques temps après une réponse d’Erich Fromm par laquelle il m’invitait à la rencontrer à New- York.
Je prévenais aussitôt Erich Fromm des dates de mon séjour à New York et sans tarder il me proposa de l’appeler dès que j’y serais pour me donner un rendez-vous.
Le fait que je vienne du Proche - Orient, d’un pays arabe, alors que Erich Fromm était juif allemand, ayant d’abord milité dans les jeunesses sionistes, puis combattu la création d’un état juif, devenu antisioniste, avait-il piqué son intérêt ? Je restais saisi de la chance qui s’offrait à moi et me sentais pousser des ailes !
Un autre hasard allait doubler l’invitation américaine par une invitation au Mexique où se tenait un congrès de Sociologie où je fus convié à représenter le Liban et ceci n’est pas indifférent à la suite. Quand j’appelais, en effet, Erich Fromm en lui proposant de le rencontrer à New- York durant l’été 1960, avant mon départ pour Mexico, il me répondit que nous nous verrions plus à loisir au Mexique, et il m’engagea à lui téléphoner dès la fin du Congrès.
La première rencontre dans le bureau d’Erich Fromm à Mexico
La première rencontre à Mexico - il me l’avouera plus tard - le surprit. Il attendait un professeur dans la quarantaine et c’était un jeune étudiant de 22 ans qui lui faisait face. Après la première surprise, il chercha à comprendre les raisons de ma venue de si loin et ce que j’attendais de lui, puis sans hésiter, il me proposa de venir m’installer à Cuernavaca dans une hacienda qu’il connaissait, appartenant à un français, une maison faisant office de pension de famille qui était momentanément fermée, mais où il se ferait fort de m’obtenir une chambre, et il m’assura qu’il trouverait le temps de me voir d’une manière intensive. Et il en fut ainsi…Deux à trois fois par semaines, il me consacrait quatre à cinq heures d’affilée entre 15 ou 16 heures et vingt heures.
De ces rencontres à Cuernavaca, il ne sera pas question ici, car elles sont d’un ordre strictement intime , mais je voudrais évoquer la figure d’Erich Fromm, telle qu’elle m’est alors apparue.
Le pacte tacite de Fromm
Ce qui m’a frappé dès le premier abord, c’était son regard clair, intense et doux, pénétrant et respectueux. Ce regard exprimait immédiatement l’entière disponibilité, transmettait le gage non dit de la confiance, rassurait et interrogeait tout à la fois. Ce regard communiquait - je le saurai plus tard - toute l’humanité d’Erich Fromm qu’il offrait à son interlocuteur comme une vulnérabilité et une force tout à la fois, signifiant son ouverture à l’autre et l’invitant s’il le souhaitait, par contagion peut-être, à s’ouvrir lui aussi dans un pacte tacite. En préparant l’ouvrage « Revoir Freud », que j’ai publié en France à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, je retrouvais la théorisation que fait Ercih Fromm de cette relation de sujet à sujet et qu’il nomme la relation centrale. L’homme des Lumières et celui de l’expérience mystique
Après ce regard de fraternité et de partage, je fus frappé, cela aussi m’a marqué pour l’avenir, par la concordance entre l’œuvre et l’homme. Erich Fromm vivait ses idées sans hiatus. Juif allemand, né dans une famille orthodoxe, il s’était libéré des carcans de la religion sans toutefois renoncer à la spiritualité du judaïsme. Homme des lumières, il gardait la capacité d’une pensée paradoxale ; défenseur de plus de raison, il explorait le monde de la religiosité et de la mystique, qu’elle fut orientale ou occidentale. C’est ainsi qu’il s’est sa vie durant penché sur l’expérience mystique, celle des Saint Jean de la Croix, de Maître Eckhart, de Hallaj et surtout des Bouddhistes Zen. Sa rencontre avec Suzuki et l’ouvrage qu’ils ont fait ensemble, avec de Martino, établit des ponts entre expérience mystique et psychanalyse.
Pour ma part, au Liban où la religion était indiquée sur la carte d’identité et où donc tout est imprégné par elle, je commençais avec Erich Fromm- je songe à son ouvrage « The Dogma of Christ » ou à « You shall be as gods » - un parcours long et complexe de compréhension des cadres de pensée de ma culture. Cela m’a aidé à mettre mes distances avec tout ce qui touche aux diverses formes d’emprise du groupe (famille, clan, communauté) et a renforcé nécessairement mes aspirations individuelles. Il me restait à séparer aspirations individuelles et narcissisme, ce qui fut un tout autre travail. Le renoncement progressif à la toute puissance de l’ego et l’apprentissage du partage m’ont aidé à défendre des valeurs à portée politique.
Au Proche-Orient, dans la mesure où les individus n’existent que comme des personnes membres d’un groupe (communauté, clan, etc.), il est ontologiquement impossible pour cette société de mettre en oeuvre un projet politique qui assure la liberté individuelle, et cela dans tous les domaines. Pourtant le projet politique d’une société tient aux relations de ses membres comme individus avec cette société.
L’engagement politique :
Dans le domaine politique, Erich Fromm, en socialiste engagé, savait que l’on ne bâtissait rien sans respecter les legs du passé et que les révolutions n’étaient plus possibles de la même manière qu’au XVIIIème siècle ou même au moment de la révolution russe de 1917, depuis que les sociétés occidentales étaient devenues de sociétés de techno-structures. C’est ce qu’il développa dans un livre - programme politique en 1968 pour la campagne présidentielle de Eugène Mc Carthy contre Richard Nixon, que j’ai traduit sous le titre Espoir et Révolution et qui est paru fin 1970 chez Stock à Paris. La connaissance approfondie de l’œuvre de Marx, y compris de ses manuscrits philosophiques de 1844 et les ouvrages d’Erich Fromm sur lui « Le concept de l’homme chez Marx » ou encore « Au-delà des chaînes de l’illusion » m’ont introduit au marxisme en m’évitant d’emblée les dérives du communisme ou du dogmatisme idéologique des exégètes de Marx.
Ce que j’appellerais le cadeau de confiance que m’a fait Fromm en m’accueillant, et en m’aidant à débusquer le langage caché de la réalité psychique, mais aussi celui de la réalité économique, politique et sociale, a changé ma vie et m’a donné le courage de toutes les questions et de tous les combats. Il m’a aussi conseillé un programme de lectures très vaste allant des pré-socratiques à Orwell. C’est dire que Erich Fromm au-delà de la psychanalyse, dont il m’a ouvert le champ, m’a attiré vers le monde des idées, en me transmettant la conviction que leur force peut soulever les montagnes, même si en apparence elles sont inopérantes. Dans la tradition prophétique, il m’a aussi sensibilisé au courant de pensée qui nourrit, avec la pensée grecque - et je le saurais par la suite avec la pensée arabe- le modernité occidentale. Il est vrai qu’aujourd’hui, à l’heure où nous traversons une crise de civilisation à l’échelle mondiale, on peut se prendre à douter de la capacité des idées à changer le monde !
Les idées d’Erich Fromm, en tout cas, ont certainement changé ma vie. Elles m’ont dès le départ appris à me méfier de la dichotomie entre pensée et sensibilité, entre l’utilisation de la pensée pour renforcer le pouvoir et la domination et l’usage de la pensée pour renforcer la libération et la liberté. Je manquais de confiance en moi et en mes capacités à penser par moi-même et c’est Fromm qui m’a appris à me méfier d’une pensée conventionnelle, uniquement descriptive ; il m’a encouragé à toujours rechercher la part cachée, intérieure de la réalité. Comprendre l’autre, c’est tenter de le comprendre de l’intérieur, analyser les problèmes sociaux et politiques, c’est chercher à en saisir les ressorts profonds et internes et non se contenter de les décrire et de les cataloguer. Cela devait me servir dans mon travail d’historien. Je savais que Erich Fromm était un héritier de Spinoza et de Marx, dont il a fait fructifier l’héritage, je découvre aujourd’hui qu’il se situe aussi dans la filiation de Giambatista Vico.
En relisant les lettres échangées avec Erich Fromm entre les années soixante et quatre vingt, je retrouve sa présence, sa pénétration d’esprit, son ouverture et sa disponibilité aux autres, sa lucidité, son attention aux mots. Ne jamais accepter que les mots soient des coquilles vides, mais des symboles de chair et de vie, des mots incarnés où pensée et émotion sont réunis. Ainsi, les mots amour, liberté, justice, respect, courage constituaient tout un programme, un hymne à la vie.
Ce dont je suis redevable à Fromm :
D’abord, je voudrais insister sur le fait que les écrits d’Erich Fromm sont lisibles et clairs et ne sont pas protégés par un système de codage pour n’être accessibles qu’aux spécialistes, protégeant par ce codage la connaissance et le pouvoir. Erich Fromm s’offre et se lit sans protection, avec cette ouverture qui est don. On a pu lui reprocher une théorisation parfois faible, mais à la limite ce n’était pas sa préoccupation majeure. Ce qui lui importait, c’est la pensée vivante.
Sans le savoir quand je le lisais en 1959 et les années suivantes, son approche théorique convenait parfaitement à mon histoire et n’est-ce pas cela une vraie rencontre d’êtres et d’idées ? Né au Liban, je baignais entre deux cultures, entre deux mondes, entre deux sensibilités. L’insistance d’Erich Fromm sur le caractère schizoide des sociétés contemporaines, comparé au caractère hystérique de celles du XIX ème siècle, ne pouvait pas mieux répondre à mes attentes.
Je citerai aussi sa critique du monde de l’argent et des apparences, qui me confortait dans ma propre critique à l’égard de la société libanaise. Je rappelle ici que le dernier livre publié du vivant de Fromm est : « Avoir ou Être » et que nous nous en étions entretenus avant sa mort en 1978 et 1979.2
Je garde enfin de ces dernières rencontres à Locarno au moment des entretiens entrepris avec lui, le souvenir des soirées de discussion sur beaucoup de sujets, et notamment sur la question d’Israël et de la Palestine et donc sur le terrorisme déjà très actif à l’époque ! Sa critique du terrorisme qu’il soit palestinien ou israélien allait de pair avec sa défense de la cause juste des palestiniens et il fut parmi les premiers en 1948 avec Hannah Arendt à réclamer le retour des réfugiés de 1948.Au moment où je traduisais « The Revolution of Hope », il m’avait interrogé sur les organisations palestiniennes et je lui avais fait, dans une lettre du 7 mars 1970, un petit résumé des plus connues, à commencer par Al Fateh en lui indiquant les leaders et les principes de ces organisations. Il me répondait le 4 avril : … « It was enlightening to me and I have now for the first time an idea of the various currents and groupings in the Arab resistance movement. This is really very helpful to me and I appreciate very much the trouble you have taken to send me such a detailed memo.
... I am against terror tactics. I was against them when the Israelis applied them against the British, and I am against them when the Arabs apply them against the Israelis. I do not believe in hate as a constructive sentiment for the liberation of any nation, and of course I am not a friend of nationalism, whether it is Arab or Israeli. This is something different from undestanding deeply the motivation for Arab nationalism and from my severe criticism of Israeli policy, not only since the foundation of the State, but altogether, àf a completelyr Jewish state as such. I think the only solution would have been that suggested by Rabi Magnus, of a by-national Jewish- Arab state, similar to the Swiss canton system.”
Je lui répondais le 31 mai 1970: “ The by-national Jewish-Arab state would be a rational solution if only the two parts were sincerely willing to accept each other and live in peace. Resistance an war are logical consequence of occupation and violence ( can we speak of terrorism except when some Palestinian extremist group deliberately attack civilian, as the Israeli extremists Did in the past ( The Stern), when they for instance attacked the King David Hotel. In this meaning, I am also against terror, but resistance has another content when it is the only possibility left for the Palestinians to assert their rights.”
Pour terminer ce témoignage, je citerai la réponse d’Erich Fromm concernant le terrorisme, qui me paraît toujours actuelle, à l’heure où la politique américaine ne fait que renforcer le terrorisme arabe, auquel elle a déclaré la guerre, avec des accents de croisade contre le mal : « Thank you for your letter of May 31 st just arrived. I have read with great interest your remarks on the Arab-Jewish situation. I realise what you mean by differentiating between resistance and terror but I think that while the distinction can be made theoretically, it is very difficult to uphold it practically. As long as the guerrilla fighters can attack an opposing army, the distinction is pretty clear and realistic. But when the liberation fighters do not attack an army, and for practical reasons this is often impossible, and instead attack peaceful settlers or other civilians, then the resistance necessarily employs terroristic methods. With attacks against individual settlements, buses, etc., the liberation fighters have actually, it seems to me , used terroristic methods just as the Zionist extremist groups like the Stern gang used the same method of terror in their fight against the British. I do not for a moment forget that the air attacks of the Israeli army against so-called military targets near Cairo are also for all practical purposes terroristic and that it is no excuse if it is explained that killing children wad due to an error or whatever excuse is. It seems to me one should introduce another element and that is, the question whether military moves of the resistance have any realistic chance to change the political and military picture or whether they just vent indignation and hate of those who have been deprived of their land against those who sit on it. It is quite clear and has proved for many years, that the resistance of the NLF in Vietnam has a real and indubitable military function . It is not clear to me whether at this moment the Arab resistance has any such function. I should like to comment on the fact that until and including the first World war, the use of force had been voluntarily restricted by certain compassionate considerations mainly in two directions. One did not kill civilian populations, and by and large did not use torture event if its use would produce important military information. Since and during the second World War these restrictions have been abandoned first by all great powers and are now in a situation where force is used on all sides without restrictions. Of course all this has nothing to do with the full condemnation of Israeli agressiveness, its refusal to evacuate the conquered territories, etc. etc. The refusal of the Israeli government even to permit Nahum Goldman, the most intelligent, realistic and humanist of Zionist leaders, to meet with Nasser is only a glaring example of the intransigence of Israeli government.”
Trente cinq ans après, l’analyse d’Erich Fromm reste prophétique et rejoint celle d’Edward W. Said, l’intellectuel palestinien récemment disparu : Face aux impasses de la violence sous toutes ses formes et aux réalités de la démographie dans les prochaines années, la seule solution n’est-elle pas un état bi-national et le renoncement au terrorisme ? Ou bien continuera-t-on en Israël à pratiquer une politique de l’exclusion, se protégeant par un mur qui fait de l’Etat juif un grand ghetto, avec l’approbation des Etats Unis, tandis que s’accentueront les extrémismes islamiques et le terrorisme international, que la guerre américaine en Irak ne fait que conforter ? Il est à craindre que le Proche-Orient reste encore pour longtemps une zone sismique, imperméable aux solutions équitables dans le respect de tous, malgré la vision prophétique d’hommes justes comme Fromm et Said.
Gérard D. Khoury, Aix en Provence, 6 août 2005

NOTES
1 Fromm m’écrivait en mars 1964 : « The real problem seems to be a certain lack of determination and aim in your life, a certain passivity, perhaps some amount of narcissism. I also cannot help thinking how much all this has to do with your father and your family. Whether you are not avoiding the solution of the conflict between independence and temptations of what I assume to be the protective and powerful family.”
De nouveau en août 1964 , il insistait : «… When I read your last letter my main impression was that you are in the situation in which so many people are, especially if they are the sons of wealthy fathers, that they cannot really put themselves on their own feet because their wish for independence is so weakened by the seduction of the comforts of luxury which they can have if they do not break with their fathers . You apparently live with this conflict all the time.”
“... I do not know whether what I am saying here is correct, but I cannot help thinking it because that is what I sense between the lines. As I wrote in my previous letter, I think the main problem is this decision, and to overcome the fear of standing on your own, and the longing for the “flesh-pots of Egypt”. You must also consider that in your pas you were probably so afraid of life that your wish for security has an undue weight in your decision”
2 Ces entretiens avec Erich Fromm ont fait l’objet d’une page du Monde ( Le Monde du 21 octobre 1979). La totalité de ces entretiens ont été publiés dans ‘Revoir Freud, Pour une autre approche en psychanalyse» Ed Armand Colin, Paris, 2000.
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La International Erich Fromm Society publie chaque année, en langue allemande et en langue anglaise, le bulletin Fromm Forum. Dans son numéro 10/2006, est signalée la parution du Coq-Héron N°182 (2005 ; éditions Erès, Toulouse) : « Erich Fromm, un psychanalyste hors normes », contenant un certain nombre de textes d'Erich Fromm ; une partie a été traduite en français pour la première fois, d'autres ont déjà été publiés dans la collection de Gérard Khoury Revoir Freud. Pour une autre approche de la psychanalyse (2000 ; Armand Colin, Paris).
Ci-dessous, le commentaire publié par Oedipe, le portail français de la psychanalyse.

Le Coq-Héron« Erich Fromm, un psychanalyste hors normes »

La question posée par ce numéro du Coq-héron est assez simple : comment peut-on être Erich Fromm, soit un Allemand, juif, psychanalyste, sociologue de formation et de tendance marxiste, puis un activiste pacifiste au milieu du XXe siècle en Allemagne puis aux États-Unis ?
Erich Fromm est né à Francfort le 23 mars 1900. Il était le fils unique de parents juifs orthodoxes pratiquants. Il est mort à Locarno le 18 mars 1980. Aujourd'hui oublié tant du grand public que des psychanalystes eux-mêmes, il a connu jusque dans le milieu des années 50 et en particulier aux États-unis, en Italie et en Allemagne, une très grande popularité. La particularité de ce numéro du Coq-Héron est de nous présenter non une série d'articles à propos d'Erich Fromm mais des textes inédits signés d'E. Fromm lui-même, accompagnés d'une présentation, de sa biographie par Rainer Funk et par l'historien récemment décédé, Paul Roazen.
S'agissant du parcours de Fromm, les repères biographiques que nous fournit le numéro indiquent clairement les difficultés auxquelles il a dû faire face. Juif allemand dans un monde que le nazisme gangrène rapidement, E. Fromm ne dut sa survie qu'à sa fuite aux États-Unis. Paul Roazen signale à ce propos la culpabilité et le dilemme des psychanalystes viennois et berlinois craignant de prendre la fuite en abandonnant Freud derrière eux, alors que ce dernier, malade et se sentant à la fin de sa vie ne souhaitait pas quitter Vienne. Cette partie de l'histoire personnelle de Fromm vient croiser celle de l'Institut de Berlin dont il fût membre. On sait dans quels atermoiements de type vichyssois cette institution est tombée à l'instigation de Jones, avec l'approbation de Freud lui-même acceptant l'inacceptable, soit l'interdiction faite aux Juifs d'en être membres à part entière, ces derniers se résignant à démissionner afin de préserver l'existence de la psychanalyse en Allemagne. Fromm, membre de cet institut, mais déjà aux États-unis à l'époque, se trouva mêlé à un véritable imbroglio, résultant de l'ambiguïté des positions des instances de l'IPA dont Funk et Roazen nous retracent les méandres.
Aux États-unis, la vie de Fromm se trouva marquée cette fois, non par la ségrégation liée à sa judaïté, mais par le fait de vouloir appartenir à la société des psychanalystes nord- américains à une époque où les médecins américains donnaient la chasse aux non-médecins dans les instances de l'appareil de l'IPA. Ajoutons à cela que ses tendances marxisantes puis son engagement aux côtés des pacifistes, et sa popularité n'ont pas joué en sa faveur.
Peut-on pour autant faire de lui seulement un martyr des instances internationales de l'IPA avec lesquelles toutes sa vie il aura maille à partir jusqu'à créer à Amsterdam en 1962 une fédération concurrente de l'IPA dans le but, selon Funk, de « dé-scolariser la psychanalyse »? La réalité paraît en fait plus complexe, du moins si l'on s'en tient aux articles présents dans ce numéro.
On y trouve en effet quelques-uns des griefs que Fromm adressait à l'institution et à la pratique psychanalytique. A plusieurs reprises, Fromm critiqua les dérives de la pratique analytique et dénonça la fonctionnarisation de la séance transformée en mise en scène inefficace et désuète où le patient raconte longuement des banalités dont l'analyste se contente, au motif que ce bavardage représenterait une forme de l'association libre. Il dénonce ce parcours interminable où chacun, patient comme analyste, finit par s'endormir ou par transformer la séance soit en cours de philosophie au petit pied soit en échange mondain. « Ils consultent, ils enseignent la sagesse de vivre, ils encouragent, ils sont gentils. Ils font toutes sortes de choses, mais tout cela formulé en termes analytiques car le patient ne doit pas s'apercevoir qu'ils font ce que fait un conseiller. »
Mais, ces critiques qui rejoignent celles que Lacan formula en France, se conjuguent avec une mise en question des fondements même de la théorie freudienne et une approche qui manque de consistance théorique. Tout le monde, il est vrai, ne peut pas être Melanie Klein ou Jacques Lacan. En cela Fromm rappelle un peu Groddeck dont il était un admirateur. Ainsi s'en prend-il à l'un des fondements de la psychanalyse, la théorie de la libido : « Freud n'a pas vu que les grandes passions qui agitent les humains ne sont en fait pas déterminées par la sexualité.»
On conçoit que dans ces conditions les psychanalystes de l'Association Psychanalytique Américaine aient pu avoir quelques réticences à donner à Fromm la possibilité de parler au nom de la psychanalyse.
Au total, c'est sans aucun doute une erreur de négliger l'apport de Fromm dans l'histoire de la pensée psychanalytique même s'il nous faut prendre avec sa pensée le recul nécessaire pour en saisir les éléments les plus pertinents. A ce titre on doit saluer la publication de ce numéro et on ne peut que souhaiter rapidement la traduction et la publication des œuvres non disponibles en français de ce témoin de l'histoire du monde et de la psychanalyse.
sur le site Dialectiques cette notice :
ERICH FROM...
sur le site Dialectiques cette notice :
ERICH FROMM, du freudo-marxisme
à la psychologie humaniste

Né à Francfort s/Main, en 1900, Erich Fromm fut profondément imprégné de mystique juive. Lié au cercle de Rabbi Nobel, il participa à la création du Freies Jüdisches Lehrhaus, fréquenté par M. Buber. Il se forma à la psychalyse auprès de Hanns Sachs et Th. Reik. Il fut un des premiers psychanalystes non médicaux, et écrivit dans les revues psychanalytiques: Zeitschrift fur psychoanalytische Pädagogik et Imago.
En 1931, il s'intègre à l' Institute für Sozialforschung et collabore à la Zeitschrift. note 1Ses recherches portent sur une approche psychanalytique du marxisme, il tente de "marier" Freud et Marx en développant une intégration de la psychanalyse dans la pensée sociale. Il s'éloigne progressivement du freudisme orthodoxe dès 1935. Ses critiques susciteront l'animosité des psychanalystes classiques. Pourtant, malgré la critique de l'universalité des concepts freudiens (dcelui du complexe d'Oedipe par exemple) et le parallèle qu'il établit entre les rapports oedipiens et les rapports sociaux propres au monde capitaliste, il s'écarte de l'école de Francfort.Ses dernières recherches dans le cadre de l'Institut de la Recherche sociale ont trait à la formation de la personnalité autoritaire. Mais le concept de personnalité autoritaire développé par Fromm désigne une attitude spirituelle autonome dégagée de tout réseau pulsionnel: sa personnalité ne s'enracine pas dans le corps. La psychanalyse redevient ainsi, chez Fromm, une psychologie de l'âme autonome.
On comprendra les dissensions profondes qui séparent Fromm d'un Marcuse. Pourtant Fromm considère, que les traits qui constituent la personnalité sont, plus que la résultante de pulsions refoulées, le produit de processus sociaux, où l'individu recherche la sécurité en refusant sa liberté. Le conflit entre le potentiel inné et les obstacles sociaux au développement humain sont à l'origine des névroses. Pourtant, l'individu peut toujours s'adapter au milieu social et mener une vie autonome. Cette recherche d'autonomie purement individuelle entrainera Fromm dans les courants multiformes de la psychologie humaniste centrée sur l'égo.
Les ouvrages repris ci dessus ne s'inscrivent donc pas dans la lignée directe de la théorie critique spécifique de l'école de Francfort. Ils témoignent cependant de l'évolution d'une pensée toujours imprégnée d'un humanisme socialiste et d'un souci de l'émancipation humaine, que Fromm conçoit plus comme une libération individuelle que comme une conquête révolutionnaire ou sociale. note 2

notes
note 1) notamment l'article mentionné dans la bibliographie de "grandeur et limite de la pensée freudienne": Uber Methode und Aufgabe einer Analytischen Sozial-psychologie: Bemerkungen über Psychoanalyse und historischen Materialismus in : Zeitschrift für Sozialforschung, Leipzig, 1 (1932). p.28-54.

note 2.) les sources de la notice biographique sont : ASSOUN P.L. , l'école de Francfort., et l'article Erich Fromm in Encyclopaedia Universalis (Thesaurus). voir aussi Martin JAY, "l'imagination dialectique", Paris: Payot.

sur le site DIALECTIQUES, consacré à l'Ecole de Francfort, quelques élements d'une

BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES D'ERICH FROMM TRADUITES EN FRANCAIS

L'art d'aimer / Erich Fromm ; traduit de l'anglais par J. Laroche et Françoise Tcheng. - Paris : Editions Universitaires, 1967. - 158 p. ; 2O cm. - (Psychothèque). - Titre original: The art of loving. - réédité en 1968 aux éditions EPI, coll. Hommes et groupes. -
Avoir ou être? : un choix dont dépend l'avenir de l'homme/ Erich Fromm ; traduit de l'américain par Théo Carlier; postface de Ruth Nanada Anshen. - Paris : Laffont, 1978. - 43 p.; 2O cm. - (Réponses). - Titre original : To have or to be? , édité chez Harper & Row en 1976. - Bibliographie, 10 p. - ISBN 2-221-OO127- 3 (broché)


Bouddhisme Zen et psychanalyse / Daisetz T. Suzuki, Erich Fromm et R. de Martino;traduction de Théo Léger. - Paris: Presses Universitaires, 1971. - 200 p. ; 18 cm. - (L'actualité psychanalytique). -
La conception de l'homme chez Marx / Erich Fromm; traduit de l'anglais par M. Matignon. Paris : Payot, 1977. - 151 p.; 18 cm. - (Petite Bibliothèque Payot). - Notes bibliographiques. - ISBN 2-228-33170-8 (broché)


La crise de la psychanalyse : essais sur Freud, Marx et la psychologie sociale / Erich Fromm; traduction par Jean-René Ladmiral. Paris: Anthropos, 1971. - 292 p. ; 19 cm. - (Sociologie et connaissance). - Titre original : The crisis of psychoanalysis. De la désobéissance et autres essais / Erich Fromm; traduit de l'américain par Théo Carlier. - Paris: R. Laffont,1982. -176 p. ; 23 cm. -
(Réponse. Santé/ dirigée par Jo&üml;lle de Gravelaine). - Titre original: On disobédience and other essays. - ISBN 2-221-OO873-1 (broché). contient: Disobedience as a psychological and moral problem, publié initialement in Clara Urquhart, A Matter of Life, (Londres, Jonathan Cape), cop. 1963.


The application of humanist psychoanalysis to Marx's theory, publié initialement in Socialist humanism: an international symposium.(New-York, Doubleday), cop.1965. Prophets and priests, initialement publié in Ralph Schoenmann, Bertrand Russel,philosopher of the century. cop.1967.

Humanisme as a global philosophy of Man, publié initialement sous le titre "A global philosophy of man" in The humanist, Yellow spring, Ohio,1966. cop. 1965.

Let Man prevail et Humanist socialism, initialement publiés in Let Man prevail:a socialist manifesto and program, New-York. cop. 196O. The psychological aspects of the guaranteed income, initialement publié in R. Theobald, The Guaranteed income. N-Y:Doubleday and C°, cop 1966.

The case for unilateral disarmement, publié initialement in Daedalus, cop.196O. Zur Theorie und Strategie des Friedens, publié initialement in Friede im nuklearen Zeitalter. Eine Kontroverse zwischen Realiste, und Utopisten, 4 Salzburger Humanismusgespräch, éd. à Munich, cop197O.

Le dogme du Christ : et autres essais / Erich Fromm. Paris : Complexe, 19.. . - (Textes). - suivi d'autres essais : La psychanalyse : une science ou un parti. Le caractère révolutionnaire. Des limites et des dangers de la psychologie.

Espoir et révolutions: vers l'humanisation de la technique / Erich Fromm ; traduction de Gérard D. Khoury. Paris : Stock, 1970. - 187 p. ; 21 cm. - Titre original: the revolution of hope: toward a humanized technology.

L'homme pour lui-même / Erich Fromm;traduit par Janine Claude. Paris: Editions sociales françaises, 1967. - 192 p. ; 24 cm. - (Collection des sciences humaines appliquées). - Titre original: Man for himself. -

Le langage oublié : introduction à la compréhension des rêves, des contes et des mythes / Erich Fromm; trad. par Simone Fabre. Paris : Payot, 1975. - 210 p. ; 18 cm. - Titre original : The forgotten language. - ISBN 2-228-32610-4

La mission de Sigmund Freud: une analyse de sa personnalité et de son influence / Erich Fromm; trad. de l'américain par Paul Alexandre. - Bruxelles : Complexe, 1975. - 112 p. ; 23 cm. - (Textes ). - Titre original: World perspectives series. -

La passion de détruire: anatomie de la destructivité humaine /Erich Fromm; traduit de l'américain par Théo Carlier. - Paris: Laffont, 1975. - 523 p.; 24 cm. - (Réponses ). - Titre original : The anatomy of human destructiveness , édité en 1973 chez Holt, Rinehart et Winston. - (broché).

La peur de la liberté / Erich Fromm; traduit de l'anglais par C. Janssens. Paris : Buchet-Chastel, 1963. - 244 p. ; 22 cm. - Titre original: The fear of freedom. - la bibliographie en annexe de "Grandeur et limites de la pensée freudienne" de E. Fromm donne comme titre original: Escape from Freedom, édité à New York en 1941. Edition allemande à Francfort en 1966:Die Furcht for der Freiheit. Psychanalyse et religion / Erich Fromm; traduit par D. Merllie. - Paris: EPI, 1978. - 16O p.; 2O cm. - (Hommes et groupes). - Titre original: Psychoanalysis and religion. (broché)

Société aliénée et société saine : du capitalisme au socialisme humaniste. Psychanalyse de la société contemporaine/Erich Fromm; traduit par Janine Claude. Paris : Courrier du Livre, 1967. - 352 p. ; 23 cm. - (L'Université permanente). - Titre original : The sane society, édité à New-York: éd. Rinehart,1955. - contient : présentation de la psychanalyse humaniste d'Erich Fromm / par Mathilde Niel.- réédité en 1971. -

Vous serez comme des dieux: une interprétation radicale de l'Ancien Testament / Erich Fromm; traduit de l'américain par Paul Alexandre; postface de Evelyne Sznycer et Serge Pahaut. - édition revue et annotée par E.Sznycer et S. Pahaut. Bruxelles: Complexe, 1975. - 214 p. ; 23 cm. - (Textes ). - Index. - (broché)

FROMM CONTRE LA DIANETIQUE

Lu sur le site antisectes.net cet article d'Erich Fromm critiquant dès 1950 l'ouvrage clé de Hubbard, fondateur de la scientologie :

NEW YORK HERALD TRIBUNE - Critiques des ouvrages 3.9.1950Pour ceux qui rechercheraient un bonheur préfabriqué

DIANETICS.
(en France, le titre original était "Dianétique, Science Moderne de la santé mentale"; il fut modifié en "Dianétique, puissance de l'esprit sur le corps" et finalement en dianétique, puissance de la pensée sur le corps- pour des raisons éminemment politico-légales (apparence pseudo-religieuse de la secte). L. Ron Hubbard.

Critique de Erich Fromm

Les gens n'ont jamais été si passionnés de psychologie et d'art de vivre que de nos jours. L'intérêt que portent les lecteurs potentiels envers ces sujets n'est pas sans provoquer des inquiétudes sur l'homme, davantage que sur les aspects matériels de l'existence. Parmi ces livres, certains comblent le besoin de conseils rationnels, tandis que d'autres attirent les lecteurs au moyen de promesses de bonheur préfabriqué et de remèdes ou recettes miracle. La "Dianétique" est le dernier de cette série d'ouvrages dans lequel l'auteur use sans la moindre vergogne de tous les ingrédients de la recette en vogue. "La création de la dianétique représente une étape pour l'humanité: elle est d'importance comparable à l'invention du feu et supérieure à celles de la roue ou de la voûte". L'auteur prétend avoir non seulement "découvert l'unique source de toutes les formes de névroses, psychoses, criminalité et maladies psychosomatiques", mais aussi "le remède à tout cela."
"La dianétique guérit sans jamais échouer"
L'auteur présente d'abord une théorie générale sur la structure mentale; il bâtit ensuite une théorie portant sur les troubles mentaux, et une pratique pour en venir à bout. "Le seul moteur de l'humanité est la survie". L'homme survit pour lui, pour le sexe, le groupe, l'humanité, et chacune de ces subdivisions du principe de cette survie est dénommée une "dynamique". Il établit une distinction entre "mental réactif" - la partie qui mémorise les émotions négatives et douleurs et "mental analytique", qu'il compare à une superbe calculatrice pensant en termes de différences et similitudes, tandis que le mental réactif ne penserait qu'en termes d'identité/égalité. Le mental réactif "cherche seulement à diriger l'organisme selon un schéma de stimuli-réactions".
Ce concept de mental réactif est le fondement de la théorie de la pratique permettant de soigner les maladies mentales. Durant les moments de douleur physique ou d'émotion intense, le mental analytique serait "déconnecté", les mots prononcés alors en présence de la personne "inconsciente" seraient alors enregistrés comme "engrammes". Ceux-ci ne seraient pas accessibles dans les souvenirs normaux. La personne serait alors dirigée sans le savoir par les contenus de ces engrammes, similaires à des suggestions hypnotiques. "Si jamais le diable a existé, il a inventé le mental réactif... Ce mental fait tout, on peut tout lui attribuer dans la liste des maladies mentales: psychoses, névroses, compulsions, répressions... ainsi que tout le catalague des maladies psychosomatiques... l'engramme est l'unique source de toute aberration et maladies psychosomatiques..."
La thérapie dianétique est issue de ces prémices. Le patient -"le préclair"- est malade en raison de ses engrammes. Lorsque tous les engrammes importants - surtout ceux de la période prénatale - sont remémorés ("on y retourne"), le patient est définitivement "clarifié" [dans le sens des machines à calcul, où la commande 'clear' efface les commandes précédentes, ndt] de toutes ses "aberrations", et son intelligence est alors supérieure à celle des autres. Le thérapeute ou "auditeur" permet ce "retour" de l'engramme en mettant le patient dans un état dit "rèverie dianétique": il annonce : "Lorsque je compterai jusqu'à sept, vos yeux se fermeront. Vous resterez conscient de tout ce qui se passera." Puis l'auditeur compte "lentement, calmement," jusqu'à ce que le patient ferme les eyux. Il lui demande ensuite de "retourner" aux périodes antérieures de son existence, éventuellement jusqu'à la conception, et le ramène dans le présent en fin de séance.
Chaque engramme doit être entièrement décrit-raconté à plusieurs reprises jusqu'à "effacement complet". Si l'on omet les prétentions colossales de l'auteur, on trouve à peine quelques originalités dans l'ouvrage, hormis les mots nouveaux expliquant un mélange de freudisme mal compris et d'expériences de régression datant des âges de l'hypnose. Quelques notions vraiment originales peuvent pourtant surprendre: nous lisons par exemple que le patient raconte les mots prononcés par le médecin à la mère enceinte, ou par le père, dès après la conception. Lorsque j'ai fait la revue de cet ouvrage et observé les histoires de certains cas qu'on y trouve, j'ai été tenté de croire que l'auteur avait exprès construit une parodie subtile de certaines théories psychiatriques, et mis à l'épreuve la crédulité du public.
On peut difficilement imaginer que l'ouvrage d'Hubbard soit une contribution sérieuse aux sciences humaines, mais il faut le considérer comme le symptôme d'une dangereuse tendance. S'il ne s'agissait que d'une sur-simplification d'anciennes théories freudiennes, il serait sans risques. Mais la dianétique dévoile un esprit très précisément opposé aux théories freudiennes. Le but de Freud consistait à aider le patient à comprendre la complexité de son mental, sa théorie se fondant sur le concept suivant: c'est en se comprenant soi-même que l'on pourrait se libérer de fardeaux irrationels provoquant malheur et maladie mentale. Cette notion se rencontre dans la grande tradition orientale ou occidentale, de Bouddha à Socrate, en passant par Spinoza et Freud. La dianétique ne respecte pas - et ne comprend pas - les complexités de la personnalité.
L'homme est une machine, si bien que rationalité, jugements de valeur, santé mentale et bonheur s'obtiennent par un travail d'ingéniérie. "Dans une science d'ingéniérie comme la dianétique, nous pouvons travailler par pousse-boutons." Il n'y a rien à savoir sur l'homme en dehors de l'application des théories hubbardiennes sur l'engramme. Si l'on n'accepte pas ces théories, c'est que l'on a d'autres motifs ultérieurs, ou que l'on souffre d'un "dénieur" - ou "négateur" qui "est une commande engrammique faisant croire au patient que l'engramme n'existe pas".

Tout est excessivement simple.

Quand vous avez avalé l'ouvrage d'Hubbard, vous savez tout ce qu'il y a à connaître sur l'homme et la société puisque vous savez sur quels boutons appuyer. Les valeurs ou la conscience n'existent pas; si les engrammes sont effacés, vous n'avez plus de conflits.

Toutes les grandes religions et philosophies ont perdu leur temps. Aucun problème n'a pas pour origine un ordre engrammique, si bien que tout ce qui a été pensé avant Hubbard n'a pas de sens, vu que les penseurs ignoraient la découverte hubbardienne. Il reste difficle de croire l'auteur lorsqu'il écrit que "les écritures hindoues anciennes, les oeuvres des anciens grecs ou romains y compris Lucrèce, les travaux de Francis Beacon, les recherches de Darwin et certaines de pensées d'Herbert Spencer" composeraient "les bases philosophioques" de son travail: la dianétique ne se soucie certes pas de ces prédécesseurs. La découverte selon laquelle "la survie serait le seul et unique but de la vie" n'exprime certainement pas les préoccupations des anciens hindouistes, ou des grecs anciens: c'est plutôt une expression biologique brutale selon laquelle les valeurs éthques seraient subordonnées à la pulsion de survie - si tant est qu'elle existe.

Peut-être l'élément le plus maladroit de la dianétique réside-t'il dans le style. Ce mélange de quelques vérités hyper-simplifiées, de demi-vérités et de pures absurdités, s'ajoutant à la technique propagandiste consistant à impressionner le lecteur par l'affirmation de grandeur, d'infaillibilité et de nouveauté du système de l'auteur, ou cette promesse de résultats immanquables directement accessibles par le simple biais de l'adoption des techniques dianétiques, tout cela retentit hélas dans les domaines médecine et politique. Ce serait aussi grave en cas d'application à la psychothérapie et à la psychiatrie.

Cette critique négative sur la dianétique ne résulte pas de croyances présentes selon lesquelles le critique affirmerait que les méthodes actuelles de la psychiatrie et de la psychologie sont satisfaisantes: elles ont besoin d'idées et d'expérience nouvelles. Fort heureusement, nombre de psychiatres et psychologues en sont conscients et cherchent les méthodes permettant d'approcher l'inconscient (entre autres, le test de Slesinger "Looking-in"). Mais on doit au minimum prendre comme point de départ le renforcement de la responsabilité, de la perspicacité et de l'esprit critique du patient.

Le Dr Fromm, psychanalyste, est co-auteur de "Famille et Autorité", auteur de "S'échapper de la liberté" et "L'homme en soi". Son dernier ouvrage "Psychanalyse et religion" sortira en fin d'année [1950].

PRESENTATION
à visiter : http://www.erich-fromm.de/e/index.htm

Erich Fromm, né en 1900, mort en 1980, a publié ses premiers écrits en 1932. Son œuvre considérable élabore, au cours d'une cinquantaine d'années d'écriture, d'enseignement, et de pratique thérapeutique, une pensée riche et complexe, écrite pourtant en des termes aisément accessibles, qui doit beaucoup à deux de ses principales références : Sigmund Freud et Karl Marx.

Afin d'éviter toute confusion (ce contre quoi Fromm lui-même s'était élevé) avec d'autres tentatives de "synthétiser" psychanalyse et marxisme, celle de W. Reich puis celle de H. Marcuse pour l'essentiel, j'évite d'employer le vocable "freudo-marxiste" pour qualifier la pensée d'Erich Fromm. Cette précision importe d'autant plus en France où la pensée et l'œuvre d'E. Fromm restent largement méconnues dans le monde universitaire en général, chez les marxistes et chez les freudiens en particulier. Pourtant, comme ce fut le cas dans de nombreux pays, à commencer par les États-Unis d'Amérique, l'œuvre de Fromm bénéficia d'une large diffusion dans les années 70-80 (tous ses ouvrages publiés ont été traduits et édités en français) et d'un réel succès de librairie pour plusieurs d'entre eux ( ainsi la Passion de détruire et surtout l'Art d'aimer).

Si la pensée frommienne connut dans ce pays comme dans d'autres les faveurs d'un vaste public cultivé, à la recherche d'une interprétation de la crise de la société contemporaine et de solutions progressistes -voire "radicales", révolutionnaires, selon E. Fromm- pour la transformer, il n'en fut pas de même chez les spécialistes. Existe-t-il un autre pays où, dans la période située -en gros- après 1968, les dits spécialistes (marxistes et freudiens respectivement) se soient davantage qu'ici comportés en farouches gardiens d'une soi-disant orthodoxie parée de tous ses attributs : dogmatisme, conformisme, respect littéral des saints textes fondateurs, esprit de chapelle, anathème sur les hérétiques, hermétisme, langage d'initiés, et j'en passe car chacun saura compléter le tableau.

Or cette orthodoxie est le plus sûr moyen connu pour stériliser une pensée active. Elle est la voie éprouvée pour transformer une pensée contestataire et anti-conformiste en instrument d'intégration et de paix sociale. Contre les orthodoxies et leurs clergés, Erich Fromm s'est élevé avec force et l'Université française l'a tenu, avec un certain dédain, hors de portée de l'étudiant soucieux de reconnaissance et de succès dans ses études.

La France des années 70 est pourtant le pays de Lacan, d'Althusser, de leurs élèves, et d'autres esprits peu conformistes, eux -mêmes plus ou moins en rupture d'École. Mais l'originalité et la vivacité de ces pensées en rupture se manifestèrent d'abord dans des domaines et sur des objets de recherche bien spécifiques et délimités. Dans des champs épistémologiques clos. Les sciences humaines étant un domaine général juxtaposant des sciences particulières tandis que la philosophie, comme un ciment tenant cette mosaïque, se devait d'être la science particulière du Général. Hors certains espaces libérés, Communes radicales mais trop localisées du savoir, le poids des institutions et des orthodoxies continuait de jouer. Et lesquels de ces radicaux n'étaient-ils pas à leur tour tentés de se constituer eux-mêmes, chemin faisant, selon le modèle dominant, en grands prêtres de nouvelles orthodoxies ? En somme, toute prétention à l'universel, à une vision globale du monde, à une théorie générale, fut dans ce pays soit récusée, soit tenue en haute suspicion : dans les années 70, au nom de pensées totalisantes prétendant à partir d'un seul lieu (le marxisme, la psychanalyse, etc.) dériver une pensée capable à elle seule, sans apports ou emprunts extérieurs, d'embrasser l'ensemble de l'univers ; dans les années 80 au nom de la négation simple de ces totalitarismes, s'insurgeant sous le drapeau de la "nouvelle philosophie" contre tout espoir de comprendre et transformer radicalement le monde. La pensée d'Erich Fromm n'avait pas de place dans les amphis mais dans les cafés et les cours de récréation : ce fait n'est pas à lui seul un label de pertinence et de radicalité mais qu'on veuille bien m'accorder qu'il s'agit déjà d'un commencement de preuve.

J'ai pu ainsi éprouver, il y a 25 ans puis il y a 20 ans, toute la difficulté qu'il y avait de mener dans un cadre universitaire peu favorable un travail sur Erich Fromm : j'avais entrepris d'abord une thèse de philosophie puis un doctorat de psychologie clinique, travaux que j'ai finalement laissés en plan malgré tous les encouragements et utiles conseils des éminents professeurs qui avaient accepté de les diriger. Mais personne, dans ce pays, ne connaissait le sujet et ne souhaitait s'y intéresser sérieusement. J'étais "le" spécialiste potentiel et cette solitude du chercheur isolé m'a suffisamment rebuté pour que ces travaux restent en chantier malgré l'abondante, très actuelle et vivante matière que constitue l'œuvre d'Erich Fromm.

LIMITES DE LA PSYCHANALYSE FREUDIENNE

Le projet de la Psychanalyse humaniste est de poursuivre la révolution scientifique accomplie par Sigmund Freud, quelques décennies auparavant dans l’étude de la psychologie humaine. Pour cela, il s’agit de mettre à jour les aspects contradictoires du freudisme, de repérer les découvertes fondamentales et de se débarrasser des notions « idéologiques » nuisibles à la poursuite de la « révolution psychanalytique ».
Comme toute production intellectuelle, comme tout système de pensée ou d’explication, comme toute découverte scientifique, la psychanalyse n’est pas exempte d’entraves idéologiques. C’est pour cela que Fromm pose ce principe général, concernant tout système de pensée créatif : « on ne peut tenter de comprendre avec succès le système de Freud -ou celui de tout autre penseur créatif systématique- si on ne commence pas par saisir que tout système, tel qu’il est développé et présenté par son auteur est nécessairement erroné ».

Ces erreurs qui entravent inévitablement le développement des idées nouvelles proviennent d’une contradiction propre à toute pensée créative :


Toute pensée créative est une pensée critique. Elle exprime des concepts jusqu’alors impensables, c’est à dire inacceptables pour les catégories de pensée admises à une époque donnée. Le penseur créatif est donc contraint -par une nécessite incontournable, à exprimer les idées nouvelles en des termes et selon des modèles de pensée établis et dominants ceux-là même qu’il est en train de dépasser : « il en résulte que la nouvelle pensée telle qu’elle est formulée par lui, est un mélange de ce qui est vraiment nouveau et de la pensée conventionnelle transcendée par ce qui est nouveau. Le penseur, cependant, n’est pas conscient de sa contradiction ».

Ce n’est que plus tard que les disciples du penseur créatif peuvent, les catégories dominantes ayant évolué, amorcer un processus de révision faisant en quelque sorte le tri entre l’ancien et le nouveau, mettant en évidence ce qui est vraiment novateur.
Trop souvent, hélas, les disciples cherchent à masquer les contradictions : ils tentent « par toutes sortes de subterfuges, d’harmoniser les contradictions immanentes de son système ».

La faiblesse intrinsèque de la psychanalyse freudienne tient à son inscription dans le cadre idéologique d’un système philosophique dont Freud ne parvint jamais à se démarquer : celui du matérialisme mécaniste. Ce « matérialisme bourgeois » postulait « qu’il n’y a pas de force sans matière ». Telle était la philosophie professée par un des principaux maîtres de Freud, Von Brücke. Partant de ce postulat philosophique, Freud « ne pouvait concevoir qu’il y eût des puissances psychiques considérables dont nul n’était capable de démontrer les racines physiologiques spécifiques ».

A ces référence et cadre idéologiques, le matérialisme mécaniste, Fromm propose de substituer ceux d’un humanisme dialectique. Sur cette base idéologique révolutionnaire -qui faisait défaut à Freud- la Psychanalyse humaniste peut fournir aux concepts de la psychanalyse un cadre nouveau, ouvert et dynamisant, qui leur permet de transcender les limites du Freudisme.

LA PSYCHANALYSE HUMANISTE D'ERICH FROMM

« Ce qui fait l’importance de la découverte de Freud, c’est qu’il mit au point une méthode qui permet d’accéder à la vérité au-delà de ce que l’individu croit être vrai, et il a pu faire cela en découvrant les effets du refoulement et, en corrélation des rationalisations.
Il a démontré empiriquement que le chemin de la guérison passe par la connaissance exacte, de la part du patient, de sa propre structure mentale et, de là, par le défoulement. Cette application du principe selon lequel la vérité libère et guérit est le grand, et, sans doute, le plus grand exploit de Freud, même si sa façon d’appliquer ce principe a subi bien des distorsions et a souvent produit de nouvelles illusions ». (E.F. Grandeur et limites de la pensée freudienne p 8)

Ces quelques lignes, extraites de l’introduction de Grandeur et limites de la pensée freudienne résument assez bien l’attitude générale d’Erich FROMM envers le fondateur de la psychanalyse : il considère les découvertes de Sigmund Freud comme une contribution capitale à la connaissance de l’homme, comme une théorie radicale offrant un «potentiel révolutionnaire » de transformation de la société : « la découverte de Freud était potentiellement révolutionnaire parce qu’elle aurait pu amener les individus à ouvrir leurs yeux à la réalité de la structure de la société où ils vivent et, de là, à désirer la changer en accord avec les intérêts et les aspirations de l’immense majorité »
Ce qui est radical et fondamental dans l’approche freudienne, ce n’est pas sa théorie de la sexualité, ni la métapsychologie psychanalytique. C’est la mise en relief « (du) rôle capital du refoulement et la signification fondamentale du secteur inconscient de notre vie mentale ».

Freud, après Galilée et Darwin, a fait tomber (virtuellement) la « dernière illusion », en quelque sorte : « cette théorie était radicale parce qu’elle s’attaquait à la dernière forteresse de la croyance de l’homme en son omnipotence et en son omniscience, la croyance en sa pensée consciente considérée comme donnée primordiale de l’expérience humaine (...) ; personne n’avait mis en doute que sa pensée consciente était la dernière donnée sur laquelle (l’homme) pouvait compter. Freud a privé l’homme de l’orgueil qu’il plaçait dans sa rationalité. Il est allé jusqu’aux racines -c’est ce qu’exprime littéralement le mot « radical »- et a découvert qu’une bonne partie de notre pensée consciente ne fait que dissimuler nos pensées et nos sentiments véritables et nous cache la vérité : la plus grande partie de notre pensée consciente est un faux-semblant, une simple rationalisation de pensées et de désirs dont nous préférons ne pas avoir conscience ».
C’est autour de cet axe central que s’organise l’apport fondamental de Sigmund Freud à la connaissance de l’être humain. C’est cet apport que revendique avant tout la Psychanalyse humaniste dans l’héritage freudien. JV