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L’ARGENT, FÉTICHE SACRÉ
Eugène Enriquez
Revue Apex n° 3 1999
L'excrément du démon


Origine : http://www.scribd.com/doc/45982905/Apex-no3-L-Argent-Excrement-du-Demon

Moïse a une testière à barbe vénérable, et sur le front les deux rayons qui le caractérisent ; il a une longue robe violette ; il porte les tables de la Loi qu'il montre aux Juifs avec une baguette. - Le grand-prêtre est, dans le costume ordinaire, avec le pectoral, etc. ; sa testière est surmontée d'une tiare. - Les Juifs sont habillés de noir, avec de petits manteaux noirs qui leur vont jusqu'aux genoux. Leurs testières ont, aux deux côtés de la tête, des renflements extraordinaires, qui forment urne assez laide coiffure. " (Grégoire, pag. 89).
source : Gaspard Grégoire, Explication des cérémonies de la Fête-dieu d'Aix en Provence, 1777

Le jeu du Veau d'or, appelé plus ordinairement lou juec d'oou Cat par le peuple, parce qu'un des Juifs qui adorent le veau d'or jette en l'air un pauvre chat enveloppé dans un sac de toile, ayant soin toutefois de ne pas le laisser tomber par terre ; ce jeu, disons-nous, représentait le Veau d'or adoré par les Juifs qui, en roulant autour de lui, paraissaient mépriser le Grand-Prêtre et Moïse leur montrant les Tables de la loi, et leur criaient ouhoou ! ouhoou !

Que l'argent fasse partie du monde profane, nul n'en disconviendra. A partir du moment où il est devenu l'équivalent général suprême (celui auquel tout aboutit et tout se résume) favorisant l'échange généralisé des marchandises (et de tout service ou même de toute conduite humaine susceptible d'être quantifiée, autrement dit de prendre la forme d'une marchandise) jouant un rôle essentiel dans les processus de distinction et de hiérarchie, il s'immisce dans les pores de la société et lui donne son style 1. Une personne sans argent ne peut être ni un producteur ni un consommateur. Elle perd donc, dans nos sociétés, aux yeux de beaucoup, sa qualité d'être humain et se voit reléguée au rang d'ustensile jetable. Mais on ne peut s'arrêter à ce caractère banal voire trivial (malgré les implications essentielles que celui-ci produit), car l'argent participe, d'évidence, également de la sphère du sacré. Quelques citations glanées parmi les meilleurs auteurs et reprises dans de fort bon livres sur l'argent 2 : l'argent est « le Dieu visible » (Shakespeare), « l'argent est un mot du diable » (Luther), l'argent est « le seul culte actuel » (Heine), l'argent est « un des grands mystères du monde » (Ernst Jünger), « les temples des temps modernes sont des bourses » (Émile Zola). Terminons par deux phrases célèbres : « Laisse-moi t'embrasser, toi qui es ce qu'il y a de mieux dépassant toutes les formes de la joie... telles sont tes beautés et nos amours », s'écrie le Volpone de Ben Jonson; « Quand on ne nomme pas, c'est lui que l'on nomme. Quand on ne le présente pas, c'est lui que l'on présente. Quand on ne pense pas, c'est à lui qu'on pense », déclare Péguy, analyste subtil des apparitions fantomatiques (et pour cela particulièrement efficaces) de l'argent. L'argent donc relève en partie du sacré, de ce qu'on doit vénérer et qu'on ne doit pas toucher, de ce qui fomente le désir de transgression, du « numineux » (pour reprendre le terme de R. Otto 3), autrement dit de l'effrayant et de l'attirant, de ce qu'il est impossible de maîtriser (malgré l'envie qu'il suscite). Ce numineux, aussi lointain soit-il, peut toujours par des rites appropriés être mis au service des personnes et elles ne s'en privent pas. Dans De la horde à l'État, nous avions insisté sur l'apparition de deux nouveaux sacrés transcendants dans nos sociétés modernes (toujours associés au règne de la Raison) : l'État et l'argent, qui ont remplacé progressivement le Sacré divin et le Sacré royal. Relevons que ces nouveaux sacrés sont non seulement transcendants (en tant qu'ils régissent nos conduites de manière impérative, sont les signes d'une souveraineté qui peut tout exiger de nous et en tant, qu'en cela, ils sont simultanément augustes et maudits) mais également immanents, intervenant dans notre vie quotidienne au travers d'appareils (banques, administrations, etc.) dont nous devons avoir une connaissance intime. Ils sont donc dans une zone intermédiaire où ne s'expriment directement ni la loi divine (uniquement transcendante dans nos religions monothéistes) ni la loi humaine, résultante des efforts collectifs de l'ensemble des générations. Cette zone intermédiaire (qui se compromet naturellement avec le profane) est particulièrement inquiétante et menaçante. Elle ne nous permet pas de distinguer la conduite adéquate à tenir (alors que le respect de la loi divine s'exprime par une liturgie et un rituel précis, et la loi humaine par le respect des conventions — lois, normes, coutumes — sociales). Chacun se trouve placé dans la même situation que le paysan de Kafka, dans le récit Devant la loi, se demandant s'il doit entrer par la porte ouverte, mais néanmoins gardée, ou s'il doit attendre. Doit-on se soumettre aux appareils comme s'ils exprimaient la loi divine ou les examiner de manière critique, s'ils ne sont que l'incarnation de la loi humaine ? Doit-on manifester un respect total pour l'État (qui met « l'unité dans la diversité de la société civile » et qui se présente comme réalisation de « l'Esprit absolu » [Hegel]) ou peut-on le contester et proposer de nouvelles institutions ? Les Sacrés transcendants-immanents jouent de leur ambiguïté. A llons encore plus loin : si le terme sacer a pris progressivement le sens de « inviolable, non touchable, respectable », on doit se souvenir, fait remarquer Giorgio A gamben, dans son livre remarquable 4, que, dans l'ancien droit romain, l'homo sacer était celui qui était à la fois exposé au meurtre licite et insacrifiable.

Notre sacré transcendant-immanent doit-il être révéré ou au contraire tué, détruit pour que les hommes puissent vivre suivant la loi humaine ? L'État et l'argent ne nous préviennent-ils pas qu'en eux, dans leurs plis les plus intimes, se cache le principe de leur destruction même ? Ou plus angoissant encore, si on n'oublie pas ce que nous apprend la psychanalyse, autrement dit que sadisme et masochisme ne s'opposent pas radicalement et que la haine est l'expression autant du masochisme que du sadisme (comme l'a montré magistralement M. Enriquez 5). A lors ce principe d'autodestruction, cette pulsion de mort autoagressive, peut s'accompagner, et s'accompagne souvent, d'allo-agressivité, de déflexion vers l'extérieur. L'État comme l'argent peuvent nous détruire d'autant mieux que, alors que les sacrés purement transcendants n'interviennent pas dans la vie humaine (ceci idéalement, quand un État est théocratique c'est l'inverse qui se réalise), ils peuvent envahir notre vie, gouverner notre vie nue « et nous assaillir » d'autant plus que nous ne possédons pas le corpus de réponses pertinentes pour nous protéger de leur pouvoir. Il faut que nous gardions donc en mémoire cette possibilité d'activité meurtrière de leur part. Évoquer le sacré, ce n'est pas encore parler du fétiche, malgré la proximité des deux notions. En effet, « fétiche » vient du portugais fetisso ou feitizo et signifie, comme dit Littré, un objet « fée », enchanté et pour cette raison vénéré (J. Pouillon 6). Dans son ouvrage sur les Cultes des dieux fétiches, le président Des Brosses écrivait déjà en 1760 7 : « Les Nègres de la côte occidentale d'A frique, et même ceux de l'intérieur des terres jusqu'en Nubie, contrée limitrophe de l'Égypte, ont pour objet d'adoration certaines divinités que les Européens appellent fétiches, terme forgé par nos commerçants du Sénégal sur le mot Fetisso, c'est-à-dire chose fée, enchantée, divine ou rendant des oracles, de la racine latine fatum, fanum, fari. Ces fétiches divins ne sont autre chose que le premier objet naturel qu'il plaît à chaque nation ou à chaque particulier de choisir et de faire consacrer en cérémonie par ses prêtres : c'est un arbre, une montagne, la mer, un morceau de bois, un caillou, etc. » C'est d'ailleurs le président Des Brosses qui, le premier, a attiré l'attention des chercheurs sur ce phénomène (cet objet) et sur le culte qui lui est adressé, en pensant ainsi (bien qu'il l'ait repéré chez les Noirs) que toutes les religions procèdent d'un fétichisme primitif, stade archaïque de la religion. Hegel, quant à lui, n'attribue le fétichisme qu'aux seuls Noirs : les A fricains, écrit-il, « élèvent à la dignité de génie toute chose qu'ils imaginent avoir de la puissance sur eux... C'est en cela que consiste le fétiche ». Mais « le pouvoir du fétiche et sur le fétiche est illusoire » et « le pouvoir du Nègre sur la nature est seulement une force de l'imagination, une domination imaginaire 8 ». La conception de Des Brosses et plus encore celle de Hegel exhale un parfum colonial. L'Africain incapable de dépasser « l'antithèse initiale entre l'homme et la nature » est et restera ce (bon ?) sauvage qu'il est important de civiliser. Les véritables ethnologues sedéfieront rapidement de cette notion et de cet imaginaire de l'infériorité qu'elle véhicule. Marcel Mauss la condamnera définitivement : « La notion de fétiche doit disparaître définitivement de la science, elle ne correspond à rien de défini... l'objet qui sert de fétiche n'est jamais un objet quelconque, choisi arbitrairement, mais il est toujours défini par le code de la magie ou de la religion », et il ajoute : « Quand on écrira l'histoire de la science des religions et de l'ethnographie, on sera étonné du rôle indu et fortuit qu'une notion du genre de celle de fétiche a joué dans les travaux théoriques et descriptifs. Elle ne correspond qu'à un immense malentendu entre deux civilisations, l'africaine et l'européenne ; elle n'a d'autre fondement qu'une aveugle obéissance à l'usage colonial, aux langues franques parlées par les Européens à la côte occidentale 9. »

Dans ces conditions, pourquoi continuer à se référer au fétiche et au fétichisme ? Sans doute, pour une de ces ruses de la raison dont l'histoire est friande : cette notion élaborée pour essayer de comprendre et de caractériser des sociétés primitives a opéré un véritable retour (ou un retournement) pour tenter d'éclairer certains aspects méconnus (primitifs, archaïques ?) des sociétés occidentales. A . Comte a élaboré une théorie du fétichisme pour essayer de savoir « la signification permanente d'une réaction de l'homme à sa situation originaire », ce qui va lui permettre « d'affirmer qu'il n'y a qu'un esprit humain et que sa logique admet des variations et non pas des variantes », le fétichisme, s'il reconnaît (et c'est une erreur) la prédominance de l'affectivité sur l'intelligence exprime néanmoins une « activité spéculative » qui ne sera dépassée que « dans l'état scientifique 10 ». Les primitifs font donc partie de l'humanité commune et le fétichisme peut être considéré comme « le premier essor » de l'activité de l'esprit humain. Pour comprendre les sociétés occidentales, il faut donc d'abord comprendre l'activité fétichiste comme relevant des lois logiques qui « s'observent jusque dans les songes » (les psychanalystes ne sauraient mieux dire !). Le fétichisme n'est pas une croyance absurde, irrationnelle. Un psychologue comme A . Binet 11 remarquera, plus tard, en étudiant le fétichisme amoureux, que celui-ci révèle une tendance à l'abstraction. Pourtant ce ne sont ni Comte ni Binet (malgré l'intérêt de leurs travaux) qui ont donné au fétiche et au fétichisme, en Occident, ses lettres de noblesse, mais les deux plus grands penseurs du monde occidental qui ont définitivement changé notre vision du monde : Marx et Freud. Souvenons-nous des phrases célèbres de Marx analysant le caractère fétiche de la marchandise : « Mais la forme valeur et le rapport des produits du travail n'ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C'est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici la forme fantastique d'un rapport des choses entre elles. Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la région nuageuse du monde religieux. Là, les produits du cerveau humain ont l'aspect d'êtres indépendants, doués de corps particuliers en communication avec les hommes et entre eux. Il en est de même des produits de la main de l'homme dans le monde marchand. C'est ce qu'on peut nommer le fétichisme attaché aux produits du travail, dès lors qu'ils se présentent comme marchandises 12. » A insi pour Marx le fétichisme évacue et réifie (il naturalise) un rapport social, ce qui est d'ailleurs la tendance constante de la société capitaliste qui dénie les rapports sociaux réels (toujours à décrypter), qui les masque par l'idéologie pour les transformer en lois naturelles incontestables (ainsi la loi de l'offre et de la demande et les contraintes « naturelles » du marché qui occultent les processus de domination, d'exploitation et d'aliénation). Marx ainsi nous permet de percevoir directement la dynamique sous-jacente à la société bourgeoise capitaliste. Freud, de son côté, lui aussi, étudie la société bourgeoise cette fois-ci non dans ses aspects économiques, mais dans ce qui lui donne une autre impulsion (tout aussi nécessaire) : la relation sexuelle. Il connaissait le travail de Binet sur « le fétichisme en amour » et avait lu avec intérêt sa phrase disant que « tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour et qu'il y a une dose constante de fétichisme dans l'amour le plus régulier ». Certes, il ira plus loin et il indiquera que « le fétiche quand il est rencontré pour la première fois a déjà su attirer l'intérêt sexuel », il montrera que les substituts sexuels « peuvent en vérité être comparés au fétiche dans lequel le sauvage incarne son dieu 13 » et que « le fétiche — substitut du phallus de la femme — dénie une absence 14 ». Le fétichisme se trouve donc au centre des rapports amoureux et, s'il a existé « chez les sauvages », il continue, de manière centrale, de jouer son rôle dans nos sociétés. Dire que les sociétés occidentales sont (en partie tout au moins) des sociétés fétichistes signifie donc qu'elles aussi présentent des aspects masqués des « continents noirs », pour reprendre le terme de Freud. A lors qu'elles se voyaient vêtues de « lin blanc » (Hugo) resplendissant, elles se trouvent confrontées à ce qu'elles avaient projeté tout d'abord sur les Noirs (d'après Des Brosses et Hegel en particulier) et qu'elles n'avaient pas voulu voir comme un des éléments de leur texture. Retournement prodigieux qui, comme tout retournement, n'a pas encore cessé de produire des effets.

Mais que les Occidentaux actuels (et non dans le temps, comme le pensait Comte) puissent avoir des activités fétichistes, n'indique pas encore que l'argent soit devenu ce fétiche sacré transcendant-immanent dont nous avons relevé la trace. Il nous faut donc aller plus loin et examiner certaines caractéristiques de l'argent pour voir en quoi celui-ci peut devenir un fétiche, c'est-à-dire se transformer en un dieu dans lequel les individus sont susceptibles de s'investir. L'argent comme cristallisation du désir

Marx, analyste perspicace, avait déjà insisté dans les manuscrits de 1844 sur l'argent comme « réalisation du désir » et dans les grundrisse sur l'argent comme « rêve réalisé ». Posons, comme le dit Bachelard, et d'ailleurs tous les psychanalystes, que « l'homme est un être de désir et non de besoin ». Nous n'expliciterons guère ce postulat qui est à la racine même de l'interprétation actuelle du psychisme (même si c'est à Hegel qu'on doit cette vision de l'homme). Que ce désir soit fondé sur le manque, comme le pensent les psychanalystes, manque insupportable qui vise toujours la complétude et ne l'atteint jamais, ce qui empêche le désir de pouvoir trouver un jour l'objet ultime de sa satisfaction et l'oblige à rebondir constamment, ou qu'il soit la marque de la volonté humaine de rechercher toujours plus de jouissance, il est incontestable que l'homme est moins mû par des idéaux que par sa tendance à réaliser le programme du principe de plaisir qui l'assure de son existence et de son identité. En tant qu'être de désir, l'homme est mû par le désir de reconnaissance de la part des autres (il désire le désir des autres) ; il aspire à ce que ses désirs, quels qu'ils soient, puissent être acceptés et pris en charge par les autres, ce qui renforce son narcissisme de vie comme de mort ; il veut même mettre en oeuvre son rêve de toute-puissance narcissique, sa volonté de maîtrise du monde et des autres qui pourra se sublimer plus ou moins bien dans des activités sociales valorisées. Ce sont donc ses fantasmes (mise en scène des désirs), son imaginaire, ses pulsions de vie comme de mort qui l'amènent à affronter les difficultés, à travers les mers inquiétantes, à transformer la nature hostile et à la rendre faste, à inventer les mythes qui l'assurent d'une généalogie prestigieuse. Or que fait l'argent ? L'argent est un transformateur (ou si on préfère un opérateur de transformation). Il change tous les désirs qui sont de l'ordre de la qualité, de l'intuition, du non dicible ou du difficilement dicible, affectés par un mouvement permanent qui, à la fois, fonde l'être humain mais l'ébranle (car la quête effrénée est fatigante et périlleuse) en besoins qui sont de l'ordre de la quantité, du rationnel, de l'exprimable. Si le désir est poétique (en tant qu'il manifeste la capacité autopoétique des sujets, leur aptitude à se créer « de façon continue » et à l'édification de formes nouvelles, le besoin est prosaïque. Si le désir fait partie du champ de l'imaginaire, le besoin fait partie du champ du réel immédiat. Cette transformation est opérée par l'argent au moment même où il devient un équivalent général. Rien ne peut plus, alors, se dire qui ne soit un jour traduisible en argent et être mis sur un marché (même les relations affectives peuvent être comptabilisées, nous a appris Garry Becker). Le désir est donc canalisé et investi dans ce qui est simultanément l'instrument, le langage et l'objet commun. En s'investissant ainsi, le désir devient mesurable et s'abolit lui-même en tant que désir. Il va donc plus s'exprimer dans sa vérité, c'est-à-dire dans son aspect mouvant, fluctuant, voire totalitaire, il va prendre l'aspect réglé, systématique, aseptisé lui permettant d'être reconnu et acceptable par la société. Il va perdre ses qualités de rapport entre des individus et des groupes situés historiquement et socialement pour devenir un rapport entre les choses (interchangeabilité des individus, interchangeabilité des objets). Et si c'est un rapport entre les choses, c'est que l'argent est d'abord et fondamentalement un objet. Toute centration sur l'objet met en avant l'idée d'objet de satisfaction ; qui dit objet de satisfaction renvoie à la satisfaction du besoin et donc à la mort progressive du désir. (Hegel ne s'était pas trompé qui écrivait que les marchandises et l'argent représentaient le désir mort). Ce mouvement est, aux dires de G. Simmel 15 « une des tendances majeures de la vie : la réduction de la qualité à la quantité, retrouve sa représentation à la plus haute dans et d'uneperfection unique dans l'argent ». Mais l'argent n'est pas seulement un opérateur de transformation, un objet (susceptible d'être aimé), c'est également un embrayeur. Si on ne tient pas compte de cette caractéristique, on rate l'essence même de l’argent.L'argent n'est jamais un objet inerte dans lequel va s'épuiser la satisfaction du besoin. Il est un objet vivant qui produit des effets. L’argent a une énergétique propre. B. Franklin l'avait bien repéré, et ce n'est pas pour rien que Weber a rappelé sa parabole : « Rappelle-toi que la puissance génitale et la fécondité appartiennent à l'argent. L'argent engendre l'argent et les rejetons peuvent en engendrer davantage à tour de rôle et ainsi de suite 16. » L'argent surgit comme substitut de ce phallus que tout le monde cherche et que personne n'attrape. Il permet de dénier la castration symbolique, de ce fait de réengendrer le fantasme de toute-puissance (plus ou moins mis à mal par le principe de réalité) et de donner une satisfaction illusoire aux exigences du moi idéal qui poursuit toujours la réalisation des désirs infantiles de toute-puissance. Il renforce ainsi un narcissisme incapable de se remettre en question (et d'accepter la finitude) et la volonté de maîtrise rageuse et haineuse. Mais il ne rassure pas seulement l'individu sur son identité, il lui offre en prime le bénéfice le plus appréciable : l'emprise sur les autres. Car dans une société d'argent, celui qui a de l'argent, qui fait de l'argent, met les autres, plus ou moins, à sa merci. C'est pour cela que l'argent doit engendrer de l'argent. Et cela de n'importe quelle manière.

Du temps de Marx on pouvait écrire : A (argent) —> M (marchandises) —> A rgent. Maintenant où le monde est devenu un véritable « casino fmancier » (pour reprendre le terme popularisé par M. A llais et C. Castoriadis), il s'agit de faire de l'argent sans passer par le truchement de la marchandise. L'argent produit de l'argent sans produire de richesses. Il donne ainsi à celui qui en est le maître la puissance et le pouvoir sur les autres. L'argent va donc être aimé comme symbole de la puissance phallique. A ce moment-là il est devenu un fétiche et un dieu incarné. Par un paradoxe extraordinaire, cet argent qui avait tué le désir, le fait renaître de ses cendres. Car l'argent obtenu peut être aimé (comme tout dieu) avec passion, avec démesure. Car il procure des satisfactions énormes et il engendre le désir de nouvelles satisfactions. Le désir continue à poser ses exigences et ne s'arrête jamais. Sombart, l'économiste autrichien, disait : « Le capitaliste n'a qu'un ventre. » Il oubliait que celui-ci ne cherche pas seulement à se nourrir. Il recherche la puissance et il l'obtient. Il recherche la jouissance et il croit l'obtenir. Il est en cela semblable aux libertins de Sade qui s'aperçoivent qu'ils sont toujours « floués » et qu'ils doivent continuellement multiplier les orgasmes et les meurtres, sans pouvoir s'arrêter. Car la jouissance se refuse à celui qui la cherche éperdument. Mais bien peu le savent et dans une société capitaliste encore moins. L'argent devient ainsi un embrayeur total, mais parfaitement dysfonctionnel, possédé lui-même par l'ubris qu'on a projeté en lui et qui peut amener aux situations les plus folles (la domination comme la faillite). On peut, sans qu'il s'agisse pourtant d'une comparaison hasardeuse, établir une comparaison entre l'argent et le mythe. Nous savons, en particulier grâce aux beaux travaux de J.-P. Vernant 17, que si le mythe est par un de ses aspects une parole affective provoquant chez l'auditeur « un processus de communication affective avec les actions dramatiques qui forment la matière du récit » et une mise en acte, conséquences de la mimesis dans la vie quotidienne du message contenu dans le mythe, s'il est également la traduction des fantasmes individuels et collectifs les plus primitifs concernant la possibilité même de l'existence, s'il ouvre enfin au jeu du vertige et de l'excès, il est, par un autre aspect, un système conceptuel permettant aux individus d'une société de penser de manière ordonnée les relations de la nature et de la société et d'assurer

L'argent comme une forme permettant la corticalisation de la société

la fonction symbolique. Sans celle-ci, les membres d'un groupe seraient incapables de penser de manière unifiée, de se soumettre à la même epistemé, de développer un même paradigme pratique, de mettre en oeuvre un imaginaire social commun. L'argent de son côté n'est pas que l'objet des pulsions et des désirs ni l'embrayeur des passions les plus démentes, comme nous l'avons indiqué plus haut, il est le signe de l'intellectualisation de la société, ce qu'avaient perçu Comte et Binet et même antérieurement Balzac qui s'était rendu compte que « l'exploitation de l’homme par l'homme était remplacée progressivement par l'exploitation de l'homme par l'intelligence 18 ». C'est à G. Simmel que nous devons la mise en pleine lumière de cette caractéristique. Il écrit : « Pour autant que l'argent devient absolument commensurable et l'équivalent de toutes les valeurs, il s'élève à des hauteurs abstraites bien au-dessus de l'entière diversité des objets. Il en devient d'autant plus étranger, si bien que les choses les plus éloignées y trouvent un commun dénominateur et entrent en contact des unes avec les autres 19. » Comme le disait Comte de manière imagée, les hommes passent « de l'arbre de chacun à la forêt et au Dieu de la forêt ». Ce processus d'abstraction (qui permet le passage des bracelets de cuivre aux pièces lydiennes, à la monnaie fiduciaire et aux cartes de crédit, si nous pouvons nous permettre un tel raccourci) est puissamment aidé par l'étrange complicité que l'argent noue avec les deux catégories essentielles de l'entendement humain : le temps et l'espace. Tout le monde connaît bien maintenant l'adage de Franklin : « Le temps, c'est de l'argent », largement commenté par Max Weber. Mais tout le monde n'en a pas perçu les implications réelles. Une implication est évidente : chaque homme, dans une économie capitaliste (et non dans une économie de marché qui existe depuis les Phéniciens), peut vendre sa force de travail intellectuelle ou manuelle, à chaque moment, contre une rémunération, plus ou moins proportionnelle à ses efforts. Une autre implication est assez bien perçue depuis l'invention de l'usure et ensuite du crédit; chaque moment peut permettre à celui qui dispose de sommes monétaires de voir celles-ci fructifier, sans travail attenant, sous le seul effet du temps d'exercice de l'usure et du crédit. Le temps ainsi se convertit en argent et l'argent devient la mesure du temps. Mais ce qui est moins bien perçu ou même totalement occulté, c'est que l'argent est créateur de temps. Certes, nous percevons bien que la possession de l'argent permet de dégager du temps de loisir, du temps de réflexion (si les citoyens grecs faisaient travailler les esclaves, c'était aussi pour avoir du temps à eux, pour ne pas être assujettis au temps qui passe), du temps pour la convivialité et pour la vie domestique.

Mais il y a bien plus : l'argent crée du temps historicisé. Les sociétés développées où les gens ont de l'argent ne vivent pas dans le même temps que les sociétés non développées ou en développement. Les premières vivent au XXIe siècle, les autres vivent au XVIIIe ou au Moyen Age. Les premières vivent au rythme des e-mail, du fax, du téléphone portable, du transport aérien, les autres au rythme des saisons et de la charrue. Les sociétés développées vivent et dans l'urgence (les Italiens le disent souvent : l'avenir sera construit par les nations les plus rapides, cf. également les travaux de P. Virilio 20) et dans le futur. Les autres vivent dans une certaine « lenteur » et dans l'instant présent. (Les habitants des favelas au Brésil ne pensent pas au futur. « Le futur c'est aujourd'hui ou demain, après... on ne sait pas », nous dit un favelado.) Les premières vivent dans un monde de services et dans un univers de plus en plus imaginaire et virtuel, les autres dans un monde de la production et dans un univers terriblement réel. Les Occidentaux vivent dans un temps monochrone (E.T. Hall 21) et les autres sont pris dans un temps polychrone. Si le temps monochrone est celui des horloges, temps linéaire qui s'impose à tous et s'inscrit dans une perspective pragmatique et non ontologique de l'existence, le temps polychrone porte l'empreinte de la symbolique sociale et se caractérise par la multiplicité des faits se déroulant simultanément. Le deuxième temps signifie que la vocation de l'homme est de mener à bien toutes ses « transactions », en respectant les normes de la société (s'exprimant dans les fêtes, les rites et une conception du sacré), plutôt que par une adhésion à des horaires fixes, sans signification existentielle. Enfin les Occidentaux peuvent et veulent vivre ; le temps est le temps de la carrière, de la jouissance, de la vie tout court, les autres luttent, le plus souvent, pour leur simple survie. A chaque moment ils se demandent : comment continuer ? Le temps n'est plus un temps « vécu », il est un temps « combattu » et il risque toujours d'amener de nouvelles douleurs et de déboucher sur la mort. « Le temps, c'est de l'argent » signifie donc que l'argent est l'élément discriminant de la vie et de la mort. Il engendre donc une conception de l'histoire de l’humanité, et désigne donc rationnellement ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui luttent encore pour ce droit. L'argent a aussi un rapport à l'espace et sur ce point encore G. Simmel (bien commenté par J.-Ph. Bouilloud 22) a été un précurseur. La vie de l'argent se développe dans des espaces appropriés : espaces marchands, banques, assurances, institutions de protection sociale. L’argent crée aussi des espaces. Il éloigne les pauvres des riches (banlieues et zones résidentielles), les hommes à haut statut de ceux à bas statut (renforçant ainsi les distinctions). Chaque personne dans sa classe sociale connaît ses « périmètres » d'existence et ne va pas sur les territoires des autres (certains vont à l'Opéra, d'autres dans les bistrots, etc.). Personne n'habite le même territoire et tout un chacun sait où il sera bien accueilli ou au contraire rejeté. Par le truchement du temps et de l'espace, l'argent crée ainsi un monde ordonné, où chacun trouve une place (qui ne lui sied pas toujours naturellement), une manière d'être qui satisfait le besoin de classement et de prévision des êtres humains. Sans l'opérateur argent, la société occidentale n'aurait jamais pu faire de la rationalité instrumentale l'ordonnatrice de la vie sociale. Cristallisation du désir, agent d'abstraction, l'argent possède une force considérable. Il devient, comme le pensait Simmel, « la valeur la plus absolue ». « La valeur de l'argent en tant que moyen augmente avec sa valeur en tant que moyen jusqu'au moment où il devient une valeur absolue et où s'achève la conscience du but en lui 23. » Le moyen est devenu fin. La hiérarchie sociale n'a plus besoin de s'appuyer sur l'affection, la reconnaissance, la déférence ou le prestige mais sur la capacité des individus à maîtriser une science des moyens (cf. le lumineux commentaire de S. Moscovici sur Simmel 24). L'argent permet donc de favoriser une centration sur les moyens, sur la question « comment » et d'évacuer la question existentielle fort préoccupante et à laquelle les hommes n'aiment guère répondre : « Pourquoi ? », quel est le sens de ce qui est entrepris ?

En permettant d'oublier la question des fins ou plus exactement en faisant du moyen une fin en soi, l'argent a favorisé la victoire de la rationalité instrumentale au détriment de la rationalité des fins (bien plus complexe à définir et à établir). Ce faisant, il permet, comme le montrent Simmel et Moscovici, une économie d'effort (il est bien plus simple de s'intéresser à un moyen, dont l'essence est manipulable, qu'à une fin qui peut toujours être l'objet de réflexion infinie). Il permet de faire fonctionner le principe du moindre effort énoncé par Zifp selon lequel tout homme essaie de minimiser les efforts à accomplir pour atteindre un but déterminé ou encore le principe de tendance à la réduction de tension évoqué par Freud. Cette focalisation sur le moyen devenu fin-valeur absolue renforce le caractère fétiche de l'argent qui s'étaye, de plus, dans nos sociétés sur la transformation progressive, opérée par l'argent lui-même, des relations humaines et sociales en rapports réifiés, chacun s'identifiant au moyen vénéré et se transformant en moyen (les hommes actuellement sont obsédés par une idée : sont-ils toujours vendables et monnayables ?) et oubliant qu'il est une fin en soi. Cette transformation de l'argent en fin et de l'homme en moyen est la plupart du temps masquée. Si on peut comprendre que Montesquieu puisse écrire : « C'est presque une règle générale que partout où il y a des moeurs douces il y a du commerce et que partout où il y a du commerce il y a des moeurs douces » appuyé par le célèbre S. Johnson qui s'exclamait : « Il est peu de façons plus innocentes de passer son temps que de l'employer à gagner de l'argent », il est plus étonnant de lire chez Keynes ces lignes : « La pos-

Le triomphe des moyens sur les fins ou comment le moyen devient fin


-sibilité de gagner de l'argent et de constituer une fortune peut canaliser certains penchants dangereux de la nature humaine dans une voie où ils sont relativement inoffensifs... Il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque que sur ses concitoyens 25. » Comme quoi, le fétiche a une vertu extraordinaire : de pouvoir être adoré et en même temps dénié, ce qui lui donne une force incommensurable. Nos sociétés judéo-chrétiennes sont des sociétés de la culpabilité. Depuis Luther, Calvin et plus récemment Freud, c'est devenu une évidence pour chacun. La dette infinie contractée envers Dieu est motrice. Elle oblige à la rembourser et à savoir qu'il faudra continuer à payer, sans espérer voir un jour la créance éteinte. Il faut prendre le mot dette dans son sens littéral. Si au début du judaïsme comme du christianisme il s'agit d'une dette mystique, d'une dette morale fondée sur la faute originelle pour laquelle il n'y a aucune rédemption et qui condamne l'homme au travail et la femme à la souffrance (« Tu travailleras à la sueur de ton front », « Tu enfanteras dans la douleur », nous dit la Bible), il n'est plus question de nos jours que d'une dette laïcisée, d'une dette d'argent puisque « l'histoire capitaliste est calquée sur le mythe théologique » (A . A mar 26). D'ailleurs cette dette est concrétisée dans la comptabilité en partie double inventée par les Lombards : « L'argent, nous dit A . A mar, est affecté du signe de la dette. Là où il se trouve, là il est inscrit avec le signe moins. La négation qu'il contient est révélée par la notation même qui l'exprime. Dans la comptabilité en partie double, l'argent matériellement reçu est inscrit au débit du compte caisse ; le capital, les réserves, les bénéfices, c'est-à-dire les biens propres d'une entreprise, sont inscrits au passif du bilan, dans la colonne des dettes. » « Celui qui reçoit, doit », telle est la règle fondamentale, péniblement élaborée vers le XVIe siècle. (Et d'ailleurs qu'est le capitalisme sinon un immense système d'endettement ?) Il faut donc travailler chaque jour, faire toujours plus d'argent pour rembourser ce qui ne peut pas être remboursé. Calvin a insisté sur ce point : le pécheur ne sait pas s'il fera partie des élus, il ne peut que travailler à la plus grande gloire de Dieu et s'il réussit, il considérera cette réussite comme un indice possible de son élection. Dieu ne pouvant oublier que triomphent sur terre ceux qu'il n'appellera pas près de lui. A insi grâce à cet espoir, le protestant (et tous ceux qui se comporteront comme lui) peut reprendre la maîtrise de son destin. Il travaillera, il s'endettera mais en même temps, en faisant de l'argent, il escompte piéger le désir de Dieu à son égard. L'argent devient bien ce que J. Pouillon, dans une belle formule, a appelé « le fétiche, piège à dieux », car il s'agit toujours d'essayer de maîtriser, en le manipulant, ce qui de façon fondamentale nous surplombe et nous gouverne. La culpabilité, signe d'une dette, favorise ainsi le désir de créer de l'argent, de lui donner un pouvoir car il semble toujours possible d'user de ce pouvoir (du moins les gens le pensent) pour se concilier Dieu ou maîtriser les hommes. Mais en fait l'aventure capitaliste, liée à l'éclosion de l'individualisme, qui rend chaque homme (et non chaque collectivité, comme le pensait le peuple juif) coupable, a contribué à l'instauration de l'argent comme fétiche, qui comme tout fétiche fait semblant de servir, mais asservit les homme à sa loi. Marx avait noté la disparition de tous les liens sociaux et leur remplacement par le « paiement au comptant » et avait dénoncé « les eaux glacées du calcul égoïste ». Simmel a insisté sur la mise à distance des êtres humains : « Tandis qu'au cours d'une période antérieure au développement l'homme devait payer ses rares relations de dépendance par l'étroitesse de ses liens personnels et souvent par le fait qu'un individu était irremplaçable, nous trouvons maintenant une compensation à la multiplicité des relations de dépendance dans l'indifférence que nous pouvons manifester aux personnes avec qui nous

La culpabilité devient motrice

sommes en rapport et par la liberté où nous sommes de les remplacer », écrit-il 27. On peut aller plus loin et dire que l'argent nous fait entrer dans le règne de la perversion, où les autres nous sont non seulement indifférents mais deviennent des êtes manipulables, jetables ou niables au besoin et où il nous éloigne de la névrose. Pervers sadiques, pervers apathiques, tels les libertins de Sade, croissent à loisir dans notre société. Sade avait prévu le monde de la « vénalité généralisée ». Nous n'en sommes pas loin. Si les femmes, pour Sade, devaient être les premières touchées, entrer dans le monde de la prostitution, il se rendait compte que, si sont rejetées celles qui, par essence, sont l'exemple même de l'altérité, les hommes aussi seront pris un jour dans la tourmente. Car le règne de l'argent, c'est bien de faire disparaître l'humain de la scène sociale et de lui substituer des rapports d'objets, des rapports aseptisés, propres, alors que les êtres humains ont un corps qui respire, qui sent, qui transpire, qui éructe. Nouveau renversement : l'argent, assimilé par les psychanalystes à de la matière fécale, rend, comme nous venons de voir, les rapports sociaux inodores sinon inexistants. L'argent en définitive se venge des humains qui avaient cru le dominer : il se comporte comme un vampire qui comme tout vampire (c'est-à-dire comme être immortel, sans image de lui et tout-puissant) sait tout prendre et ne rien donner. La seule différence pourtant (mais elle est de taille), c'est que le vampire est le seul produit de notre imagination, alors que l'argent est un produit de notre action qui a pris son autonomie, qui s'est constitué en fétiche et qui d'un « piège à dieux » s'est transmué subtilement en un « piège à hommes ».

Notes :

1. Tocqueville rend bien compte de ce processus. « Dans nos sociétés, comme l'argent y a acquis une mobilité singulière, passant de mains en mains sans cesse, transformant la condition des individus, élevant ou abaissant la famille, il n'y a presque personne qui ne soit obligé d'y faire un effort désespéré et continuer pour le conserver ou l'acquérir. L'envie de s'enrichir à tout prix, le goût des affaires, l'amour du gain, la recherche du bien-être et des jouissances matérielles y sont donc les passions les plus communes. » De la démocratie en mérique (1835), Paris, Gallimard, Folio.

2. Citons en particulier : E. BORNEMA N, Psychanalyse de l'argent, tr. fr., Paris, Gallimard, 1978 ; P. LA NTZ, L' rgent, la Mort, Paris, L'Harmattan, 1988 ; S. Moscovic, La Machine à faire des dieux, Paris, Fayard, 1988.

3. R. Otto, Le Sacré, Paris, Payot, 1949 4. G. A GA MBEN, Homo Sacer, Paris, Le Seuil, 1997.

5. M. ENRIQUEZ, ux carrefours de la haine, Paris, Épi, 1984.

6. J. POUILLON, Fétiches sans fétichisme, Paris, Gallimard, 1970. Nous avons d'ailleurs fort utilisé ce remarquable numéro auquel nous ferons souvent allusion. Nous nous sommes également inspirés du bel article de M. TIBON-CORNILLOT: « Fétiches d'Occident », Connexions, n° 30, 1980.

7. Cité in Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 2, op cit.

8. Cité in M. TBION-CORNILLOT, « Fétiches d'Occident », op. cit.

9. Cité in J. POUILLON, Fétiches sans fétichismes, op. cit.

10. Cité in Nouvelle Revue de pyschanalyse, n° 2, op. cit.

11. A . Binet, « Le Fétichisme dans l'amour », cité in J.-B. PONTA LIS, Présentation, Nouvelle Revue de pyschanalyse, n° 2, op. cit.

12. K. MA RX, Le Capital, 1re section, partie IV, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade.

13. S. FREUD, Trois Essais sur la théorie sexuelle (1905), nouv. tr. fr., Paris, Gallimard, 1987.

14. S. FREUD, « Le Fétichisme » (1929), in La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969.

15. G. SIMMEL, Philosophie de l'argent, tr. fr., Paris, PUF, 1987.

16. Cité in M. WEBER, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, tr. fr., 1964 ; tr. remaniée, Paris, Plon, 1967.

La disparition de l'altérité et l'effacement de l'homme

17. J.-P. VERNA NT, « Raisons du mythe », in Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, Maspero, 1974.

18. H. DE BA LZA C, cité in S. Moscovici, La Machine à faire des dieux, op. cit.

19. G. SIMMEL, Philosophie de l'argent, op. cit.

20. Citons son dernier livre : La Bombe informatique, Paris, Galilée, 1998.

21. E.T. HA LL, La Dimension cachée, Paris, Le Seuil, 1971.

22. Cf. dans ce livre l'article de J.-Ph. Bouilloud.

23. G. SIMMEL, Philosophie de l'argent, op. cit.

24. S. Moscovici, La Machine à faire des dieux, op. cit.

25. Ces trois citations sont extraites de A .O. HIRSCHMA N, Les Passions et les Intérêts, tr. fr., Paris, PUF, 1980.

26. A . A MA R, « Essai psychanalytique sur l'argent », in E. BORNEMA N, Psychanalyse de l'argent, op. cit.

27. G. SIMMEL, Philosophie de l'argent, op. cit.