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Origine :
http://lipsor.cnam.fr/servlet/com.univ.utils.LectureFichierJoint?CODE=1263310524426&LANGUE=0.
CONCEPTS CLEFS
Les concepts clefs sont: horde, mythes, sentiments ambivalents,
violence, culture, chef, tabou, groupe, organisation, illusion,
idéologie, conception du monde, civilisation, masse, Etat,
système de domination, pouvoir.
PRESENTATION
Ce livre de E. Enriquez est fascinant. D’abord, par sa rigueur,
car il développe sa problématique en gardant fidèlement
le fil de l’argumentation. E. Enriquez présente une
lecture de quelques uns des principaux ouvrages de Freud. Il les
médite. Il répond à certaines des critiques
dont l’œuvre freudienne a été l’objet.
Il montre quels sont les concepts qui, à son sens, reflètent
les principales préoccupations de l’inventeur de la
psychanalyse. Car ces concepts fondent la pensée sociologique
freudienne. Il s’attache à souligner ses “ contradictions
” et à mettre en évidence les limites de ses
formulations théoriques. Il construit un point de départ
pour établir les fondements des liens sociaux ainsi que pour
étudier le développement et l’avenir des sociétés
modernes. Par ailleurs, nous pensons que la pensée de E.
Enriquez est une pensée courageuse, car elle ose soumettre
à un examen attentif les actes et les événements
qui ont marqué l’histoire des idées dans la
civilisation occidentale. Il dénonce les théories
sociologiques qui tendent à penser le lien social en laissant
dans l’ombre, d’une manière peut-être délibérée,
la nature et la condition humaines. De cette manière, il
s’engage dans une réflexion socio-psychologique proposant
une opinion personnelle et critique vis-à-vis des formes
stratégiques et des idéologies qui régissent
l’apparition de l’Etat moderne et de ses procédés
de légitimation.
Nous estimons que le lecteur trouve dans ce livre d’un excellent
chemin pour connaître les possibilités qu’offre
la socio-psychologie dans la méditation de la civilisation
et de la condition de l’homme occidental. Avec un style simple,
clair et précis, l’auteur propose des arguments consistants
qui dévoilent les structures et les configurations économico-politico-culturelles
qui ont rendu possible l’existence d’un monde moderne
construit autour d’une méconnaissance de l’altérité.
Ceci mène l’auteur à remarquer les immenses
limites culturelles et naturelles dont dispose l’homme afin
de transformer le monde en un espace ouvert à la diversité
individuelle et collective.
QUESTIONS QUI DIRIGENT LA RECHERCHE ET QUI DELIMITENT L’HORIZON
CONCEPTUEL DE L’AUTEUR
Pourquoi les individus et les groupes sociaux “marchent-ils”
à la croyance et éprouvent-ils la nécessité
de vivre dans l’illusion, le travestissement et la méprise
?
Pourquoi le social est-il avant tout le règne de la certitude
et de l’oubli de la vérité ?
Pourquoi des individus qui, isolément, sont parfois capables
d’une pensée libre et rigoureuse, s’obstinent-ils,
lorsqu’ils sont en groupe, à soutenir les actions les
plus absurdes et les moins susceptibles de favoriser la réalisation
de leurs désirs ?
Pourquoi l’obéissance est-elle si facile, la servitude
volontaire si fréquente alors que la révolte est si
difficile et le désir autonome si fragile ?
Quel rapport existe-t-il entre le destin individuel et le destin
sociétal, en particulier en quoi un “malaise social”
peut-il déterminer des conduites pathologiques individuelles
? inversement, quel est le rôle, dans la dynamique sociale,
des individus présentant des anomalies psychologiques ou
souffrant d’un délire de grandeur, quoique inaperçu
en tant que tel ?
Qu’est-ce qu’il y a dans le jeu social individu-société
qui fait apparaître de grands leaders charismatiques et rédempteurs?
Quelles sont les raisons qui animent la société civile
à être de plus en plus soumise à l’Etat
dans son processus d’homogénéisation mortifère
et dans ses procédures de massification ?
Pourquoi, par crainte de l’anarchie et du développement
de la “ lutte de tous contre tous”, les hommes multiplient-ils
les institutions qui fournissent à l’Etat les bases
comme les réalités de son pouvoir ? Une telle prolifération
qui manifeste des ramifications multiples de phantasmes de l’“
un”, peut-elle être freinée, et à quel
prix?
Pourquoi l’antisémitisme, comme forme de racisme les
plus exacerbé, non seulement ne s’est pas résorbé
avec les siècles, mais est-il devenu cela même à
partir de quoi on peut penser le monde moderne, monde de la destruction
tranquille, scientifique, sans culpabilité; monde de l’expansion
narcissique qui dénie tous les liens avec autrui et qui fait
de l’autre un être à exploiter, dont la souffrance
peut être source de jouissance ou à tout le moins d’indifférence
?
Pour l’auteur, ces interrogations s’articulent autour
d’une question de principe :
Pourquoi les hommes, se voulant guidés par le principe de
plaisir et par les pulsions de vie, aspirant à la paix, à
la liberté et à l’expression de leur individualité,
construisent-ils souvent des sociétés aliénantes
favorisant plus l’agression et la destruction que la vie communautaire
? Pourquoi les édifient-ils plus comme des organes de répression
que comme des ensembles où l’acceptation de la règle
favorise la réalisation de soi et la constitution d’une
identité à la fois solide et souple ?
POURQUOI FREUD?
Las œuvres psychologiques et sociologiques de Freud permettent
à l’auteur de trouver le fil conducteur qui lui sert
à s’orienter dans les méandres de ses expériences.
Ainsi, la référence essentielle est la théorie
analytique freudienne, puisqu’elle lui fournit la majorité
des concepts “ transpécifiques ” dont E. Enriquez
a eu besoin pour mener à bien sa tâche. Il considère
que la théorie de Freud est capable de relier les processus
individuels au fonctionnement des groupes et aux régulations
sociales. Bien que l’auteur ne se soit pas attardé
dans une étude stricte de tous les travaux où Freud
pose le problème de la naissance ou de la possibilité
de la culture, l’auteur a l’intention d’analyser
systématiquement l’œuvre freudienne afin de tenter
de repérer et de montrer clairement les questions fondamentales
posées par Freud sur la nature et les modalités des
liens sociaux. Mais, E. Enriquez ne croit pas que Freud ait tout
dit (d’ailleurs Freud lui-même pense que son travail
est resté inachevé), au contraire, cette recherche
accepte l’invitation de Freud à “ continuer son
labeur ”.
QUELLES SONT LES RAISONS DU CHOIX DE FREUD ?
Car Freud a démontré que:
1 .L’être humain est un être pulsionnel et un
être social (caractéristique essentielle), c’est
pourquoi ses pulsions entrent dans le jeu de la construction de
l’identité.
2. Tout être humain est constamment écartelé
(et c’est cet écartèlement même qui le
définit en tant humain) entre la reconnaissance de son désir
et le désir de reconnaissance. Les pulsions qui abîment
seront obligées, pour trouver satisfaction, de passer par
l’existence d’autrui. Autrui seulement peut accepter
son désir comme tel et le reconnaître comme porteur
de ce désir, autrui seulement peut l’assurer de sa
place dans la symbolique social dans la mesure où il a accepté
de le prendre peu ou prou comme modèle.
3) Le pulsionnel est donc ce qui met en mouvement un organisme,
mais en même temps ce qui vise l’autre en tant que celui-ci
peut reconnaître le désir ou peut répondre au
désir de reconnaissance.
4) Le bonheur humain est déjà limité par la
constitution culturelle et naturelle, puisque l’expérience
quotidienne du malheur principal de tous les hommes est le fruit
de la rencontre avec les forces naturelles acharnées à
nous détruire, malheur provoqué par les rapports que
nous entretenons avec nos semblables.
5) L’être humain tente de satisfaire son besoin d’agression
aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail
sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans
son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier,
de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer.
6) Aucune civilisation n’a cru qu’il etait possible
de supprimer purement et simplement l’agressivité,
au contraire elle l’utilise pour renfoncer la cohésion
du groupe en lui permettant de traiter les étrangers en ennemis
dont il peut se moquer et qu’on a le droit de détruire.
(168)
En conclusion, le pulsionnel fonde l’être humain, ainsi
les théories des pulsions et des processus identificatoires
s’avèrent indispensables pour comprendre les deux ordres
de réalité: le psychique et le social. D’où
la pertinence de la pensée freudienne pour définir
le champ spécifique de la recherche.
PARCOURS DE L’AUTEUR
Relecture des œuvres de Freud qui traitent des phénomènes
collectifs, de leur naissance, de leurs avatars, de leurs significations.
Elaboration d’une théorie du lien social remarquant
: a) le lien social comme lien classificatoire, ouvrant sur la réciprocité
et la reconnaissance de l’altérité, et simultanément
comme instrument de séparation et de pouvoir des groupes
sociaux – paradigme de la domination de las femmes et des
jeunes; b) comment la puissance s’est inscrite dans la domination
des hommes sur la nature; définition d’un sacré
transcendant institué par les religions monothéistes
immanentes et libération des énergies pulsionnelles
nécessaires à la construction sur la terre d’un
royaume paradisiaque.
L’étude du pouvoir dans les sociétés
modernes en remarquant : a) les conséquences du passage des
sociétés régies par le mythe à des sociétés
où l’historicité est reine et où l’économie
est prépondérante; b) disparition de tout principe
transcendant dans le domaine de la politique (qui a le droit de
promulguer la loi) et l’économie ( pour rétablir
des différences d’un mode égalitaire) ; c) la
forme dans laquelle la société civile donnant la primauté
au monde des affaires risque d’engendrer la lutte de tous
contre tous (apparition de nouvelles sphères du sacré
: l’argent, le travail, l’organisation industriel);
d) la forme dans laquelle les hommes ont été conduits
a créer un nouveau principe transcendant l’“
Etat ” ; e) le fonctionnement de l’Etat –comme
des autres institutions- mécanismes de pouvoir fondés
sur le division de la société globale ainsi que sur
la psyché individuelle par le fonctionnement de la pulsion
de mort : application de cette théorie à un brève
étude sur l’Etat nazi, négation social de lien
social, Etat par et pour la destruction.
Conclusion: toute constitution du social est une relation de domination,
et plus on exacerbe la poursuite du social plus le système
de domination est puissant. Donc, l’idée de solidarité
comme fondement de la politique actuelle est un leurre.
LES LIVRES DE FREUD ET LES CONSIDERATIONS DE E. ENRIQUEZ
Totem et Tabou : ici Freud a tracé une nouvelle voie pour
la spéculation philosophique, pour la réflexion sur
le social et sur la culture, une nouvelle voie pour l’analyse
de ce qui empêche radicalement le bonheur de l’humanité:
la persistance du désir de meurtre, de Thanatos. On y décrit
l’émergence de la civilisation, des interdits et des
normes. Pour Freud, l’avènement du social relaie de
l’union par le crime qu’effectuent les hommes quand
ils vivent en horde 2 . Ce crime-ci engendre le lien social entre
les hommes (frères), crime qui met en forme le totem par
l’instauration des tabous 3. C’est de cette manière
qu’apparaît, selon Freud, le repère, le crime
commis en commun, autour duquel le groupe s’organise 4. Mais
Freud souligne que cette décision montre que la nature humaine
est ambivalente devant les normes instaurées par la culture
puisqu’il y a en lui deux pulsions antagonistes. Là
aussi, il faut remarquer que pour l’apparition de la spiritualité
Freud insiste sur l’importance des idées, du narcissisme
5 et de l’art. Il remarque notamment la force stimulante des
idées, puissamment investies par l’affectivité
et intensément représentés par l’intelligence,
pour se transformer en des phénomènes réels
et concrets. C’est sur ce fondement que Freud développe
sa théorie de l’ordre culturel 6 .
Psychologie des foules et analyse du moi. Ce livre présente
les éléments fondamentaux du fonctionnement des groupes
et des organisations. Il envisage les mécanismes des structures
sociales et s’intéresse particulièrement à
la relation entre l’amour (eros) et la pulsion de mort (thanatos)
éléments fondamentaux dans l’organisation du
groupe. La première partie de cet ouvrage commence par un
coup de tonnerre : mise en question radicale de l’opposition
traditionnelle entre psychologie individuelle et psychologie sociale.
A ce sujet, trois remarques : a) l’impossibilité d’une
démarcation stricte entre la psychologie sociale et psychologie
individuelle. Freud repère un champ propre à la psychologie
individuelle (se situant pratiquement en dehors de la psychologie
sociale) pour étudier ces phénomènes (narcissiques)
qui ressortent des désirs des sujets (77) , mais au même
temps il établit une liaison (et non une opposition) entre
la psychologie sociale (des foules) et psychologie individuelle;
b) les limites et le caractère subversif de la psychanalyse;
c) la mise à l’écart d’une sociologie
indifférente au problème de l’altérité.
L’enseignement que E. Enriquez retient est le suivant: l’avènement
du temps de la désillusion.
Il s’agit, en même temps, d’un texte inaugural
(fascinant, obscur, et incertain) pour une discipline nouvelle,
la psychosociologie : sciences des groupes, des organisations et
des institutions (114). Il convient de s’attarder sur le problème
de l’altérité parce que c’est le point
de départ de l’œuvre de E. Enriquez. D’après
notre auteur, Freud pense les sciences sociales à partir
de l’altérité, quoique ce ne soit pas le mot
qu’il emploie. Pourtant, il est légitime de parler
d’altérité pour désigner les modalités
spécifiques, mais non générales, par lesquelles
nous entrons en contact avec l’autre en acceptant de le voir
dans sa singularité et non plus comme un simple instrument
au service nos envies. L’altérité englobe également
les modalités selon lesquelles nous apparaissons aux autres
êtres humains dans notre différence et notre unicité.
En essayant de préciser le champ spécifique de la
psychologie sociale, Freud signale les quatre rôles possibles
d’autrui vis-à-vis de tout homme, qui constituent ensemble
des modalités spécifiques de la relation autrui :
Modèle, objet, soutien et adversaire. Ce dernier rôle
est fondamental par E. Enriquez. Autrui n’existe que dans
la mesure où il existe pour nous, ce qui signifie qu’une
forme d’attachement « identification, amour, solidarité,
hostilité » est indispensable pour continuer en rapport
avec autrui. La relation à autrui suppose un lien libidinal,
un investissement affectif. Autrui n’est donc pas un être
indifférent dans le sens où il ne provoque en nous
aucune émotion ou aucun sentiment, il n’est pas un
être totalement distant de nous (le chef de la horde ne peut
être senti comme autrui). C’est à la lumière
de ces idées que la psychologie sociale peut être envisagée
comme l’étude des formes de l’altérité.
Un autre point sur lequel nous devons insister, c’est la part
essentielle qu’il faut faire à l’illusion dans
la caractérisation de la foule et de la organisation sociale.
L’emprise de l’illusion est décomposée
en trois éléments : la force magique de mots (83);
la disparition de la notion d’impossible pour l’individu
(84) et l’installation dans la certitude et non pas dans la
quête des savoir 7. Dans la deuxième partie de cette
œuvre, E. Enriquez se penche sur les point suivants. Premièrement,
a) il n’existe d’organisation que dans le mesure où
tous ses membres partagent le même mirage ou illusion ; b)
l’amour et l’idée d’amour égalitaire
envers tous les membres permet la création et la permanence
des liens au sein d’un groupe. Grâce a l’amour,
le groupe acquiert une cohésion autour d’un pouvoir
; l’amour explique également l’absence de liberté
qui caractérise les individus faisant partie d’une
organisation (l’Eglise et l’armée ont été
enisagés pour illustrer cette idée) ; c) La fraternité
virile est le signe emblématique de tout groupe social. Cet
amour désexualisé enlève sa place à
la femme, la relation amoureuse étant ainsi reléguée
à l’extérieur de l’organisation. E. Enriquez
conclut que le lien social crée des individus taillés
sur le même patron, que les sentiments hostiles qui pourraient
naître du fait même que tout sentiment est ambivalent
(par le biais de ce que Freud appelle le narcissisme des petites
différences, acte psychique) renforcent la cohésion
du groupe et placent celui-ci en position de guerre potentielle
avec les étrangers, perçus comme des ennemis. Bref,
une organisation pour exister et pour durer a donc besoin de se
construire des ennemis, autrement dit tout groupe n’ existe
que dans un champ de guerre généralisée où
les situations de domination-soumission se fondent autour d’un
chef 8 (réel ou imaginaire) qui canalise les sentiments hostiles
y les transforme en des sentiments de respect, d’admiration
et de vénération (95). Dans la troisième et
dernière partie de son exposé, E. Enriquez prend ses
distances vis-à-vis de Freud en soutenant que la forme qu’ont
les individus de vivre leurs contradictions face aux exigences de
la foule est actuellement très éloignée des
descriptions freudiennes fondées sur les notions de névroses
individuelles et collectives.
L’avenir d’ une illusion: E. Enriquez estime que cette
œuvre est capitale, car pour la première fois Freud
adopte une posture normative, il essaie de convaincre le lecteur
de se défaire de l’illusion religieuse qu’il
considère comme la pire catastrophe pour l’humanité.
Il s’institue en mentor et censeur de l’humanité
9. Freud décrit et critique l’illusion religieuse comme
un phénomène essentiel du processus civilisateur.
Il montre les fondements de l’illusion religieuse en mettant
en évidence ce qu’est l’homme vis-à-vis
de la nature, leur rapport spontané, le destin et la faiblesse
humaines. Ce qui est étrange, comme le souligne E. Enriquez,
c’est que Freud tout en dénonçant les dangers
que comporte l’illusion religieuse fait appel à certains
mythes propres à rationalité scientifique, et d’ailleurs
Freud a fini par reconnaître qu’il remplaçait
une illusion par une autre 10.
On pourrait avancer que E. Enriquez déchiffre le problème
freudien : sortir de l’illusion religieuse. Freud cherche
à montrer qu’il est possible d’atteindre un monde
meilleur, mais il est conscient que ce monde se trouve ‘‘au-delà’’
des limites de la condition humaine, caractérisée
par l’ambivalence des sentiments, par son inconstance vis-à-vis
des idéaux qu’il ne parvient pas à assumer,
par la méconnaissance du fait que l’homme est dépassé
par le principe de plaisir. Selon E. Enriquez, Freud tombe dans
une sorte de cercle logique qui le conduit à formuler une
théorie (phylogénétique et ontogénétique)
pour rendre compte de la nature tragique du destin humain. C’est
pourquoi Freud affirme que le destin des hommes ne sera agréable
ni pour l’individu, ni pour les groupes, ni pour la humanité
civilisée (156). Cette position est cohérente par
rapport aux études menées par Freud sur les peuples
primitifs et par rapport à l’enseignement qu’il
en avait tiré : “aucune civilisation n’a cru
qu’il était possible de supprimer purement et simplement
l’agressivité. Au contraire, elle l’utilise pour
renfoncer la cohésion du groupe en lui permettant de traiter
les étrangers en ennemis dont on peut se moquer et qui on
a le droit de détruire. La civilisation adopte ainsi une
double stratégie: empêcher l’agressivité
de s’ exprimer entre les membres du groupe et au contraire
renforcer le lien libidinal et les identifications mutuelles, favoriser
les manifestions de la agressivité envers les autres groupes
qui deviennent non des adversaires respectable mais de ennemis,
des inférieurs et la cause de tous des maux dont souffre
le groupe.(165,6) . Apparaît ainsi l’essence même
de toute civilisation: la guerre généralisée.
, En prolongeant la pensée de Freud, il est permis de dire
que l’Etat (cristallisation dans des institutions stables
du lien groupal) ne peut naître ni se développer ni
se fortifier que par la guerre. C’est pourquoi l’existence
d’un Etat pacifique est impossible. Enfin, il est intéressant
de voir comment Freud, selon E. Enriquez, montre que le principe
guerrier inhérent à toute collectivité aboutit
à la constitution d’un Etat pourvu de l’autorité
nécessaire pour limiter les excès pulsionnels. Mais
l’Etat devient à son tour source de domination sur
une collectivité qu’il transforme en une masse programmable
et manipulable. La tragédie humaine provient de cette situation
sans issue. C’est pour cela que E. Enriquez parle du pessimisme
de la psychosociologie.
Malaise dans la civilisation : on peut dire que dans ce livre Freud
radicalise sa posture personnelle. Il affirme que la réconciliation
est impossible. Il n’est plus sûr que la civilisation
enfin parvenue à l’ère scientifique puisse trouver
une issue à la tragédie humaine. Cette œuvre
est placée sous le signe de la tragédie et de la fin
de l’espèce humaine et du processus civilisateur. En
un mot, Freud dit que “les civilisations deviennent névrotiques,
c’est-à-dire incapables de résoudre le conflit
engendré par les exigences de sur-moi collectif et les désirs
de bonheur de l’individu. Elles augmentent le malheur de chaque
être humain et en même temps elles ne sont pas en mesure
de faire prévaloir les comportements éthiques dont
les hommes se détournent (178). Nous vivons le moment glorieux
de la civilisation et le début de la décadence (179).
Pourtant Freud ne renonce pas à un idéal éthique
qu’il considère comme d’autant plus nécessaire
au maintien du groupe. Sa pensée libérale n’est
pas morte. Seulement, il n’envisage la liberté individuelle
que comme le terrain en ruines sur lequel s’élève
la civilisation. De ce point de vue, Freud engage son combat contre
l’antisémitisme, en dénonçant que la
position antisémite, cultivée par le christianisme,
exagère le statut d’étranger, la différenciation
entre les hommes exacerbant l’intolérance raciale et
la jalousie “provoquée” par un peuple qui prétendait
être le peuple élu de Dieu.(208)
La guerre et l’Etat. Selon E. Enriquez estime que ce travail
est la grande œuvre “sociologique” de Freud, qui
condense l’ensemble de sa réflexion méthodologique
et qui traite de l’histoire de son époque. Ce livre
aborde la question, aux yeux de Freud, insolite qu’est la
guerre entre des nations civilisées où il n’a
pas été nécessaire de considérer les
sociétés voisines comme étrangères pour
verser en elles tout le poison de la destruction. Cette considération
exprime le pessimisme freudien ou plutôt les limites de son
optimisme à l’égard de la pensée libérale.
E. Enriquez croit que Freud est amené à penser que
l’œuvre civilisatrice qu’il a vécue et étudiée
ne lui permet plus de soutenir que la civilisation repose essentiellement
sur le renoncement à la satisfaction pleine et entière
des pulsions de la part de les individus (218). Cette conclusion
suscite un sentiment de beauté tragique et inexorable. Mais
cette seule espérance est fort proche du désespoir.
POINT DE DEPART DE LA THESE E. ENRIQUEZ
Les principes organisateurs des conduites de l’être
humain :
L’essence de l’homme consiste en motions pulsionnelles
de nature élémentaire au départ, qui ne sont
ni “bonnes ni mauvaises” et qui donnent lieu au phénomène
de l’ambivalence affective. L’homme est donc rarement
tout à fait bon. Même les motions mauvaises dans l’enfance
peuvent être une condition de l’orientation vers le
bien. Les transformations de motions mauvaises manifestent l’action
d’un facteur intérieur (le besoin d’amour) et
d’un facteur extérieur (la pression de l’éducation
et de l’ambivalence culturelle) qui combinent leurs effets.
Les pulsions égoïstes sous cette double pression (érotique
et sociale) se transforment en pulsions sociales. En ce point, il
est à noter que la contrainte externe apparaît comme
seule opérante au début de l’histoire humaine.
En revanche, à l’heure actuelle on peut constater qu’une
« constante transposition de la contrainte externe en contrainte
interne » a lieu au cours de la vie individuelle. Et pourtant,
la nécessité constante dans la société
contemporaine de maintenir de mesures de contrôle (récompenses
ou châtiments) montre bien qu’aujourd’hui encore
un grand nombre d’individus ont une attitude qui répond
aux exigences de la vie civilisée uniquement parce qu’ils
sont habitues à obéir “sans que soit accompli
en eux un ennoblissement des pulsions », une transposition
de penchants égoïstes en penchants sociaux. Dans nos
sociétés policées, également, il n’existe
qu’« un petit nombre d’hommes chez lesquels les
penchants à la vie civilisée est devenu une propriété
organique ». C’est pourquoi lorsque l’Etat laisse
de côté ces règles morales (cette pression extérieure)
et que, de plus, il fait appel contre ses ennemis aux penchants
mauvais présents en l’homme, on constate avec quelle
extrême facilité les individus donnent « libre
cours à leurs penchants refoulés avides de satisfactions
». N’oublions pas que notre vie psychique peut donc
être, dans certaines circonstances, sous l’emprise d’une
« régression passagère ou durable ». Ce
qui est en jeu et ce qui fait problème est la nature, l’origine
et le devenir du lien social (238). E. Enriquez s’efforce
de prolonger la réflexion de Freud, afin d’élucider
ce qui permet au social de s’instaurer comme tel (quelles
que soient les formes historiques qu’il peut revêtir)
et de se maintenir (en favorisant l’existence de liens d’intérêt
comme de liens émotionnels. (238)
Malgré le caractère multiforme de la civilisation
et de la société, E. Enriquez tente, d’un côté,
de mettre évidence les principes généraux qui
président à l’organisation, au fonctionnement
et à la évolution de ces formes multiples, et donc
de préciser les questions générales impliquées
dans ces formes. D’un autre côté, il s’efforce
de dégager les conditions de production (la morphogenèse)
de ces différentes formes et les raisons de passage d’une
forme à une autre. Autrement dit, il s’agit de parvenir
à élucider les connotations impliquées dans
les notions de pouvoir, de sacré, d’Etat, afin d’éclairer
certaines des formes, des technologies et des modalités d’application
qui se posent comme référents de signification des
structures économiques et sociales des sociétés
primitives, Horde, jusqu’aux sociétés modernes
dont le fonctionnement est centré autour de l’Etat.
Autrement dit, le point de départ d’E. Enriquez est
de prolonger et d’approfondir l’étude de l’altérité
et de la reconnaissance à travers les questions suivantes
: comment reconnaître simultanément autrui et nous-mêmes?
comment situer nos places, nos rôles, nos relation ? comment
envisager et vivre nos rapports de violence ainsi que nos rapports
amoureux ? Car, l’auteur considère que l’expérience
vécue dans les rapports d’amour et de haine, d’alliance
et de compétition, de travail et de jeu, repose sur l’altérité.
LACUNES DE FREUD SELON E. ENRIQUEZ
Méconnaissance de l’œuvre civilisatrice
Méconnaissance de l’existence de formes sociales intermédiaires
entre l’individu et la société.
Croire que l’on peut démontrer que le collectif gît
au sein même du cœur de l’homme et que le social
ne peut être considéré en dehors des individus
qui en forment le tissu (223).
Freud ne dit rien sur: a) les mécanisme qui président
à la transformation des mauvais penchants en penchants altruistes;
b) la condition de régression. Enfin, il ne dit rien sur
les conditions qui amènent l’Etat à revendiquer
le monopole de la violence et de l’injustice, conditions qui
font que l’Etat ne peut pas être autre chose que cette
machine à engendrer des prescriptions, sans pour cela se
sentir obligé à respecter les règles qu’il
édicte. (222)
L’AXE CENTRAL DE L’INTERPRETATION DE FREUD
PAR EUGENE ENRIQUEZ
L’axe central de l’interprétation de Freud par
E. Enriquez apparaît au chapitre consacré au livre
intitulé “La Guerre et l’Amour”. E. Enriquez
considère qu’une des grandes contributions de Freud
à la psychosociologie consiste dans le fait qu’il suggère
qu’un des nœuds essentiels de la constitution du social.
E. Enriquez développe cette « allusion » en disant
que c’est “le manque d’intelligence des individus
liés à des phénomènes d’une part
de résistance affective, d’autre part d’appartenance
à un groupe large et la “crédulité enfantine
qui en résulte”. Ce que E. Enriquez découvre
chez Freud, c’est surtout l’idée selon laquelle
“le fonctionnement social est un fonctionnement passionnel
(et non rationnel) où sont à l’œuvre des
phénomènes de croyance et de mécanismes d’illusion
auxquels aucun être , aussi intelligent soit-il dans sa vie
individuelle, peut échapper”. C’est dans cette
perspective que E. Enriquez interprète et approfondit la
position freudienne : « ce que Freud proclame donc c’est
que l’essence du social, c’est la bêtise, l’obstination
dans la contrevérité, la tromperie… les sociétés
sont, par nature, réfractaires à tout effort de recherche
de la vérité. Les sociétés se fondent
sur un effort désespéré de tous leurs membres
de se tromper mutuellement, car elles ne peuvent exister qu’en
croyant posséder des certitudes, qu’en se situant à
la place de la vérité. Elles vivent des religions,
de mythes, de rites, de croyances, d’idéologies, de
slogans. Elles ne vivent pas de prise de conscience et élucidation.
Plus exactement, aucune société (dans la mesure même
où elle accepte de se confronter au processus historique)
ne peut faire l’économie d’une certaine clarification
des intérêts et de son fonctionnement ». E. Enriquez
cite alors Freud : « il est indéniable que notre civilisation
actuelle favorise dans des proportions extraordinaires le développement
de cette forme d’hypocrisie. On pourrait aller jusqu’à
affirmer qu’elle repose sur cette hypocrisie ». E. Enriquez
commente ceci en disant qu’il serait plus exact de dire que
la vie sociale ne peut être qu’hypocrisie, que travestissement,
que simulacre, que psychodrame. L’auteur n’hésite
pas à affirmer que « les sociétés sont
non seulement le résultat d’un crime commis en commun,
mais également d’un mensonge partagé. C’est
l’acceptation, mieux, le désir de mensonge qui permet
aux Etats d’entraîner les individus dans la guerre et
dans les réactions aveugles ». E. Enriquez conclut
que les rapports entre les individus et les nations deviendraient
« moins primitifs et moins brutaux » s’il existait,
comme dit Freud, « de tous côtes un peu plus de sincérité
et de franchise dans les relations des hommes entre eux et dans
les rapports entre les hommes et ceux qui les gouvernent ».
Mais, E . Enriquez souligne à quel point cette éventualité
est lointaine. Il ne faut se faire « illusion sur la possibilité
qu’une telle évolution advienne puisque ce n’est
ni le désir des êtres humains ni des Etats qui les
regroupent ». (223-225).
PRINCIPALES CONSIDERATIONS ET PREOCCUPATIONS DE EUGENE
ENRIQUEZ
1. L’altérité
Penser l’altérité implique étudier les
divers aspects de la question : politique (comment vivre avec?);
économique (quel travail accomplir et avec qui ?), Alliance
(avec qui avoir des rapports sexuels, avec qui se marier ?); existence
(puisque c’est par l’autre que j’existe, c’est
par l’autre que je peux être détruit, quel rapport
puis-je établir avec lui ?) Ainsi, le problème de
l’altérité, la culture l’a résolu
par le mise au point d’un système de classification
qui va se muer en système de séparation et enfin de
domination. (259)
2. Les systèmes de classification
Tous les systèmes de classification se fondent sur les deux
seules différences évidentes (perceptibles par les
hommes) : Les différences de sexes et la différence
de générations. Par contre, il est essentiel de noter
qu’il (système de classification) s’agit des
deux seuls ordres naturels qui soient en même temps ordonnateurs
de la culture 11 et de la pensée consciente 12 (261). Ainsi,
cette classification est donc à l’origine de tout lien
social, et est créatrice d’institutions d’exclusion
et d’inclusion. L’autre, une fois reconnu, provoque
« crainte et tremblement ». « Il peut être
non le partenaire loyal, mais l’adversaire, voire l’ennemi,
il peut vouloir le retour de l’indifférencié,
le retour du même. Aussi la reconnaissance ne peut-elle jamais
aller jusqu’au bout de sa logique » (269). En ce sens,
les sociétés humaines passent insensiblement d’un
système de classification à un système de séparation
et à un système de domination par la violence sacrificielle
et la violence dominatrice qui en édifiant le sacré
autour du narcissisme individuel et groupal garantit l’établissement
d’une illusions du lien durable, par exemple : le normal et
le fou, le citoyen et le métèque, l’homme honnête
et le criminel, le conformiste et le déviant, l’homme
et l’eunuque, etc. (268, 269 ) 13
3.Caractéristiques du nouvel ordre social
L’ordre social se fonde sur la symbolisation et le refoulement.
Pas d’ordre sans paroles interdictrices et sans paroles de
références, pas d’ordre sans tabous et sans
domaines permis. Or la femme (mère o fille) menace l’ordre
social lorsqu’elle énonce le primat de la jouissance
de la relation corps à corps, de la relation duelle, de la
réalité sur les mots, les représentations et
la relation tierce. L’homme ne peut qu’être fasciné
et terrorisé par la menace que la féminité
précoce fait courir au règne de la loi et de l’ordre(283).
L’homme rejette les femmes dans la nature pour pouvoir fonder
une société sans passion, une société
industrieuse, un fonctionnement solidaire (385). Autrement dit,
pour l’homme, la femme est « l’autre » plus
que la partenaire complémentaire. En raison même de
sa situation d’altérité, la femme est définie
comme un élément dangereux et antagoniste (307). En
particulier au début de la révolution industrielle,
en mettant la femme au travail, en l’obligeant à s’occuper
de choses les moins intéressantes, en entraînant chez
elle une grande fatigue psychique l’homme la rend inoffensive,
sans affectif sexuel, sans capacité de absorption. Il faut
dire que la domination des femmes et la domination des jeunes est
indispensable à la reproduction de la société.
4.L’apparition des religions de l’immanence
et de la sensualité, et de la transcendance et de l’intellect
: Changement en la relation homme-nature.
L’implication personnelle et corporelle dans les rapports
aux plantes et aux animaux également s’altéra,
avec la relation au monde primitif. En arraisonnant la nature, l’homme
passe du règne de la qualité au règne de la
quantité, de la production indispensable à la création
de “besoins infinis” du travail comme occupation, au
travail comme obligation pour un certain nombre. Moins l’homme
est lié à la nature, plus il domestiquera les autres
hommes. Les plans de développement de la technocratie actuelle
en sont le témoignage le plus évident (353). Autrement
dit, si la relation à la nature est un rapport aux dieux,
à l’espace, au temps et aux autres êtres vivants
; sa disparition amène le crépuscule de dieux (et
leur remplacement par le veau d’or). En autres mots, l’homme
nie ainsi sa dette à la nature, exclut qu’elle puisse
l’envahir lui aussi et en faire le sujet de débordements
non réglés. Il se situe comme être de culture,
de savoir, de pouvoir ; autrement dit être à purifier
chaque fois qu’il manquerait (de par son fait ou par hasard)
à ses commandements. (361) Le système de domination
de la culture est parvenu à un tel degré, qu’il
a rompu les limites du sacré, puis les pulsions ludiques
et agressives finiront par y trouver leur place, et feront accéder
tous à la jouissance ; ce qui facilite le renouvellement
de l’ordre social (individuel et institutionnel) en dehors
des sphères d’autonomie délimitées par
le sacré. Ainsi, la civilisation est resté dans le
domaine profane. Face à ce désordre naissent les religions
monothéistes de la immanence et de la sensualité,
et de la transcendance et de l’intellect 14. En conclusion,
le seul rapport possible est un rapport de subordination de l’homme
à Dieu, de la nature aux hommes. Les choses sensibles n’ont
pas d’importance, seul le langage est pris en compte, car
il exprime la loi du seigneur ; La spiritualité est la seule
manifestation humaine reconnaissable pour Dieu. (378)
Conséquences de l’émergence des religions
Les conséquences de l’émergence des religions:
a) l’homme devient possesseur et maître de la nature
pour la plus grande gloire de Dieu ; b) il faudra la venue du messie,
sur terre (différence entre les religions immanentes et transcendantes)
; c) instauration ou institution de la nomocratie ; ceci ne permet
pas à l’homme de devenir transformateur de la nature,
il a placé chaque être dans une situation de culpabilité,
D) Il a l’habitude d’une obéissance scrupuleuse.
En bref, les religions monothéistes ont posé les premiers
jalons de la subordination totale et de rationalisation. Il faut
remarquer que l’acteur soutient que pour la création
d’une sphère de sacré à la fois transcendant
et immanent, le christianisme termine et transforme l’œuvre
du judaïsme. Tous les peuples (et non un seul) sont liés
et sous la dépendance de Dieu et celui-ci s’exprime
dans l’Eglise –corps de Dieu ; tous les hommes sont
donc invités à accepter les injonctions, à
reprendre la parole de Dieu 15. En conclusion, avec le triomphe
du monothéisme commence l’histoire de l’aliénation
et de l’exploitation de tous les hommes.
5.L’apparition d’Etat
L’Etat apparaît uniquement dans un monde où
l’argent, le travail, l’organisation industrielle sont
devenues des valeurs sacrées destinées à mettre
(428) de l’ordre dans la société civile et à
réguler ses passions ; d’un autre côté,
l’Etat donne au peuple le corps physique (l’appareil
bureaucratique) et mystique (l’idée de nation et de
patrie) qui, s’il faisait défaut, entraînerait
la division du peuple en catégories et en classes antagonistes
: l’Etat se présente donc comme le corps indispensable,
où les multiples différences, au lieu d’être
en rivalité, tendront à conjuguer leurs efforts. Dans
tous les cas, l’Etat moderne dans ses formes développées
va surgir comme une nécessité puisqu’il doit
proposer à l’ensemble du peuple une image de lui-même
dans laquelle ce dernier puisse se reconnaître, à laquelle
il puisse adhérer. Il va donc être obligé de
prendre, contrairement aux Etats d’avant la révolution,
le contrôle de l’activité de l’intégralité
de ses membres et à pénétrer dans toute l’épaisseur
du social. (428,429)
Types de régime politique
Il y a six types de régime politique : Les Etats de démocratie
libérale, les Etats de démocratie programmée,
les Etats despotiques, l’Etats militaristes, les Etats dictatoriaux,
les Etats totalitaires. De manière générale,
on peut dire, que malgré les différences remarquées
par E. Enriquez, ces divers types d’Etat révèlent
tous d’un projet commun : celui de construire un appareil
étatique de plus en plus important qui, d’une part
va s’autonomiser progressivement par rapport au peuple, parler
un langage spécifique (le langage du politique qui va devenir
dominant et à faire disparaître celui de la praxis
sociale) tenter d’apporter une réponse à toute
question et, d’autre part, va se multiplier en une prolifération
d’institutions (462). Cf. le tableau que nous propose l’auteur,
p.464.
Les Modes de Contrôle d’Etat
Les types d’Etat vont avoir pour rôle de mettre le
peuple en surveillance et sous un contrôle plus ou moins complet.
Il est possible de distinguer sept grands modes de contrôle
dont l’utilisation disjonctive ou cumulative sera une garantie
pour l’appareil du maintien de son emprise 16. Les modes de
contrôle sont : a) le contrôle direct (physique)- par
la violence ; b) le contrôle organisationnel - par la machinerie
bureaucratique ; c) le contrôle des résultats - par
la compétition économique ; d) le contrôle idéologique-
par la manifestation de l’adhésion ; e) le contrôle
d’amour avec ses deux variantes, fascination et séduction-
par l’identification totale ou l’expression de la confiance
; f) le contrôle par saturation - par la diffusion d’un
seul texte répété indéfiniment ; g)
le contrôle par dissuasion - par la mise en place d’un
système de fichage et par un appareil policier qui déroute
tout désir de contestation. Les différents types d’Etat
peuvent combiner (et combinent toujours) divers modes de contrôle
et peuvent toujours, en s’infléchissant et en évoluant,
adopter des modes de contrôle qui ne semblent pas appartenir,
au départ, à leur essence. E. Enriquez nous dit, que
ces types d’Etat ont une valeur indicative. Donner à
cette typologie plus d’importance serait lui conférer
le rôle d’un « type idéal », ce qui
ne saurait pas lui être attribué. Cf. le tableau que
nous propose l’auteur, p.476.
6.Le pouvoir
Le pouvoir est le résultat de l’utilisation et de
la multiplication des techniques de contrôle dans l’organisation
de l’Etat-Nation. Ainsi, E. Enriquez avait essayé de
montrer en quoi les techniques et les méthodes utilisées
avaient pour objectif de produire certains effets dans la relation
du peuple à l’institution étatique, conduisant
à l’émergence de certains comportements privilégiés,
de modalités variées d’activités fantasmatiques
et même à l’élaboration de conceptions
du monde visant à donner au « réel » une
cohérence qui ne peut que lui faire défaut. Mais E.
Enriquez ne croit pas que telles méthodes puissent être,
dans tous les cas, maniées consciemment, ni que les groupes
ou individus puissent en avoir une véritable maîtrise,
même si c’est bien là leur désir le plus
violent. Elles ne peuvent se comprendre que comme l’expression
du travail de la pulsion de mort (dans la mesure même où
le pouvoir exige ou, à tout le moins, prescrit certains types
de comportements et piège les individus dans le miroir qu’il
leur offre) et de la libido permettant le travail de liaison des
groupes avec leurs chefs et des individus entre eux. Elles sont
de ce fait révélatrices du jeu des pulsions dans l’histoire,
des essais de maîtrise de ce jeu par les groupes humains et
des conséquences plus ou moins fastes ou néfastes
de ces tentatives toujours à recommencer, les pulsions menant
les hommes et échappant toujours par quelque côté
à leur volonté de contrôle et d’appropriation.
(477,478)
Le pouvoir et son discours
Le pouvoir est discours, parole inaugurale, créateur d’un
monde. S’il est d’abord discours de la violence directe,
de la « lutte à mort de pur prestige » il devient
ensuite discours de savoir. Du pouvoir on ne peut rien comprendre
si on ne le saisit pas comme technique d’asservissement par
la seule parole… Le désir de pouvoir est d’essence
narcissique, il est « désir de l’Un, utopie unitaire,
totalisation idéale ». Le monde créé
par le pouvoir, c’est d’abord un monde de l’uniformité
: la visée de tout pouvoir porté à son extrémité,
c’est l’empire universel et homogène. (478)
Pouvoir et vision du monde
Le monde créé par le pouvoir est le monde de la production
et du temps mesuré dans l’univers du travail, le monde
de l’aliénation et de l’exploitation (troisième
aspect de la pulsion du mort : destruction des individus), de la
culpabilisation générale par la formation d’un
surmoi collectif particulièrement cruel (cinquième
aspect de la pulsion de mort). Enfin, le monde créé
par le pouvoir est un monde dominé par la nécessité
du secret. Tout savoir divulgué perd son efficacité
et sa vertu, le peut-être mis en doute est remis en cause,
peut-être considéré comme hypothèse provisoire
à retravailler. Le savoir secret, c’est la raison destructrice,
c’est la domination d’un groupe sur un autre. Le savoir
est toujours parole de maître, et seul le secret peut l’en
assurer. (480).
7. L’Etat et la configuration du pouvoir
L’Etat universel et homogène, s’il est à
l’ordre du jour et s’il représente la tentation
constante de tout Etat à vocation « impériale
», E. Enriquez pense qu’il n’est sans doute pas
encore notre réalité quotidienne, bien que celle-ci
s’en rapproche régulièrement, le développement
d’un système économique mondial favorisant la
construction d’un ensemble à conduites collectives
similaires. Par contre, l’auteur estime que ce type d’Etat
est vraisemblablement notre réalité de demain. Un
tel monde ne peut être régi que par des formes de pouvoir
permettant à la pulsion de mort de s’exprimer. E. Enriquez
nomme ceci le pouvoir paranoïaque et le pouvoir pervers.
Le monde paranoïaque créé par l’Etat
Le modèle paranoïaque est doublement caractérisé
:
D’abord par la position paranoïaque. Celle-ci est divisée
à son tour en trois éléments :
A1) le paranoïaque dans ses rapports à la loi, qui
est le cas des prophètes et des messies. Ceux-ci se désignent
toujours comme les porte-parole de la véritable loi, qui
leur a été soufflée par une instance mythique.
Ils sont donc fondamentalement inspirés, illuminés
par cette loi plus haute (toute-puissante) qui doit devenir celle
régissant la nouvelle civilisation dont ils sont les annonciateurs.
Qu’ils soient inspirés par Dieu ou par la nature, ils
ne font que dire à haute et intelligible voix un message
qui les dépasse. (Hitler ; Wilson ; Schreber) ;
A2) le discours Paranoïaque qui est révélateur
de la vérité, cache des choses et des êtres.
C’est un discours extrêmement argumenté (parfois
de manière obsessionnelle), clos sur lui-même, immuable,
prophétique et parlant d’une société
future idéalisée : Il décrit ainsi dans le
détail un système politique utopique dont toute la
folie sera du vouloir être réalisé (Mein Kampf)
; ce discours annonce un « grand dessein » à
accomplir dans le fracas des armes… Ainsi le paranoïaque
est l’unique, le parfait, le pur, il comble tous les désirs
et le monde dont il se veut l’accoucheur sera parfaitement
cohérent et harmonieux. En bref, il est le lien social incarné
;
A3) la psychologie du paranoïaque, la toute-puissance manifestée
est la marque d’une impuissance ressentie et le signe d’une
homosexualité passive : le paranoïaque est pénétré
(par la parole ou par les rayons de Dieu). On peut avancer qu’il
est totalement livré au père idéalisé
(et à l’image de la mère archaïque dévorante
qui se profile derrière). Persécuté par ces
figures terrifiantes, il s’identifie à elles (identification
avec l’agresseur), ce qui lui permet de se restructurer, de
reprendre confiance en lui et de transférer leur puissance
supposée dans son corps et son esprit : livré lui-même
à ses persécuteurs, les autres doivent lui être
livrés corps et âme : seule la relation duelle ne remettant
pas en cause son identité peut l’assurer de son pouvoir
de fascination et de pénétration des autres.
B) Paranoïa et système social. Pour E. Enriquez, toute
société dans sa volonté de représentation
unifiée, possède des tendances paranoïaques et
produit (suscite) des discours de cet ordre. Mais il considère
que si les sociétés modernes acceptent aussi facilement
le discours et la conduite paranoïaques, c’est parce
qu’elles sont des sociétés chaotiques, continuellement
bouleversées par les sciences et la technologie, par la lutte
de classes, les révolutions et les coups d’Etat, donc,
des sociétés où chacun est pris dans un tourbillon
et se sent vaciller. Tous ceux qui énoncent un discours du
plein, de l’harmonie, du consensus (et de l’exclusion
des ‘‘impurs’’ et des ‘‘traîtres’’)
sont particulièrement bien entendus. Une raison réside
dans l’alliance que l’on peut dire essentielle et de
nature, entre discours paranoïaques et structure sociale. Car
ce discours est un discours sur le social, sur son fonctionnement,
et sur son fondement, et il n’est que cela. Il est très
important de remarquer que E. Enriquez soutient que ce qui se passe
au niveau des Etats trouve sa traduction à l’intérieur
des organisations et de groupes. Les organisations industrielles
ou administratives se doivent de devenir les meilleures, les plus
compétitives. Seul peut être accepté en leur
sein le discours de la certitude et du bien fondé de leur
action. Elles se présentent comme détentrices de la
vérité et comme le bon objet, les autres cristallisant
au contraire le ‘‘négatif’’ et étant
perçues comme le mauvais objet … (486). Enfin, pour
E.Enriquez, toute structure est d’ailleurs traversée
à un moment ou à un autre par un désir de type
paranoïaque : paranoïa et système social sont consubstantiellement
liés. Promettant le changement du monde et un avenir meilleur,
la rédemption pour tous, la négation de la mort et
l’installation dans l’imaginaire (en proclamant que
tout est possible), la guerre générale et l’apocalypse
pour les impurs…Proposant un ordre, une loi intangible qui
a réponse à tout, une grande entreprise, le savoir
paranoïaque produit des systèmes sociaux et est produit
par eux. Tout système social, en particulier moderne, n’a-t-il
pas besoin d’un but, d’une croyance, de règles
de fonctionnement ? Le savoir paranoïaque les fournit et il
donne en supplément la réassurance narcissique, l’abandon
du risque, un culte commun et sa suppression de tout sentiment de
culpabilité. (490)
Le monde pervers crée par l’Etat
Le modèle pervers a deux caractéristiques :
La position perverse, celle-ci à son tour comprend trois
éléments :
A1) Le pervers dans ses rapports à la loi. Le pervers ne
connaît d’autre loi que celle de son désir. La
seule loi possible est la loi de la jouissance. Par cette énonciation,
le pervers se retrouve comme capable de jouissance et simultanément
(du fait du déni) comme non assujetti à la loi d’un
autre, et comme le seul producteur de la loi : c’est en quoi
son déni va avoir force de loi pour lui comme pour autrui
;
A2) Le discours pervers :
a) les caractéristiques formelles : le discours est avant
tout rigoureux et aussi précis qu’un acte de procédure.
D’un côté, c’est un discours de la raison
en tant que le pervers est passé maître dans l’art
de la démonstration, car il lui faut convaincre autrui de
se plier à sa loi, non parce qu’elle reflète
son bon plaisir mais, comme disait Hegel, la raison en acte dans
le monde. C’est un discours plus rationnel que celui du paranoïaque
inspiré. D’un autre côté, c’est
un discours du cérémonial qui fait la volupté.
Le pervers a besoin d’un espace théâtral, d’accoutrements
précis, et identiques à chaque fois. Pour lui, seule
la répétition de la scène des gestes et de
l’apparat donne existence à la volupté. Sans
cette « cérémonie secrète », sans
les rituels qui l’accompagnent, sans la création d’un
monde « à lui » dont il est le seul maître,
le seul metteur en scène et le seul régisseur, il
serait renvoyé à la dramatique habituelle des autres
êtres humains, il chuterait de son rang de Dieu.
b) Le contenu de discours. C’est un discours de savoir. Le
pervers est un transmetteur de savoir. Le savoir énoncé
possède des propriétés spécifiques :
c’est non seulement un savoir organisationnel et réglementaire,
mais surtout un savoir comptable. Le pervers ne s’intéresse
qu’aux chiffres, au nombre de personnes détruites ou
séduites. Dans de telles conditions, les êtres humains
sont interchangeables, ils ne sont que des instruments ou ils doivent
le devenir. Le savoir qu’il annonce décrit d’avance
le modèle de la réalité : la réalité
doit se conformer au modèle construit. Si elle en diffère,
le modèle sera conservé. Le pervers fera tout pour
réintégrer la réalité dans ce schéma,
par la persuasion ou par la force. Aussi la société
qu’il encourage est-elle une société où
les seuls rapports « humains » seront des rapports,
« économiques » (chiffrables), où chacun
sera figé sur le taux de jouissance qu’il peut produire
et sur le nombre de ses contributions à la décharge
libertine,
A3) La psychologie du pervers. Il essaie d’abolir le hasard,
de tenir en main sa destinée et celle des autres. Il se situe
sur le plan de la maîtrise totale. Aussi est-il créateur
de lois, car sans nouvelles lois, il ne pourrait advenir ni organisation
ni jouissance. C’est souvent un homme froid, sans sentiments
(les autres sont des numéros), mû par un souci d’efficacité
et de répétitivité. Aussi est-il souvent un
fonctionnaire consciencieux, extrêmement tatillon, prêt
à exécuter à la lettre les directives (Eichmann
en fut un bon exemple) et à l’inverse du paranoïaque,
il ne veut pas procréer.
B) Perversion et système social. Pour E. Enriquez, la perversion
c’est le sexuel mis au service du pouvoir et de la mort. Ainsi,
l’homme est sourd aux sentiments et ouvert au seul fonctionnement
machinique. Comment ne pas reconnaître la perversion sous
ce masque journalier du bureaucrate (en partie) et, de façon
privilégiée, sous celui du technocrate ? Nous pouvons
voir avancer nos sociétés des rapports sociaux en
rapport d’argent et de marchandises. Elles ont été
créatrices d’individus se situant dans une position
perverse ou ont permis à de tels sujets de trouver dans la
structure sociale de quoi satisfaire leurs pulsions. Ce «
nouveau monde » est un monde qui nie la castration (puisque
chacun peut, s’il le désire, s’il est compétitif
et brillant, tout obtenir), qui maintient un clivage strict entre
la sphère du privé et la sphère du public et
qui l’installe au plus profond des individus. Monde qui veut
anticiper l’avenir, le soumettre à la raison conquérante
et aux modèles explicatifs élaborés par les
spécialistes de la mathématisation du réel,
qui est incapable lorsque la réalité dément
ses programmes de lui en substituer d’autres, et qui veut
instaurer sa maîtrise sur le comportement des individus, en
utilisant les techniques les plus variées. Le monde de la
raison, c’est aussi celui du contrat. Ainsi, la société
techno-bureaucratique instaure au travers de la raison et du contrat
un système fondé sur les échanges économiques.
Autrement dit, l’économique et l’instrumentalisation
arrivent à la place du sacré. Ceci permet de créer
le grand pervers et le petit pervers. (490-498). En bref, le pouvoir
pervers est donc celui de l’économie comme seule réalité
vitale, de la réification des rapports humains, de la transformation
de la scène, du triomphe éternel des instruments de
maîtrise de la nature et des hommes. (498) 17.
L’auteur considère donc, premièrement, que
le primat d’un monde où chacun tend à devenir
un objet pour l’autre est aussi à l’origine du
terrorisme 18, et deuxièmement, que les liens extrêmement
puissants se sont tissés et se tissent journellement entre
perversion et système social. La perversion se révèle
bien être, à côté de la paranoïa,
une des formes principales que revêt le pouvoir pour acquérir
sa puissance mortifère et légiférante. (501)
8. La relation amoureuse dans le champ social
La relation amoureuse permise dans le champ social ne peut être
qu’asymétrique (exception faite pour les groupes qui
essaient de vivre sous des modes coopératifs). Dans le champ
social l’amour ressenti ne peut avoir droit de cité
que pour un objet vénérable par définition,
c’est-à-dire offrant des caractéristiques en
dehors du commun (tel un chef charismatique) ou pour une cause.
(503) L’imaginaire familial favorise, chez les membres du
groupe, l’émergence de ce qui revêt l’apparence
d’une « identité œdipienne », de désir
de rivalité et d’acceptation de la castration, phénomènes
qui se traduisent par des comportements de compétition entre
pairs dont l’issue est l’occupation de la place du meilleur
fils. Mais la soumission spontanée n’a plus de bornes
puisqu’elle fonctionne sous le leurre de l’amour réciproque.
Le besoin de réciprocité engendre la possibilité
de relations totalement asymétriques. (505)
Les organisations vivent le bonheur de la création et le
bonheur de la destruction. Bonheur de la destruction car le processus
créateur est un processus des décombres. Construire
et détruire sont les deux faces d’une même activité
: Façonner le monde selon d’autres schémas imaginaires.
A partir de ce point de vue, E. Enriquez remarque que les grands
capitalistes du siècle dernier ont construit la société
industrielle sur le reniement des valeurs affectives et que les
technocrates actuels édifient leur société
« technectronique » en faisant disparaître le
milieu naturel. C’est pourquoi il propose la question suivante
: si donc une institution ou une organisation peut faire croire
qu’elle peut donner satisfaction, simultanément, aux
pulsions de mort, comment ses membres pourraient-ils ne pas accepter
et ne pas aimer ce qui leur donne plus que ce qu’ils auraient
pu à peine oser rêver ?.(507)
9. Société et harmonie
Toute société est, par essence, obsédée
par l’idée d’harmonie, de consensus, ou au moins,
de régulation ou d’injustice prévisible et donc
acceptable. L’aliénation est constitutive de l’être
humain vivant en société. L’aliénation
signifie donc aussi reconnaissance (même déformée)
des autres, existence des identifications, impossibilité
de parler tout seul, d’être sa propre voix (même
si chacun essaie de prendre les autres dans le filet de son propre
discours), acceptation d’être parlé par les autres
(même si on essaie de les faire taire) et de ne pas tomber
dans la parole folle de la toute-puissance. Le refus de l’aliénation
sociale, c’est l’apparition de l’aliénation
pathologique. En bref, l’aliénation se désignera
comme le mécanisme de coalescence des individus dans le corps
social unifié. (509)
CONSIDERATIONS FINALES DE EUGENE ENRIQUEZ
1. L’Etat nazi, dans sa lutte contre le judaïsme, n’a
fait qu’aller jusqu’au bout de la logique des Etats
modernes. Le génocide juif constitue un des éléments
essentiels du paradigme de la société qui se construit
sous nos yeux et nous fournit par anticipation l’image des
génocides actuels comme des génocides futurs. En un
mot, E. Enriquez, nous dit, que l’antisémitisme destructeur
est une nécessité de la société moderne.(521-
522)
2. Si le lien se crée dans la lutte contre l’indifférenciation
et dans la reconnaissance d’une certaine altérité,
cette appréhension de l’altérité reste
toujours tronquée et accompagnée de violence. Par
exemple, sur les femmes et sur les enfants. L’altérité
en tant qu’engagement à la réciprocité
totale n’existe nulle part. (523). Une altérité
trop évidente (comme celle des femmes) engendre la peur sinon
l’horreur. Elle oblige à une rencontre avec un autre,
véritablement autre (et qui a, en même temps, le visage
d’un semblable), capable d’exercer sa puissance spécifique
et ses maléfices propres et sur lequel aucun pouvoir n’a
véritablement de prise. Si nous sommes tous des êtres
différents, pourquoi devrions-nous estimer qu’un sujet
parce qu’il peut faire montre de qualités plus valorisées
socialement que les nôtres puisse se situer comme notre supérieur
?. (524)
3. Les nations ont besoin de victimes. Et il existe des victimes
privilégies (550). Tout groupe social pour trouver sa cohésion,
a besoin d’un ennemi et pour se réinstituer, pour se
fonder à nouveau sur une parole neuve, il doit nécessairement
avoir des ennemis à l’intérieur de lui-même.
Pour pouvoir se purifier, il faut avoir été souillé.
(552)
4. Le pouvoir fraternel est illusoire 19. E. Enriquez soutient
cette affirmation pour les raisons suivantes :
tout groupe, toute société nécessite extérioriser
sa violence interne ; la violence agressive et sexuelle est immanente
au groupe et a la société ;
aucun groupe ou société peut réaliser intégralement
le principe suivant : l’acceptation inconditionnelle des différences
; le droit à la parole pour toutes les catégories
sans discrimination d’âge ou de sexe (une forte capacité
à l’écoute attentive d’autrui, à
l’empathie entre les membres du groupe) ; permettant à
l’ensemble des sujets d’accéder aux sources d’information,
de les comprendre et de savoir les traiter (513,514) ;
parce que peu d’individus sont vraiment désireux de
se faire absorber définitivement par le fonctionnement collectif.
Toutes les organisations spontanées qui se sont créées
ont connu ce processus lent de dégradation, quand elles n’ont
pas vu leur expérience s’interrompre, du fait de l’action
du pouvoir central ;
pour que tout reste à un haut degré de fusion entre
les membres du groupe, il faudrait qu’ils soient unis dans
leurs différences et dans leurs essais de communications
les plus intenses possibles. Si cela était possible, E. Enriquez
signale plusieurs conséquences, par exemple : l’amour
disparaît pour faire place à la haine, à l’envie
ou à l’apathie ; la volonté de constituer un
groupe pur s’est substituée à la complaisance
dans la souillure indélébile ; le futur de l’autogestion
est dans sa dégradation et dans sa conversion en ce contre
quoi elle s’est instituée. (518). Eugène Enriquez
s’attache à dissiper l’illusion souvent dénoncée
mais inhérente au projet autogestionnaire : la création
d’une société transparente où les conflits
trouveraient toujours une solution, où la bonne volonté,
l’enthousiasme et l’amour, se présentant sans
leurs envers, permettraient à eux seuls de vaincre les obstacles,
où le problème de la violence interne au groupe ne
se poserait plus, les désirs de mort ayant disparu. (519)
5. L’Etat n’est plus alors le réceptacle d’une
partie de la volonté de ses citoyens, il n’est plus
que la forme moderne et sophistiquée de la horde, bafouant
ses propres lois, instituant l’arbitraire et l’injustice
comme mode normal de gouvernement, prenant tout et ne donnant rien,
ivre d’une force démultipliée par le développement
des sciences et de la technologie. Les exemples d’une telle
conversion de l’Etat sont multiples. On ne doit pas s’étonner,
l’Etat ayant trouvé son fondement dans la métabolisation
de la violence physique en violence symbolique. (586)
6. Les individus, les groupes et les classes ne forment jamais
ces masses totalement manipulables, toujours prêtes à
succomber à l’hypnose et à la séduction,
à courber l’échine devant les vainqueurs utilisant
la violence directe. Chacun à leur niveau exprime les résistances
des groupes sociaux au monolithisme de la pensée, à
l’omnipotence de l’Etat, à la surveillance et
au quadrillage social. Si l’histoire de l’humanité
ne se résume pas dans l’histoire de la lutte des classes,
elle ne se résume pas non plus dans l’investissement
massif de tous les champs d’action par des dominants, sûrs
d’eux-mêmes et n’ayant devant eux que des personnes
réclamant toujours plus d’asservissement. Le conflit
est l’essence même du social, la violence son fondement.
(592) E. Enriquez déclare : « je ne crois pas à
la destruction imminente. J’ai simplement voulu souligner
la puissance de destruction de l’homme dans son impossibilité
de résoudre la question de l’altérité
».
L'AUTEUR
Eugène ENRIQUEZ est professeur à la retraite de sociologie
à l'Université de Paris VII. Il est également
membre fondateur de l'ERIP, co-rédacteur en chef de la Revue
Internationale de psychosociologie. Il a écrit de nombreux
ouvrages sur le pouvoir dont "De la horde à l'Etat"
en 1983.
Ses autres écrits sont les suivants :
"La formation psychosociale dans les organisations" (1971)
"Le sexe du pouvoir"(1986)
"Les trois métiers impossibles" (1987)
"Les figures du Maîtres" (1991)
"L'Organisation en analyse" (1992)
‘‘Jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise’’
(1997)
COMMENTAIRE
De la horde à l’Etat est un texte qui nous permet
de réfléchir en profondeur sur la condition humaine
et sur le jeu de l’interaction sociale. L’étude
de la condition humaine nous révèle que nous devons
accepter le fait que l’être humain, quand il vient au
monde, est un être physiologiquement inachevé et que
c’est la culture qui l’enrichit d’une condition
individuelle et sociale grâce auxquelles cet homme ou cette
femme atteindra, si tel est son désir, l’autonomie
morale pour agir et s’accomplir en société.
Quant à l’interaction sociale, elle est par définition
le problème existentiel que connaissent tous les êtres
humains, tous les groupes sociaux et toutes les tentatives d’expansion
coloniale qui se sont déroulées au long de l’histoire
occidentale. C’est dans cette perspective qu’il devient
compréhensible l’acte d’agression ou de violence
interne ou externe par lequel les êtres humains et les groupes
sociaux réussissent à se mettre à distance
de leurs semblables et des étrangers, et donc à s’approprier
leur identité. C’est autour de ce drame propre à
la condition humaine que Eugène Enriquez a construit cet
excellent ouvrage qui décrit comment le processus de constitution
de l’identité individuelle et sociale ainsi que de
l’altérité humaine s’élaborent
tantôt dans les tréfonds de la nature humaine (inconsciente),
tantôt à l’intérieur de certaines formes
de pouvoir qui, appuyées sur une idéologie particulière,
cherchent à faire advenir un type d’homme particulier.
Pour résoudre l’énigme de l’apparition
du groupe et des organisations au milieu de l’altérité,
E. Enriquez fait appel à la psychosociologie freudienne à
l’aide de laquelle il est tout d’abord parvenu à
mettre au jour la notion d’asymétrie amoureuse entre
les êtres humains. Cette asymétrie n’est pas
en elle-même une perversion, puisque la nature humaine et
la culture n’ont d’autre ressort que cette asymétrie
fondamentale (exprimée à travers la violence exercée
à l’intérieur et à l’extérieur
du groupe) qui empêche une relation pleinement fraternelle
entre les divers individus et sociétés. Grâce
à la psychosociologie, il est venu ensuite à mettre
évidence que les rapports traditionnellement harmonieux entre
la civilisation et le milieu naturel (terre, végétaux,
animaux) sont devenus des relations paranoïaques et perverses.
La paranoïa et la perversion concernent non seulement le rapport
des sociétés à leur environnement mais également
le rapport des sociétés à elles-mêmes.
E. Enriquez montre notamment comment les principales thèses
de la religion monothéiste transcendante ont abouti en Occident
au développement d’un modèle « inclusion-exclusion
» de l’altérité dans le champ des liaisons
interpersonnelles (réification), qui a rendu possible l’apparition
de l’Etat en tant qu’institution administrant et imposant
la violence à l’intérieur et à l’extérieur
de territoires déterminés. De cette sorte, les Etats
en acceptant (de manière consciente ou inconsciente) le fait
que les hommes doivent continuer sur terre la tâche de Jésus,
ils accordent une place centrale au travail, à l’argent
et à l’organisation industrielle au détriment
de l’amélioration de relations concernant l’altérité
individuelle et collective. En outre, il explore succinctement les
formes au sein desquelles les relations humaines se réifient
dans l’organisation au profit de certains principes fondés,
d’abord, sur l’idéalisation de diverses idées
comme par exemple celle d’un marché parfait, et ensuite
sur un narcissisme des entrepreneurs, engendré par la force
de séduction d’un pouvoir pervers et paranoïaque,
narcissisme qui nie et qui méconnaît la diversité
caractéristique de l’identité culturelle et
individuelle de la plupart des acteurs participant à l’acte
du travail.
En s’appuyant sur ce double constat, E. Enriquez médite
l’évolution des sociétés occidentales
et les structures idéologiques et fonctionnelles qui ont
été élaborées en Occident afin de renforcer
les liens sociaux à petite et grande échelle. Sans
se laisser entraîner par le pessimisme et avec une grande
énergie, l’auteur observe que la civilisation occidentale
a fini par constituer un mode de vie centré autour de structures
de pouvoir qui entravent toujours davantage le processus de reconnaissance
de l’altérité de ceux qui ne partagent pas l’idéologie
technique-scientifique et de ceux qui mettent en cause l’outillage
de quantification, qui définissent les politiques globales
actuelles. A partir de cette perspective, nous pouvons penser et
comprendre les expressions éventuelles que peut prendre la
lutte pour les revendications des différentes utopies présentes
dans la civilisation occidentale.
Dans le cadre très spécifique des sciences de l’organisation,
nous estimons que ce livre nous dévoile, d’un côté,
l’inanité des invitations à instaurer un humanisme
qui ne tiendrait pas compte du drame de l’altérité,
et, d’un autre côté, les multiples barrières
humaines et culturelles qui empêchent une pleine reconnaissance
de l’autre dans l’acte du travail. C’est pourquoi
ce texte nous aide à surmonter l’illusion de l’autoévaluation
de la gestion d’entreprises et des techniques de reconnaissance
de la productivité du travailleur à la lumière
des paradigmes fonctionnalistes de notre époque.
En admettant les hypothèses proposées par E. Enriquez,
les chercheurs des sciences de l’administration pouvons contribuer
à étudier et à proposer des théories
et des techniques afin d’éviter que les organisations
demeurent des univers divergents et polarisés à l’intérieur
desquels les employés sont, d’un côté,
l’objet d’un discours mielleux et hypocrite (‘’le
précieux capital humain comme source de la qualité
totale’’) et, d’un autre côté, traités
comme source de régulation indéfinie du niveau de
profit ou de déficit à court terme, ce fameux court
terme.
Ces études et ces propositions ne changeront pas les structures
de pouvoir qui régissent le monde actuel, elles ne modifieront
en rien la logique non-fraternelle et le fonctionnalisme qui gouverne
les Etats moderne et le modèle de gestion opérationnelle
des organisations. Cependant, elles contribueraient à la
construction d’un modèle moins inhumain que le modèle
actuel. S’il est vrai qu’aucune société
ne peut faire disparaître les relations d’autorité,
de pouvoir et de subordination, il est vrai aussi qu’il viendra
le jour où nous pourrons développer un système
symbolique – séducteur – qui partira de la reconnaissance
de l’autre en tant que fondement de l’identité
individuelle et collective. Ce système sera gouverné
par une nouvelle ontologie et par un nouveau pouvoir respectueux
de l’ordre cosmologique propre et particulier à chacun
des stratus (chose, végétal, animal, humain, communauté,
histoire) qui le composent. Dans ce nouveau système, les
hommes pourront faire leur chemin, sans abandonner le lieu tragique
caractéristique de l’existence humaine, mais tout en
suivant les postulats de la gravité et de la responsabilité
qui demandent le respect de l’ami et de l’ennemi, de
l’homme connu et de l’homme inconnu.
Si nous terminons ce travail par une allusion à la nouvelle
ontologie et même à la phénoménologie,
c’est parce que ces deux perspectives peuvent servir à
compléter cette excellente étude que E. Enriquez nous
a livrée sur ce drame humain qu’est l’altérité.
Paris, le 19 mars 2004.
Direction Professeur : Y. Pesqueux
CNAM Paris 2003 / 2004
DEA DRH Changement organisationnel
Notes
1 Enriquez Eugène, De la horde à l’Etat Essai
de psychanalyse du lien social. Editions Gallimard, 1983, pp 690.
Les nombres entre parenthèses se réfèrent à
la pagination de ce livre.
2 Dans la horde, le lien libidinal n’existe pas, c’est
pour cela que dans la horde il n’y a pas de groupes. La horde
est régie par la violence pure et non par l’amour d’autrui
qui est impossible à ce niveau. Le crime, en faisant du chef
un père, le constitue autrui (à la fois objet d’amour
et de haine) ce qui permet la reconnaissance mutuelle et généralisation
d’autrui. Nous sommes donc passés du temps primordiel
(le grand temps régi par la répétition infinie
de mêmes actes et de mêmes pensées) de la horde,
nous sommes passés du monde centré sur les rapports
de force à un monde de rapports d’alliance et de solidarité.
Cette création sociale est accompagnée (précédée
/suivie) par l’expression de sentiments complexes : amour,
vénération, amitié, culpabilité. La
naissance du groupe est inconcevable sans la naissance corrélative
des sentiments. (48)
3 Le tabou est l’émergence du sacré, le consacré.
C’est à partir de celui-ci que s’observe le renoncement
nécessaire à l’apparition de la culture. Le
renoncement est corrélatif de l’apparition du sentiment
de culpabilité. Tous les deux donnent lieu à l’émergence
de la culture. Trois tabous son essentiels pour Freud: le tabou
des ennemis tués, le tabou des chefs, tabous des morts.
4 Un groupe n’est pensable et n’est cohésif
qu’à partir d’un projet commun. Ce projet est
animé par la lutte pour la reconnaissance, pour le désir
de conjurer une impuissance et d’échapper à
la fascination mortifère qui en eux subsiste, comme à
l’admiration et à la crainte devant l’omnipotence.
Le lien libidinal unit les fils dans la haine commune éprouvée
envers le père. La négation est l’origine de
tout groupe (comme de tout individu) en tant que tel et se pensant
comme tel, négation par la domination, négation totale
qui ne peut s’exprimer que par la destruction de l’autre.
(45)
5 Le narcissisme est la phase où le sujet se prend pour
objet d’amour et où autrui n’existe pas en tant
que tel (dans son altérité propre) mais seulement
comme instrument de la satisfaction du sujet, voire de sa volonté
de domination… L’homme narcisse, en voulant faire le
monde à son image, est amenée non seulement à
détruire les autres, mais également a se perdre, fasciné
qu’il est par lui-même. (55)
6 E. Enriquez répond dans son livre aux critiques formulées
par Lévi Straus à la pensée de Freud (65, 66).
7 E. Enriquez dit qu’en lisant Freud l’on comprend
que « ce que l’homme a crée depuis son arrivée
sur la terre, les sublimations qu’il a cru réussir
(sauf peut-être l’art et certainement la science) sont
des illusions qui lui coûtent cher: tout ce que l’homme
a accompli, sans volonté consciente (sans refoulement), en
se laissant aller à ses tendances inconscientes, ne peut
être que mauvais, puisque disparaissent alors la conscience
morale et le sentiment de responsabilité » (82,83)
8 Il faut remarquer que les groupes peuvent exister sans un chef
préalable (chef réel) à la condition qu’
ils puissent s’inventer un objet transcendant qui guide leur
vie (110). Nous ne devons pas oublier que le chef maîtrise
le langage, c’est pourquoi il peut être représenté
valablement par le message garant de l’existence du groupe
tel qu’il a désiré le créer. Les foules
s’appuient en idéologies qui lui fournissent une idée
du monde. Ces idéologies déterminent les réactions
collectives et individuelles par rapport à ce qui est idéologiquement
défini comme erronée, mystificateur ou susceptible
de rendre le monde décadent. Toute idéologie est donc
créatrice d’un nouvel espace imaginaire qui va susciter
certains projets et en décourager d’autres, qui va
instituer des valeurs, des normes de comportement et des orientations…
et qui permet la table rase et le recommencement du monde et un
avenir d’autant plus radieux qu’il élimine du
champ de la conscience des participants du groupe tout souvenir
des moments heureux et féconds qui ont été
vécus sous l’égide d’une autre idéologie,
et qu’elle promet l’impossible pour tous immédiatement
ou dans un délai extrêmement court. (109)
9 L’illusion est indifférente à la réalité.
Ces caractères de l’illusion – croyance motivée
par le désir, indifférence à la réalité
- constituent la sève dont elle tire sa force. De toutes
les illusions, l’illusion religieuse est la plus inexplicable
et la plus tenace, car c’est la seule qui se fonde sur l’amour
d’ un objet absent et invisible dont le rayonnement ne peut
ternir. Il est ici est très important de signaler que Freud
souligne les conséquences d’une éventuelle destruction
de l’illusion religieuse, par exemple: a) un homme sans inhibitions,
libéré de toute crainte, abandonnerait à ses
instincts asociaux, égoïstes, et chercherait à
établir son pouvoir sur le chaos, que nous avons banni par
un travail civilisateur millénaire; b) Si l’on veut
sortir d’un système doctrinal, le nouveau système
adoptera de l’origine toutes les caractères psychologiques
de la religion: sainteté, rigidité, intolérance
et la même interdiction de penser, en vue de se perpétrer.
E. Enriquez soutient que ces suppositions expriment en partie la
pensée de Freud. ”Toute civilisation est une lutte
contre le chaos”, contre les phantasmes primordiaux, contre
le désordre primitif, contre l’indifférence
de la violence originaire.
10 Marcuse, Detiene et Vernant, Koyré et bien sûr
Enriquez mettent en évidence cette contradiction présente
dans la pensée de Freud. En général, on peut
dire que la science rationnelle occidentale apparaît donc
comme une arme de guerre contre d’ anciens modes de penser,
de vouloir et de vivre de nos sociétés et contre également
les modes d’être et de réfléchir des sociétés
non-occidentales. Elle tend aussi a promouvoir des conduites standardisées,
prévisibles et programmables.
11 Pour comprendre la notion d’ordonnateurs de la culture,
il suffit, premièrement, d’observer que l’interdit
de l’inceste, l’interdit de tuer et de manger le père
s’arc-boutent sur la différence des sexes et de générations;
en tant que le système d’ alliance, de parenté
et de filiation trouve son point d’origine dans la différence
des sexes. Deuxièmement, ce sont des ordonnateurs de la culture
parce que « la non perception ou plus exactement la transgression
de ces différences replonge directement dans un monde du
mélange, de la non-discrimination et ouvre les portes toutes
grandes à la violence sans frein, au désir de toute-puissance
et à son corollaire, l’institution de la mort ».(261)
12 Ordonnateurs de la pensée consciente, puisque l’inconscient
ne connaît ni la différence de sexes, ni la différence
des générations. « L’inconscient, en tant
que fonctionnant sur une logique sans opposition, sans contradiction,
où toute chose peut être elle même et une autre,
sans repères chronologiques, est le monde du mélange,
de la force, de la démence. C’est en quoi il est source
d’ invention (l’homme étant sapiens-demens),
c’est en quoi il s’oppose également aux règles
de la vie sociale. Comme le retour au même entraîné
par la transgression des interdits, il n’ accepte pas la loi
du père et, par conséquent, empêche toute identification.
Le règne seul de l’inconscient, c’ est celui
des fragments, des intensités, des plaisirs temporaires et
violents, de morcellement des affects, de la loi des objets partiels
introjectés, c’est-à-dire l’impossibilité
de la conquête d’ une identité distincte ».
(263 et pp. 30 pp 622)
13 Eugène Enriquez souligne que les séparations ont
donné lieu soit à des exclusions pures « telles
celles de jeunes mâles célibataires non reproducteurs,
ils furent rejetés à la périphérie dans
les sociétés de primates », soit à des
« exclusions-inclusions », tel est le cas des ouvriers,
à la naissance du capitalisme, reconnus comme instruments
nécessaires à la production, mais traités comme
marchandises manipulables, corvéables et vendables, et exclus
de la citoyenneté, inclus dans le travail productif et exclus
de la sphère du vivant ». (269)
14 Face à l’impuissance qu’un monde étranger
au sacré engendre en l’homme, (les hommes quels ils
soient « même les prophètes » sont dans
un état de subordination par rapport a lui) la culture crée
une sphère intouchable, transcendante qui, en libérant
l’homme des idées de la magie, lui confie la tâche
de se rendre le maître du monde et de le soumettre à
la loi de créateur, pour réaliser le royaume de Dieu.
Ainsi, l’homme vit éclairé par les postulats
suivants: a) plus de rapport d’intimité avec la nature;
b) plus de transgression possible; c) plus de hommages (offrande,
sacrifices) à Dieu ou aux ancêtres; d) plus d’égalité
possible.
15 Cf. les pages 379 et suivantes.
16 Un des traits essentiels des Etats modernes est de vouloir homogénéiser
et de uniformiser le champ social par l’intermédiaire
de procédures de contrôle variées pour pouvoir
apparaître comme le seul sacré auquel tout le monde
doit se référer. (551)
17 Selon E. Enriquez, si la perversion est plus fréquente
dans les sociétés du type capitaliste et la paranoïa
dans les sociétés du type de « socialisme réel
», il serait pourtant erroné de penser qu’un
ensemble social puisse être caractérisé totalement
par une modalité de conduite individuelle et collective .
Cela ne pourrait être vrai que dans des systèmes totalement
clos n’admettant aucune variété en leur sein.
En fait, perversion et paranoïa peuvent se succéder
ou se compléter dans une même structure sociale. Elles
poursuivent de toute manière le même but : permettre
à thanatos de régner en maître souverain (501).
18 Par terrorisme, E. Enriquez n’entend pas ici les actions
que mènent, à juste titre ou non, des minorités
culturelles ou politiques dans la quête de reconnaissance
de leur identité (Irlandais, Bretons, Corses o Palestiniens),
il entend le mouvement de désordre ayant pour but d’une
part de prendre la société telle est au pied de la
lettre, d’autre part de réintroduire du prophétisme
et un « grand dessein ». (499)
19 A ce sujet, l’auteur nous dit « il n’est pas
question de nier les tentatives nombreuses qui ont jalonné
l’histoire des entreprises comme l’histoire des peuples
de gouvernement par les intéressés eux-mêmes,
décidant des orientations, prenant collectivement les décisions,
aptes à susciter enthousiasme, capables d’accepter
ou même de désirer un mode de rémunération
égalitaire, de procéder à une rotation des
fonctions ou des mandats exécutifs. Ces tentatives ont eu
lieu et elles ont souvent, par leur réussite temporaire,
alimenté l’espoir d’une société
qui se penserait fraternelle et qui parviendrait à la l’être.
(511)
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