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DE LA HORDE A L’ETAT (1)
W. Rojas Rojas
Présentation du livre de Enriquez

Origine : http://lipsor.cnam.fr/servlet/com.univ.utils.LectureFichierJoint?CODE=1263310524426&LANGUE=0.

CONCEPTS CLEFS

Les concepts clefs sont: horde, mythes, sentiments ambivalents, violence, culture, chef, tabou, groupe, organisation, illusion, idéologie, conception du monde, civilisation, masse, Etat, système de domination, pouvoir.

PRESENTATION

Ce livre de E. Enriquez est fascinant. D’abord, par sa rigueur, car il développe sa problématique en gardant fidèlement le fil de l’argumentation. E. Enriquez présente une lecture de quelques uns des principaux ouvrages de Freud. Il les médite. Il répond à certaines des critiques dont l’œuvre freudienne a été l’objet. Il montre quels sont les concepts qui, à son sens, reflètent les principales préoccupations de l’inventeur de la psychanalyse. Car ces concepts fondent la pensée sociologique freudienne. Il s’attache à souligner ses “ contradictions ” et à mettre en évidence les limites de ses formulations théoriques. Il construit un point de départ pour établir les fondements des liens sociaux ainsi que pour étudier le développement et l’avenir des sociétés modernes. Par ailleurs, nous pensons que la pensée de E. Enriquez est une pensée courageuse, car elle ose soumettre à un examen attentif les actes et les événements qui ont marqué l’histoire des idées dans la civilisation occidentale. Il dénonce les théories sociologiques qui tendent à penser le lien social en laissant dans l’ombre, d’une manière peut-être délibérée, la nature et la condition humaines. De cette manière, il s’engage dans une réflexion socio-psychologique proposant une opinion personnelle et critique vis-à-vis des formes stratégiques et des idéologies qui régissent l’apparition de l’Etat moderne et de ses procédés de légitimation.

Nous estimons que le lecteur trouve dans ce livre d’un excellent chemin pour connaître les possibilités qu’offre la socio-psychologie dans la méditation de la civilisation et de la condition de l’homme occidental. Avec un style simple, clair et précis, l’auteur propose des arguments consistants qui dévoilent les structures et les configurations économico-politico-culturelles qui ont rendu possible l’existence d’un monde moderne construit autour d’une méconnaissance de l’altérité. Ceci mène l’auteur à remarquer les immenses limites culturelles et naturelles dont dispose l’homme afin de transformer le monde en un espace ouvert à la diversité individuelle et collective.

QUESTIONS QUI DIRIGENT LA RECHERCHE ET QUI DELIMITENT L’HORIZON CONCEPTUEL DE L’AUTEUR

Pourquoi les individus et les groupes sociaux “marchent-ils” à la croyance et éprouvent-ils la nécessité de vivre dans l’illusion, le travestissement et la méprise ?

Pourquoi le social est-il avant tout le règne de la certitude et de l’oubli de la vérité ?

Pourquoi des individus qui, isolément, sont parfois capables d’une pensée libre et rigoureuse, s’obstinent-ils, lorsqu’ils sont en groupe, à soutenir les actions les plus absurdes et les moins susceptibles de favoriser la réalisation de leurs désirs ?

Pourquoi l’obéissance est-elle si facile, la servitude volontaire si fréquente alors que la révolte est si difficile et le désir autonome si fragile ?

Quel rapport existe-t-il entre le destin individuel et le destin sociétal, en particulier en quoi un “malaise social” peut-il déterminer des conduites pathologiques individuelles ? inversement, quel est le rôle, dans la dynamique sociale, des individus présentant des anomalies psychologiques ou souffrant d’un délire de grandeur, quoique inaperçu en tant que tel ?

Qu’est-ce qu’il y a dans le jeu social individu-société qui fait apparaître de grands leaders charismatiques et rédempteurs?

Quelles sont les raisons qui animent la société civile à être de plus en plus soumise à l’Etat dans son processus d’homogénéisation mortifère et dans ses procédures de massification ?

Pourquoi, par crainte de l’anarchie et du développement de la “ lutte de tous contre tous”, les hommes multiplient-ils les institutions qui fournissent à l’Etat les bases comme les réalités de son pouvoir ? Une telle prolifération qui manifeste des ramifications multiples de phantasmes de l’“ un”, peut-elle être freinée, et à quel prix?

Pourquoi l’antisémitisme, comme forme de racisme les plus exacerbé, non seulement ne s’est pas résorbé avec les siècles, mais est-il devenu cela même à partir de quoi on peut penser le monde moderne, monde de la destruction tranquille, scientifique, sans culpabilité; monde de l’expansion narcissique qui dénie tous les liens avec autrui et qui fait de l’autre un être à exploiter, dont la souffrance peut être source de jouissance ou à tout le moins d’indifférence ?

Pour l’auteur, ces interrogations s’articulent autour d’une question de principe :

Pourquoi les hommes, se voulant guidés par le principe de plaisir et par les pulsions de vie, aspirant à la paix, à la liberté et à l’expression de leur individualité, construisent-ils souvent des sociétés aliénantes favorisant plus l’agression et la destruction que la vie communautaire ? Pourquoi les édifient-ils plus comme des organes de répression que comme des ensembles où l’acceptation de la règle favorise la réalisation de soi et la constitution d’une identité à la fois solide et souple ?

POURQUOI FREUD?

Las œuvres psychologiques et sociologiques de Freud permettent à l’auteur de trouver le fil conducteur qui lui sert à s’orienter dans les méandres de ses expériences. Ainsi, la référence essentielle est la théorie analytique freudienne, puisqu’elle lui fournit la majorité des concepts “ transpécifiques ” dont E. Enriquez a eu besoin pour mener à bien sa tâche. Il considère que la théorie de Freud est capable de relier les processus individuels au fonctionnement des groupes et aux régulations sociales. Bien que l’auteur ne se soit pas attardé dans une étude stricte de tous les travaux où Freud pose le problème de la naissance ou de la possibilité de la culture, l’auteur a l’intention d’analyser systématiquement l’œuvre freudienne afin de tenter de repérer et de montrer clairement les questions fondamentales posées par Freud sur la nature et les modalités des liens sociaux. Mais, E. Enriquez ne croit pas que Freud ait tout dit (d’ailleurs Freud lui-même pense que son travail est resté inachevé), au contraire, cette recherche accepte l’invitation de Freud à “ continuer son labeur ”.

QUELLES SONT LES RAISONS DU CHOIX DE FREUD ?

Car Freud a démontré que:

1 .L’être humain est un être pulsionnel et un être social (caractéristique essentielle), c’est pourquoi ses pulsions entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

2. Tout être humain est constamment écartelé (et c’est cet écartèlement même qui le définit en tant humain) entre la reconnaissance de son désir et le désir de reconnaissance. Les pulsions qui abîment seront obligées, pour trouver satisfaction, de passer par l’existence d’autrui. Autrui seulement peut accepter son désir comme tel et le reconnaître comme porteur de ce désir, autrui seulement peut l’assurer de sa place dans la symbolique social dans la mesure où il a accepté de le prendre peu ou prou comme modèle.

3) Le pulsionnel est donc ce qui met en mouvement un organisme, mais en même temps ce qui vise l’autre en tant que celui-ci peut reconnaître le désir ou peut répondre au désir de reconnaissance.

4) Le bonheur humain est déjà limité par la constitution culturelle et naturelle, puisque l’expérience quotidienne du malheur principal de tous les hommes est le fruit de la rencontre avec les forces naturelles acharnées à nous détruire, malheur provoqué par les rapports que nous entretenons avec nos semblables.

5) L’être humain tente de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer.

6) Aucune civilisation n’a cru qu’il etait possible de supprimer purement et simplement l’agressivité, au contraire elle l’utilise pour renfoncer la cohésion du groupe en lui permettant de traiter les étrangers en ennemis dont il peut se moquer et qu’on a le droit de détruire. (168)

En conclusion, le pulsionnel fonde l’être humain, ainsi les théories des pulsions et des processus identificatoires s’avèrent indispensables pour comprendre les deux ordres de réalité: le psychique et le social. D’où la pertinence de la pensée freudienne pour définir le champ spécifique de la recherche.

PARCOURS DE L’AUTEUR

Relecture des œuvres de Freud qui traitent des phénomènes collectifs, de leur naissance, de leurs avatars, de leurs significations.

Elaboration d’une théorie du lien social remarquant : a) le lien social comme lien classificatoire, ouvrant sur la réciprocité et la reconnaissance de l’altérité, et simultanément comme instrument de séparation et de pouvoir des groupes sociaux – paradigme de la domination de las femmes et des jeunes; b) comment la puissance s’est inscrite dans la domination des hommes sur la nature; définition d’un sacré transcendant institué par les religions monothéistes immanentes et libération des énergies pulsionnelles nécessaires à la construction sur la terre d’un royaume paradisiaque.

L’étude du pouvoir dans les sociétés modernes en remarquant : a) les conséquences du passage des sociétés régies par le mythe à des sociétés où l’historicité est reine et où l’économie est prépondérante; b) disparition de tout principe transcendant dans le domaine de la politique (qui a le droit de promulguer la loi) et l’économie ( pour rétablir des différences d’un mode égalitaire) ; c) la forme dans laquelle la société civile donnant la primauté au monde des affaires risque d’engendrer la lutte de tous contre tous (apparition de nouvelles sphères du sacré : l’argent, le travail, l’organisation industriel); d) la forme dans laquelle les hommes ont été conduits a créer un nouveau principe transcendant l’“ Etat ” ; e) le fonctionnement de l’Etat –comme des autres institutions- mécanismes de pouvoir fondés sur le division de la société globale ainsi que sur la psyché individuelle par le fonctionnement de la pulsion de mort : application de cette théorie à un brève étude sur l’Etat nazi, négation social de lien social, Etat par et pour la destruction.

Conclusion: toute constitution du social est une relation de domination, et plus on exacerbe la poursuite du social plus le système de domination est puissant. Donc, l’idée de solidarité comme fondement de la politique actuelle est un leurre.

LES LIVRES DE FREUD ET LES CONSIDERATIONS DE E. ENRIQUEZ

Totem et Tabou : ici Freud a tracé une nouvelle voie pour la spéculation philosophique, pour la réflexion sur le social et sur la culture, une nouvelle voie pour l’analyse de ce qui empêche radicalement le bonheur de l’humanité: la persistance du désir de meurtre, de Thanatos. On y décrit l’émergence de la civilisation, des interdits et des normes. Pour Freud, l’avènement du social relaie de l’union par le crime qu’effectuent les hommes quand ils vivent en horde 2 . Ce crime-ci engendre le lien social entre les hommes (frères), crime qui met en forme le totem par l’instauration des tabous 3. C’est de cette manière qu’apparaît, selon Freud, le repère, le crime commis en commun, autour duquel le groupe s’organise 4. Mais Freud souligne que cette décision montre que la nature humaine est ambivalente devant les normes instaurées par la culture puisqu’il y a en lui deux pulsions antagonistes. Là aussi, il faut remarquer que pour l’apparition de la spiritualité Freud insiste sur l’importance des idées, du narcissisme 5 et de l’art. Il remarque notamment la force stimulante des idées, puissamment investies par l’affectivité et intensément représentés par l’intelligence, pour se transformer en des phénomènes réels et concrets. C’est sur ce fondement que Freud développe sa théorie de l’ordre culturel 6 .

Psychologie des foules et analyse du moi. Ce livre présente les éléments fondamentaux du fonctionnement des groupes et des organisations. Il envisage les mécanismes des structures sociales et s’intéresse particulièrement à la relation entre l’amour (eros) et la pulsion de mort (thanatos) éléments fondamentaux dans l’organisation du groupe. La première partie de cet ouvrage commence par un coup de tonnerre : mise en question radicale de l’opposition traditionnelle entre psychologie individuelle et psychologie sociale. A ce sujet, trois remarques : a) l’impossibilité d’une démarcation stricte entre la psychologie sociale et psychologie individuelle. Freud repère un champ propre à la psychologie individuelle (se situant pratiquement en dehors de la psychologie sociale) pour étudier ces phénomènes (narcissiques) qui ressortent des désirs des sujets (77) , mais au même temps il établit une liaison (et non une opposition) entre la psychologie sociale (des foules) et psychologie individuelle; b) les limites et le caractère subversif de la psychanalyse; c) la mise à l’écart d’une sociologie indifférente au problème de l’altérité. L’enseignement que E. Enriquez retient est le suivant: l’avènement du temps de la désillusion.

Il s’agit, en même temps, d’un texte inaugural (fascinant, obscur, et incertain) pour une discipline nouvelle, la psychosociologie : sciences des groupes, des organisations et des institutions (114). Il convient de s’attarder sur le problème de l’altérité parce que c’est le point de départ de l’œuvre de E. Enriquez. D’après notre auteur, Freud pense les sciences sociales à partir de l’altérité, quoique ce ne soit pas le mot qu’il emploie. Pourtant, il est légitime de parler d’altérité pour désigner les modalités spécifiques, mais non générales, par lesquelles nous entrons en contact avec l’autre en acceptant de le voir dans sa singularité et non plus comme un simple instrument au service nos envies. L’altérité englobe également les modalités selon lesquelles nous apparaissons aux autres êtres humains dans notre différence et notre unicité. En essayant de préciser le champ spécifique de la psychologie sociale, Freud signale les quatre rôles possibles d’autrui vis-à-vis de tout homme, qui constituent ensemble des modalités spécifiques de la relation autrui : Modèle, objet, soutien et adversaire. Ce dernier rôle est fondamental par E. Enriquez. Autrui n’existe que dans la mesure où il existe pour nous, ce qui signifie qu’une forme d’attachement « identification, amour, solidarité, hostilité » est indispensable pour continuer en rapport avec autrui. La relation à autrui suppose un lien libidinal, un investissement affectif. Autrui n’est donc pas un être indifférent dans le sens où il ne provoque en nous aucune émotion ou aucun sentiment, il n’est pas un être totalement distant de nous (le chef de la horde ne peut être senti comme autrui). C’est à la lumière de ces idées que la psychologie sociale peut être envisagée comme l’étude des formes de l’altérité. Un autre point sur lequel nous devons insister, c’est la part essentielle qu’il faut faire à l’illusion dans la caractérisation de la foule et de la organisation sociale. L’emprise de l’illusion est décomposée en trois éléments : la force magique de mots (83); la disparition de la notion d’impossible pour l’individu (84) et l’installation dans la certitude et non pas dans la quête des savoir 7. Dans la deuxième partie de cette œuvre, E. Enriquez se penche sur les point suivants. Premièrement, a) il n’existe d’organisation que dans le mesure où tous ses membres partagent le même mirage ou illusion ; b) l’amour et l’idée d’amour égalitaire envers tous les membres permet la création et la permanence des liens au sein d’un groupe. Grâce a l’amour, le groupe acquiert une cohésion autour d’un pouvoir ; l’amour explique également l’absence de liberté qui caractérise les individus faisant partie d’une organisation (l’Eglise et l’armée ont été enisagés pour illustrer cette idée) ; c) La fraternité virile est le signe emblématique de tout groupe social. Cet amour désexualisé enlève sa place à la femme, la relation amoureuse étant ainsi reléguée à l’extérieur de l’organisation. E. Enriquez conclut que le lien social crée des individus taillés sur le même patron, que les sentiments hostiles qui pourraient naître du fait même que tout sentiment est ambivalent (par le biais de ce que Freud appelle le narcissisme des petites différences, acte psychique) renforcent la cohésion du groupe et placent celui-ci en position de guerre potentielle avec les étrangers, perçus comme des ennemis. Bref, une organisation pour exister et pour durer a donc besoin de se construire des ennemis, autrement dit tout groupe n’ existe que dans un champ de guerre généralisée où les situations de domination-soumission se fondent autour d’un chef 8 (réel ou imaginaire) qui canalise les sentiments hostiles y les transforme en des sentiments de respect, d’admiration et de vénération (95). Dans la troisième et dernière partie de son exposé, E. Enriquez prend ses distances vis-à-vis de Freud en soutenant que la forme qu’ont les individus de vivre leurs contradictions face aux exigences de la foule est actuellement très éloignée des descriptions freudiennes fondées sur les notions de névroses individuelles et collectives.

L’avenir d’ une illusion: E. Enriquez estime que cette œuvre est capitale, car pour la première fois Freud adopte une posture normative, il essaie de convaincre le lecteur de se défaire de l’illusion religieuse qu’il considère comme la pire catastrophe pour l’humanité. Il s’institue en mentor et censeur de l’humanité 9. Freud décrit et critique l’illusion religieuse comme un phénomène essentiel du processus civilisateur. Il montre les fondements de l’illusion religieuse en mettant en évidence ce qu’est l’homme vis-à-vis de la nature, leur rapport spontané, le destin et la faiblesse humaines. Ce qui est étrange, comme le souligne E. Enriquez, c’est que Freud tout en dénonçant les dangers que comporte l’illusion religieuse fait appel à certains mythes propres à rationalité scientifique, et d’ailleurs Freud a fini par reconnaître qu’il remplaçait une illusion par une autre 10.

On pourrait avancer que E. Enriquez déchiffre le problème freudien : sortir de l’illusion religieuse. Freud cherche à montrer qu’il est possible d’atteindre un monde meilleur, mais il est conscient que ce monde se trouve ‘‘au-delà’’ des limites de la condition humaine, caractérisée par l’ambivalence des sentiments, par son inconstance vis-à-vis des idéaux qu’il ne parvient pas à assumer, par la méconnaissance du fait que l’homme est dépassé par le principe de plaisir. Selon E. Enriquez, Freud tombe dans une sorte de cercle logique qui le conduit à formuler une théorie (phylogénétique et ontogénétique) pour rendre compte de la nature tragique du destin humain. C’est pourquoi Freud affirme que le destin des hommes ne sera agréable ni pour l’individu, ni pour les groupes, ni pour la humanité civilisée (156). Cette position est cohérente par rapport aux études menées par Freud sur les peuples primitifs et par rapport à l’enseignement qu’il en avait tiré : “aucune civilisation n’a cru qu’il était possible de supprimer purement et simplement l’agressivité. Au contraire, elle l’utilise pour renfoncer la cohésion du groupe en lui permettant de traiter les étrangers en ennemis dont on peut se moquer et qui on a le droit de détruire. La civilisation adopte ainsi une double stratégie: empêcher l’agressivité de s’ exprimer entre les membres du groupe et au contraire renforcer le lien libidinal et les identifications mutuelles, favoriser les manifestions de la agressivité envers les autres groupes qui deviennent non des adversaires respectable mais de ennemis, des inférieurs et la cause de tous des maux dont souffre le groupe.(165,6) . Apparaît ainsi l’essence même de toute civilisation: la guerre généralisée. , En prolongeant la pensée de Freud, il est permis de dire que l’Etat (cristallisation dans des institutions stables du lien groupal) ne peut naître ni se développer ni se fortifier que par la guerre. C’est pourquoi l’existence d’un Etat pacifique est impossible. Enfin, il est intéressant de voir comment Freud, selon E. Enriquez, montre que le principe guerrier inhérent à toute collectivité aboutit à la constitution d’un Etat pourvu de l’autorité nécessaire pour limiter les excès pulsionnels. Mais l’Etat devient à son tour source de domination sur une collectivité qu’il transforme en une masse programmable et manipulable. La tragédie humaine provient de cette situation sans issue. C’est pour cela que E. Enriquez parle du pessimisme de la psychosociologie.

Malaise dans la civilisation : on peut dire que dans ce livre Freud radicalise sa posture personnelle. Il affirme que la réconciliation est impossible. Il n’est plus sûr que la civilisation enfin parvenue à l’ère scientifique puisse trouver une issue à la tragédie humaine. Cette œuvre est placée sous le signe de la tragédie et de la fin de l’espèce humaine et du processus civilisateur. En un mot, Freud dit que “les civilisations deviennent névrotiques, c’est-à-dire incapables de résoudre le conflit engendré par les exigences de sur-moi collectif et les désirs de bonheur de l’individu. Elles augmentent le malheur de chaque être humain et en même temps elles ne sont pas en mesure de faire prévaloir les comportements éthiques dont les hommes se détournent (178). Nous vivons le moment glorieux de la civilisation et le début de la décadence (179). Pourtant Freud ne renonce pas à un idéal éthique qu’il considère comme d’autant plus nécessaire au maintien du groupe. Sa pensée libérale n’est pas morte. Seulement, il n’envisage la liberté individuelle que comme le terrain en ruines sur lequel s’élève la civilisation. De ce point de vue, Freud engage son combat contre l’antisémitisme, en dénonçant que la position antisémite, cultivée par le christianisme, exagère le statut d’étranger, la différenciation entre les hommes exacerbant l’intolérance raciale et la jalousie “provoquée” par un peuple qui prétendait être le peuple élu de Dieu.(208)

La guerre et l’Etat. Selon E. Enriquez estime que ce travail est la grande œuvre “sociologique” de Freud, qui condense l’ensemble de sa réflexion méthodologique et qui traite de l’histoire de son époque. Ce livre aborde la question, aux yeux de Freud, insolite qu’est la guerre entre des nations civilisées où il n’a pas été nécessaire de considérer les sociétés voisines comme étrangères pour verser en elles tout le poison de la destruction. Cette considération exprime le pessimisme freudien ou plutôt les limites de son optimisme à l’égard de la pensée libérale. E. Enriquez croit que Freud est amené à penser que l’œuvre civilisatrice qu’il a vécue et étudiée ne lui permet plus de soutenir que la civilisation repose essentiellement sur le renoncement à la satisfaction pleine et entière des pulsions de la part de les individus (218). Cette conclusion suscite un sentiment de beauté tragique et inexorable. Mais cette seule espérance est fort proche du désespoir.

POINT DE DEPART DE LA THESE E. ENRIQUEZ

Les principes organisateurs des conduites de l’être humain :

L’essence de l’homme consiste en motions pulsionnelles de nature élémentaire au départ, qui ne sont ni “bonnes ni mauvaises” et qui donnent lieu au phénomène de l’ambivalence affective. L’homme est donc rarement tout à fait bon. Même les motions mauvaises dans l’enfance peuvent être une condition de l’orientation vers le bien. Les transformations de motions mauvaises manifestent l’action d’un facteur intérieur (le besoin d’amour) et d’un facteur extérieur (la pression de l’éducation et de l’ambivalence culturelle) qui combinent leurs effets. Les pulsions égoïstes sous cette double pression (érotique et sociale) se transforment en pulsions sociales. En ce point, il est à noter que la contrainte externe apparaît comme seule opérante au début de l’histoire humaine. En revanche, à l’heure actuelle on peut constater qu’une « constante transposition de la contrainte externe en contrainte interne » a lieu au cours de la vie individuelle. Et pourtant, la nécessité constante dans la société contemporaine de maintenir de mesures de contrôle (récompenses ou châtiments) montre bien qu’aujourd’hui encore un grand nombre d’individus ont une attitude qui répond aux exigences de la vie civilisée uniquement parce qu’ils sont habitues à obéir “sans que soit accompli en eux un ennoblissement des pulsions », une transposition de penchants égoïstes en penchants sociaux. Dans nos sociétés policées, également, il n’existe qu’« un petit nombre d’hommes chez lesquels les penchants à la vie civilisée est devenu une propriété organique ». C’est pourquoi lorsque l’Etat laisse de côté ces règles morales (cette pression extérieure) et que, de plus, il fait appel contre ses ennemis aux penchants mauvais présents en l’homme, on constate avec quelle extrême facilité les individus donnent « libre cours à leurs penchants refoulés avides de satisfactions ». N’oublions pas que notre vie psychique peut donc être, dans certaines circonstances, sous l’emprise d’une « régression passagère ou durable ». Ce qui est en jeu et ce qui fait problème est la nature, l’origine et le devenir du lien social (238). E. Enriquez s’efforce de prolonger la réflexion de Freud, afin d’élucider ce qui permet au social de s’instaurer comme tel (quelles que soient les formes historiques qu’il peut revêtir) et de se maintenir (en favorisant l’existence de liens d’intérêt comme de liens émotionnels. (238)

Malgré le caractère multiforme de la civilisation et de la société, E. Enriquez tente, d’un côté, de mettre évidence les principes généraux qui président à l’organisation, au fonctionnement et à la évolution de ces formes multiples, et donc de préciser les questions générales impliquées dans ces formes. D’un autre côté, il s’efforce de dégager les conditions de production (la morphogenèse) de ces différentes formes et les raisons de passage d’une forme à une autre. Autrement dit, il s’agit de parvenir à élucider les connotations impliquées dans les notions de pouvoir, de sacré, d’Etat, afin d’éclairer certaines des formes, des technologies et des modalités d’application qui se posent comme référents de signification des structures économiques et sociales des sociétés primitives, Horde, jusqu’aux sociétés modernes dont le fonctionnement est centré autour de l’Etat.

Autrement dit, le point de départ d’E. Enriquez est de prolonger et d’approfondir l’étude de l’altérité et de la reconnaissance à travers les questions suivantes : comment reconnaître simultanément autrui et nous-mêmes? comment situer nos places, nos rôles, nos relation ? comment envisager et vivre nos rapports de violence ainsi que nos rapports amoureux ? Car, l’auteur considère que l’expérience vécue dans les rapports d’amour et de haine, d’alliance et de compétition, de travail et de jeu, repose sur l’altérité.

LACUNES DE FREUD SELON E. ENRIQUEZ

Méconnaissance de l’œuvre civilisatrice

Méconnaissance de l’existence de formes sociales intermédiaires entre l’individu et la société.

Croire que l’on peut démontrer que le collectif gît au sein même du cœur de l’homme et que le social ne peut être considéré en dehors des individus qui en forment le tissu (223).

Freud ne dit rien sur: a) les mécanisme qui président à la transformation des mauvais penchants en penchants altruistes; b) la condition de régression. Enfin, il ne dit rien sur les conditions qui amènent l’Etat à revendiquer le monopole de la violence et de l’injustice, conditions qui font que l’Etat ne peut pas être autre chose que cette machine à engendrer des prescriptions, sans pour cela se sentir obligé à respecter les règles qu’il édicte. (222)

L’AXE CENTRAL DE L’INTERPRETATION DE FREUD PAR EUGENE ENRIQUEZ

L’axe central de l’interprétation de Freud par E. Enriquez apparaît au chapitre consacré au livre intitulé “La Guerre et l’Amour”. E. Enriquez considère qu’une des grandes contributions de Freud à la psychosociologie consiste dans le fait qu’il suggère qu’un des nœuds essentiels de la constitution du social. E. Enriquez développe cette « allusion » en disant que c’est “le manque d’intelligence des individus liés à des phénomènes d’une part de résistance affective, d’autre part d’appartenance à un groupe large et la “crédulité enfantine qui en résulte”. Ce que E. Enriquez découvre chez Freud, c’est surtout l’idée selon laquelle “le fonctionnement social est un fonctionnement passionnel (et non rationnel) où sont à l’œuvre des phénomènes de croyance et de mécanismes d’illusion auxquels aucun être , aussi intelligent soit-il dans sa vie individuelle, peut échapper”. C’est dans cette perspective que E. Enriquez interprète et approfondit la position freudienne : « ce que Freud proclame donc c’est que l’essence du social, c’est la bêtise, l’obstination dans la contrevérité, la tromperie… les sociétés sont, par nature, réfractaires à tout effort de recherche de la vérité. Les sociétés se fondent sur un effort désespéré de tous leurs membres de se tromper mutuellement, car elles ne peuvent exister qu’en croyant posséder des certitudes, qu’en se situant à la place de la vérité. Elles vivent des religions, de mythes, de rites, de croyances, d’idéologies, de slogans. Elles ne vivent pas de prise de conscience et élucidation. Plus exactement, aucune société (dans la mesure même où elle accepte de se confronter au processus historique) ne peut faire l’économie d’une certaine clarification des intérêts et de son fonctionnement ». E. Enriquez cite alors Freud : « il est indéniable que notre civilisation actuelle favorise dans des proportions extraordinaires le développement de cette forme d’hypocrisie. On pourrait aller jusqu’à affirmer qu’elle repose sur cette hypocrisie ». E. Enriquez commente ceci en disant qu’il serait plus exact de dire que la vie sociale ne peut être qu’hypocrisie, que travestissement, que simulacre, que psychodrame. L’auteur n’hésite pas à affirmer que « les sociétés sont non seulement le résultat d’un crime commis en commun, mais également d’un mensonge partagé. C’est l’acceptation, mieux, le désir de mensonge qui permet aux Etats d’entraîner les individus dans la guerre et dans les réactions aveugles ». E. Enriquez conclut que les rapports entre les individus et les nations deviendraient « moins primitifs et moins brutaux » s’il existait, comme dit Freud, « de tous côtes un peu plus de sincérité et de franchise dans les relations des hommes entre eux et dans les rapports entre les hommes et ceux qui les gouvernent ». Mais, E . Enriquez souligne à quel point cette éventualité est lointaine. Il ne faut se faire « illusion sur la possibilité qu’une telle évolution advienne puisque ce n’est ni le désir des êtres humains ni des Etats qui les regroupent ». (223-225).

PRINCIPALES CONSIDERATIONS ET PREOCCUPATIONS DE EUGENE ENRIQUEZ

1. L’altérité

Penser l’altérité implique étudier les divers aspects de la question : politique (comment vivre avec?); économique (quel travail accomplir et avec qui ?), Alliance (avec qui avoir des rapports sexuels, avec qui se marier ?); existence (puisque c’est par l’autre que j’existe, c’est par l’autre que je peux être détruit, quel rapport puis-je établir avec lui ?) Ainsi, le problème de l’altérité, la culture l’a résolu par le mise au point d’un système de classification qui va se muer en système de séparation et enfin de domination. (259)

2. Les systèmes de classification

Tous les systèmes de classification se fondent sur les deux seules différences évidentes (perceptibles par les hommes) : Les différences de sexes et la différence de générations. Par contre, il est essentiel de noter qu’il (système de classification) s’agit des deux seuls ordres naturels qui soient en même temps ordonnateurs de la culture 11 et de la pensée consciente 12 (261). Ainsi, cette classification est donc à l’origine de tout lien social, et est créatrice d’institutions d’exclusion et d’inclusion. L’autre, une fois reconnu, provoque « crainte et tremblement ». « Il peut être non le partenaire loyal, mais l’adversaire, voire l’ennemi, il peut vouloir le retour de l’indifférencié, le retour du même. Aussi la reconnaissance ne peut-elle jamais aller jusqu’au bout de sa logique » (269). En ce sens, les sociétés humaines passent insensiblement d’un système de classification à un système de séparation et à un système de domination par la violence sacrificielle et la violence dominatrice qui en édifiant le sacré autour du narcissisme individuel et groupal garantit l’établissement d’une illusions du lien durable, par exemple : le normal et le fou, le citoyen et le métèque, l’homme honnête et le criminel, le conformiste et le déviant, l’homme et l’eunuque, etc. (268, 269 ) 13

3.Caractéristiques du nouvel ordre social

L’ordre social se fonde sur la symbolisation et le refoulement. Pas d’ordre sans paroles interdictrices et sans paroles de références, pas d’ordre sans tabous et sans domaines permis. Or la femme (mère o fille) menace l’ordre social lorsqu’elle énonce le primat de la jouissance de la relation corps à corps, de la relation duelle, de la réalité sur les mots, les représentations et la relation tierce. L’homme ne peut qu’être fasciné et terrorisé par la menace que la féminité précoce fait courir au règne de la loi et de l’ordre(283). L’homme rejette les femmes dans la nature pour pouvoir fonder une société sans passion, une société industrieuse, un fonctionnement solidaire (385). Autrement dit, pour l’homme, la femme est « l’autre » plus que la partenaire complémentaire. En raison même de sa situation d’altérité, la femme est définie comme un élément dangereux et antagoniste (307). En particulier au début de la révolution industrielle, en mettant la femme au travail, en l’obligeant à s’occuper de choses les moins intéressantes, en entraînant chez elle une grande fatigue psychique l’homme la rend inoffensive, sans affectif sexuel, sans capacité de absorption. Il faut dire que la domination des femmes et la domination des jeunes est indispensable à la reproduction de la société.

4.L’apparition des religions de l’immanence et de la sensualité, et de la transcendance et de l’intellect : Changement en la relation homme-nature.

L’implication personnelle et corporelle dans les rapports aux plantes et aux animaux également s’altéra, avec la relation au monde primitif. En arraisonnant la nature, l’homme passe du règne de la qualité au règne de la quantité, de la production indispensable à la création de “besoins infinis” du travail comme occupation, au travail comme obligation pour un certain nombre. Moins l’homme est lié à la nature, plus il domestiquera les autres hommes. Les plans de développement de la technocratie actuelle en sont le témoignage le plus évident (353). Autrement dit, si la relation à la nature est un rapport aux dieux, à l’espace, au temps et aux autres êtres vivants ; sa disparition amène le crépuscule de dieux (et leur remplacement par le veau d’or). En autres mots, l’homme nie ainsi sa dette à la nature, exclut qu’elle puisse l’envahir lui aussi et en faire le sujet de débordements non réglés. Il se situe comme être de culture, de savoir, de pouvoir ; autrement dit être à purifier chaque fois qu’il manquerait (de par son fait ou par hasard) à ses commandements. (361) Le système de domination de la culture est parvenu à un tel degré, qu’il a rompu les limites du sacré, puis les pulsions ludiques et agressives finiront par y trouver leur place, et feront accéder tous à la jouissance ; ce qui facilite le renouvellement de l’ordre social (individuel et institutionnel) en dehors des sphères d’autonomie délimitées par le sacré. Ainsi, la civilisation est resté dans le domaine profane. Face à ce désordre naissent les religions monothéistes de la immanence et de la sensualité, et de la transcendance et de l’intellect 14. En conclusion, le seul rapport possible est un rapport de subordination de l’homme à Dieu, de la nature aux hommes. Les choses sensibles n’ont pas d’importance, seul le langage est pris en compte, car il exprime la loi du seigneur ; La spiritualité est la seule manifestation humaine reconnaissable pour Dieu. (378)

Conséquences de l’émergence des religions

Les conséquences de l’émergence des religions: a) l’homme devient possesseur et maître de la nature pour la plus grande gloire de Dieu ; b) il faudra la venue du messie, sur terre (différence entre les religions immanentes et transcendantes) ; c) instauration ou institution de la nomocratie ; ceci ne permet pas à l’homme de devenir transformateur de la nature, il a placé chaque être dans une situation de culpabilité, D) Il a l’habitude d’une obéissance scrupuleuse. En bref, les religions monothéistes ont posé les premiers jalons de la subordination totale et de rationalisation. Il faut remarquer que l’acteur soutient que pour la création d’une sphère de sacré à la fois transcendant et immanent, le christianisme termine et transforme l’œuvre du judaïsme. Tous les peuples (et non un seul) sont liés et sous la dépendance de Dieu et celui-ci s’exprime dans l’Eglise –corps de Dieu ; tous les hommes sont donc invités à accepter les injonctions, à reprendre la parole de Dieu 15. En conclusion, avec le triomphe du monothéisme commence l’histoire de l’aliénation et de l’exploitation de tous les hommes.

5.L’apparition d’Etat

L’Etat apparaît uniquement dans un monde où l’argent, le travail, l’organisation industrielle sont devenues des valeurs sacrées destinées à mettre (428) de l’ordre dans la société civile et à réguler ses passions ; d’un autre côté, l’Etat donne au peuple le corps physique (l’appareil bureaucratique) et mystique (l’idée de nation et de patrie) qui, s’il faisait défaut, entraînerait la division du peuple en catégories et en classes antagonistes : l’Etat se présente donc comme le corps indispensable, où les multiples différences, au lieu d’être en rivalité, tendront à conjuguer leurs efforts. Dans tous les cas, l’Etat moderne dans ses formes développées va surgir comme une nécessité puisqu’il doit proposer à l’ensemble du peuple une image de lui-même dans laquelle ce dernier puisse se reconnaître, à laquelle il puisse adhérer. Il va donc être obligé de prendre, contrairement aux Etats d’avant la révolution, le contrôle de l’activité de l’intégralité de ses membres et à pénétrer dans toute l’épaisseur du social. (428,429)

Types de régime politique

Il y a six types de régime politique : Les Etats de démocratie libérale, les Etats de démocratie programmée, les Etats despotiques, l’Etats militaristes, les Etats dictatoriaux, les Etats totalitaires. De manière générale, on peut dire, que malgré les différences remarquées par E. Enriquez, ces divers types d’Etat révèlent tous d’un projet commun : celui de construire un appareil étatique de plus en plus important qui, d’une part va s’autonomiser progressivement par rapport au peuple, parler un langage spécifique (le langage du politique qui va devenir dominant et à faire disparaître celui de la praxis sociale) tenter d’apporter une réponse à toute question et, d’autre part, va se multiplier en une prolifération d’institutions (462). Cf. le tableau que nous propose l’auteur, p.464.

Les Modes de Contrôle d’Etat

Les types d’Etat vont avoir pour rôle de mettre le peuple en surveillance et sous un contrôle plus ou moins complet. Il est possible de distinguer sept grands modes de contrôle dont l’utilisation disjonctive ou cumulative sera une garantie pour l’appareil du maintien de son emprise 16. Les modes de contrôle sont : a) le contrôle direct (physique)- par la violence ; b) le contrôle organisationnel - par la machinerie bureaucratique ; c) le contrôle des résultats - par la compétition économique ; d) le contrôle idéologique- par la manifestation de l’adhésion ; e) le contrôle d’amour avec ses deux variantes, fascination et séduction- par l’identification totale ou l’expression de la confiance ; f) le contrôle par saturation - par la diffusion d’un seul texte répété indéfiniment ; g) le contrôle par dissuasion - par la mise en place d’un système de fichage et par un appareil policier qui déroute tout désir de contestation. Les différents types d’Etat peuvent combiner (et combinent toujours) divers modes de contrôle et peuvent toujours, en s’infléchissant et en évoluant, adopter des modes de contrôle qui ne semblent pas appartenir, au départ, à leur essence. E. Enriquez nous dit, que ces types d’Etat ont une valeur indicative. Donner à cette typologie plus d’importance serait lui conférer le rôle d’un « type idéal », ce qui ne saurait pas lui être attribué. Cf. le tableau que nous propose l’auteur, p.476.

6.Le pouvoir

Le pouvoir est le résultat de l’utilisation et de la multiplication des techniques de contrôle dans l’organisation de l’Etat-Nation. Ainsi, E. Enriquez avait essayé de montrer en quoi les techniques et les méthodes utilisées avaient pour objectif de produire certains effets dans la relation du peuple à l’institution étatique, conduisant à l’émergence de certains comportements privilégiés, de modalités variées d’activités fantasmatiques et même à l’élaboration de conceptions du monde visant à donner au « réel » une cohérence qui ne peut que lui faire défaut. Mais E. Enriquez ne croit pas que telles méthodes puissent être, dans tous les cas, maniées consciemment, ni que les groupes ou individus puissent en avoir une véritable maîtrise, même si c’est bien là leur désir le plus violent. Elles ne peuvent se comprendre que comme l’expression du travail de la pulsion de mort (dans la mesure même où le pouvoir exige ou, à tout le moins, prescrit certains types de comportements et piège les individus dans le miroir qu’il leur offre) et de la libido permettant le travail de liaison des groupes avec leurs chefs et des individus entre eux. Elles sont de ce fait révélatrices du jeu des pulsions dans l’histoire, des essais de maîtrise de ce jeu par les groupes humains et des conséquences plus ou moins fastes ou néfastes de ces tentatives toujours à recommencer, les pulsions menant les hommes et échappant toujours par quelque côté à leur volonté de contrôle et d’appropriation. (477,478)

Le pouvoir et son discours

Le pouvoir est discours, parole inaugurale, créateur d’un monde. S’il est d’abord discours de la violence directe, de la « lutte à mort de pur prestige » il devient ensuite discours de savoir. Du pouvoir on ne peut rien comprendre si on ne le saisit pas comme technique d’asservissement par la seule parole… Le désir de pouvoir est d’essence narcissique, il est « désir de l’Un, utopie unitaire, totalisation idéale ». Le monde créé par le pouvoir, c’est d’abord un monde de l’uniformité : la visée de tout pouvoir porté à son extrémité, c’est l’empire universel et homogène. (478)

Pouvoir et vision du monde

Le monde créé par le pouvoir est le monde de la production et du temps mesuré dans l’univers du travail, le monde de l’aliénation et de l’exploitation (troisième aspect de la pulsion du mort : destruction des individus), de la culpabilisation générale par la formation d’un surmoi collectif particulièrement cruel (cinquième aspect de la pulsion de mort). Enfin, le monde créé par le pouvoir est un monde dominé par la nécessité du secret. Tout savoir divulgué perd son efficacité et sa vertu, le peut-être mis en doute est remis en cause, peut-être considéré comme hypothèse provisoire à retravailler. Le savoir secret, c’est la raison destructrice, c’est la domination d’un groupe sur un autre. Le savoir est toujours parole de maître, et seul le secret peut l’en assurer. (480).

7. L’Etat et la configuration du pouvoir

L’Etat universel et homogène, s’il est à l’ordre du jour et s’il représente la tentation constante de tout Etat à vocation « impériale », E. Enriquez pense qu’il n’est sans doute pas encore notre réalité quotidienne, bien que celle-ci s’en rapproche régulièrement, le développement d’un système économique mondial favorisant la construction d’un ensemble à conduites collectives similaires. Par contre, l’auteur estime que ce type d’Etat est vraisemblablement notre réalité de demain. Un tel monde ne peut être régi que par des formes de pouvoir permettant à la pulsion de mort de s’exprimer. E. Enriquez nomme ceci le pouvoir paranoïaque et le pouvoir pervers.

Le monde paranoïaque créé par l’Etat

Le modèle paranoïaque est doublement caractérisé :

D’abord par la position paranoïaque. Celle-ci est divisée à son tour en trois éléments :

A1) le paranoïaque dans ses rapports à la loi, qui est le cas des prophètes et des messies. Ceux-ci se désignent toujours comme les porte-parole de la véritable loi, qui leur a été soufflée par une instance mythique. Ils sont donc fondamentalement inspirés, illuminés par cette loi plus haute (toute-puissante) qui doit devenir celle régissant la nouvelle civilisation dont ils sont les annonciateurs. Qu’ils soient inspirés par Dieu ou par la nature, ils ne font que dire à haute et intelligible voix un message qui les dépasse. (Hitler ; Wilson ; Schreber) ;

A2) le discours Paranoïaque qui est révélateur de la vérité, cache des choses et des êtres. C’est un discours extrêmement argumenté (parfois de manière obsessionnelle), clos sur lui-même, immuable, prophétique et parlant d’une société future idéalisée : Il décrit ainsi dans le détail un système politique utopique dont toute la folie sera du vouloir être réalisé (Mein Kampf) ; ce discours annonce un « grand dessein » à accomplir dans le fracas des armes… Ainsi le paranoïaque est l’unique, le parfait, le pur, il comble tous les désirs et le monde dont il se veut l’accoucheur sera parfaitement cohérent et harmonieux. En bref, il est le lien social incarné ;

A3) la psychologie du paranoïaque, la toute-puissance manifestée est la marque d’une impuissance ressentie et le signe d’une homosexualité passive : le paranoïaque est pénétré (par la parole ou par les rayons de Dieu). On peut avancer qu’il est totalement livré au père idéalisé (et à l’image de la mère archaïque dévorante qui se profile derrière). Persécuté par ces figures terrifiantes, il s’identifie à elles (identification avec l’agresseur), ce qui lui permet de se restructurer, de reprendre confiance en lui et de transférer leur puissance supposée dans son corps et son esprit : livré lui-même à ses persécuteurs, les autres doivent lui être livrés corps et âme : seule la relation duelle ne remettant pas en cause son identité peut l’assurer de son pouvoir de fascination et de pénétration des autres.

B) Paranoïa et système social. Pour E. Enriquez, toute société dans sa volonté de représentation unifiée, possède des tendances paranoïaques et produit (suscite) des discours de cet ordre. Mais il considère que si les sociétés modernes acceptent aussi facilement le discours et la conduite paranoïaques, c’est parce qu’elles sont des sociétés chaotiques, continuellement bouleversées par les sciences et la technologie, par la lutte de classes, les révolutions et les coups d’Etat, donc, des sociétés où chacun est pris dans un tourbillon et se sent vaciller. Tous ceux qui énoncent un discours du plein, de l’harmonie, du consensus (et de l’exclusion des ‘‘impurs’’ et des ‘‘traîtres’’) sont particulièrement bien entendus. Une raison réside dans l’alliance que l’on peut dire essentielle et de nature, entre discours paranoïaques et structure sociale. Car ce discours est un discours sur le social, sur son fonctionnement, et sur son fondement, et il n’est que cela. Il est très important de remarquer que E. Enriquez soutient que ce qui se passe au niveau des Etats trouve sa traduction à l’intérieur des organisations et de groupes. Les organisations industrielles ou administratives se doivent de devenir les meilleures, les plus compétitives. Seul peut être accepté en leur sein le discours de la certitude et du bien fondé de leur action. Elles se présentent comme détentrices de la vérité et comme le bon objet, les autres cristallisant au contraire le ‘‘négatif’’ et étant perçues comme le mauvais objet … (486). Enfin, pour E.Enriquez, toute structure est d’ailleurs traversée à un moment ou à un autre par un désir de type paranoïaque : paranoïa et système social sont consubstantiellement liés. Promettant le changement du monde et un avenir meilleur, la rédemption pour tous, la négation de la mort et l’installation dans l’imaginaire (en proclamant que tout est possible), la guerre générale et l’apocalypse pour les impurs…Proposant un ordre, une loi intangible qui a réponse à tout, une grande entreprise, le savoir paranoïaque produit des systèmes sociaux et est produit par eux. Tout système social, en particulier moderne, n’a-t-il pas besoin d’un but, d’une croyance, de règles de fonctionnement ? Le savoir paranoïaque les fournit et il donne en supplément la réassurance narcissique, l’abandon du risque, un culte commun et sa suppression de tout sentiment de culpabilité. (490)

Le monde pervers crée par l’Etat

Le modèle pervers a deux caractéristiques :

La position perverse, celle-ci à son tour comprend trois éléments :

A1) Le pervers dans ses rapports à la loi. Le pervers ne connaît d’autre loi que celle de son désir. La seule loi possible est la loi de la jouissance. Par cette énonciation, le pervers se retrouve comme capable de jouissance et simultanément (du fait du déni) comme non assujetti à la loi d’un autre, et comme le seul producteur de la loi : c’est en quoi son déni va avoir force de loi pour lui comme pour autrui ;

A2) Le discours pervers :

a) les caractéristiques formelles : le discours est avant tout rigoureux et aussi précis qu’un acte de procédure. D’un côté, c’est un discours de la raison en tant que le pervers est passé maître dans l’art de la démonstration, car il lui faut convaincre autrui de se plier à sa loi, non parce qu’elle reflète son bon plaisir mais, comme disait Hegel, la raison en acte dans le monde. C’est un discours plus rationnel que celui du paranoïaque inspiré. D’un autre côté, c’est un discours du cérémonial qui fait la volupté. Le pervers a besoin d’un espace théâtral, d’accoutrements précis, et identiques à chaque fois. Pour lui, seule la répétition de la scène des gestes et de l’apparat donne existence à la volupté. Sans cette « cérémonie secrète », sans les rituels qui l’accompagnent, sans la création d’un monde « à lui » dont il est le seul maître, le seul metteur en scène et le seul régisseur, il serait renvoyé à la dramatique habituelle des autres êtres humains, il chuterait de son rang de Dieu.

b) Le contenu de discours. C’est un discours de savoir. Le pervers est un transmetteur de savoir. Le savoir énoncé possède des propriétés spécifiques : c’est non seulement un savoir organisationnel et réglementaire, mais surtout un savoir comptable. Le pervers ne s’intéresse qu’aux chiffres, au nombre de personnes détruites ou séduites. Dans de telles conditions, les êtres humains sont interchangeables, ils ne sont que des instruments ou ils doivent le devenir. Le savoir qu’il annonce décrit d’avance le modèle de la réalité : la réalité doit se conformer au modèle construit. Si elle en diffère, le modèle sera conservé. Le pervers fera tout pour réintégrer la réalité dans ce schéma, par la persuasion ou par la force. Aussi la société qu’il encourage est-elle une société où les seuls rapports « humains » seront des rapports, « économiques » (chiffrables), où chacun sera figé sur le taux de jouissance qu’il peut produire et sur le nombre de ses contributions à la décharge libertine,

A3) La psychologie du pervers. Il essaie d’abolir le hasard, de tenir en main sa destinée et celle des autres. Il se situe sur le plan de la maîtrise totale. Aussi est-il créateur de lois, car sans nouvelles lois, il ne pourrait advenir ni organisation ni jouissance. C’est souvent un homme froid, sans sentiments (les autres sont des numéros), mû par un souci d’efficacité et de répétitivité. Aussi est-il souvent un fonctionnaire consciencieux, extrêmement tatillon, prêt à exécuter à la lettre les directives (Eichmann en fut un bon exemple) et à l’inverse du paranoïaque, il ne veut pas procréer.

B) Perversion et système social. Pour E. Enriquez, la perversion c’est le sexuel mis au service du pouvoir et de la mort. Ainsi, l’homme est sourd aux sentiments et ouvert au seul fonctionnement machinique. Comment ne pas reconnaître la perversion sous ce masque journalier du bureaucrate (en partie) et, de façon privilégiée, sous celui du technocrate ? Nous pouvons voir avancer nos sociétés des rapports sociaux en rapport d’argent et de marchandises. Elles ont été créatrices d’individus se situant dans une position perverse ou ont permis à de tels sujets de trouver dans la structure sociale de quoi satisfaire leurs pulsions. Ce « nouveau monde » est un monde qui nie la castration (puisque chacun peut, s’il le désire, s’il est compétitif et brillant, tout obtenir), qui maintient un clivage strict entre la sphère du privé et la sphère du public et qui l’installe au plus profond des individus. Monde qui veut anticiper l’avenir, le soumettre à la raison conquérante et aux modèles explicatifs élaborés par les spécialistes de la mathématisation du réel, qui est incapable lorsque la réalité dément ses programmes de lui en substituer d’autres, et qui veut instaurer sa maîtrise sur le comportement des individus, en utilisant les techniques les plus variées. Le monde de la raison, c’est aussi celui du contrat. Ainsi, la société techno-bureaucratique instaure au travers de la raison et du contrat un système fondé sur les échanges économiques. Autrement dit, l’économique et l’instrumentalisation arrivent à la place du sacré. Ceci permet de créer le grand pervers et le petit pervers. (490-498). En bref, le pouvoir pervers est donc celui de l’économie comme seule réalité vitale, de la réification des rapports humains, de la transformation de la scène, du triomphe éternel des instruments de maîtrise de la nature et des hommes. (498) 17.

L’auteur considère donc, premièrement, que le primat d’un monde où chacun tend à devenir un objet pour l’autre est aussi à l’origine du terrorisme 18, et deuxièmement, que les liens extrêmement puissants se sont tissés et se tissent journellement entre perversion et système social. La perversion se révèle bien être, à côté de la paranoïa, une des formes principales que revêt le pouvoir pour acquérir sa puissance mortifère et légiférante. (501)

8. La relation amoureuse dans le champ social

La relation amoureuse permise dans le champ social ne peut être qu’asymétrique (exception faite pour les groupes qui essaient de vivre sous des modes coopératifs). Dans le champ social l’amour ressenti ne peut avoir droit de cité que pour un objet vénérable par définition, c’est-à-dire offrant des caractéristiques en dehors du commun (tel un chef charismatique) ou pour une cause. (503) L’imaginaire familial favorise, chez les membres du groupe, l’émergence de ce qui revêt l’apparence d’une « identité œdipienne », de désir de rivalité et d’acceptation de la castration, phénomènes qui se traduisent par des comportements de compétition entre pairs dont l’issue est l’occupation de la place du meilleur fils. Mais la soumission spontanée n’a plus de bornes puisqu’elle fonctionne sous le leurre de l’amour réciproque. Le besoin de réciprocité engendre la possibilité de relations totalement asymétriques. (505)

Les organisations vivent le bonheur de la création et le bonheur de la destruction. Bonheur de la destruction car le processus créateur est un processus des décombres. Construire et détruire sont les deux faces d’une même activité : Façonner le monde selon d’autres schémas imaginaires. A partir de ce point de vue, E. Enriquez remarque que les grands capitalistes du siècle dernier ont construit la société industrielle sur le reniement des valeurs affectives et que les technocrates actuels édifient leur société « technectronique » en faisant disparaître le milieu naturel. C’est pourquoi il propose la question suivante : si donc une institution ou une organisation peut faire croire qu’elle peut donner satisfaction, simultanément, aux pulsions de mort, comment ses membres pourraient-ils ne pas accepter et ne pas aimer ce qui leur donne plus que ce qu’ils auraient pu à peine oser rêver ?.(507)

9. Société et harmonie

Toute société est, par essence, obsédée par l’idée d’harmonie, de consensus, ou au moins, de régulation ou d’injustice prévisible et donc acceptable. L’aliénation est constitutive de l’être humain vivant en société. L’aliénation signifie donc aussi reconnaissance (même déformée) des autres, existence des identifications, impossibilité de parler tout seul, d’être sa propre voix (même si chacun essaie de prendre les autres dans le filet de son propre discours), acceptation d’être parlé par les autres (même si on essaie de les faire taire) et de ne pas tomber dans la parole folle de la toute-puissance. Le refus de l’aliénation sociale, c’est l’apparition de l’aliénation pathologique. En bref, l’aliénation se désignera comme le mécanisme de coalescence des individus dans le corps social unifié. (509)

CONSIDERATIONS FINALES DE EUGENE ENRIQUEZ

1. L’Etat nazi, dans sa lutte contre le judaïsme, n’a fait qu’aller jusqu’au bout de la logique des Etats modernes. Le génocide juif constitue un des éléments essentiels du paradigme de la société qui se construit sous nos yeux et nous fournit par anticipation l’image des génocides actuels comme des génocides futurs. En un mot, E. Enriquez, nous dit, que l’antisémitisme destructeur est une nécessité de la société moderne.(521- 522)

2. Si le lien se crée dans la lutte contre l’indifférenciation et dans la reconnaissance d’une certaine altérité, cette appréhension de l’altérité reste toujours tronquée et accompagnée de violence. Par exemple, sur les femmes et sur les enfants. L’altérité en tant qu’engagement à la réciprocité totale n’existe nulle part. (523). Une altérité trop évidente (comme celle des femmes) engendre la peur sinon l’horreur. Elle oblige à une rencontre avec un autre, véritablement autre (et qui a, en même temps, le visage d’un semblable), capable d’exercer sa puissance spécifique et ses maléfices propres et sur lequel aucun pouvoir n’a véritablement de prise. Si nous sommes tous des êtres différents, pourquoi devrions-nous estimer qu’un sujet parce qu’il peut faire montre de qualités plus valorisées socialement que les nôtres puisse se situer comme notre supérieur ?. (524)

3. Les nations ont besoin de victimes. Et il existe des victimes privilégies (550). Tout groupe social pour trouver sa cohésion, a besoin d’un ennemi et pour se réinstituer, pour se fonder à nouveau sur une parole neuve, il doit nécessairement avoir des ennemis à l’intérieur de lui-même. Pour pouvoir se purifier, il faut avoir été souillé. (552)

4. Le pouvoir fraternel est illusoire 19. E. Enriquez soutient cette affirmation pour les raisons suivantes :

tout groupe, toute société nécessite extérioriser sa violence interne ; la violence agressive et sexuelle est immanente au groupe et a la société ;

aucun groupe ou société peut réaliser intégralement le principe suivant : l’acceptation inconditionnelle des différences ; le droit à la parole pour toutes les catégories sans discrimination d’âge ou de sexe (une forte capacité à l’écoute attentive d’autrui, à l’empathie entre les membres du groupe) ; permettant à l’ensemble des sujets d’accéder aux sources d’information, de les comprendre et de savoir les traiter (513,514) ;

parce que peu d’individus sont vraiment désireux de se faire absorber définitivement par le fonctionnement collectif. Toutes les organisations spontanées qui se sont créées ont connu ce processus lent de dégradation, quand elles n’ont pas vu leur expérience s’interrompre, du fait de l’action du pouvoir central ;

pour que tout reste à un haut degré de fusion entre les membres du groupe, il faudrait qu’ils soient unis dans leurs différences et dans leurs essais de communications les plus intenses possibles. Si cela était possible, E. Enriquez signale plusieurs conséquences, par exemple : l’amour disparaît pour faire place à la haine, à l’envie ou à l’apathie ; la volonté de constituer un groupe pur s’est substituée à la complaisance dans la souillure indélébile ; le futur de l’autogestion est dans sa dégradation et dans sa conversion en ce contre quoi elle s’est instituée. (518). Eugène Enriquez s’attache à dissiper l’illusion souvent dénoncée mais inhérente au projet autogestionnaire : la création d’une société transparente où les conflits trouveraient toujours une solution, où la bonne volonté, l’enthousiasme et l’amour, se présentant sans leurs envers, permettraient à eux seuls de vaincre les obstacles, où le problème de la violence interne au groupe ne se poserait plus, les désirs de mort ayant disparu. (519)

5. L’Etat n’est plus alors le réceptacle d’une partie de la volonté de ses citoyens, il n’est plus que la forme moderne et sophistiquée de la horde, bafouant ses propres lois, instituant l’arbitraire et l’injustice comme mode normal de gouvernement, prenant tout et ne donnant rien, ivre d’une force démultipliée par le développement des sciences et de la technologie. Les exemples d’une telle conversion de l’Etat sont multiples. On ne doit pas s’étonner, l’Etat ayant trouvé son fondement dans la métabolisation de la violence physique en violence symbolique. (586)

6. Les individus, les groupes et les classes ne forment jamais ces masses totalement manipulables, toujours prêtes à succomber à l’hypnose et à la séduction, à courber l’échine devant les vainqueurs utilisant la violence directe. Chacun à leur niveau exprime les résistances des groupes sociaux au monolithisme de la pensée, à l’omnipotence de l’Etat, à la surveillance et au quadrillage social. Si l’histoire de l’humanité ne se résume pas dans l’histoire de la lutte des classes, elle ne se résume pas non plus dans l’investissement massif de tous les champs d’action par des dominants, sûrs d’eux-mêmes et n’ayant devant eux que des personnes réclamant toujours plus d’asservissement. Le conflit est l’essence même du social, la violence son fondement. (592) E. Enriquez déclare : « je ne crois pas à la destruction imminente. J’ai simplement voulu souligner la puissance de destruction de l’homme dans son impossibilité de résoudre la question de l’altérité ».

L'AUTEUR

Eugène ENRIQUEZ est professeur à la retraite de sociologie à l'Université de Paris VII. Il est également membre fondateur de l'ERIP, co-rédacteur en chef de la Revue Internationale de psychosociologie. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le pouvoir dont "De la horde à l'Etat" en 1983.

Ses autres écrits sont les suivants :

"La formation psychosociale dans les organisations" (1971)

"Le sexe du pouvoir"(1986)

"Les trois métiers impossibles" (1987)

"Les figures du Maîtres" (1991)

"L'Organisation en analyse" (1992)

‘‘Jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise’’ (1997)

COMMENTAIRE

De la horde à l’Etat est un texte qui nous permet de réfléchir en profondeur sur la condition humaine et sur le jeu de l’interaction sociale. L’étude de la condition humaine nous révèle que nous devons accepter le fait que l’être humain, quand il vient au monde, est un être physiologiquement inachevé et que c’est la culture qui l’enrichit d’une condition individuelle et sociale grâce auxquelles cet homme ou cette femme atteindra, si tel est son désir, l’autonomie morale pour agir et s’accomplir en société. Quant à l’interaction sociale, elle est par définition le problème existentiel que connaissent tous les êtres humains, tous les groupes sociaux et toutes les tentatives d’expansion coloniale qui se sont déroulées au long de l’histoire occidentale. C’est dans cette perspective qu’il devient compréhensible l’acte d’agression ou de violence interne ou externe par lequel les êtres humains et les groupes sociaux réussissent à se mettre à distance de leurs semblables et des étrangers, et donc à s’approprier leur identité. C’est autour de ce drame propre à la condition humaine que Eugène Enriquez a construit cet excellent ouvrage qui décrit comment le processus de constitution de l’identité individuelle et sociale ainsi que de l’altérité humaine s’élaborent tantôt dans les tréfonds de la nature humaine (inconsciente), tantôt à l’intérieur de certaines formes de pouvoir qui, appuyées sur une idéologie particulière, cherchent à faire advenir un type d’homme particulier.

Pour résoudre l’énigme de l’apparition du groupe et des organisations au milieu de l’altérité, E. Enriquez fait appel à la psychosociologie freudienne à l’aide de laquelle il est tout d’abord parvenu à mettre au jour la notion d’asymétrie amoureuse entre les êtres humains. Cette asymétrie n’est pas en elle-même une perversion, puisque la nature humaine et la culture n’ont d’autre ressort que cette asymétrie fondamentale (exprimée à travers la violence exercée à l’intérieur et à l’extérieur du groupe) qui empêche une relation pleinement fraternelle entre les divers individus et sociétés. Grâce à la psychosociologie, il est venu ensuite à mettre évidence que les rapports traditionnellement harmonieux entre la civilisation et le milieu naturel (terre, végétaux, animaux) sont devenus des relations paranoïaques et perverses. La paranoïa et la perversion concernent non seulement le rapport des sociétés à leur environnement mais également le rapport des sociétés à elles-mêmes.

E. Enriquez montre notamment comment les principales thèses de la religion monothéiste transcendante ont abouti en Occident au développement d’un modèle « inclusion-exclusion » de l’altérité dans le champ des liaisons interpersonnelles (réification), qui a rendu possible l’apparition de l’Etat en tant qu’institution administrant et imposant la violence à l’intérieur et à l’extérieur de territoires déterminés. De cette sorte, les Etats en acceptant (de manière consciente ou inconsciente) le fait que les hommes doivent continuer sur terre la tâche de Jésus, ils accordent une place centrale au travail, à l’argent et à l’organisation industrielle au détriment de l’amélioration de relations concernant l’altérité individuelle et collective. En outre, il explore succinctement les formes au sein desquelles les relations humaines se réifient dans l’organisation au profit de certains principes fondés, d’abord, sur l’idéalisation de diverses idées comme par exemple celle d’un marché parfait, et ensuite sur un narcissisme des entrepreneurs, engendré par la force de séduction d’un pouvoir pervers et paranoïaque, narcissisme qui nie et qui méconnaît la diversité caractéristique de l’identité culturelle et individuelle de la plupart des acteurs participant à l’acte du travail.

En s’appuyant sur ce double constat, E. Enriquez médite l’évolution des sociétés occidentales et les structures idéologiques et fonctionnelles qui ont été élaborées en Occident afin de renforcer les liens sociaux à petite et grande échelle. Sans se laisser entraîner par le pessimisme et avec une grande énergie, l’auteur observe que la civilisation occidentale a fini par constituer un mode de vie centré autour de structures de pouvoir qui entravent toujours davantage le processus de reconnaissance de l’altérité de ceux qui ne partagent pas l’idéologie technique-scientifique et de ceux qui mettent en cause l’outillage de quantification, qui définissent les politiques globales actuelles. A partir de cette perspective, nous pouvons penser et comprendre les expressions éventuelles que peut prendre la lutte pour les revendications des différentes utopies présentes dans la civilisation occidentale.

Dans le cadre très spécifique des sciences de l’organisation, nous estimons que ce livre nous dévoile, d’un côté, l’inanité des invitations à instaurer un humanisme qui ne tiendrait pas compte du drame de l’altérité, et, d’un autre côté, les multiples barrières humaines et culturelles qui empêchent une pleine reconnaissance de l’autre dans l’acte du travail. C’est pourquoi ce texte nous aide à surmonter l’illusion de l’autoévaluation de la gestion d’entreprises et des techniques de reconnaissance de la productivité du travailleur à la lumière des paradigmes fonctionnalistes de notre époque.

En admettant les hypothèses proposées par E. Enriquez, les chercheurs des sciences de l’administration pouvons contribuer à étudier et à proposer des théories et des techniques afin d’éviter que les organisations demeurent des univers divergents et polarisés à l’intérieur desquels les employés sont, d’un côté, l’objet d’un discours mielleux et hypocrite (‘’le précieux capital humain comme source de la qualité totale’’) et, d’un autre côté, traités comme source de régulation indéfinie du niveau de profit ou de déficit à court terme, ce fameux court terme.

Ces études et ces propositions ne changeront pas les structures de pouvoir qui régissent le monde actuel, elles ne modifieront en rien la logique non-fraternelle et le fonctionnalisme qui gouverne les Etats moderne et le modèle de gestion opérationnelle des organisations. Cependant, elles contribueraient à la construction d’un modèle moins inhumain que le modèle actuel. S’il est vrai qu’aucune société ne peut faire disparaître les relations d’autorité, de pouvoir et de subordination, il est vrai aussi qu’il viendra le jour où nous pourrons développer un système symbolique – séducteur – qui partira de la reconnaissance de l’autre en tant que fondement de l’identité individuelle et collective. Ce système sera gouverné par une nouvelle ontologie et par un nouveau pouvoir respectueux de l’ordre cosmologique propre et particulier à chacun des stratus (chose, végétal, animal, humain, communauté, histoire) qui le composent. Dans ce nouveau système, les hommes pourront faire leur chemin, sans abandonner le lieu tragique caractéristique de l’existence humaine, mais tout en suivant les postulats de la gravité et de la responsabilité qui demandent le respect de l’ami et de l’ennemi, de l’homme connu et de l’homme inconnu.

Si nous terminons ce travail par une allusion à la nouvelle ontologie et même à la phénoménologie, c’est parce que ces deux perspectives peuvent servir à compléter cette excellente étude que E. Enriquez nous a livrée sur ce drame humain qu’est l’altérité.

Paris, le 19 mars 2004.

Direction Professeur : Y. Pesqueux CNAM Paris 2003 / 2004 DEA DRH Changement organisationnel

Notes

1 Enriquez Eugène, De la horde à l’Etat Essai de psychanalyse du lien social. Editions Gallimard, 1983, pp 690. Les nombres entre parenthèses se réfèrent à la pagination de ce livre.

2 Dans la horde, le lien libidinal n’existe pas, c’est pour cela que dans la horde il n’y a pas de groupes. La horde est régie par la violence pure et non par l’amour d’autrui qui est impossible à ce niveau. Le crime, en faisant du chef un père, le constitue autrui (à la fois objet d’amour et de haine) ce qui permet la reconnaissance mutuelle et généralisation d’autrui. Nous sommes donc passés du temps primordiel (le grand temps régi par la répétition infinie de mêmes actes et de mêmes pensées) de la horde, nous sommes passés du monde centré sur les rapports de force à un monde de rapports d’alliance et de solidarité. Cette création sociale est accompagnée (précédée /suivie) par l’expression de sentiments complexes : amour, vénération, amitié, culpabilité. La naissance du groupe est inconcevable sans la naissance corrélative des sentiments. (48)

3 Le tabou est l’émergence du sacré, le consacré. C’est à partir de celui-ci que s’observe le renoncement nécessaire à l’apparition de la culture. Le renoncement est corrélatif de l’apparition du sentiment de culpabilité. Tous les deux donnent lieu à l’émergence de la culture. Trois tabous son essentiels pour Freud: le tabou des ennemis tués, le tabou des chefs, tabous des morts.

4 Un groupe n’est pensable et n’est cohésif qu’à partir d’un projet commun. Ce projet est animé par la lutte pour la reconnaissance, pour le désir de conjurer une impuissance et d’échapper à la fascination mortifère qui en eux subsiste, comme à l’admiration et à la crainte devant l’omnipotence. Le lien libidinal unit les fils dans la haine commune éprouvée envers le père. La négation est l’origine de tout groupe (comme de tout individu) en tant que tel et se pensant comme tel, négation par la domination, négation totale qui ne peut s’exprimer que par la destruction de l’autre. (45)

5 Le narcissisme est la phase où le sujet se prend pour objet d’amour et où autrui n’existe pas en tant que tel (dans son altérité propre) mais seulement comme instrument de la satisfaction du sujet, voire de sa volonté de domination… L’homme narcisse, en voulant faire le monde à son image, est amenée non seulement à détruire les autres, mais également a se perdre, fasciné qu’il est par lui-même. (55)

6 E. Enriquez répond dans son livre aux critiques formulées par Lévi Straus à la pensée de Freud (65, 66).

7 E. Enriquez dit qu’en lisant Freud l’on comprend que « ce que l’homme a crée depuis son arrivée sur la terre, les sublimations qu’il a cru réussir (sauf peut-être l’art et certainement la science) sont des illusions qui lui coûtent cher: tout ce que l’homme a accompli, sans volonté consciente (sans refoulement), en se laissant aller à ses tendances inconscientes, ne peut être que mauvais, puisque disparaissent alors la conscience morale et le sentiment de responsabilité » (82,83)

8 Il faut remarquer que les groupes peuvent exister sans un chef préalable (chef réel) à la condition qu’ ils puissent s’inventer un objet transcendant qui guide leur vie (110). Nous ne devons pas oublier que le chef maîtrise le langage, c’est pourquoi il peut être représenté valablement par le message garant de l’existence du groupe tel qu’il a désiré le créer. Les foules s’appuient en idéologies qui lui fournissent une idée du monde. Ces idéologies déterminent les réactions collectives et individuelles par rapport à ce qui est idéologiquement défini comme erronée, mystificateur ou susceptible de rendre le monde décadent. Toute idéologie est donc créatrice d’un nouvel espace imaginaire qui va susciter certains projets et en décourager d’autres, qui va instituer des valeurs, des normes de comportement et des orientations… et qui permet la table rase et le recommencement du monde et un avenir d’autant plus radieux qu’il élimine du champ de la conscience des participants du groupe tout souvenir des moments heureux et féconds qui ont été vécus sous l’égide d’une autre idéologie, et qu’elle promet l’impossible pour tous immédiatement ou dans un délai extrêmement court. (109)

9 L’illusion est indifférente à la réalité. Ces caractères de l’illusion – croyance motivée par le désir, indifférence à la réalité - constituent la sève dont elle tire sa force. De toutes les illusions, l’illusion religieuse est la plus inexplicable et la plus tenace, car c’est la seule qui se fonde sur l’amour d’ un objet absent et invisible dont le rayonnement ne peut ternir. Il est ici est très important de signaler que Freud souligne les conséquences d’une éventuelle destruction de l’illusion religieuse, par exemple: a) un homme sans inhibitions, libéré de toute crainte, abandonnerait à ses instincts asociaux, égoïstes, et chercherait à établir son pouvoir sur le chaos, que nous avons banni par un travail civilisateur millénaire; b) Si l’on veut sortir d’un système doctrinal, le nouveau système adoptera de l’origine toutes les caractères psychologiques de la religion: sainteté, rigidité, intolérance et la même interdiction de penser, en vue de se perpétrer. E. Enriquez soutient que ces suppositions expriment en partie la pensée de Freud. ”Toute civilisation est une lutte contre le chaos”, contre les phantasmes primordiaux, contre le désordre primitif, contre l’indifférence de la violence originaire.

10 Marcuse, Detiene et Vernant, Koyré et bien sûr Enriquez mettent en évidence cette contradiction présente dans la pensée de Freud. En général, on peut dire que la science rationnelle occidentale apparaît donc comme une arme de guerre contre d’ anciens modes de penser, de vouloir et de vivre de nos sociétés et contre également les modes d’être et de réfléchir des sociétés non-occidentales. Elle tend aussi a promouvoir des conduites standardisées, prévisibles et programmables.

11 Pour comprendre la notion d’ordonnateurs de la culture, il suffit, premièrement, d’observer que l’interdit de l’inceste, l’interdit de tuer et de manger le père s’arc-boutent sur la différence des sexes et de générations; en tant que le système d’ alliance, de parenté et de filiation trouve son point d’origine dans la différence des sexes. Deuxièmement, ce sont des ordonnateurs de la culture parce que « la non perception ou plus exactement la transgression de ces différences replonge directement dans un monde du mélange, de la non-discrimination et ouvre les portes toutes grandes à la violence sans frein, au désir de toute-puissance et à son corollaire, l’institution de la mort ».(261)

12 Ordonnateurs de la pensée consciente, puisque l’inconscient ne connaît ni la différence de sexes, ni la différence des générations. « L’inconscient, en tant que fonctionnant sur une logique sans opposition, sans contradiction, où toute chose peut être elle même et une autre, sans repères chronologiques, est le monde du mélange, de la force, de la démence. C’est en quoi il est source d’ invention (l’homme étant sapiens-demens), c’est en quoi il s’oppose également aux règles de la vie sociale. Comme le retour au même entraîné par la transgression des interdits, il n’ accepte pas la loi du père et, par conséquent, empêche toute identification. Le règne seul de l’inconscient, c’ est celui des fragments, des intensités, des plaisirs temporaires et violents, de morcellement des affects, de la loi des objets partiels introjectés, c’est-à-dire l’impossibilité de la conquête d’ une identité distincte ». (263 et pp. 30 pp 622)

13 Eugène Enriquez souligne que les séparations ont donné lieu soit à des exclusions pures « telles celles de jeunes mâles célibataires non reproducteurs, ils furent rejetés à la périphérie dans les sociétés de primates », soit à des « exclusions-inclusions », tel est le cas des ouvriers, à la naissance du capitalisme, reconnus comme instruments nécessaires à la production, mais traités comme marchandises manipulables, corvéables et vendables, et exclus de la citoyenneté, inclus dans le travail productif et exclus de la sphère du vivant ». (269)

14 Face à l’impuissance qu’un monde étranger au sacré engendre en l’homme, (les hommes quels ils soient « même les prophètes » sont dans un état de subordination par rapport a lui) la culture crée une sphère intouchable, transcendante qui, en libérant l’homme des idées de la magie, lui confie la tâche de se rendre le maître du monde et de le soumettre à la loi de créateur, pour réaliser le royaume de Dieu. Ainsi, l’homme vit éclairé par les postulats suivants: a) plus de rapport d’intimité avec la nature; b) plus de transgression possible; c) plus de hommages (offrande, sacrifices) à Dieu ou aux ancêtres; d) plus d’égalité possible.

15 Cf. les pages 379 et suivantes.

16 Un des traits essentiels des Etats modernes est de vouloir homogénéiser et de uniformiser le champ social par l’intermédiaire de procédures de contrôle variées pour pouvoir apparaître comme le seul sacré auquel tout le monde doit se référer. (551)

17 Selon E. Enriquez, si la perversion est plus fréquente dans les sociétés du type capitaliste et la paranoïa dans les sociétés du type de « socialisme réel », il serait pourtant erroné de penser qu’un ensemble social puisse être caractérisé totalement par une modalité de conduite individuelle et collective . Cela ne pourrait être vrai que dans des systèmes totalement clos n’admettant aucune variété en leur sein. En fait, perversion et paranoïa peuvent se succéder ou se compléter dans une même structure sociale. Elles poursuivent de toute manière le même but : permettre à thanatos de régner en maître souverain (501).

18 Par terrorisme, E. Enriquez n’entend pas ici les actions que mènent, à juste titre ou non, des minorités culturelles ou politiques dans la quête de reconnaissance de leur identité (Irlandais, Bretons, Corses o Palestiniens), il entend le mouvement de désordre ayant pour but d’une part de prendre la société telle est au pied de la lettre, d’autre part de réintroduire du prophétisme et un « grand dessein ». (499)

19 A ce sujet, l’auteur nous dit « il n’est pas question de nier les tentatives nombreuses qui ont jalonné l’histoire des entreprises comme l’histoire des peuples de gouvernement par les intéressés eux-mêmes, décidant des orientations, prenant collectivement les décisions, aptes à susciter enthousiasme, capables d’accepter ou même de désirer un mode de rémunération égalitaire, de procéder à une rotation des fonctions ou des mandats exécutifs. Ces tentatives ont eu lieu et elles ont souvent, par leur réussite temporaire, alimenté l’espoir d’une société qui se penserait fraternelle et qui parviendrait à la l’être. (511)