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LA DYSLEXIE COMME PRODUIT DU DISCOURS DE LA SCIENCE
Questions préliminaires
R. GABORIAU

La colère est mauvaise conseillère.
Texte écrit dans la colère.

-1-

Les documents sont là, face à moi, étalés sur mon bureau. Trois photocopies, trois malheureuses pages à l’épair fragile. Elles relatent l’ardente dispute qui oppose écoles d’orthophonie et ministère de la Santé. L’instauration à venir, jugée comminatoire, d’un exercice professionnel à deux étages a suscité protestations serrées et râles convulsifs chez nombre de mes collègues.

Alors, oubliant un temps l’apologue de Schopenhauer des porcs-épics transis de froid – apologue repris par Freud en sa Massenpsychologie -, les orthophonistes ont créé assemblée. On y a chanté et célébré l’être ensemble. On a pu crier à l’avanie, haranguer les foules et pétitionner à tour de bras. La sauce y était du spectacle. Il y a là, je l’assure, nulle ironie de ma part. L’atmosphère épousait simplement la banale manifestation de toute esthétique que Gagnepain baptise chorale.

Un oubli pourtant. Simple, limpide presque. Si ces propositions font en notre cénacle aujourd’hui irruption, c’est que la porte leur a été ouverte.

Car invités tout d’abord, les actuaires ont progressivement élu domicile dans le petit monde de la rééducation. Mouvement lent, insidieux, sans véritable esclandre. Certains s’en sont émus. Mais il s’agissait de philosophes, de psychiatres, de psychanalystes, de sociologues, d’essayistes. Qu’ils nous paraissaient loin de nos préoccupations ces gens-là ! Nous ne leur avons donc pas prêté notre écoute. Dîtes ce que vous voulez, nous n’en avons que faire, cela nous est complètement égal, cela ne nous intéresse en aucun cas. Nous ne voulons pas le savoir. Et puis, après tout, notre territoire ne prenait-il pas de la valeur à mesure que les statisticiens s’y installaient ? D’abord à l’étroit, aux clôtures évasives, le terrain a été entièrement repensé par nos modernes architectes. Malgré un espace quelque peu compté, ils ont su créer un véritable jardin vertical où règnent désormais rythmes et profusions végétales. Ils ont su jouer avec les axes, masquer les haies, installer des dalles, contraster la matière. Encore un effort, arguent-ils, et ce sera un somptueux jardin…à la québécoise.

Certes, le constat peut sembler sévère, exagéré, âpre ou captieux. Ainsi porterions-nous dans cette affaire le masque de Jocrisse ? Soyons rassurés, nous ne sommes pas les seuls. Ce mouvement embrasse de nos jours tout notre monde. Et il n’est pas tout à fait d’hier. C’est ce qu’il me faut à présent démontrer. Or démontrer, tout cruciverbiste le sait, c’est démonter sans manquer d’air. A ce désossement nécessaire, la dyslexie me servira de modèle.

Car si la médecine a pu en constituer la poche et l’instiller d’abord au « goutte à goutte », il appert aujourd’hui que cette poche a cédé. Le poids sans doute, le poids d’un remplissage incessant. Le contenu s’est alors échappé de manière inextinguible. Il s’étale désormais et semble s’incruster sur les bureaux des différents spécialistes de l’enfant. Centres du langage, classes spécialisées, SESSAD, SEFFIS, CMPP, associations d’aide, médecins, neuropsychologues, psycholinguistes, psychologues, orthophonistes, instituteurs spécialisés… on ne compte plus de nos jours ce que la société met en place pour y répondre. Sur mes cahiers d’écolier, sur mon pupitre et les arbres, sur le sable sur la neige, j’écris ton nom. Dyslexie.

L’accent ici est à mettre à sa place. La question est sociale, éminemment sociale. Et, par là même, évidemment clinique. Question de société donc, et de son malaise inhérent. Et notre société, un discours la soutient, celui de la science. Nous y errerons un instant. Nous y rencontrerons en chemin notre sujet, la dyslexie.

-2-

Le discours de la science n’est pas la science. Le discours de la science, c’est le gouvernement par la science. C’est la science qui occupe une place privilégiée dans l’espace du « vivre ensemble ».

Longtemps ce lieu a été occupé par Dieu. Mais la science l’en a délogé. Allez, ouste ! Chassez-moi d’ici ce charlatan ! Dehors ! Pousse-toi de là que je m’y mette ! Vacillement des repères, soleil rendu caduque. Par cette substitution, toute la logique collective s’est trouvée bouleversée. Radicalement. Je lorgne ici, on s’en doute, du côté de l’anthropologie.

Mais cette place, quelle est-elle ? Comment une société peut-elle se dessiner, prendre telle figure à partir d’une position, d’une simple position ? Comment définir cette obscure forme qui donne contours à la vie ?

Son nom dans l’histoire a varié. Les auteurs qui ont cherché à la circonscrire l’ont désignée de mille manières. J’en ramasse les termes et les entasse dans un même sac. Aucune subtilité dans mon geste. Je vais vite. Je pantonymise à outrance. Disons que je l’appelle la Référence, pour reprendre le terme à Pierre Legendre. Mais de sa chanson, j’en garde simplement l’air. Et dans ce grand sac, j’y inclus les grands récits (Lyotard), le grand sujet (Dufour), le grand projet (Lipovetsky), le Père, le Totem (Freud, Lévi-Strauss), l’idéal (Pommier, Melman, Miller), la couveuse symbolique (Sloterdijk), la transcendance, l’Au Nom de, l’Au-moins-un (Lacan, Lebrun, Chemama, Pirard), voire l’idéologie (Althusser). Autrement dit, la Référence, c’est l’exception, l’exception qui fonde la règle, le « pour tous ».

C’est dire son importance dans la représentation de notre rapport au monde, au corps, à la pensée, y opérant tel ou tel type de catégorisation. La Référence range en fait chacune de nos petites affaires. Elle classe. Elle trie. Elle sépare. Elle découpe le grand fatras de l’univers et l’organise. Logique du trait illustrée autant par les trois clans de l’ours, de l’aigle et de la tortue chez Lévi-Strauss, par l’anecdote du défaut dans le tapis arabe (car Dieu seul fait des œuvres parfaites) chez Legendre, que dans le rapport des primevères aux fleurs chez Piaget !

Sa chair est langagière. Son sang est la parole. Production discursive, métaphore géante, la Référence se pose comme origo et auctoritas sur l’indicible que représentent par exemple pour nous humains naître, vivre, mourir. Oui, même mourir. Lacan avait raison, la mort est une croyance. La Référence dit sans dire ce qu’est la vie, ce qu’est la mort, comment il faut les déchiffrer, arrachés que nous sommes de notre animalité. Nous en sommes les enfants avant même d’être ceux de nos parents. Enfants de Dieu et enfants de la Patrie ne portent pas les mêmes langes, ne parlent pas la même langue. Il n’est pas égal de naître sous les lois de Manu, en compagnie des esclaves, des malades, des professions interdites, et où la naissance est déjà la fin d’un premier stade, ou de naître en Afrique Noire, déjà ancien et petit à la fois. Non, il n’est pas égal d’être né dans nos contrées au XVIème siècle, allaité par d’autres seins que ceux de sa mère, ou d’être né au XXème, considéré déjà comme minorité exploitée, personne savante, enfant de la Science trouvant sa place sur une courbe de Gauss.

Car il en est aujourd’hui ainsi, le monde a depuis peu changé de base. La base deux a remplacé la base trois, pour le dire dans les termes de G. Pommier. Nulle odeur de naphtaline ne doit cependant s’exhaler de cette constatation. L’époque où l’on fréquentait les églises pour écouter le ciel et apprendre à regarder ses chaussures est révolue. Freud pensait même que la névrose représentait un gain sur la religion. Et la Mère Patrie n’agite dorénavant plus ses bras pour rythmer sous son égide le pas cadencé des soldats. « Quand tu entends les marches militaires, souviens-toi que tu boîtes » disait un aphorisme surréaliste. Il s’agit simplement de prendre la mesure que nous sommes passés de « la chair à canon à la chair à consensus et à la pâte à informer », comme l’écrivait élégamment Gilles Châtelet.

-3-

Là où se déchire le silence du monde, où les fumées de l’origine se précipitent croyant y puiser leur source, là se sont posés les pieds de la science en leur triomphale stabilité. Mais la conquête fut rude, et l’histoire en garde quelques sillons. Son tracé est complexe, sa lecture hasardeuse. J’en présente les gros traits. J’en assume la caricature. J’y place arbitrairement en effet des signes de ponctuation, ici les siècles. Mais l’histoire n’est-elle pas toujours notre façon de traiter le temps ? Et la signification que nous lui donnons ne se noue-t-elle pas nécessairement par rétroaction ? En tout cas, ce balisage est essentiel pour mon propos.

Au XVIIème siècle, tout change, tout est en train de changer. Bien sûr, chacun se livre à ses tâches quotidiennes. On ne se doute de rien. Ou on croit ressentir quelque chose. Ce sont les premiers frémissements, infimes, quasiment obscurs dans leur appréhension. Comme dans sa chanson, au moment où Roland agonise, tout un monde semble mourir avec lui. Le bel ordre du monde chancelle, vacille en ses fondements.

Malgré les terrifiants tumultes des guerres de religion, des épidémies et des famines, on peut entendre se fissurer l’épaisse forteresse féodale. Dans le fracas des pierres qui s’écroulent, on discerne l’émergence de l’Etat de droit. Grégoire VII, en ses dictatus papae, avait déjà instauré la plenitudo potestatis sur l’Eglise et les royaumes. On commençait alors à se frotter les yeux à la lecture du Droit romain et reposer ses coudes sur les tables des neuves universités. L’édit de Villers-Cotterêts imposait à tous le flot de la langue française. Dans les campagnes de l’Europe ont poussé des villes. Et dans ces villes a poussé une bourgeoisie commerciale. Et avec elle tout un peuple qui n’a plus pour subsister que sa force de travail à vendre. L’ombre des manufactures naissantes commençait à assombrir la pâle lueur des petites échoppes et des régulations corporatistes. Un nouveau ciel d’argent s’offrait également à la vue après la découverte des Amériques. L’amertume de Du Bellay, sensible en ses Regrets, souligne l’essor de cette nouvelle économie qui pose alors ses premières pierres : « Flatter un créditeur, pour son terme allonger » écrivait-il (sonnet LXXXV). La Bruyère, plus cru, parlait des glorieux de ce système naissant en terme de « parvenus ».

Selon Max Weber, le frisson pécuniaire qui parcourt et excite peu à peu la surface planétaire trouve sa source dans le mouvement chaste du protestantisme et sa lecture du mot Beruf. Aux jouissances immédiates, on oppose désormais le gain d’argent. Certes. Mais les débats ardents sur l’attrition et la contrition du XVIIème siècle au sein de l’Eglise montrent également que pour elle, faute avouée, à moitié pardonnée. Le Cur Deus homo ? de Saint Anselme (1097) avait déjà reformulé la doctrine du pêché et du salut de Saint Augustin (tous Adam !). C’est en fait une foi nouvelle en l’homme, en sa valeur, qui apparaît. La littérature elle-même devient moins anonyme, et le roman fait ses premières rentrées littéraires. Le monde en somme se dé-substantialise.

René Descartes avait-il des antennes ? Descartes, « ce mortel dont on eût fait un dieu chez les païens » aurait dit La Fontaine, avait-il senti le vent tourner ? Copernic et Galilée l’ont-ils porté au pied du mur ? Leur regard avait en tout cas d’ores et déjà desséché la claire cosmogonie de Ptolémée et Aristote. Avec eux, l’aube de la modernité s’annonçait. Car Galilée avait choisi sa voie, son modèle directeur : les mathématiques. L’observation et l’experimentum commençaient alors à défaire le monde. « Ô mathématiques concises, par l’enchaînement rigoureux de vos propositions tenaces et la constance de vos lois de fer, vous faites luire, aux yeux éblouis, un reflet puissant de cette vérité suprême dont on remarque l’empreinte dans l’ordre de l’univers » (Lautréamont, Les chants de Maldoror, chant deuxième, p.136 de l’édition J.-C. Lattès, Paris, 1995).

Les mathématiques, nées en Grèce aux alentours du VIIème siècle avant J.-C., nées de la coupure, nées de l’arrachement du logos au mythos, nées peut-être de l’appropriation du savoir pratique de l’esclave, inauguraient une déchirante fin à la symbiose existant à son époque. A. Comte considérait qu’à l’explication théologique succédait alors l’explication métaphysique. La vertu dynamique de l’air mettait fin à la flamme courroucée des caprices d’Eole. Les forces abstraites poussaient vers la sortie les dieux épiques de la pensée grecque. Le Kosmos, désormais, trouvait son explication de manière rationnelle. L’Organon d’Aristote, par exemple, présente une élégante illustration de cette création des mathématiques comme science déductive. Dans l’agora, résonnaient à présent la parole et la raison. Logique, dialectique et rhétorique occupaient le cœur de la Cité. Les premiers livres apparaissaient. Le monde lui-même se faisait grand livre ouvert. Chaque chose en effet, de la terre jusqu’aux astres, était à sa place, d’être ce qu’elles se devaient d’être et d’obéir à la grande Loi. A charge dès lors pour les grecs de réceptionner. L’adaequatio rei et intellectus offrait à l’episteme son principe de vérité. Le savoir à transmettre nécessitait la création d’autres écoles que celles des scribes. Mais les énonciateurs ne s’effaçaient pas encore derrière leurs énoncés. En témoignent les débats de Galilée et de Copernic avec leurs aînés grecs (Cf. Feyerabend).

Du geste galiléen et du séisme politique qui s’annonce, Descartes en reçoit le faire-part et en prend acte. Les écrits métaphysiques ne dormant plus tranquilles dans leur sérénité, le philosophe cherche à les apaiser. Il trouve alors par son cogito de quoi fonder les sciences modernes. Dubito, cogito ergo sum, et dès lors inspecter en mon esprit ce qui se donne dans la plus parfaite évidence. Le truchement un temps d’un partenaire peu fiable, le malin génie trompeur en sa toute puissance, l’accompagne jusqu’au 2+2=4, puisqu’il en plait ainsi à Dieu. Voilà la grande affaire ! Descartes tient là entre ses mains une scie qui offre à la science sa seconde naissance. Le savoir s’éloigne de la vérité, déposée qu’elle est dans les mains de Dieu. Le savoir peut s’inscrire désormais sans l’ombre d’un remord envers les ancestrales connaissances. 2+2=4, cela suffit. La volonté de Dieu qu’il en soit ainsi importe peu à présent. La science qui prétendait jadis plaire à la métaphysique ne s’en soucie plus guère à présent. I. Kant, on le sait, faisant du sujet la véritable origine du savoir, enfoncera le clou. Se trouve congédié peu à peu le sujet essentialiste, substantialiste.

Alors, évidée de toute subjectivité, au-delà même de tout acte qui la fonde, la science devient jeu de petites lettres. Désormais moderne, résolument moderne, elle peut fonctionner. Formalisme qui roule pour lui-même, énoncés objectifs qui s’annoncent comme indubitables, pure opérativité qui s’emballe, priment dorénavant sur l’effet de trouvaille qui les constitue. C’est un progrès. Un pas de géant. Changement de décor, changement de paradigme (Cf. Kuhn). La raison triomphe. Les méthodes scientifiques se font de plus en plus fines. Et surtout, le désir de répandre les connaissances se répand.

***

Dieu vient de recevoir une gifle. Le coup qui lui est porté au XVIIIème siècle est plus rude encore.

C’est le siècle des lumières, du règne de la raison. Les philosophes le savent. Ils le disent, ils le proclament : la misère et l’archaïsme sont de funestes voiles jetés sur le monde. Il faut en finir avec l’ignorance et l’irrationnel. C’en est trop ! Arrachons cette étoffe opaque ! Messieurs, Mesdames, l’éducation du peuple devient une priorité. L’étendard de la Raison est levé. A la conquête du bonheur ! Le futur nous appartient. L’homme désormais doit prendre conscience de sa force, de sa liberté, de son intelligence. Locke et Newton fascinent. La géométrie est fièrement dressée comme l’idéal de la connaissance. Sciences physiques, botaniques, biologie et médecine se propagent comme un écho fortuné dans tous les pays. C’est l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, c’est l’Histoire naturelle de Buffon, c’est le traité de chimie de Lavoisier. Ce sont aussi les ouvrages de vulgarisation scientifique de la Bibliothèque bleue. On se réjouit de l’espoir insatiable qui s’échappe des applications concrètes de la science. Dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, Bernard Le Bovier de Fontenelle claironne qu’il ne peut plus « jurer qu’il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la lune et la terre. » Un parfum libérateur émane des sociétés savantes et des académies qui fleurissent un peu partout. On voyage beaucoup aussi. Notamment par la lecture. Les mille et une nuits et Voyage en Perse se feuillettent et une porte s’ouvre sur la mer et les contrées lointaines. Le livre est une arme. Voltaire écrit son pamphlet sur l’Horrible danger de la lecture, et Rousseau arrache de ses rêveries les idées de volonté générale et de contrat social. Robespierre et Saint-Just, on le sait, en feront leur petit livre rouge.

La révolution Française est un mythe précieux pour notre démocratie a écrit quelque part Lévi-Strauss. Michelet, sans nul doute, s’en est fait le scribe. Le 14 juillet 1789, Louis XVI est allé se coucher de bonne heure. L’histoire ne dit pas si, comme Proust, à peine la bougie éteinte, ses yeux se fermaient si vite qu’il n’avait pas le temps de dire : « Je m’endors. » Pendant ce temps, la Bastille est prise par les révolutionnaires. Le duc de Liancourt, à pas feutrés j’imagine, réveille sa Majesté. Il lui parle alors de la grandeur du mouvement : « Mais quoi ? C’est donc une révolte ? – Sire, c’est une révolution. »

Révolution, le terme n’est pas usurpé si l’on songe à l’addition de Prévert (rêve + évolution). Ecartant la lourde et triste monarchie, elle amorce un monde nouveau. Pour la première fois sans doute, nul recours à Dieu n’est invoqué. Le surplomb religieux grimace. C’est la fin d’une logique collective à partir d’une place d’exception extérieure. Le monde moderne sourit de ne plus être suspendu à la transcendance et de chercher en son sein l’instance Une qui la soutient. La verticalité change de garant. L’index jadis levé vers le ciel montre désormais la terre. Le lieu du pouvoir devient un lieu vide, selon C. Lefort. Les têtes tombent. Saint-Just en indique d’ailleurs la logique : si on nie Dieu, alors il faut tuer le roi. « L’esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République. » Camus l’a fort bien analysé dans son Homme révolté.

La Révolution a donc défait la monarchie et inauguré dans la célébration de la Raison la démocratie. Ma présentation est rapide, simpliste même. Car on n’évacue pas Dieu comme ça. « Aussi longtemps que se dira quelque chose, l’hypothèse Dieu sera là », prévenait Lacan en son vingtième séminaire (Dieu, le dieur, le dire). Socialement en tout cas, Il reste dans les parages de la Référence un certain temps. Mais son déclin est d’ores et déjà amorcé. De plus, la Révolution a permis d’asseoir le capitalisme en étouffant les ombrageuses corporations et en agrafant à la boutonnière de chacun la soucieuse liberté du travail.

***

La science se lève et le capitalisme s’épanouit. Ils se font signe et se rejoignent. C’est le XIXème siècle. Alors, peu à peu, la raison instrumentale l’emporte sur les hésitations et la raison critique. La conception de l’action, écrit Arendt, prend pour modèle celle de la fabrication. Et dans les mains de cette dernière tout devient matériau. Un capitalisme moderne qui s’appuie sur les moyens de la science succède au capitalisme marchand. Weber notait que le capitalisme, reposant maintenant sur une base mécanique, n’avait plus besoin du soutien de l’ascétisme religieux. L’Homo Faber, le pragmatisme dans les poches, se taille des statues à son effigie. Une efficacité croissante est recherchée. Elle exige une organisation rationnelle du travail. C’est l’heure de l’ère industrielle, de la « rationalisation généralisée de l’existence » (M. Weber) qui fait de l’être ensemble un social de plus en plus mécanisé et prédictible. Un nouveau Sollen en quelque sorte. Le machinisme finit par briser, par broyer en ses rouages, la concurrence des artisans. La production s’énerve et s’enorgueillit de sa croissance.

Les découvertes scientifiques s’enchaînent. Mille nouvelles techniques, mille luttes victorieuses contre la maladie. Claude Bernard presse le pas de la médecine vers la méthodologie scientifique. On chuchote encore l’espoir d’un monde ouvert aux promesses heureuses. Zola décrit cette foi dans le progrès : « la science fait table rase, la terre est nue, le ciel est vide » (Docteur Pascal, page 1162 de l’édition J.-C. Lattès). Tout doit être scientifique en ce siècle. A Paris, on ouvre des restaurants et des parfumeries dits scientifiques. Le socialisme de Marx et Engels se fait lui-même scientifique. On prend à cette époque encore les messies pour des lanternes.

C’est également l’ère de la prise en compte de la vie par le pouvoir. Selon M. Foucault, Faire vivre et laisser mourir devient le nouveau credo politique. Il nomme cette gigantesque affaire la Biopolitique. L’être humain en effet passe au crible des nouveaux procédés de la connaissance. Devenu objet de science, l’homme se tait. Du moins est-il censé se taire. Sa vérité s’épuise, pense-t-on, dans son être naturel. Apprentissage, éducation, santé et social préoccupent le pouvoir. L’hygiénisme affiche ses préceptes sur tous les pans de mur de la Cité. Disqualifiée, la mort comme idée bat la retraite, entraînant dans sa chute les grands rites. L’hôpital annexe des territoires qui lui étaient autrefois interdits et s’offre comme un temple moderne où l’on vient, comme l’écrit J. Clavreul, naître, prier et mourir. L’école devient obligatoire et gratuite : 1880 en Grande-Bretagne dans la lutte entre les Whigs et les Tories, 1882 en France dans sa lutte laïque. S’étant approprié l’enfant, l’école le définit ensuite comme objet d’étude pour la psychologie. Ainsi A. Binet crée-t-il les « débiles d’école », ces gamins aux lèvres tristes de ne pas savoir lire.

Une ample activité disciplinaire tisse à présent le quotidien de ses contemporains. Elle affirme la nécessité de rentabiliser le travail humain sur le modèle péremptoire de la mécanique. Sa fonction est le contrôle. C’est le triomphe de l’individu individualisé. Et on entend qu’il garde sa place ! Le regard dès lors devient central. Le neurologue Babinsky le place même aux cimes de la clinique. Les comportements et leur évolution deviennent à présent descriptibles. Et les comparaisons rendues par ce geste possibles éblouissent en donnant les moyens d’établir des normes. M. Foucault argumente sa thèse et souligne combien cette généralisation du contrôle est importante, en son échelle, en son objet, en ses modalités.

F.W. Taylor, pendant ce temps, promeut l’OST, l’Organisation Scientifique du Travail. Chaque tâche de chaque exécutant se voit décomposée en mouvements élémentaires recomposés ensuite en séquences jugées plus rationnelles. The one best way, argue-t-on aux ateliers.

Un exemple de tous ces remaniements : le temps. Car l’écorce millénaire du temps a changé. On vit en ces jours sous l’œil du cadran. Les indications du soleil ou des saints ont cessé d’exister. Le temps, paraît-il, est assassin. Chacune de ses élaborations s’est effectivement payée d’un crime. Car croire en l’existence d’un temps vrai est affaire de foi et non de science, rappelle judicieusement A. Jacquard dans son essai Voici le temps du monde fini. Parménide pensait que tout ce qui existe au monde est éternel. La création ex-nihilo du Dieu du monothéisme a sans doute permis de créer une faille dans le bel ordre des choses et d’amorcer une linéarité. Le temps social est cependant resté longtemps la durée. Le soleil se lève, puis il se couche sur une terre plate et gelée en ses mouvements. L’ébranlement opéré par l’héliocentrisme a frappé la durée religieuse et l’a transformé en temps scientifique. Si la non oisiveté réglait l’utilisation du temps, il règne à partir de là un principe d’utilisation croissante. L’emploi du temps détermine les comportements. On se met à compter en heure, en minute, en seconde. Le corps, en ses gestes et en ses attitudes, devient décomposable. Sur ce découpage chiffré, sur ce dépeçage comptable, s’élève une pédagogie scientifique, c’est-à-dire une pédagogie analytique. On nie les pauses, on exige une exécution rapide. Time is money. Par le jeu du regard, on différencie, on sépare, on dissocie. Une notion prend alors de l’épaisseur, celle de l’exercice. Ce n’est plus le lourd temps initiatique de la forme traditionnelle qui prévaut, mais le temps des séries, nombreuses et progressives, répétitives et graduées. M. Foucault – toujours lui – donne ainsi l’exemple du « Règlement pour les écoles de Lyon » écrit par Demia en 1716 (voir son ouvrage : Surveiller et punir, Tel Gallimard, p.187). Demia divise l’apprentissage de la lecture en sept niveaux : « Le premier pour ceux qui apprennent à connaître les lettres, le second pour ceux qui apprennent à épeler, le troisième pour ceux qui apprennent à joindre les syllabes, pour en faire des mots, le quatrième pour ceux qui lisent le latin par phrase ou de ponctuation en ponctuation, le cinquième pour ceux qui commencent à lire le Français, le sixième pour les plus capables dans la lecture, le septième pour ceux qui lisent des manuscrits. » Cette organisation s’accompagne de subdivisions : apprentissage des lettres simples, des lettres mêlées, des lettres doubles, etc. Un ordre bat dans la poitrine de cette conception. Ce qu’elle vise, L. Lurçat l’appelle la « connaissance totale de l’enfant ». Tous les écarts, tous les manques, toutes les fautes sont scrutés, soulignés, mesurés, archivés. Ceux de l’enfant, mais aussi ceux de sa famille. A la suite de Ph. Ariès ou de J.-C. Quentel, je situe là une nouvelle manière d’envisager l’enfant et la lecture.

-4-

Tel est donc le contexte qui préside à la naissance de la dyslexie.

En novembre 1896, le British Medical Journal publie un article d’un médecin, Pringle Morgan, relatant le cas d’un garçon incapable de lire. Il a 14 ans. Je rappelle que l’école est obligatoire depuis 16 ans déjà pour les petits sujets de la reine Victoria. « Je ne sais pas ce que j’ai, déclare-t-il. Je suis intelligent, doué pour les mathématiques ; si mon professeur ne cotait que mes réponses orales, je serais le premier de la classe ; mais malheureusement, je suis le dernier parce que mes camarades même peu doués apprennent sans difficulté ce qui malgré tous mes efforts m’est impossible : lire et écrire » (cité par Estienne et Van Hout, in Les dyslexies, Masson, 1996). Il ne peut, nous dit-on, combiner les sons des mots simples, pas même deux syllabes. Pringle Morgan n’en doute pas, son diagnostic est celui d’un fonctionnement anormal de certains centres très localisés du cerveau : le « centre de la lecture » est touché, anomalie congénitale du gyrus angulaire gauche. Un nom est apposé sur cette pathologie : « cécité verbale congénitale ». Faut-il voir en cette cécité un doux retour à la clinique contemporaine du regard ?

1896, nous ne sommes pas à l’aube de l’analyse du « je mens » d’Epiménide le Crétois par J. Lacan et de sa dichotomie énoncé/énonciation. Non, 1896, nous sommes en plein essor de la neurologie et du scientisme. La courbe de la science fait alors allégrement le tour du social. C’est l’ « auréole du temps » (Eluard).

Devant les corps fanés ou devant les corps aux poings serrés, Hippocrate et Galien faisaient déjà du cerveau l’organe privilégié des sensations et de l’intelligence. Franz Joseph Gall y trouve un fondement scientifique mais ouvre un horizon à la phrénologie. On s’attache désormais à trouver une lumière dans les masses cérébrales des corps allongés. En 1861, le chirurgien et anatomiste Paul Broca est salué à la Société anthropologique de Paris pour sa description d’un patient aphasique nommé M. Leborgne (sic !). Elevant le niveau, il inaugure la recherche sur les troubles du langage dus à une lésion de l’hémisphère gauche. Treize années plus tard, c’est au tour de Karl Wernicke de rapporter le cas d’un autre patient aphasique, mais atteint de symptômes différents du susdit M. Leborgne. Sa description nage dans les eaux ouvertes par Lichteim et son associationnisme (souvenez-vous du schéma de la maison), inspiré par Etienne Bonnot de Condillac (souvenez-vous de l’image de la statue de marbre). De ces initiatives, il naîtra mille études. Ce sont les jours glorieux de la neurologie, avec Jackson, Head, mais également Charcot et Babinsky. En 1892, Dejerine décrit l’alexie pure, autrement nommée « cécité verbale ».

L’hypothèse d’une anomalie cérébrale se généralise et dépasse largement son domaine. La psychiatrie elle-même évoquait la dégénérescence avant que Freud lance dans l’air du temps la question de la cause subjective. Mais la médecine hygiéniste trouve dans l’organique une interminable nourriture pour sa faim vorace. L’échec scolaire est rapidement médicalisé. En 1896, James Kerr publie son essai sur l’ « Hygiène scolaire, dans ses aspects mentaux, moraux et physiques ». En Ecosse, dans les débuts du XXème siècle, l’ophtalmologiste Hinshelwood se passionne pour ces enfants en difficulté dans l’apprentissage de la lecture et en donne de nombreuses observations dans ses monographies intitulées : « Lettres, mots et cécité verbale » et « cécité verbale congénitale ». Il suppose comme ses confrères une atteinte fonctionnelle bilatérale et congénitale du gyrus angulaire. Malgré le scepticisme d’un Hollingworth dès 1900, la dyslexie est reconnue comme maladie. Les dénominations se succèdent, de l’ « analphabétisme partiel » de Wolff (1903), à l’alexie de développement (Schmitt, 1918), en passant par la « stréphosymbolie » d’Orton (1937). Le terme de dyslexie est utilisé dès 1909, notamment par Rutherford qui l’a repris à l’aphasiologie de Berlin (1887). Un remous s’est produit ; les observations s’accroissent.

La dyslexie, considérée comme maladie, a donc acquis statut scientifique. Nommée comme entité, la voilà qui se fait objet scientifique dont l’être se sépare et oublie le sujet malade. L’index « stéthoscopique » se moque bien de la subjectivité. Ouvrez la bouche et dîtes trente-trois ! Le malade s’efface alors devant l’étrange et véhémente maladie qui le dérange. Seule compte la lecture des infinis replis du corps du non lecteur, dès lors désengagé de ses apprentissages. Car le discours de la science ne se soutient ici que de son unique objectivité. Ayant comme dessein de mettre en équation l’être humain, il appréhende le malade comme une égalité : malade = homme + maladie (Cf J. Clavreul, L’ordre médical, Seuil).

Il ne s’agit pas de faire grief à l’art médical. Que le perçu qui remonte à la surface de leurs palpations vienne immédiatement s’ordonner en tableau et se loger dans un discours qui lui préexiste ne me choque pas. Ce qui me trouble, et j’y reviendrai plus bas, c’est lorsque la médecine ne prend pas en compte non seulement que l’enfant qu’elle ausculte dans cette circonstance est l’enfant de la science mais également la spécificité de son objet, à savoir son aspect culturel. Ici le primat du biologique vient écraser le culturel. Le savoir constitué se transmet alors sans emporter avec lui le lieu d’où il provient.

Ainsi s’en sont allées les hypothèses neurologiques vers d’autres pays. Aux Etats-Unis, Samuel Torry Orton, neuropsychiatre et neuropathologiste, se passionne pour cette question et entame une intense activité de recherche. Il recueille moult observations et guide les regards vers les troubles de la latéralisation. Et pour donner un peu de substance à son diagnostic, il trouve une « anomalie de dominance hémisphérique d’origine génétique ». L’idée prospère. En France, J. Ajuriaguerra et la fondatrice de l’orthophonie S. Borel-Maisonny décrivent également un même trouble de l’organisation spatio-temporelle chez ces enfants qui se perdent dans la lecture. Face à cette nouvelle clinique, on cherche à ne plus être borgne et on multiplie les études jusqu’à pouvoir présenter un portrait-robot du dyslexique : majoritairement de sexe masculin, le dyslexique est gaucher de l’œil et de la main, en difficulté dans la structuration du temps et de l’espace, peu à l’aise dans la répétition de rythmes, etc. On évoque des lésions cérébrales minimes ou des dysfonctionnements cérébraux mineurs. En 1958, sous l’impulsion de C. Chassagny, élève de F. Dolto, est fondée l’Ecole de formation des rééducateurs de la dyslexie. Comme R. Diatkine, tout en dénonçant la causalité neurologique, pour y substituer un problème affectif, il consacre tout autant le terme.

Bref, la dyslexie existe désormais, son échafaudage bigarré ne la rendant que plus solide. Car, s’il y a les pour, les contre, et les « peut-être bien que oui, peut-être bien que non », il demeure qu’elle est reconnue comme entité. Mais cela ne se crie pas encore sur tous les toits. « Amie du silence » (Ph. Soupault), son arrivée sur la scène est discrète, son pas léger. Il en faudra plus pour qu’elle devienne célèbre.

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« Avez-vous déjà giflé un mort ? » demandait Aragon en sa période surréaliste. Le XXème siècle l’a fait. Bourre-pif prodigieux dans la face du cadavre. Les idéaux s’écroulent. Dieu est mort, on connaît l’aphorisme célèbre de Nietzsche. Mais il n’est pas le seul dans l’affaire. Car à sa suite seront entraînés dans sa chute tous les « grands sujets » (Dufour). Oui, au XXème siècle, la Référence, cette vieille baudruche anthropologique, explose. La religion, le communisme se délitent d’abord et deviennent blêmes. Puis ils crèvent. Les lendemains qui chantent sont dorénavant aphones. Une démythification du monde a lieu. Gramsci l’avait noté, les mythes sont devenus folklores (folklorisation du Nom-du-Père ?). L’orage des énoncés de granit a grondé jusqu’à faire chanceler les préceptes des Livres. Ils en ont assourdi les voix. On ne les entend plus.

Aujourd’hui Narcisse entend la nymphe Eco. Son moi se reflète dans les mille objets qui s’offrent à sa consommation. Son corps brille alors des apparats kaléidoscopiques de la marchandise. Science et Capitalisme se tiennent la main et tiennent les manettes. « Prends garde à la lumière livide de l’utilité » prévenaient Breton et Eluard. Mais une anthropophagie mercantile et vulgaire a étouffé leur cri.

De la tombée en abîme de toute référence, c’est le nazisme en son horreur qui en a anticipé le mouvement. Aucun Autre n’est venu au secours des hommes et des femmes qui mouraient à Auschwitz. Aucun. Ce que Brasillach osait appeler « la poésie même du XXème siècle » était un crime organisé, un crime produit froidement par un système méthodique et rationnel. Car les nazis se référaient à la science. Ils s’en légitimaient.

Ainsi, lors de son procès en 1961, Eichmann est parfois debout, et autour de lui toute sa réalité parle. Il y a chez cet expert des transports, chez ce spécialiste des tâches logistiques et administratives toute une langue qui peint une conception de la raison se dévorant elle-même. Cas d’école pour H. Arendt de la banalité du mal. Figé dans son serment, il semble tout ignorer de sa faculté de juger. Son serment est une voûte compacte qui fait de lui un simple agent devant suivre à la lettre les ordres de ses supérieurs (H et M : Heydrich et Muller). « Je n’étais qu’un rouage du système » clame-t-il pour sa défense. Entouré de ses documents, il répond méticuleusement aux questions, présente ses graphiques, ses tableaux qui l’aidaient à comparer, évaluer ses performances, suivre sa comptabilité selon la méthodologie mise au point par les pontes cyniques de la NSDAP.

Au sortir de la guerre, on crie « plus jamais ça ». On veille tard et on s’enivre sur les ruines éparses des villes aux gueules cassées. Le monde est à reconstruire. Mais ça ne sera plus jamais pareil. Si l’on cherche encore un temps à ne pas désespérer Billancourt, déjà se révèle en sourdine la chute des espoirs dans le progrès.

La mécanisation et la parcellisation du travail se répand et dresse progressivement un nouveau portrait au paysage socioprofessionnel des pays occidentaux (l’ « ouvrier-masse » de Negri). Une tertiarisation s’opère. Les anciennes identifications s’effacent peu à peu et le visage du consommateur anonyme commence à s’afficher dans les regards. Une nouvelle norme de consommation s’impose et se fait de solides attaches, notamment par l’accès aux crédits. Les volets s’ouvrent, et l’on aperçoit dans les villes en expansion de nouveaux logements, des automobiles, des équipements urbains. Sur les étagères, on commence à ranger les appareils électroménagers et tous les objets issus de la science qui se rabat de plus en plus vers ses possibilités techniques. La famille, écrivent les sociologues, devient unité de consommation, et non plus de production. Une autre forme de revendication monte, délestée désormais de ses anciennes racines culturelles. L’Etat-Providence se porte encore garant du lien social.

A partir des années soixante-dix, le discours capitaliste accouplé au discours de la science annonce la fin des temps précédents. Leurs griffes fécondes imposent un nouvel ordre productif. Tout devient marchandise. Le discours de la science, formalisme acéphale, est la référence incontestable de la politique. Car tout doit aujourd’hui passer sous les fourches caudines des énoncés objectifs, fichus énoncés qui croient chiffrer le sujet mais le forclôt du même coup. Voyez les prérogatives statistiques, comptables et procédurales qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Voyez comme elles font les belles, comme elles paradent. « Ma vie finira par a, je suis b-a, mes prévisions d’avenir sont : de/(cb-a) » ironisait Péret. Des murs comprimés des anciennes manufactures jaillit l’usine nouvelle, diffuse, fluide et flexible. Le grand procès de la déterritorialisation est en marche. Sous l’exaltation de l’implication et des tracés expertisés, se dissimule la fracture qui s’opère entre le travail et le travailleur. Selon A. Gorz, l’ouvrier assiste et se prête au travail qui se fait, mais il ne le fait plus. Dans cet émiettement, l’indifférence du travail engendre l’indifférence au travail. Une « culture d’opportunité tactique » (M. Verret) chasse progressivement les réseaux de solidarité que l’on croyait éternels. Les signifiants-maîtres se sont effondrés et le relativisme a écrasé la relativité. L’espoir est devenu denrée rare. Peut-être pour ne pas tomber d’inanition, on s’accroche aux objets qui circulent, de la télévision au téléphone portable, et on se plaît à voir nos pulsions sponsorisées. Sans parler des mâchoires obscures et féroces des petits récits sectaires ! A l’encontre de Freud – considéré désormais comme penseur obscurantiste – on élève le moi au statut de maître dans sa maison. Et pour qu’il s’étende, lui sont offertes les grandes herbes folles de l’accomplissement de soi et du coaching moral et corporel. Qu’il contemple enfin les promesses inépuisables de la compétence, de la flexibilité et de l’efficacité ! Au besoin, des médicaments peuvent l’aider. La contingence se fait trauma et jette dans les ténèbres l’idée que nous puissions être des « hommes à la tête d’accident » (Brauner). Corrélativement, les sociologues remarquent un rétrécissement des sphères de rencontre.

Devant l’inanité des banderoles existentielles, la famille se replie donc sur elle-même (C. Meillassoux). Les mains se resserrent alors sur le dernier point d’ancrage qui s’offre à elle, « His majesty the Baby ». On s’émerveille devant le nourrisson satisfait et on le palpe pour recueillir son chant coloré de valeur refuge. Que sa voix s’obscurcisse et les visages se fêlent. Les sciences de l’éducation s’élèvent à ce moment en guerrière triomphante et égrènent leur savoir bouillonnant au sein de l’école. Elles placent au cœur du système les enfants aux têtes couronnées, mais au profil calibré, et déploient leurs dépistages précoces sans s’émouvoir des traces qu’elles peuvent laisser sur leur front (travaux de Rutherford ?).

J’ai écrit : le discours capitaliste accouplé au discours de la science. En effet, depuis 1942, date à laquelle de l’agitation enfiévrée des laboratoires de la Bell Corporation, soumis aux nécessités de la guerre, a commencé à s’agiter la notion d’information. Les technosciences deviennent une solide vague qui roule et semble ne connaître aucune grève pour l’arrêter. L’essor est considérable. Facilitant la production de biens et de services, de longs câbles tentaculaires commencent à s’entrecroiser en de colossaux lacis dans le paysage de l’après-guerre. Le 0-1 binaire qui l’accompagne laisse entrevoir l'espérance d’un langage enfin débarrassé de ses équivoques. En 1990, une nouvelle vague informatique intarissable vient abreuver de sa robotique, de sa télécommunication, de sa biotechnologie, de ses logiciels ultra performants et de ses systèmes experts, nos continents industriels désormais abonnés à l’immédiateté des actes. Kairos nouveau dieu, écrit Maffesoli.

On assiste alors à l’émergence du cognitivisme. Car pour son éveil, il lui fallait ce vertige de découvertes. Il y a derrière son dos, certes Shannon et Wiener, mais également Türing, le « Math Brain » qui, dès 1937, avait dans son trouble solitaire déjà inauguré la comparaison du cerveau et de la machine avec sa question sur la mécanisation de l’intelligence. Mais le cognitivisme ne prend vraiment corps qu’en 1956 avec le « Symposium on Information Theory » auquel participent Newell et Simon qui présentent leur système de traitement de l’information dans la résolution de problèmes, et le linguiste Chomsky qui expose sa GGT. L’intelligence artificielle est née. D’étranges automates et de froides cages informatiques se succèdent pour répondre aux défis des chercheurs (Cf. Minsky et Papert, Mc Carthy et Rosen, par exemple) qui secouent leur capacité inventive pour formaliser les opérations logiques, déployées en maintes étapes dans le traitement de l’information. Enfin, pense-t-on, va-t-on pouvoir régler son compte à cette vieille « boîte noire », secondés en cela par les IRM. Des psychologues comme Fodor s’emparent de cet effort et cherchent à formaliser l’esprit. Toute fonction se voit dès lors décomposée en différents processus, autonomes et interactifs. Théorie venant par là se suspendre aux fils tendus par le discours ambiant qui rêve d’un sujet fonctionnant comme une commande automatique. D’abord d’un tissu fragile, la broderie s’enrichit peu à peu jusqu’à connaître un vif succès dans les années soixante-dix. Très vite, les laboratoires déploient leurs rets combatifs sur les contorsions de l’ânonnement des non lecteurs. Les banques de données médicales et psychologiques notent à cet effet un accroissement infini de la littérature spécialisée sur la dyslexie à partir de 1973-1977, notamment dans les pays anglo-saxons. Bientôt sortie des sombres bureaux des universités, la dyslexie gagne la terrasse et devient visible. Bruyante même. Célèbre enfin.

En tout cas, l’étincelle prend. En 1968 déjà, la « World Federation of Neurology » élaborait une définition de la dyslexie, dynamisée en cela par l’énergie de Mac Donald Critchley. Epousant les thèses cognitivistes, la définition stipulait que ce trouble « dépend d’une perturbation d’aptitudes cognitives fondamentales souvent d’origine constitutionnelle ». Puis l’enchantement de l’impulsion des recherches aboutit aux Etats-Unis à la reconnaissance de l’existence de la dyslexie comme trouble spécifique par une loi publique en 1970, actée en 1978 par un paragraphe de l’ « education for all handicapped children act ».

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L’importance donnée de nos jours à la dyslexie est sans conteste liée au cognitivisme, ce produit du discours de la science qui s’insère comme une bague au doigt au discours capitaliste. La définition communément acceptée aujourd’hui est directement issue de cette approche. On appelle en effet dyslexie un trouble spécifique de l’acquisition et de l’utilisation du langage écrit, durable voire permanent. On requiert un décalage de dix-huit à vingt-quatre mois entre l’âge de l’enfant et l’âge obtenu aux différentes épreuves. On parle ainsi de trouble spécifique pour la simple raison que sont écartées pour le diagnostic toutes les déficiences intellectuelles, auditives, verbales, psychiatriques ou psychologiques et toute lésion cérébrale acquise.

Depuis Critchley, on oppose dyslexie développementale à ce que dans le jargon anglo-saxon on nomme dyslexie acquise. Cette incapacité trouverait son explication dans l’existence d’anomalies cérébrales (Habib, 1987), sans doute d’origine génétique (déficit du chromosome 15, selon Shelley Smith).

Le modèle le plus célèbre est celui qui a été proposé par Marshall et Newcombes en 1973, baptisé depuis modèle à deux voies. Les indications et les schémas ont depuis été affinés, épurés ou enrichis. Qu’on se réfère ainsi par exemples à l’ajout d’une troisième voie par les mêmes Marshall et Newcombes, aux réflexions de Morton et Patterson, de G. Gelbert, de Caramozza, de Scidenberg et Mac Clelland, ou encore aux travaux sur la conscience phonologique de Morais, Alegria et Content. Globalement pourtant, l’approche est sensiblement la même, car toutes formées au moule du « input-traitement de l’information-output ».

Après Boder (1973), la dyslexie a été qualifiée, en fonction des voies perturbées, de dysphonétique, dyséïdétique, de mixte…

J’abandonne ici un travail de réécriture, et je cite sincère un passage explicatif tiré d’un article de S. Carbonnel et B. Ans (Revue de Neuropsychologie, 1996, vol. 6, n°2, p.134-135). On nous y présente le schéma suivant, accompagné d’un exemple :

Mot écrit <château>

Analyse visuelle Analyse visuelle

Représentation orthographique ch/â/t/eau

Lexique orthographique conversion table travail pour /ch/ /a/ /t/ /o/

Graphèmes- château libre

Phonèmes /chato/

Système sémantique système sémantique

Lexique phonologique /pur/ /travaj/ /chato/

Buffer phonémique Buffer phonémique

Production « château »

« La voie lexicale. Considérons un stimulus écrit : un module d’analyse visuelle permet d’identifier la séquence des lettres (ou graphèmes) présentée, c’est-à-dire d’établir une représentation orthographique mentale du stimulus. Cette représentation peut alors contacter le lexique orthographique qui contient des unités de reconnaissance (ou logogènes, Morton et Patterson, 1980) pour tous les mots connus. Si le stimulus est un pseudo-mot, aucune unité de reconnaissance ne sera activée, ce qui interrompra le traitement par la voie lexicale. Mais dans l’exemple illustré sur le schéma, l’unité correspondant au mot château devrait être activée et elle constituera la clé d’accès aux autres informations concernant ce mot. Cette activation rend en effet possible l’accès à la fois à la signification du mot dans le système sémantique et à sa forme orale (…) stockée dans le lexique phonologique préalablement établi par l’apprentissage de la parole (…) Enfin celle-ci [la représentation phonologique] est transmise à un buffer phonémique pour un maintien temporaire au cours de la production orale proprement dite.

La voie non-lexicale (ou phonologique). La représentation orthographique du stimulus issue de l’analyse visuelle donne lieu parallèlement à un traitement non lexical.

Elle est tout d’abord segmentée en unités graphémiques auxquelles seront successivement appliquées des règles générales de conversion graphèmes-phonèmes (CPG). La séquence de phonèmes ainsi produite est alors transmise au buffer phonologique en vue de son assemblage et de sa production orale (…) »

Dans cette descente pareille à celle d’une pièce de monnaie dans un distributeur de boissons, la lecture est une reconnaissance de forme, une comparaison entre une observation et un modèle connu.

Bien plus, dans la définition, on trouve également un principe développementaliste puisque l’enfant est à situer à un stade de développement. La référence est alors le modèle proposé par U. Frith qui distingue trois étapes :

- Le stade logographique : l’enfant reconnaît les mots écrits instantanément sur la base de leurs caractéristiques graphiques (ex : Coca-Cola).
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- Le stade alphabétique : l’enfant utilise les règles de conversion graphèmes-phonèmes enseignées à l’école.
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- Le stade orthographique : l’enfant possède un stock de phonographèmes complexes.
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Les dyslexiques phonologiques n’atteindraient pas le stade alphabétique quand les dyslexiques dyséïdétiques ne le dépasseraient pas.

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Dyslexie, ce mot est aujourd’hui de marbre. Il explique la marche lourde des apprentis-lecteurs.

Il fallait cependant pour son succès non seulement en constituer la corde, mais également trouver la caisse de résonance. Il fallait donc que la Science, en sa démarche objectivante, se penche sur l’humain, et dans sa rigueur le constitue comme proposition évidente sur laquelle appuyer ses enchaînements discursifs et linéaires. Accroupie autour de l’enfant, elle le hache en mesurant chacune de ses paroles, en cotant chacun de ses gestes. Par là éclôt l’idéal d’un enfant parfait.

Mais il fallait également que la Science occupe le trône référentiel jusqu’à se faire scientisme. Car on le sait, hélas, la flamme de la raison instrumentale a brûlé vif le tissu de la raison pure (Cf. Dufour).

Mon hypothèse est que le triomphe actuel du cognitivisme vient de là. Et du même coup, celui du terme de dyslexie.

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Les bases de mon questionnement étant jetées, ma conclusion peut être rapide. Je l’étaye simplement d’une note épistémologique.

Je constate tout d’abord qu’au matin de chaque article, de chaque ouvrage publié, de chaque intervention publique, on présente la dyslexie comme quelque chose qui existe. On brise la probable opacité d’une construction par la recension de travaux qui la présente comme objet d’un consensus, voire par la description d’expériences de laboratoire sur les animaux ou par la présentation d’études décrivant des malades neurologiques se comportant devant la lecture de manière identique.

De plus, dans les schémas proposés, la lecture est considérée comme une pluie de lettres ou un bouquet de mots écrits qui passent aux cribles d’une comparaison avec des étalons. Lettre parmi les lettres stockées, la comparaison en permet alors la traduction. Cette description est forte et tenace, mais oublie qu’elle épingle par là l’écrit comme un objet matériel, du déjà-là. Prêt à cueillir, l’écrit pourrait être ainsi érigé en objet scientifique. Ne pas en oublier une miette dans la description, dans le but d’en induire les lois qui le détermine, constituerait le sel de la démarche scientifique. Soit.

Mais G. Bachelard brise cet heureux rouage en nous ramenant à la mémoire qu’il n’y a pas de phénomènes simples. A l’attention guidée vers la compréhension du monde, l’éminent épistémologue martèle que tout objet est construit et que c’est la question qui l’inaugure. Il n’y a donc jamais d’objet déjà-là, d’objet donné d’avance. Et tel est bien le soucis permanent de toute démarche se voulant scientifique : construire et délimiter son objet. C’est pourquoi l’esprit ne se forme qu’en se réformant selon Bachelard. Car dans la main qui se tend comme pour prendre à la gorge l’épais feuillage de ce que l’on pense comme un phénomène importe la question que l’on se donne. « La nature est muette » écrivait M. Foucault, et seule une certaine logique de dire conceptualisant permet de la faire parler. Expliquer le monde n’est donc pas laisser le monde s’exprimer. Si la nature est muette – ou s’il n’y a que Tohu-Bohu (Serres) – on ne l’entend alors qu’au travers de notre appareil auditif conceptuel. Heidegger rappelait ainsi que voir le monde de manière physicienne est affaire de philosophie.

Dès lors, considérer l’écriture comme une source d’information comme une autre, c’est se contenter d’une évidence. La présence du sensualisme se cache dans cette optique. Quand le percipiens est fait maître du perceptum, d’y introduire de l’ordre pour en construire l’unité, on plonge tout droit dans un retour à l’immédiateté, et on jette l’humain dans le bain leurrant du Un. Le cognitivisme fredonne ainsi l’air de l’espoir d’un rapport naturel à l’objet, syntone en cela aux discours publicitaires.

Je crains également qu’on se laisse éblouir par la pureté de l’évidence du développementalisme. Cet abord en effet s’accompagne nécessairement d’une certaine représentation de l’enfant. C’est malheureusement oublier que le concept d’enfant n’est pas un universel. L’enfant varie, il varie au gré des Références. Dès lors, quelle réalité les stades de développement peuvent-ils recouvrir ? Appuyons-nous sur l’idée que tout découpage est toujours l’œuvre de celui qui tient les ciseaux. Ce qu’indiquent assez les différentes délimitations et identifications des stades selon les auteurs. Elles sont en somme fonction des théories. Je dirai alors que faire de l’enfant une donnée immédiate (retour à la question posée plus haut), c’est avoir, non pas à l’horizon, mais comme soubassement même à la recherche, l’adulte comme référence. C’est pourquoi d’ailleurs, il s’agit de pointer ses manques et ses ratés par rapport à ce même adulte. Autrement dit, c’est Narcisse qui veille sur son image. S’aperçoit le pont qui lie la tentative de maîtriser l’enfant comme objet, d’en obtenir une compréhension complète et la « pédofolie » ambiante (A. Raffy).

Enfin, l’aiguille aimantée du cognitivisme qui impose avec tant d’insistance tous les axes actuels des recherches me semble dissiper en ses descriptions ce que l’écrit a de spécifiquement culturel. Elle ne prend pas la mesure qu’elle rencontre du même coup une question anthropologique, voire un paradoxe intrinsèque. C’est qu’en effet, d’être objet culturel, l’humain y intervient par deux fois. D’abord comme auteur d’une conception explicative, puis comme objet à expliquer. Transférer les méthodes qui composent les sciences de la nature sur l’humain sans prendre en compte l’irréfragable discontinuité qui s’inscrit, c’est croire trouver la vérité de ce dernier dans celle de la viande. Or la science ne peut dire l’acte qui la crée, ne peut expliquer ce qui a permis un jour l’invention par exemple de l’ordinateur. Toute science fait taire son objet disait A. Koyré, ce qui est fort gênant pour des orthophonistes…

Mais le discours de la science, soit ce formalisme brut mis en place de référence, rêve d’un savoir complet sur le sujet, d’un savoir qui mettrait fin à l’ « insociable sociabilité » de l’humain (Kant). Qu’il serait beau que les cloches se mettent à sonner l’avènement d’un « vivre ensemble » mécanisé, prédictible et entièrement rationalisé. En quoi le cognitivisme, d’en être la progéniture, vient parfaitement se lover dans les bras du discours ambiant. Car à la question de savoir qui est donc cet être cognitif, A. Weil-Barais, dans son ouvrage L’homme cognitif, répond : « L’homme dont il est question dans ce volume est en effet un homme « cognitif » passablement asexué et, le plus souvent, délocalisé dans le temps et dans l’espace. » Et quant à la question de connaître le but poursuivi par ces études, Rui Da Silva Neves apporte la réponse suivante : « la connaissance des programmes par lesquels nos capacités de traitement se développent doit permettre de programmer de nouvelles fonctions ou de corriger des programmes mentaux peu efficaces ou déficients. » Excluant le sujet, le cognitivisme se fait l’écho d’un rêve machinique. Découpant le savoir en mille unités de valeur, il ouvre la possibilité de croire en une gestion possible de la vie où chacun s’exposerait en technicien de son corps ou de sa pensée. Toute pratique se doit alors être mesurable, évaluable, contrôlable ; tout trouble prévenu, repéré, puis réduit ou supprimé. Ce sujet sans sexe et sans histoire qui surgit de ce songe est le sujet qui peut naviguer librement sur les eaux du monde marchandisé, au gré des marchés, au gré des mouvements de capitaux (Cf. Dufour).

On comprend mieux ainsi, me semble-t-il, que la dyslexie ait pu faire mouche.

Fin de la première partie

R. GABORIAU

Texte écrit en 2005