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La double peine des chômeurs


Date: 10 Octobre 2003
Objet: [multitudes-infos] Fw: La double peine des chômeurs
Subject: La double peine des chômeurs

Ci-dessous un article fort intéressant, sur le lien entre les mesures anti-sociales du gouvernement Raffarin et la progression du vote Le Pen. Amicalement,
J.


Les mesures régressives qui s'abattent sur les plus pauvres font le lit de Le Pen. La double peine des chômeurs
Par Willy PELLETIER et Claire VILLIERS et Malika ZEDIRI et Jean-François YON

Liberation Mercredi 08 octobre 2003

Déjà jetés comme des Kleenex hors des entreprises, déjà dans le sentiment de ne compter pour rien, comment les chômeurs pourront-ils se penser un avenir avec le RMA ?

Depuis le 21 avril, la lutte contre le FN fait office de cause nationale. Rien n'est fait toutefois contre les raisons sociales du vote Le Pen. En accréditant l'idée que l'insécurité vient des jeunes, des pauvres, des étrangers, en désignant à la vindicte ceux que Le Pen prend depuis toujours pour boucs émissaires, Nicolas Sarkozy porte à un degré de légitimité supérieure les thèses traditionnelles du Front. Ce n'est pas comme cela qu'on réduira son audience. En particulier dans les banlieues désindustrialisées, pour tous ceux qui voient de moins en moins comment échapper à une condition plus dégradée qu'hier.

Redisons-le : le 21 avril, tous les chômeurs n'ont pas voté FN. Beaucoup ne sont pas inscrits sur les listes électorales, ne votent pas ou ne votent plus. Mais le vote Le Pen a aussi une compo sante populaire. Et l'accumulation de mesures régressives qui s'abat sur les plus pauvres pourrait bien renforcer ce choix catastrophique, ne serait-ce que pour «emmerder ceux qui nous emmerdent, et qui nous abandonnent complètement», comme nous l'indiquait, il y a peu, un manutentionnaire licencié.

Abandonnés, floués, trompés, dans l'impression de n'avoir prise sur rien, plus aucune prise, même sur les prochains mois, c'est justement ce dont témoignent tous les chômeurs que nous rencontrons. Et qui «n'en peuvent plus», qui ne «comprennent pas pourquoi on s'acharne toujours sur les mêmes», depuis qu'ils ont appris qu'avec l'accord Unedic du 20 décembre 2002 signé par le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC, ils perdront 7 ou 14 mois d'allocations. Beaucoup de formations seront interrompues. Début 2004 ou en 2005, entre 610 000 et 856 000 chô meurs vont basculer vers l'ASS (Allocation spéciale de solidarité) ou le RMI (410 euros par mois).. ou rien du tout.

Le Pare (Plan d'aide au retour à l'emploi) que tous avaient signé puisque c'était obligatoire, leur avait été présenté comme un contrat, un engagement réciproque, l'allocation contre la recherche active d'un emploi. Ils s'aperçoivent que les Assedic le rompent allègrement, sans qu'ils n'aient aucun recours. Tout, dans l'opération, témoigne du mépris invraisemblable dans lequel les chômeurs sont tenus. Depuis des mois, lors de leur inscription aux Assedic, lors des entretiens à l'ANPE, on leur notifiait officiellement des droits. Et ils apprennent brutalement au coeur de l'été qu'ils n'en bénéficieront jamais, six mois avant la suppression des allocations. Ceux que nous rencontrons ne savent absolument pas comment se retourner, dans un délai si court. Comment régler le loyer avec 410 euros par mois, éponger les dettes accumulées ? Comment s'en tirer avec les enfants quand les deux conjoints sont au chômage, comment leur faire face sans honte, sans révolte, payer les transports, la cantine, l'électricité ? Comment trouver un travail qu'on cherche depuis un an, alors que le chômage s'accroît ? Les allocations chômage suffisaient à peine, comment faire avec l'ASS ou le RMI ? Qui peut dire comment faire ? Personne. Ni l'ANPE ni les organismes d'aide sociale, en manque structurel de moyens et de personnels, et qu'on s'emploie depuis dix ans à «moderniser» comme des entreprises privées. En in formant, souvent par téléphone, les exclus des allocations, sans confron tation physique avec les agents des Assedic, l'Unedic espère éviter les problèmes : cachons ces désespoirs pour lesquels aucune solution institutionnelle n'est prévue.

Se représente-t-on l'angoisse, lors que cette rupture abusive de contrat, rétroactive (le Pare était signé), précipite toute une vie dans l'impossible. A-t-on conscience de la peur, de la rancoeur entremêlée de dégoût, de ceux qui escomptaient «avec les nouvelles formations, s'en sortir» et qui voient, une fois de plus, démenti tout espoir de rétablissement. Entrevoit-on l'écoeurement qui les prend, à l'endroit de toutes les institutions ? Peut-on saisir avec l'intensité qu'il faudrait ce sentiment de n'être «rien d'autre que de la merde qu'on jette», comme le dit cette ancienne ouvrière d'Ivry ? Les mots ne suffisent pas pour sentir «comment ça te prend à la gorge», l'indignation sans recours, l'amertume sans phrases. Et qu'on se promet bien de «faire payer un jour» au collectif indéfini de «tous ceux qui se moquent de nous». Lorsque les institutions qui devaient incarner la solidarité manquent tant à leurs obligations, chez ceux qui en font l'expérience s'installent l'idée que seul vaut le chacun pour soi et le chacun chez soi. C'est ainsi que s'avive la guerre des pauvres contre de plus pauvres qu'eux, et la concurrence de tous contre tous, dont se nourrit le vote FN.

Pour les libéraux, les chômeurs ont toujours été suspects d'oisiveté, d'indolence, «d'en profiter», et l'indemnisation soupçonnée de «désinciter à la reprise d'activité». La gauche gouvernementale n'échappa pas à ce parti pris, avec la loi de 1991 sur le contrôle des chômeurs, le renforcement des visites domiciliaires chez les Rmistes pour vérifier qu'ils ne vivent pas en couple et, en 1997, le refus d'augmenter les minima sociaux, pour, disait Lionel Jospin, ne pas «enfermer dans l'assistance». Depuis, les attaques contre l'indemnisation se multiplient. Après le Pare, le projet de RMA (Revenu minimum d'activité), déjà voté en juin au Sénat, marque un pas supplémentaire dans «l'activation des dépenses passives» (les dépenses liées à l'indemnisation du chômage) qui constitue, en Europe, l'horizon commun du nouveau workfare. On en connaît les règles, rappelées en 1998 dans les «orientations de politique économique» de la Commission européenne : l'obligation d'un travail en «contrepartie» d'une allocation, et l'adaptation «à tout prix» de la main d'oeuvre aux besoins immédiats des employeurs. Avec le RMA, après un an de RMI, des contrats à mi-temps seront «proposés» aux Rmistes, pour la moitié du Smic, quel que soit le salaire normalement pratiqué pour le poste. Qui pourrait vivre avec si peu, quand, avec la reprise d'activité, augmentent les frais de transport, de nourriture, de garde d'enfants ? Et quand la loi interdit d'avoir en même temps un autre emploi ? Pour leur travail, les Rmistes gagneront moins de deux euros de l'heure de plus que le RMI.

Les chômeurs inscrits dans le dispositif auront plus encore le sentiment qu'ils ne valent rien, parce que leur travail ne vaut rien. Déjà jetés comme des Kleenex hors des entreprises, déjà cassés, épuisés lorsqu'aux centaines de lettres de recherche d'embauche envoyées ne répond que le silence, déjà dans le sentiment de ne «compter pour rien» lorsqu'il faut attendre sept heures à l'ANPE pour un entretien PAP, comment pourront-ils se penser un avenir avec le RMA ? Pour valider deux trimestres de droit à la retraite, il faudra avoir travaillé une année, et 80 ans pour obtenir une retraite à taux plein ! Nous l'indiquions après le 21 avril, c'est le déclassement collectif vécu dans l'isolement, l'angoisse en l'absence d'avenir, l'émiettement du sens de soi et de sa valeur, l'incertitude comme seul horizon, qui expliquent pour beaucoup le score du FN en milieu populaire. Car le statut de victime autoproclamé de Le Pen est désormais le miroir tendu à tous ceux qui ont, eux, de bonnes raisons de se sentir victimes.

Le gouvernement veut maintenant limiter la durée de versement de l'ASS et durcir ses conditions d'attribution ! Si les conseillers des ministères et les négociateurs de l'Unedic allaient dans les quartiers, rencontrer ceux pour qui tout s'effondre, ils comprendraient comme nous que le FN va encore progresser. Le vote Le Pen n'est pas cette fatalité que seule une réforme (injuste) des modes de scrutin peut contenir. Pour notre part, nous refusons de le banaliser. Et nous ferons tout pour que chômeurs et salariés résistent à la dégradation de leurs conditions d'existence, pour que s'ouvrent d'autres choix, à partir, par exemple, d'un nouveau plan de sécurité sociale, d'une nouvelle sécurité économique et sociale. Au prochain 21 avril, en tout cas qu'on ne dise plus qu'on ne savait pas. Les votes Le Pen de demain tiennent à l'insécurité économique et sociale dont les milieux les plus populaires font aujourd'hui toujours davantage les frais. Seule une mobilisation de tout le mouvement social pour empêcher toutes ces régressions peut mettre un coup d'arrêt à une progression qui n'a rien d'inéluctable !


m u l t i t u d e s - i n f o s
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