Une bouffonnerie plus que prévisible Les
statistiques analysant les performances des coureurs montrent l’évidence
du dopage.
Par ANTOINE VAYER, Professeur d’EPS et ancien entraîneur
de Festina, il dirige AlternatiV, une cellule de recherche
sur la performance, à Laval.
Liberation vendredi 27 juillet 2007
http://www.liberation.fr/actualite/sports/269312.FR.php
On lit dans nos chroniques à Libé depuis des années
les trahisons aux lois de la physiologie et de la nature. La soi-disant
impuissance des dirigeants se nourrit de surpuissance. Celle du
maillot jaune Contador, miraculé de la médecine et
de l’anévrisme, lui a permis de pousser sa chaise roulante
dans le dernier col, l’Aubisque, une minute et vingt secondes
plus vite que le triste recordman de la montée, Richard Virenque.
Sastre, Mayo et Soler (surnommé «440 watts»)
ont également effacé des tablettes la sinistre performance
de Riis et des Festina quand ils avaient lâché Indurain
dans le Tour 96. Celui de la curée, où certains affichaient
des hématocrites à 60 %. Avec 20 watts de mieux sous
la semelle.
Inhumaine.
Sur le premier col du Tour 2007, la Colombière, 26 coureurs
étaient diagnostiqués «hors limite» en
terme de «watts étalons» (calculés pour
un athlète de 70 kg). Ces données mathématiques
et physiques comparent précisément, dans le temps,
la force et la cadence de pédalage de la tricherie et du
mensonge. Tout expert du vélo sait qu’au-dessus de
410 watts, dans certaines circonstances, la respiration est inhumaine
et que les muscles sont nourris de produits médicamenteux
incroyablement efficaces.
Contador, au plateau de Beille, a développé 433 watts
de moyenne. Mieux que les honnis Basso et Armstrong au même
endroit, trois ans avant. Avec la longue quinzième étape
de montagne censée épuiser les organismes après
plus de cinq heures d’effort, il a réussi d’incroyables
accélérations à 465 watts de moyenne pendant
4 min 55 s dans le col de Peyresourde. Rasmussen peinait dans sa
roue. Quatre démarrages sur une pente à 8 % en moins
de 2 km, alors qu’à peine 500 m à 410 watts
auraient dû le faire zigzaguer jusqu’à le mettre
à l’arrêt. Normalement, un champion parfaitement
entraîné aurait produit de l’acide lactique qui
brûle les jambes. Lui, rien.
Ce jeune prodige ex-fils prodigue de Manolo Saiz, comme Jalabert
l’était, est un ballon d’oxygène. Notre
ministre de la Santé et de la Jeunesse et des Sports risque
d’apporter dimanche son soutien à un homme qui honore
parfaitement le triple symbole de sa charge. Le Tour ne mérite
ni ses propriétaires ni sa famille, tous coupables, tous
cupides. Ils pratiquent l’euthanasie. Ils fossoient. Ils croque-mordent.
L’hypocrisie de «l’effarement de la découverte»
que Vino faisait du boudin avec du sang pour foncer dans les contre-la-montre
n’a d’égal que la lâcheté de ne
pas avoir stoppé la bouffonnerie.
Prudhomme m’a écrit, le 24 décembre 2005, pour
dire «ne pas être un révolutionnaire dans l’âme»
et qu’il croyait que «le dopage tue le vélo (sic)».
Maintenant, il prône le Grand Soir. Qu’il commence par
virer tous les anciens «pros» lobbyistes du système
qui n’ont pas fait leur coming-out. Vous verrez, ils seront
au départ à Brest en 2008. Ils encourageront toujours
un Cancellara qui, comme à Compiègne, après
avoir torché le prologue à Londres à plus de
500 watts, gagnera, les mains en haut du guidon, des sprints d’une
minute équivalents à deux chevaux-vapeur (1 ch
= 736 watts). On invitera aussi Armstrong, qui maîtrisait
ses adversaires en développant en moyenne, dans les grandes
arrivées en montagne, 405 watts en 99, 420 en 2000, 430 en
2001, 415 en 2002, 425 en 2003, 440 en 2004, 425 en 2005 (1).
Gueule.
Cette année, Rasmussen était leader avec une moyenne
de 430 watts, dont 428 pour l’Aubisque, 436 pour Peyresourde,
433 pour Beille et 425 pour la Colombière. Il cède
sa place à Contador, qui tourne à 427 watts de moyenne
(respectivement 419, 436, 433 et 419). Quant aux Français,
ils s’en sont pris plein la gueule. Partis avec le plus gros
contingent (34 coureurs), les trois meilleurs, Goubert, Halgand,
Moreau (380 watts), terminent tuméfiés à plus
d’une heure du vainqueur. Ce sont pourtant trois ex-Festina
de la grande époque. Des durs. A Madagascar, on dit : «Le
même tombeau pour les morts, la même maison pour les
vivants.»
(1) Détail de ces calculs accessible sur le site Cyclismag.com
en tapant dans le moteur de recherche «Frédéric
Portoleau».
http://www.cyclismag.com/index.php
« Un maillot jaune hors des limites humaines »
Quelle crédibilité donner maintenant au classement
général ? Les réponses d’Antoine Vayer,
ex-entraîneur de l’équipe Festina.
L'Humanité le 27 juillet 2007
http://www.humanite.fr/2007-07-27_Sports_-Un-maillot-jaune-hors-des-limites-humaines
http://www.humanite.fr/popup_imprimer.html?id_article=855642
Rasmussen renvoyé à la maison et à ses mensonges,
que penser désormais de la valeur sportive du Tour de France
? Décryptage avec Antoine Vayer, professeur d’EPS,
ancien chroniqueur du Tour pour l’Humanité et ex-entraîneur
de l’équipe Festina, de 1996 à 1998. Il dirige
aujourd’hui AlternatiV, une cellule d’entraînement
et de recherche dont l’objectif est de proposer une alternative
au dopage. Rarement la langue dans sa poche, il passe à la
moulinette et à la mitraillette ce Tour 2007.
Christian Prudhomme, le patron du Tour, juge le classement général
plus crédible après l’éviction du Danois
Rasmussen, est-ce aussi votre avis ?
Antoine Vayer : Non, absolument pas ! Au contraire…
Pourquoi ?
Antoine Vayer : Parce que Christian Prudhomme a de la bouillie
dans les yeux, qu’il regarde qui sont les suivants du nouveau
maillot jaune, Alberto Contador. Dire que le Tour de France est
crédible, c’est se moquer du monde. Même des
coureurs français prennent des corticoïdes, on le sait
très bien. Ne soyons pas hypocrites.
Où remonter dans le classement pour trouver un vainqueur
propre, alors ? Jusqu’à la lanterne rouge, le Belge
Vansevenant, 150e, à plus de trois heures de la tête
?
Antoine Vayer : Dans la mesure, où il y a ne serait-ce que
dix coureurs qui font exploser la course grâce au dopage,
il n’y a plus aucune crédibilité sportive. On
ne peut pas chercher un sens à quelque chose qui n’en
a pas.
Si le Tour n’a plus de sens, autant ne pas continuer vers
Paris ?
Antoine Vayer : Oui, c’est mon avis. J’ai d’ailleurs
envoyé un message au patron du Tour, Christian Prudhomme,
dans ce sens il y a deux jours.
Que vous a-t-il répondu ?
Antoine Vayer :Qu’il fallait aller à Paris, que je
n’avais pas fait preuve d’un grand courage en 1998 à
l’époque de l’affaire Festina en ne parlant pas,
en ne disant pas ce que je savais.
Avez-vous répendu en retour ?
Antoine Vayer : Je n’ai pas à répondre à
ça. Christian Prudhomme n’est pas l’homme de
la situation. Il faut aujourd’hui réagir ! Il ne fallait
pas sélectionner Astana, l’équipe de Vinokourov,
ni l’équipe Barloworld, celle du meilleur grimpeur
Mauricio Soler.
Vous mettez en cause les performances du meilleur grimpeur de ce
Tour 2007 ?
Antoine Vayer : D’après nos calculs de puissance délivrée
dans les cols, Soler c’est n’importe quoi, c’est
un monstre !
Un monstre, vous voulez dire qu’il est inhumain ?
Antoine Vayer : Oui, il est au niveau de Lance Armstrong dans certaines
montées.
Qui ne dépasse pas ses limites, selon vos calculs, dans
ce Tour de France ? L’Australien Cadel Evans, actuel second,
semble souffrir dans les cols… ?
Antoine Vayer : Non, Evans dépasse ses limites. Il y a 20
à 25 coureurs dans ce Tour de France qui dépassent
les limites humaines. Mais pas forcément les 25 premiers
du général, même si beaucoup sont hors limites…
Quelles sont les limites humaines ?
Antoine Vayer : Prenons Michael Rasmussen, il pousse 430 watts
en moyenne lors des quatre plus grosses ascensions du Tour, un individu
lambda n’en pousse que 200, Lance Armstrong en poussait un
peu moins de 430. Et raisonnablement, on peut situer la limite humaine
à 400-410 watts.
Comment faites-vous vos calculs ?
Antoine Vayer : Ce sont des limites de puissance qu’on
peut observer par rapport aux temps de montée dans certaines
montées référencées du Tour de France,
pour cela on se sert des images de la télévision.
Est-ce que vos calculs pourraient servir de base à une sélection
sur le prochain Tour, faire des sortes de minima et éliminer
ceux qui vont trop vite ?
Antoine Vayer : Il faut déjà surveiller les coureurs
un an avant avec les moyens dont on dispose actuellement.
Pourtant, les moyens actuels semblent insuffisants ? Que faut-il
améliorer pour assister enfin à un Tour propre ?
Antoine Vayer : Il faut changer le statut des coureurs pour qu’on
puisse les arrêter médicalement lorsqu’ils sont
hors normes, qu’ils n’aient plus aucun recours juridique.
Les solutions existent depuis dix ans, il faut juste se cracher
dans les pognes. En six mois, c’est réglé.
Six mois pour tout régler, alors donnez-nous votre plan
d’action, tout de suite…
Antoine Vayer : Il faut des labos indépendants qui surveillent
les 400 coureurs susceptibles de faire le Tour en analysant leurs
prises de sang, leurs cheveux qui sont aussi de bons indicateurs.
Ensuite, il y a les moyens indirects : avec nos calculs de puissance,
on peut voir que la montée de l’actuel maillot jaune
Alberto Contador dans le col de Mente sur Paris-Nice, en mars, dépasse
les limites humaines. À partir de-là, on lui fait
un arrêt de travail et on lui demande de nous expliquer comment
il a fait, les yeux dans les yeux.
Entretien réalisé par Frédéric Sugnot
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