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Origine : http://emiliegamelin.qc.ca/forumgodbout.html
Jacques T. Godbout est professeur honoraire à l’Institut
national de la recherche scientifique ( INRS ), Urbanisation depuis
1997. Le sociologue a récemment publié Le don, la dette
et l’idendité ( Boréal, 2000 ). L’auteur
a aussi publié, entre autres, Le Langage du don ( Fidès,
1996 ) et L’esprit du don ( Boréal, 1992 ) en collaboration
avec Alain Caillé. Cet ouvrage a été traduit
en anglais, italien, espagnol et portugais. Il a été
invité comme conférencier dans plusieurs pays : Brésil,
Belgique, France, Italie, Suède, États-Unis. Professeur
et chercheur à l’ INRS, Urbanisation de 1970 à
1997, Jacques T. Godbout a été chargé de recherches
à l'Institut supérieur des sciences humaines de l’Université
Laval ( Québec ) en 1969-1970.
L’esprit du don peut-il être altéré
?
La réponse est oui et de nombreuses façons.
Cœur ou raison ? Qualités d’interventions
/ Compétences multiples
Jeudi 20 septembre, 13h30 – 15h30
L’esprit du don peut-il être altéré ?
La réponse est oui et de nombreuses façons. Il peut
être altéré par la motivation que l'on a pour
être bénévole, également par l'ampleur
d'une idéologie libérale qui envahit la planète
ainsi que par plusieurs dogmes. Un de ces dogmes est le self-interest
qui motive les gens à agir. Un autre, c'est que tout doit
être un produit, une marchandise : l’esprit marchand.
On doit résister à cette tendance et le bénévolat
est un des moyens à prendre pour y résister.
Le produit
Au XXe siècle, une grande partie de l’humanité
a connu des idéologies qui donnaient grand espoir dans le
sens de l'histoire et dans l'apparition d'un nouvel homme. Puis
on a constaté que ces idéologies étaient souvent
totalitaires, c'est-à-dire qu'elles essayaient d'imposer
les valeurs qu'elles s'étaient données. Malgré
ces aspects totalitaires, il y avait aussi des idéologies
qui étaient non-totalitaires, comme certaines formes socialistes,
qui faisaient espérer que malgré toutes ses violences,
l'histoire s'en allait dans le bon sens.
Avec le XXIe siècle, ces idéologies se sont effondrées
et on se retrouve dans une espèce de vide au sens de l'histoire.
C'est donc une raison importante en vertu de laquelle l'idéologie
marchande libérale semblait être devenue la seule réaliste
et à laquelle il était permis de croire si on était
le moindrement sérieux. Jusqu'à la semaine dernière
( 11 septembre 2001 ), c'était celle qui semblait nous protéger
de la violence.
Une des caractéristiques de notre vision du monde qui semble
aller de soi, c’est que le but de notre société
est la croissance des produits et des marchandises. Pour que le
système fonctionne, il faut que le plus de choses possible
deviennent des marchandises. Si on ne contribue pas à la
croissance du produit national brut, on est un mauvais citoyen.
On est passé sans trop s’en rendre compte de la nécessité
de produire pour éliminer la faim et la misère au
besoin de produire pour produire. On ne réalise pas toujours
à quel point cette façon de voir tend à envahir
l'ensemble de nos rapports sociaux et à les modifier substantiellement.
L’acte de bénévolat, libre et gratuit envers
un inconnu est le geste de contestation le plus radical contre la
mondialisation marchande qui voudrait que le temps ne soit que de
l’argent.
Étant jeune je jouais au hockey, dit M. Godbout. Chacun
mettait tous ses efforts à l’érection de la
patinoire, à son entretien et son amélioration. Nous
pouvions y jouer tous les soirs après les devoirs faits.
Nos équipements étaient rudimentaires et on jouait
pour le plaisir. De nos jours, on joue dans un grand centre, à
heure fixe, avec des équipements sophistiqués. On
ne s’amuse plus, on s’entraîne. La pratique du
sport était jadis autogérée. Aujourd'hui, le
sport est géré à gros frais par d’autres,
experts ou spécialistes, et les produits sont omniprésents.
Le système mobilise énormément de ressources.
Et tout cela, pour ne jouer qu’une heure par semaine !
Le nouvel homme
Au XXIe siècle, on pense à un homme nouveau qui,
grâce aux progrès de la génétique, de
la transplantation, du clonage, pourrait vaincre la maladie et même
la mort, l’homme devenant par conséquent lui-même
un produit dû aux nouvelles technologies, l’utopie biologique
qui veut remplacer les idéologies politiques !
Le don
Qu’est-ce que le don ? Comme le marché, le don est
aussi une façon de faire circuler les choses et les services
entre les personnes. La circulation des choses qui passe par le
don repose plus sur les liens sociaux, les valeurs d’appartenance,
de gratuité, de générosité, d’altruisme.
La circulation par le don repose sur la liberté. L’acte
de bénévolat, libre et gratuit envers un inconnu est
le geste de contestation le plus radical contre la mondialisation
marchande qui voudrait que le temps ne soit que de l’argent.
On distingue deux grandes classes de don :
1) le don dans les liens primaires, dans la famille, entre amis
et proches ;
2) le don aux inconnus, étrangers tel que : aumônes,
aide ponctuelle à un inconnu rencontré par hasard
( samaritain ), don d’organes, de sang.
Le bénévolat est un don de temps, alors que la philanthropie
désigne principalement le don d’argent à des
inconnus.
Trois types de danger peuvent menacer la circulation du don :
a) on peut reprocher au don de faire une concurrence déloyale
au marché ;
b) la tendance du marché à faire en sorte que tout
soit produit marchandable modifie les rapports sociaux ;
c) l’esprit marchand tend actuellement à envahir toutes
les sphères de la société, y compris le monde
du don.
Le marché
Le marché joue un rôle de plus en plus important.
Les organismes philanthropiques confient à des entreprises
commerciales la collecte de fonds. Le donneur devient un consommateur
de dons, il représente la demande. Comme dans tout marché,
certains produits ne seront pas achetés, ne répondront
pas à la demande. Il faut donc choisir une misère
vendable, une maladie à la mode, par conséquent, une
mise en marché valable.
Chercher des acheteurs
Qu'est-ce qui pose problème dans ce besoin de philanthropie
? On en retrouve deux : le premier touche les receveurs, le deuxième
touche les donneurs.
Côté receveur, il est difficile de concevoir les maladies,
les désastres, les catastrophes comme étant des produits
à vendre puisqu'il n'y a aucune décision à
vendre dans la production, aucune possibilité d'ajuster le
produit à la demande.
Le deuxième problème est du côté des
donneurs : quand on est donneur, on n'est pas un consommateur. Donner,
c'est se priver du droit de recevoir. Dire que le donneur est un
consommateur, c'est appliquer le postulat de l'intérêt
à son comportement. C'est en un sens nier le don. Le plaisir
de donner est transformé en une autre chose qui convient
mieux à un autre modèle. Donner devient recevoir.
Même si on cherche l'efficacité, la question reste
posée. Est-ce qu'à court terme, on ne va pas diminuer
le nombre de donneurs au lieu de l'augmenter ?
Le marché aspire depuis ses débuts à détenir
le monopole du temps. On rêve que tout notre temps sera consacré
soit à produire, soit à consommer. Benjamin Franklin
disait que " le temps, c'est de l'argent ". Le bénévolat
accorde du temps au temps. Dans ce sens il s'approche du marché.
L'acte de bénévolat libre et gratuit envers un inconnu
est un geste de contestation radicale qui refuse que tout le temps
soit de l'argent.
Pour l'instant, c'est surtout de l'État que vient le danger
dans le bénévolat. Les gouvernements ont tendance
à soumettre le geste bénévole à leurs
impératifs et à leurs priorités, ce qui altère
le sens du bénévolat. Quand on vous utilise parce
que vous ne coûtez rien, vous devenez du cheap labor, c'est
plus qu'une altération, c'est une perversion du bénévolat,
affirme M. Godbout.
Conclusion
Le bénévole doit se méfier de l'efficacité
des résultats tels que définis par les autres. Il
doit demeurer vigilant, ce qui ne veut pas dire qu'il ne doive pas
se préoccuper des résultats puisque le don est tout
autant dans la valeur du geste gratuit que dans la valeur de la
création qui s'oppose à la tendance de tout produire.
Pourquoi devient-on bénévole ?
C'est fondamentalement pour se rallier, pour rompre la solitude,
pour faire partie de la grande chaîne de la vie et, notamment,
faire partie de l'humanité. Tout ce sentiment de formation,
d'ouverture, de vitalité, ce sentiment qui fait dire au bénévole
qu'en donnant, il reçoit plus qu'il ne donne.
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