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LE DON RITUEL, FACE VOILÉE DE LA MODERNITÉ
Par Guy Nicolas

Origine : http://forum.u-paris10.fr/CD/documents/don/NICOLAS-1991A.pdf

LE DON RITUEL, FACE VOILÉE DE LA MODERNITÉ
Par Guy Nicolas

L'embellie restauratrice que l'écroulement de l'utopie messianique communiste vaut à l'idéologie néo-libérale favorise aujourd'hui la prolifération d'innombrables discours apologétiques célébrant ce succès. Ce concert de satisfecit, à peine tempéré par la conscience des menaces qui pèsent sur l'ordre utilitariste et l'emphase des discours « humanitaires » prônant, en contrepoint, solidarité et charité, contourne des pans importants de réalité, les- quels se trouvent ainsi déniés d'existence par une approche scientiste marquée en fait du sceau de la pure utopie. Tout se passe comme si l'édifice en question était bâti autour d'un foyer secret. Ce non-dit que chacun s'emploie à ignorer est l'immense machinerie de l'échange symbolique, et notamment sa facette économique, à savoir le don rituel. L'emprise totalitaire de l'idéologie en vogue est telle que le simple fait d'évoquer ce domaine de réalité semble une aimable plaisanterie. Chacun « sait », en effet, que la pratique évoquée, si elle a pu jouer un rôle important dans les sociétés archaïques, à l'ère ténébreuse d'avant l'émergence du marché, selon certaines thèses au demeurant éludées par d'autres postulant la soumission des sociétés pré-mercantiles à l'autoconsommation et au troc, ne peut trouver place au sein de la société moderne que dans une frange de comportements relevant davantage du folklore surérogatoire que des données justifiant une quelconque prise en compte « scientifique ». En fait, cet usage est noyé dans celui du cadeau en tant qu'activité gratuite dont la publicité des entreprises montre l'impact sur le marché, le qualifiant ainsi pour une prise en compte « rationnelle » et une indulgence intéressée. Cette condescendance est d'autant plus sereine que les postulats concernant son caractère mineur et l'écrasante omniprésence de la sérieuse «utilité» marchande ne sont contrariés par aucune enquête, aucun chiffre, aucune analyse.

Le totalitarisme de la vision du monde évoquée est tel que nul ne prend la peine d'évaluer les positions respectives des conduites relatées et que tout chercheur qui s'aventure aux abords de ce no man's land interdit se heurte à des difficultés considérables pour recueillir les moindres indices. Tout se passe comme si les très importantes sommes brassées par le régime en question étaient exclues des comptes par fondement. Les historiens du futur pourront sans doute conclure de ce vide de références que nos sociétés fonctionnaient bien conformément à leurs croyances, à quelques vestiges près d'un passé révolu.

Or, le décret selon lequel un tel domaine serait purement marginal est aventureux.
Son existence même témoigne du peu de sérieux des prétentions scientifiques dont se réclament les élaborations des spécialistes qui gèrent recherche et savoir et du caractère hâtif des bricolages dont ils se contentent sous couvert d'un primat de la .rationalité» dont ils seraient le clergé infaillible. Car le don rituel n'est pas un ensemble d'actes résiduels et ponctuels. Son domaine est considérable. Il met en circulation des sommes importantes, pèse sur le budget des entreprises et des particuliers, commande à des secteurs moteurs de l'économie. Sa disparition brusque pourrait mettre en question l'équilibre de pans importants du marché. Il implique la totalité des agents économiques. Et il n'a rien à voir avec le don gratuit auquel il se trouve généralement assimilé, non plus qu'avec l'échange réputé utilitaire. Pourtant, les approches prétendues exhaustives de l'espace du marché ne le mentionnent pas, ou de façon annexe, sans daigner l'évaluer. Il n'est le chapitre d'aucune étude de budget, alors qu'il oblige parfois les acteurs économiques à organiser tout leur budget en fonction des dépenses ou des dettes qu'il impose. A supposer, en guise de démonstration par l'absurde, qu'un organisme public et a fortiori le fisc s'avisent de son existence, il y a fort à parier que l'enquête serait faussée, ne serait-ce que parce que les enquêteurs ne disposeraient pas des paramètres permettant d'en apprécier les composantes, mais surtout à cause de la loi du secret qui leur serait opposée. Et si l'État s'avisait de calculer les impôts des contribuables en fonction des données recueillies, il se heurterait à une levée de boucliers. Imaginons aussi bien que les services de coopération au développement du tiers monde s'efforcent de suivre les méandres réels de leurs dons ou subventions. Mais il s'agit sans doute d'une vue utopique, tant le terrorisme du dogme occulte jusqu'à la question.

Le don rituel, dont il sera question ici, fonctionne donc comme un domaine interdit, honteux, ou plutôt clandestin, à côté des usages érotiques, de la fraude commune, du secret médical. Une étrange complicité lie ici les acteurs aux économistes et autres décideurs, analogue à celle qui préside à l'élision des affaires intimes dans une conversation. sérieuse ». Notre propos sera, non d'apporter des chiffres ou des évaluations qui n'existent pas, mais simplement d'évoquer son existence, ses contours, ses règles méconnues. Nous entendons également souligner le caractère arbitraire du postulat de son incompatibilité absolue avec l'ordre de l'échange marchand, de celui de son fondement caritatif, couvert par l'ambiguïté des mots « don» ou « cadeau », ou de sa relégation d'office dans un temps « archaïque », étranger à la « modernité ». Ce dont nous parlons ici, c'est d'un bloc de faits actuels, bien intégré sur le plan du concret, concernant la grande majorité des acteurs économiques des sociétés les plus «avancées» et jouant un rôle essentiel dans leurs préoccupations, si essentiel qu'il pourrait apparaître comme le véritable garant de la reproduction de sociétés officiellement vouées à des polarités contraires.

L'appareillage néo-libéral de l'échange des biens

Le traitement du réel dont il est question ne peut être apprécié qu'en raison de la visée mythique à fondement messianique à laquelle s'est identifiée l'élite hégémonique dominante des sociétés «développées ». Selon celle-ci, ces sociétés ont accompli depuis la Renaissance une mutation consistant en leur promotion à un état de rationalité définitif, contrastant avec l'irrationalité foncière des autres sociétés. Cette évolution est irréversible.

Consolidée par les Lumières, la Révolution française, puis l'essor des innovations techniques et scientifiques caractéristiques de la « modernité », cette perspective s'est diffusée au monde entier grâce à l'élan prométhéen de ces formations, porteuses d'un message libérateur universel. Ce progrès essentiel est lié à l'émancipation du sujet individuel, libéré des contraintes imposées par les traditions et croyances antérieures et devenu capable d'ajuster rationnellement les moyens de satisfaire ses fins. La matrice de ce comportement nouveau est le comportement du même sujet sur un marché concurrentiel total. Cet acte élémentaire est le moteur d'une nouvelle organisation sociale mue par le marché. Compte tenu du rôle dominant du vecteur monétaire au sein de celui- ci, les rapports mercantiles dominent toutes les relations sociales ou sont voués à le faire pour peu que les conditions d'un échangisme généralisé soient réunies. Dans une telle vision, la société n'est qu'un vaste marché dont l'équilibre résulte de l'ajustement toujours en question des intérêts des acteurs individuels, sur une base de contrats réglant leurs rapports quotidiens et à plus long terme. Le régime démocratique ainsi constitué doit prévaloir sur toute autre forme de rapport social. Ce mythe de base s'est trouvé confronté, à par- tir du siècle dernier, à une autre utopie, également messianique, qui contestait la rationalité et les fondements de l'ordre ainsi défini pour lui substituer une autre vision du progrès censée déboucher sur l'émergence d'un Homme nouveau caractérisé par ses dispositions altruistes et accomplir, dans un dernier élan historique à venir, l'abolition des contradictions nées du heurt des intérêts résultant de l'ordre antagoniste. Aujourd'hui, tandis que ce dernier mythe s'évanouit, le mythe libéral, assimilé à l'ordre économique et social « occidental », refait surface et impose à nouveau sa dogmatique. Toutefois, la « société civile» qui s'identifie à lui a pris en compte les enseignements des processus qui ont conduit à l'émergence d'une utopie rivale et les critiques concernant les effets suicidaires du déploiement «sauvage» de sa logique originelle. Elle a donc édifié un appareillage dans lequel les effets excessifs du jeu des intérêts privés livrés à leur seule pente se trouvent compensés par divers rouages limitant les appétits individuels et instaurant une nouvelle rationalité sociale tenant compte à la fois des aspirations égocentriques des acteurs isolés et des impératifs d'un ordre social tempéré. La nouvelle construction impose, à côté et au-dessus du marché de la communication économique et sociale interindividuelle, un organe régulateur, arbitral, détenteur de la violence légitime, fondé sur une délégation de pouvoir de ses mandants: l'État. Ce rouage commun est censé calmer le jeu de la concurrence, limiter les monopoles, empêcher les dérapages du marché social vers l'anarchie, imposer une certaine cohésion aux acteurs sociaux et protéger les marchés locaux de concurrences extérieures menaçantes. Il est également censé re- lancer la production, prendre en charge les secteurs peu rentables et assurer des services sociaux dont le jeu des intérêts privés ne saurait assurer le fonctionnement. Toutefois, cette instance d'autorité est toujours susceptible d'agir en sujet privé et d'étendre son domaine aux dépens des intérêts des citoyens. D'où la nécessité de limiter son action, ainsi que celle de ses agents. Face à des entre- preneurs toujours tentés d'élargir leurs appétits et de fausser le jeu du marché libre et à un État également tenté de restreindre leurs libertés, les acteurs individuels de base ont également édifié de manière spontanée des contre-pouvoirs consolidant leur marge d'initiative. Une société perçue comme un assemblage de contracteurs mais peu soucieuse de courir tous les risques d'un libéralisme extrême ou de subir des restrictions trop fortes à sa marge d'action s'organise de manière plus ou moins durable ou étendue pour imposer ses franchises. L'opinion est ainsi devenue un facteur décisif de l'ordre social, disposant d'organes puissants et de moyens de pression efficaces.

Simultanément, l'ordre capitaliste a subi de profonds remaniements, caractérisés notamment par la mondialisation des échanges et l'émergence d'une nouvelle strate d'agents économiques dont les intérêts ne reposent pas sur la possession ou la production de moyens de production, mais sur leur capacité à gérer et l'intérêt pour la gestion. Ce corps d'intermédiaires s'interpose à tous les niveaux entre les purs entrepreneurs ou le pouvoir coercitif et la masse des citoyens, dont il se distingue du fait d'une compétence acquise. Cet ordre «managérial », dont l'hégémonie couvre à la fois le secteur privé et le secteur public censé l'équilibrer, soucieux de consolider ses positions, sécrète à cette fin une idéologie qu'il impose par le canal des moyens de communication de masse qu'il contrôle à une opinion publique de plus en plus soumise à des inductions extérieures et de moins en moins fondée sur une logique rationnelle1. Par ailleurs, la multiplication de crises économiques ou sociales incontrôlables, le dépassement du capitalisme de production vers un capitalisme financier inaccessible à l'acteur primaire, la constitution d'une nouvelle « classe oisive » de non-producteurs entretenus de façon à demeurer passifs à l'égard du marché de l'emploi ont changé les conditions du marché, contribué à l'éclatement des solidarités de classe, élargi à nouveau le fossé entre un foyer minoritaire de riches acteurs et des consommateurs-spectateurs de plus en plus endettés. Dans ce contexte, les motivations des entrepreneurs sont apparues de plus en plus comme étrangères au principe de l'utilité et régies par des logiques agonistiques ou ludiques fort différentes des motivations utilitaristes avouées. Une nouvelle sociabilité a émergé, dont les théoriciens de la «post-modernité» s'emploient à localiser les contours mouvants: convivialité diffractée, visqueuse, échappant aux cadres institutionnels, fondée sur un être ensemble immédiat, dont le symbole n'est plus la figure de Prométhée mais celle d'un Dionysos assagi et laïcisé 2.

Ces changements sociaux et culturels s'accompagnent d'une prise de conscience générale du caractère halluciné d'une pratique économique de plus en plus réglée par la publicité. Servie par les nouveaux moyens d'information gérés par les représentants de la strate « managériale » déjà évoquée, elle-même « possédée » par l'utopie en vogue, celle- ci détermine de plus en plus besoins et demandes et donc l'utilité des marchandises, les contours de la rareté, les échanges. Une conduite économique évoluant dans un réseau de symboles, de signes, d'artefacts et non plus de demande vitale ou de pouvoir se dégage de plus en plus des modèles légitimateurs qui falsifient son exercice en même temps que le marché. Dans ce contexte, on constate le développement croissant d'un consumérisme consumatoire venant subvertir tous les principes de l'utopie d'« économie »3. Cette pratique, qui affecte tous les secteurs de l'échange des biens et des services, se fonde sur la pure exaltation du moment ou du nouveau. Elle oscille entre les pôles touristique, ludique, spéculatif, associe le « flambeur» du loto au golden boy, le petit spéculateur boulimique à l'entrepreneur joueur et constitue un moteur décisif de la conduite « économique », sur un fond d'endettement généralisé. Dans cette débâcle générale, le spectre de l'anomie, jusqu'alors contenu, gagne du terrain, de la petite délinquance à la drogue, de la corruption à la transmission de maux suicidaires, des «affaires» politiques aux révoltes des banlieues.

Son règne croissant sanctionne le dérèglement général de la société mutante, sous l'apparent triomphalisme de l'utopie gestionnaire. En réponse à la grande peur qu'engendre cette situation, le repli sur soi individuel - le cocooning - fait pendant aux utopies régénératrices concurrentes, fondées sur des identifications collectives puissamment mobilisatrices, dressées sur des mythes écologiques, ethniques ou religieux, prétendant stopper la dérive au prix d'implosions sacrificielles survalorisées par les médias, hommage suprême au dieu obscur de 1'« inutile» refusé.

Promotion du marché caritatif

Dans un tel contexte, une autre forme de compensation palliative des effets négatifs de l'idéologie prédatrice dominante est recherchée dans le domaine oblatif, en tant que pratique individuelle généreuse et spontanée, gratuite, sacrificielle. Il s'agit là d'une remise à la mode d'un modèle d'inspiration religieuse chrétienne légitimé à l'origine par les principes d'amour du prochain, d'imitation du crucifié, mais aussi fondé sur un marchandage du salut ou la culpabilité. Jusqu'ici, cette pratique était gérée par des institutions cléricales ou paracléricales associant charité et foi. Toutefois, bien que certains symboles de son « renouveau» soient religieux (Croix-Rouge, mère Térésa, l'abbé Pierre, etc.), celui-ci correspond à une laïcisation de l'institution, qui l'accorde aux valeurs substitutives de l'« humanitaire» ou de la solidarité, tout en l'associant à l'esprit d'entreprise contemporain. Ainsi, le « coeur» trouve place à côté de la raison en tant que moteur d'activité valorisée, dans la mesure où la pratique du don est un acte du sujet individuel libre de toute attache et favorise la création d'ONG, selon la dogmatique de l'heure. En même temps, l'acte oblatif se trouve investi d'une fonction utilitaire, en tant qu'instrument rectificateur des excès du mercantilisme. Il s'en trouve légitimé.

Soigneusement comptabilisé, promu par la publicité, il consolide les modèles dominants, humanise le système, impulse dépenses et consommation et offre à la strate gestionnaire un marché important.

Ce marché oblatif couvre différents secteurs d'activités: un premier secteur, proche de l'échange marchand, correspond à la technique de marketing, en plein essor, du " cadeau» au client. Cette stratégie peut constituer un chapitre important du budget d'entreprise sous couvert d'une communication oblative fictive mais appréciée de la clientèle ainsi achalandée, fidélisée, intéressée. Une autre de ses manifestations est le cadeau au fournisseur ou à l'intermédiaire, le « dix pour cent », souvent proscrit par la loi sous forme de « pot-de-vin », mais toujours pratiqué, sous peine de perdre le marché, au prix d'un glissement de l'apparence généreuse au marchandage et à la corruption. Certaines offrandes spectaculaires ou sponsorings (généralement prélevés sur l'impôt) peuvent également servir les intérêts d'une entreprise en valorisant son image de marque. Le patronage d'activités humanitaires, né dans les pays protestants, s'inscrit dans la ligne de promotion d'un libéralisme à visage humain, contrastant avec la froideur de la redistribution bureaucratique. Les «nouveaux patrons, qui sont souvent de confession chrétienne avouée, légitiment fréquemment leur conversion aux normes libérales par ces dépenses désintéressées. Le don au personnel par l'entreprise sert également de moyen de le fidéliser, de modérer ses ardeurs revendicatrices, ou de diversifier les modes de rémunération, de façon parfois très intéressée.

Un autre secteur plus conforme à l'inspiration chrétienne originelle, et dans une certaine mesure à son avatar socialiste, correspond au domaine de la « communication humanitaire.

qui a connu une explosion remarquée au moment du déclin du système bureaucratique soviétique, en tant que volet généreux du procès de privatisation de l'échange opposé au Tout-État. Son expansion a bénéficié d'une promotion médiatique au moins aussi intense que celle de l'entreprise, sous l'impulsion d'une hégémonie gestionnaire offrant aux téléspectateurs le culte identificatoire de l'entrepreneur audacieux et de la religieuse généreuse. La mise en scène médiatique a focalisé l'attention sur les événements qui favorisent des élans spontanés de solidarité orchestrés par les caméras. Phénomène de mode, elle semble subir un net déclin aujourd'hui, après un boom de dix années (on parle alors de « krach humanitaire. ou de « ras l'obole4 » des consommateurs). Cette campagne a dévié des quantités importantes de richesse du domaine de la consommation utilitaire vers celui de la consumation. L'expansion du marché caritatif a provoqué la formation d'institutions nouvelles qui viennent concurrencer les organismes déjà en place et constituer une extension du secteur des ONG favorisant l~ conquête de cette nouvelle frontière par de nouveaux entrepreneurs. Toutes ces entreprises ont recours à la publicité pour collecter les dons et soutenir la concurrence de leurs rivales, n'hésitant pas à dramatiser l'événement, à traquer le donateur éventuel à son domicile (développement du mailing), à le disputer aux autres, de manière homologue aux stratégies de leurs consoeurs du marché libéral. D'où la naissance du phénomène de saturation déjà évoqué, renforcé par la révélation de détournements ou de gaspillage des offrandes. Pour soutenir un marché devenu anarchique, l'État doit souvent intervenir par le truchement de subventions, d'interventions régulatrices ou la création d'institutions tel le secrétariat à l'Aide humanitaire français. Ce faisant, tout en permettant les déductions d'impôt pour les actes généreux, la puissance publique s'est dégagée d'activités marginales. En revanche, l'ouverture de ce nouveau créneau privatif a fourni une voie d'expansion à la nouvelle strate « managériale », celle-ci se substituant en large part au personnel bénévole des débuts sous le pré- texte d'assurer une meilleure efficacité du flux des offrandes. En bout de chaîne, ce marché a offert à une nouvelle frange de chercheurs d'aventure et de dépassement la possibilité de vivre une vie devenue inaccessible, ce para-clergé s'offrant à incarner les rêves oblatifs du donateur de base par identification, à la manière des missionnaires d'antan, en échange d'un prélèvement modéré sur la circulation ainsi mise en oeuvre.

Un autre volet du champ de la communication humanitaire met en scène le secteur public ou parapublic, en tant qu'il contrôle un important secteur de circulation redistributrice référé au principe de la « solidarité », en tant que manifestation de générosité supposée spontanée du contribuable à l'égard des victimes du système. Ces institutions assument la gestion d'un secteur caritatif échappant à la sollicitude des ONG humanitaires mais où le principe charitable s'efface derrière celui de la prestation obligatoire. Pour les bénéficiaires, celle-ci est un dû. Pour les tenants d'un ordre solidaire, seul ce type de redistribution est valable et le secteur privé devrait en être exclu. Mais les tenants d'un ordre charitable mettent en cause le caractère « inhumain » de la gestion étatique de la solidarité et lui opposent leur propre solution, parée du prestige du modèle Français » 26 décembre 1990.

de la privatisation, qu'il conforte du même mouvement. Entre les mains de nouveaux entrepreneurs privés, la pratique de la « manche », qui se développe à la lisière de ces courants contradictoires, révèle la double ambiguïté de la solidarité prestatoire et de la charité bienfaisante en rejetant à la fois l’asymétrie des positions des partenaires et la fiction de la bienfaisance. Le caractère symétrique de l'expansion actuelle des modèles du marché libéral et du marché caritatif ne fait que souligner leur commune insertion dans le schéma échangiste utilitariste, centré sur l'utopie d'un sujet individuel sans attaches profondes et durables avec ses semblables et mû par ses demandes les plus élémentaires.

Ce fait n'est pas sans rapport avec la censure exercée sur le type de pratique que nous allons évoquer maintenant, et qui s'oppose en principe à ces usages.

L'ordre occulté du don rituel

C'est à Marcel Mauss et à son Essai sur le don,. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques 5 que l'on doit la mise en relief de la pratique du don rituel en tant que fondement d'un mode particulier d'échange qui s'oppose aussi bien à celui de la communication utilitaire qu'à celui du don de charité. Il est regrettable que l'absence de terme alternatif ait obscurci l'éclat de cette découverte en favorisant les amalgames entre ce dernier et le système en question. Pourtant, des auteurs aussi différents que Claude Lévi-Strauss, François Perroux, Jean Baudrillard, Jean Duvignaud6 et bien d'autres ont vu dans l'ouvrage évoqué un des sommets de la recherche anthropologique et la révélation d'une loi fondamentale de la communication humaine. Un autre facteur de méprise a été son assimilation à un ordre « archaïque», pour reprendre l'expression qui figure en sous- titre de celui-ci. Sur cette ligne d'opposition historico-culturelle, les recherches concernant l'ordre en question sont restées confinées dans l'étude des sociétés «pré-modernes» et n'ont pas abordé l'analyse de ses manifestations éventuelles au sein des sociétés marchandes, industrielles ou « modernes ». Or, ainsi que nous avons tenté de le montrer à propos d'une société marchande africaine7 et comme nous souhaitons le montrer ici, cette perspective n'est pas fondée. Don et marché peuvent coexister, se pénétrer, se corriger au sein de sociétés complexes. Rappelons tout d'abord que le système d'échange dont il est question est totalement opposé au principe du don caritatif, en dépit de l'usage du mot « don» dans les deux cas. C'est pour- quoi nous le désignerons essentiellement par l'expression de « don rituel ». S'il repose, en apparence, sur un mouvement d'offrandes protocolairement volontaires et généreuses, il obéit à un fonde- ment prestatoire absolu. Mais à l'inverse d'un ordre de la solidarité, le principe qui le commande et qui dirige la participation des partenaires est étranger à toute considération « économique». Il s'agit d'une loi totale, sans auteur. Marcel Mauss décompose celle-ci en trois obligations fondamentales, à savoir celles de donner, de recevoir et de rendre. En fait, ces trois procès ne sont que les temps de scansion d'un mouvement continu dans le temps, réversif et cyclique 8 . S'il règle une grande partie du fonctionnement de nombreuses sociétés « pré-industrielles », il conserve ces traits fondamentaux partout où il s'applique et où il noue entre eux des partenaires dont il régit les rapports. Son principe de base est la réversibilité de l'offrande offerte, qui annule l'intérêt utilitaire de celle-ci et substitue au jeu des dons et contre-dons le va-et-vient d'une perte réciproque, constamment renouvelée, toujours selon les normes du rite.

En ce sens, il s'apparente au sacrifice. Mais ce jeu absurde au regard de la rationalité utilitariste s'accompagne d'une atmosphère festive qui tranche sur la grisaille des échanges « utiles» ou considérés comme tels. Le don rituel est ainsi à la source d'un climat relationnel plein de chaleur constamment renouvelé, puisque l'échange en question est voué à se perpétuer dans le temps. Par ailleurs, les partenaires ainsi associés ne sont en rien dans la position du sujet insulaire des rapports marchands ou caritatifs. Ce sont des personnes morales, des persona échangeant sans cesse .tes positions alternées, rituelles, de donateur et de donataire, positions abstraites, définies par le jeu des présents et contre- présents. Ce ne sont pas les biens qui bougent entre partenaires, mais ceux-ci qui échangent leurs rôles à propos du mouvement des biens, seul véritable acteur. Ces relations s'effectuent sous le signe de la loi de l'échange continu, du pacte perpétué, hors du temps de l'événement, du troc, du geste généreux ou de l'assistance. Quant aux rituels qui président aux modalités de ce cérémonial, ils varient en fonction de protocoles divers de don agonistique (potlatch), concurrentiel et parfois destructeur, d’échange à égalité, d'offrande asymétrique, l'essentiel étant qu'ils se poursuivent dans le temps.

La gratuité affectée des offrandes n'est qu'apparente mais, à l'inverse du don de charité, totalement perçue comme telle. En fait, le don offert doit coûter. Il s'évalue en fonction du marché. Mais on ne doit pas faire état de sa valeur. Elle n'en est pas moins soustraite du secteur « utile », au prix de privations. L'« objet » du don n'est pas en réalité l'objet offert ou reçu en tant que chose matérielle, mais sa valeur d'utilité muée en valeur de sacrifice. S'il arrive aujourd'hui que l'on offre un cadeau «utile », le rite doit effacer ce caractère sous peine de voir l'offrande muée en insulte: l'aspect festif s'évanouit. Le lien fait place à la rupture. En revanche, la prestation est fondamentalement obligatoire, comme une dette, aussi longtemps que dure le pacte initial. Elle implique les trois phases isolées par Mauss, mais ces temps ne font que scander le jeu de navette des fils affectifs qui lient les partenaires dans le même tissu relationnel. Car ceux-ci ne sont pas des partenaires de rencontre, comme ceux de l'échange marchand ou caritatif. Dans une société moderne, l'obligation est librement acceptée par les partenaires, lesquels peuvent rompre à leur gré leur relation privilégiée sans grand dommage. Mais aussi longtemps que dure celle-ci, elle se trouve liée au jeu des prestations rituelles, contrainte librement acceptée, recherchée, perpétuée avec ferveur. Le caractère rituel du mode de communication évoqué, apparenté à celui qui régit les offices religieux, la passion, le fantasme pervers, se retrouve dans la mise en scène qui en marque les temps de scansion et les constitue en moments d'exception. Il commande le choix des présents, les manières d'offrir, le jeu du secret, le cérémonial de réception. Il peut affecter une note concurrentielle ou, au contraire, la modestie, l'humilité. Mais il suffit qu'il soit omis ou mal exécuté pour que tout l'appareillage s'écroule. Le rite transforme également les partenaires qui ne sont en rien engagés dans un rapport duel entre acteurs campés sur des positions irréductibles ou fusionnés dans une relation en miroir. Durant le cérémonial, ils sont comme masqués, en position alternative sus- pendue, soumis à un tiers exigeant, divinité sans nom, qui est précisément la pure loi de l'échange, laquelle ne les disjoint que pour les conjoindre, perpétuellement9. Et le climat festif associé à cet échange illumine la mutation qui s'opère, l'instant du don, entre personnages d'une représentation réglée pour toujours du fond des temps et vouée à se perpétuer.

Dans les sociétés modernes, à l'encontre de celles qui sou- mettent l'ensemble de la société à ses lois, ce cérémonial s'adapte aux conditions de vie changeantes, se concentre sur certains rap- ports sociaux, devient plus intime, moins étendu. Il n'en constitue pas moins d'innombrables constellations collectives chaleureuses dont les scansions festives et oblatives rythment la vie quotidienne des sujets engagés par ailleurs dans d'autres types de rapports sociaux. C'est au niveau du couple engagé dans une relation durable règne avec le plus d'éclat. L'ambiguïté du langage du « cadeau » ne favorise pas la prise en compte du mouvement d'échange de dons et de contre-dons qui double sur le plan des échanges de biens le jeu du commerce amoureux. Il donne l'impression que chaque présent est un acte univoque, immédiat, exceptionnel, imprévu, allant de l'erotos à l'érotoumenos et « payant » en quelque sorte le don personnel du dernier, alors que l'échange réel croise et tisse cadeaux et caresses ou sentiments. Le courant actuel d'« émancipation» de la femme favorise une correction de l'impression d'achat quasi mercantile que pouvait donner jusqu'ici le jeu des présents masculins, coûteux en monnaie et de la réponse affective ou physique du partenaire féminin, assimilé par les cyniques à la prostitution. Ce dernier tient aujourd'hui à rendre le présent reçu, sur le modèle masculin traditionnel. Le transfert d'une position asymétrique à une position symétrique symbolise ici un nouveau type de rapport général entre l'homme et la femme excluant l'image d'une relation de sujet à objet. Le don rituel ne peut que bénéficier de cette situation, la femme reprenant à sa charge le rôle tenu dans les sociétés ancestrales par les hommes de son lignage. L'émancipation de la femme autorise son entrée dans la soumission au rite sans auteur qu'est l'échange rituel à égalité, ce qui suppose qu'elle ait accès aux ressources nécessaires à la restitution du don reçu à valeur égale et qu'elle concurrence l'homme hors de ce cadre. Quoi qu'il en soit, le premier contre- don enclenche un immense processus d'offrandes réciproques appelé à se prolonger et donc à constituer pour les partenaires un chapitre obligé et souvent important de leurs budgets respectifs. Certains dons sont exceptionnels, tel celui de la bague de fiançailles. La plupart entrent dans un cycle croisé que scandent anniversaires, fêtes religieuses ou profanes, notamment de Noël et du Premier de l'an, de la Saint-Valentin ou de la fête des Mères ou des Pères, dons à l'occasion d'accouchements, invitations rendues, noces de bronze, d'or ou d'argent. On peut s'étonner que nul économiste n'ait vraiment songé à comptabiliser ces flux considérables, dont l'inventaire réserverait des surprises, ce que savent parfaitement banquiers ou commerçants sans jamais en faire réellement état.

En revanche, le cadeau utile renouvelé, l'oubli de don, la baisse de valeur des présents échangés ou, au contraire, l'insistance sur le coût peuvent conduire à une rupture dont les effets vont au-delà du simple échange de biens ou de services. L'interruption du cycle peut alors se traduire par un renvoi réciproque de cadeaux. Notons cependant que, d'un commun accord, les partenaires peuvent réduire le coût marchand des présents offerts pour consacrer davantage de leurs ressources à d'autres dépenses, communes ou non (achat de maison, vacances, etc.). Car ce qui compte, ce n'est pas vraiment la valeur du présent, mais l'intention, le rite reconnu, suggéré plutôt que déclaré, qui supporte le jeu de réversion qui en constitue le moteur.

Le foyer familial, la famille étendue constituent un autre cadre d'échange rituel continu, officiellement désintéressé et réciproque. Évoquons le jeu des cadeaux de mariage offerts par l'entourage d'un couple, toujours restituables par celui-ci, souvent sur la base de listes déposées chez des commerçants; celui des présents entre parents et enfants, qui culmine lors des fêtes de Noël, des fêtes des Mères et parfois des premières communions. Rappelons les rites des offrandes aux défunts, à l'occasion des funérailles ou, réciproquement, l'assimilation de l 'héritage au don mis en question par la technocratie, notamment dans le cas de l'assurance-vie : - la réversion étant assurée en ce cas par la génération suivante dans le cadre d'un rituel plus complexe (l'enfant rend à son enfant la dette contractée vis-à-vis de son propre géniteur) ; les rapports oblatifs particuliers entre grands-parents et petits-enfants, parrains et marraines et filleuls. Au-delà du cadre de la parenté, le cercle des « relations» : amis intimes, camarades, collègues de travail, etc., constitue lui aussi un champ de circulation de dons réciproques important, centré sur les invitations mutuelles à des repas, des parties, des apéritifs, y compris la tournée des camarades de travail, la participation obligée aux grandes collectes collectives effectuées à l'occasion des mariages, des promotions, des départs à la retraite, des funérailles, etc. Dans tous ces cas, le don reçu implique un don en retour pour une valeur équivalente et constitue une créance sur le budget des intéressés. L'obligation dé rendre peut obliger un partenaire à s'endetter, à renoncer à des dépenses utiles. Mais quels que soient les regrets, il convient d'éviter de donner au présent un ton caritatif ou d'exprimer sa rancoeur de «gaspiller » de précieuses ressources. Le don rituel s'inscrit ici à l'encontre du mythe d'une convivialité immédiate, fondée sur un « sentir ensemble,. ponctuel, caractéristique de la « post-modernité » peut- être parce qu'il en corrige l'aspect inhumain.

Le rétrécissement du cercle des partenaires de don rituel ne signifie pas nécessairement une restriction des dépenses consacrées à ce chapitre budgétaire: un grand nombre de dépenses qualifiées de somptuaires ou consumatoires relèvent en effet d'un comportement d'anticipation prévisionnelle fondé sur l'éventualité de l'apparition d'un partenaire. C'est pour cet inconnu que l'on a un salon vide, une chambre d'amis, une argenterie inutiles. C'est, de manière plus subtile, en fonction d'un tel invité inexistant que l'on mange de façon plus somptuaire que l'on ne le ferait si son apparition était inconcevable, que l'on se vêt ou se pare plus somptueusement. Ces conduites irrationnelles sont autant d'appels à un partenaire inconnu dont l'éventualité de la venue comble un vide de sens.

Un autre type de comportement de même inspiration a été reconnu comme jouant un rôle important dans le comportement des entrepreneurs modernes, sans que les analystes qui l'ont mis en relief ne tirent toutes les conséquences de leur constat: il s'agit du potlach, qui ne saurait être considéré comme un acte archaïque depuis les travaux de Thorstein B. Veblen10. Sa prise en considération est liée à son affinité avec la passion prométhéenne et agonistique qui régit l'esprit d'entreprise contemporain. L'imaginaire dualiste auquel on réduit ce rituel, en le ramenant à un rapport spéculaire au miroir manque son véritable ressort, à savoir sa soumission à la loi rituelle de la perte qui ne cesse d'annuler ces positions subjectives et leurs effets négatifs, en mettant en scène le sacrifice symbolique des passions privées et des biens dont la possession et l'étalage humilient l'opinion. En réalité, ce type de conduite ne peut se comprendre qu'en fonction du spectre général des rites oblatifs, dont il constitue un des pôles. Une étude approfondie du champ du don rituel devrait comporter une évaluation des dépenses soustraites par son truchement à l'ordre de l'utile, du besoin, de l'intérêt donné comme fondement de l'ordre relationnel. Faute de chiffres concrets, l'immense domaine évoqué dans ces pages demeurera minimisé au profit de dogmes a priori.

Le don rituel, facette économique de l'échange symbolique

Les fonctions du don rituel ne peuvent être comprises que dans le cadre de l'ordre plus large de l'échange symbolique, qui déborde de loin le simple jeu de signes « économiques ». Marcel Mauss avertissait déjà les lecteurs de l'Essai sur le don que ce « fait social total» ne concernait pas seulement un mouvement de biens mais qu'il n'était qu'un des termes d'un contrat plus général et permanent brassant des politesses, des festins, des rites, des femmes, des enfants, des fêtes, des foires, dont le marché n'est qu'un moment, des services militaires, etc.11 II. Après lui, divers chercheurs ont mis en relief l'existence d'un ordre universel de la communication gouverné par des lois toujours identiques. Ces lois détermineraient l'accès de l'enfant à l'échange social, toute défaillance dans ce processus pouvant se traduire par une incapacité pathologique 12 . Pour C. Lévi- Strauss, les principales manifestations de cet ordre seraient la communication des messages, des femmes (relations de parenté) et des biens et services13. Malheureusement, cet auteur n'a pas consacré à ce dernier domaine la même attention qu'à ceux des mythes ou des femmes. En ce qui concerne celles-ci il a souligné la contradiction résultant du fait que, à l'encontre des phonèmes, les femmes n'étaient pas seule- ment des signes, mais des « personnes », restées valeurs en même temps14. C'est une contradiction homologue qui complique l'analyse du don rituel, compte tenu du double aspect de signe et de valeur des objets échangés. Nous évoquerons ici quelques manifestations de l'échange oblatif général correspondant aux lois qui régissent ce domaine. En premier lieu, les affinités sont grandes entre son fonctionnement et celui du langage, notamment sous ses aspects concrets d'échange de signes et de messages, soumis à une syntaxe identique. Ainsi, une partie des mots échangés entre interlocuteurs est inutile ou ne signifie rien. On parle souvent « pour ne rien dire », « à côté », « pour parler », c'est-à-dire pour échanger, même si l'on n'a « rien à dire ». Il faut répondre à son parte- par politesse, laisser dire des phrases et les mots, même si l'on est seul à détenir une information. Un discours univoque ou sans rituel produit une rupture de communication qui brise l'échange. Le silence est l'une la vie collective, comme l'oubli du don. Il pèse sur l'existence même du groupe. Mais des mots jetés sans signifier, une boutade, peuvent sauver la situation en relançant un échange qui vaut par lui-même. Le dialogue fonctionne pour marquer de l'intérêt, du respect, de l'acceptation, marquer des différences plus que pour exprimer des idées ou des renseignements. Il est impératif de répondre et le silence peut traduire un rejet. C'est pourquoi la conversation courante tranche sur le langage du militaire ou de l'entrepreneur, qui « économise» son discours. Une part importante du commerce social repose sur des échanges de plaisanteries, échanges parfois provocateurs, inutiles, imposant des réponses de même niveau, de même ton. Il convient de ne pas se vexer, d'éviter le sérieux, de relancer la joute. Celui qui « ne comprend pas la plaisanterie» se trouve rejeté de la communauté. Mais il est des plaisanteries déplacées dont l'effet est négatif.

Dans un autre registre, si l'échange des femmes, qui occupe une place décisive dans l'ordre social de multiples communautés, s'efface dans les sociétés modernes, victime de l'individualisation du sujet, de l'égalité des sexes et des aspirations des femmes de ces sociétés - qui peuvent se traduire, nous l'avons vu, par un accès croissant de celles-ci au système du don rituel, la société néo-libérale a développé la pratique de l'échangisme du couple. Dans le cadre de celui-ci, les lignages alliés sont rem- placés par les quatre partenaires des couples de base, lesquels échangent deux à deux leurs conjoints ordinaires pour un temps limité. Ce commerce peut se reproduire de façon cyclique, comme le jeu des dons qui l'accompagne généralement. Plus précis est l'échange pervers, fondé sur un rite complexe de va-et-vient de fantasmes 15. Un tel rapport trouve une expression plus proche du langage dans l'usage du moderne minitel rose, dans lequel des partenaires distants et qui s'ignorent font circuler entre eux le dé- sir, avivé par la nudité des messages 16. Sur un autre plan, concernant des ensembles sociaux plus larges, on peut situer, toujours dans le même registre, les échanges de fêtes entre collectivités, notamment entre villages ou villes jumelées, promus par les moyens de communication de masse. Là encore, le rituel des relations entre communautés ainsi associées met en jeu des protocoles de réciprocité, d'équivalence, de temps festifs qui se perpétuent et se diffractent à la marge entre familles des deux groupes concernés, qui s'invitent réciproquement, à chaque élan du balancier, et marient parfois leurs enfants. Une forme proche d'échange oblatif, à caractère agonistique celui-là, consiste en compétitions sportives. Ce type de communication qui s'est étendu au monde entier tient une certaine place dans les discours et les préoccupations des joueurs, de leurs supporters, des membres de leurs clubs, des organisateurs des joutes générales et des villes dont font partie les clubs. Or, les camps opposés ne font qu'échanger un ballon, à des fins de prestige dont l'aura rejaillit sur les communautés locales ou nationales auxquelles ils se rattachent. Mais, ainsi que le note Jean Baudrillard, un parti qui gagnerait à tous les coups briserait la règle de base de cette communication, en interrompant le rite de la réversibilité qui la fonde17. D'où les passions suscitées par les tricheries, dopages et autres ruptures de la loi en question.

Mécanismes d'exorcisme du don rituel

Le paradoxe que constitue, en ce qui concerne l'usage du don rituel, son insertion au coeur du système d'échange de richesses qui gouverne la dynamique des sociétés contemporaines et l'étrange cécité manifestée à son égard par les gestionnaires ou doctrinaires de ce système, en dépit de leurs prétentions scientifiques, ne peut s'expliquer par un simple aveuglement ou une confusion entre ce régime et celui, opposé, du don caritatif. Il re- lève d'une véritable conduite d'exorcisme révélant le caractère de pure croyance d'une vision économiste capable d'effacer de ses comptes un secteur où se brassent cependant des richesses considérables, soustraites aux paramètres du modèle marchand tout en lui imprimant une certaine impulsion. Aucun diktat n'est jamais prononcé à son égard. Il est seulement censuré, effacé de l'ordre des faits, de façon spontanée. Un premier facteur d'une telle dénégation peut être trouvé dans la nature totalitaire de l'idéologie du sujet insulaire sur lequel repose l'utopie dominante. Un tel sujet se conçoit comme un mini-État souverain, dont les relations avec les autres se nouent au gré de ses intérêts ponctuels, dans une ambiance de guerre latente. Il n'a rien d'une « personne» ouverte à de multiples relations participationnelles. La psychologie du comptable s'est substituée à celle du drame. Cet acteur prédateur rejette toute attache. Les impératifs du don rituel se confondent dès lors avec les contraintes sociales des ères « archaïques» ou médiévales dont il s'est délivré pour émerger. Le messianisme « managérial » s'accommode de l'idée que l'acteur puisse gaspiller et même se vouer à une forme de potlach, mais à condition que ces comportements irrationnels puissent être attribués à un décideur isolé. Il ne peut accepter que l'agent de l'échange se soumette à des normes et valeurs mettant en cause cette insularité. L'émergence de l'entrepreneur libre s'est constituée contre les «ordres» antérieurs. L'émancipation de la femme a consacré l'effondrement du système de parenté. La modernité, en tant qu'axe d'évolution libératrice, accepte les mouvements du coeur mais exclut les usages. Cette disposition s'accentue à l'ère de la « post- modernité », dans la mesure où ceux-ci pétrifient la viscosité du magma convivial. Une telle perspective se renforce du désarroi ou de la réaction d'autodéfense du gestionnaire devant un ordre qui fonctionne tout seul, sans intermédiaires ni régulateurs, à partir du moment où donateurs et donataires acceptent de s'y plier.

Un autre facteur de cécité résulte de la survivance de modèles chrétiens liés à l'émergence du système libéral, à l' arrière- plan des attitudes d'« économie ». Ces modèles excluent en effet de leur vision tout mouvement de type oblatif qui ne soit pas l'ex- pression d'une charité désintéressée, spontanée, rachetant les péchés, achetant le salut et résultant d'une identification du sujet à son prochain, lui-même substitut du dieu sacrifié.

En revanche, les messianismes collectivistes qui se sont efforcés de se substituer à l'ordre religieux ont dénoncé la charité comme un facteur d'aliénation. Socialistes et jacobins ont voulu substituer à un système caritatif largement monopolisé par les Églises un modèle de solidarité collective organisé, géré ou contrôlé par l'État. Dans les deux cas, le don rituel ne peut être qu'un vestige d'un passé de ténèbres. Son occultation s'est également trouvée renforcée par les effets du partage disciplinaire universitaire contemporain: phénomène social total, cette pratique ne peut être inscrite dans aucune des catégories de classification sur la base desquelles chercheurs et enseignants représentent l'ordre social: les économistes l'excluent de leurs schémas. Les ethnographes le réduisent à un régime caractéristique des sociétés « traditionnelles ». Sociologues et politologues en profitent pour l'ignorer. Certains philosophes sociaux ont tenté de l'intégrer à leurs analyses, mais toujours sous l'aspect d'un phénomène étranger à la société contemporaine, promu au rang d'alternative aux principes qui régissent celle-ci.

La procédure la plus efficace d'escamotage de cette part de réalité est son renvoi au cadre de l'archaïque. Nous avons vu que Marcel Mauss lui-même avait sacrifié à cette perspective, ouvrant la voie à une distorsion des faits concernant les sociétés contemporaines résultant de la fixation des chercheurs sur cette perspective. Le traitement structuraliste de l'échange oblatif opéré par Claude Lévi-Strauss dans son introduction à son oeuvre18 a accentué cette déviation dans la mesure où, privilégiant l'échange en tant que tel sur le fait de circulation des richesses, minimisant l'obligation de rendre et ne prenant en compte que des faits relatifs à des sociétés traditionnelles, il a contribué à détourner les chercheurs de l'analyse de ses manifestations internes aux sociétés marchandes. L'anthropologisme apologétique de divers commentateurs s'inspirant de quelques-unes de ses manifestations les plus spectaculaires (le potlach kwakiutl, la kula trobriandaise) pour ériger un modèle de contre-ordre idéal totalement opposé à l'ordre marchand, tels Georges Bataille ou Jean Baudrillard19, a contribué à ces déviations qui favorisent la stratégie hégémoniste du bloc historique « managérial » de manière inconsciente en évacuant de son champ d'investigation une masse de faits bien réels. De leur côté, les gestionnaires du marché « humanitaire» s'emploient à masquer le don rituel sous le déguisement du don caritatif, qui en est pourtant l'opposé. Une société hallucinée est ainsi conviée à voiler certains de ses usages en même temps que d'autres formes de comportements décrétés d'inexistence formelle pour ne pas se plier aux impératifs de l'utopie dominante.

Un sanctuaire secret de sociabilité participative

Toutefois, l'occultation qui frappe le don rituel ne peut s'expliquer par la seule stratégie des gérants d'une idéologie dominante. Tout indique que ce silence, telle l'omerta sicilienne, repose sur une complicité de la quasi-totalité des acteurs des sociétés modernes dont l'effet est de préserver un autre ordre social que celui qui se trouve représenté sur le devant de la scène, ordre connu de tous mais pudiquement préservé des feux de la rampe par une sorte de convention tacite. Loin de correspondre à un attachement désuet à des coutumes surannées, cette pratique réservée semble remplir des fonctions décisives: en premier lieu, on peut y voir l'effet d'une stratégie spontanée de contre-pouvoir visant à limiter le champ d'application du pouvoir « managérial ». Par ail- leurs, en sacrifiant des produits déviés à cet effet des circuits « utiles », donateurs et donataires paraissent manifester une volonté de; démythification des modèles et valeurs qui régissent ceux-ci. L'ordre mercantile est perçu, en effet, comme générateur d' antagonismes, d' anomie, de violence, de misère psychique suicidaire. Simultanément, le consommateur éprouve le sentiment confus que ses motivations sont largement induites, que ses choix ne correspondent ni à ses pulsions profondes ni à ses besoins, notamment de rapports sociaux participatifs. Il estime que ses élans caritatifs programmés par les pouvoirs publics ou les médias et gérés par divers intermédiaires n'ont que des effets mineurs par rapport à ses aspirations. En cette conjoncture, le cérémonial symbolique du don rituel vient conjurer les dangers anomiques, restituer les « vraies valeurs », vécues comme l'expression d'une « vraie vie ». Le temps de l'échange réversif, il n'est plus une monade isolée dans un monde sans pitié, prisonnier du jeu des demandes et réponses immédiates, mais une personne, définie par relations durables, festives, avec des partenaires qui ont des visages et se sou- mettent comme lui à une même loi « inutile» mais fondatrice et efficiente. Le caractère festif de la communication maintenue révèle l'aspect libérateur du rite évoqué par rapport à l'aliénation qu'impose le marché. En consumant l'idole qui fonde cette aliénation, comme des foules révoltées brûlent le drapeau d'un pouvoir dominateur, les partenaires recréent les conditions d'une existence «digne d'être vécue» à leurs yeux.

On peut voir dans l'efficience de ce processus un effet du mécanisme, déjà évoqué, de l'efficacité symbolique. Celui-ci préside au développement de l'enfant aussi bien qu'à divers modes de résolution de situations génératrices de malaise individuel et social résultant de ratés de l'évolution « normale », conçus spontanément par diverses sociétés.

Par ce processus, en intégrant la perte à son discours, le sujet résout les fascinations infantiles qui l’asservis- sent à des modèles duels, en miroir, où il se perd en croyant combler ses failles. En mettant ces modèles en perspective grâce au langage et à la loi dite de castration, il accède au désir et à des échanges sociaux sereins. A l'inverse, tout échec de ce processus le voue à la folie, qui lui interdit tout échange20. Or, le jeu symbolique de la dette semble permettre, en manipulant « la propriété inductrice que posséderaient », selon la formule de Claude Lévi-Strauss, « les unes par rapport aux autres des structures formelle- ment homologues pouvant s'édifier, avec des matériaux différents aux différents étages du vivant21 », de sublimer des situations in- tolérables rendant le commerce social impossible. Tel est précisément l'effet du don rituel, lequel présente sur d'autres expressions symboliques l'avantage de mettre en scène le sacrifice de l'objet même qui, dans l'ordre mercantile, ravive constamment en lui la faille du besoin, du désir, de la demande toujours difficiles à satisfaire, à savoir la marchandise. En l'occurrence, c'est l'objet même d'une vie d'« économie », d'envie, de parcimonie dont le pouvoir aliénant est annulé, mué en symbole du lien qui tisse entre partenaires le va-et-vient de leur intimité commune. En offrant un cadeau qui sera rendu, le donateur ne renonce pas seule- ment à une satisfaction utile. Il s'émancipe des illusions qui conféraient à l'objet dont il se défait le statut imaginaire de résoluteur de son manque fondateur. Et ce résultat est obtenu grâce au jeu de réversion continu dans lequel des partenaires unis par un cérémonial immuable échangent leurs manques respectifs, jouent avec la perte, mettant ainsi à distance leurs avidités mortifères, ce qui leur permet de communiquer dans la fête et la reconnaissance mutuelle. Ils peuvent dès lors retourner à la grisaille des échanges utiles, capables de se soustraire à des impulsions excessives. Le jeu de l'échange marchand peut alors se dérouler de façon plus décontractée, plus rationnelle. Ainsi, l'ordre du don rituel, loin de s'opposer de manière absolue à celui du marché, favorise « u contraire le bon usage de ce dernier. Il s'y approvisionne en ingrédients nécessaires à la mise en scène du sacrifice sur lequel il se fonde. Ce faisant, il lui confère une impulsion parfois déterminante. Il le purifie de ses tendances à dériver vers des expressions génératrices de destruction de ce corps social dont il prétend régler les échanges internes. Car telle est, nous l'avons vu, la contradiction majeure qu'il porte avec lui. Il est significatif qu'une alternative jugée jusqu'ici, comme lui, caractéristique d'un temps dépassé de l'évolution de l'humanité, retrouve aujourd'hui une actualité décisive: nous voulons parler du fondamentalisme religieux. En l'occurrence, cette contre-utopie, tout aussi totalitaire que l'idéologie libérale, oppose au« matérialisme» d'une modernité fondée sur l'isolement du sujet et les lois du marché un idéal de sacrifice du premier à la loi d'un gestionnaire absolu dont la figure comble tout manque. Ledit sacrifice peut aller jusqu'à l'anéantissement du « martyre 22 ».

A l'encontre d'une telle alternative, le cérémonial du don rituel relève d'un ordre de régulation absolument laïque, dans la mesure où la loi qui régit le principe sacrificiel sur lequel il repose est épurée de tout auteur. Son autorité ne se soutient que du seul attachement porté au rite de l'échange réversif par les partenaires engagés dans la régulation qui le régit, sanctionné par la fête et les effets affectifs d'un climat de participation qui « n'a pas de prix» à leurs yeux.

Le silence entretenu par la société contemporaine sur ce sanctuaire, en dépit du fait qu'il recèle l'un des mécanismes de sa reproduction, pourrait correspondre à celui qui, de tout temps, caractérise l'approche du sacré. Mais le sacré dont il. s'agit ici fonctionne sans support transcendant. Il traduit seulement l'absolu de la loi de la perte qui préside à l'échange social le plus fondamental. Loin d'apparaître comme une scorie dans le fonctionnement de l'ordre de la communication des biens, le don rituel, en tant que facette économique de l'échange symbolique, recèle peut-être le secret de la survie d'une société dont l'idéologie dominante privilégie de manière parfois quasi hallucinée, d'autres appareillages.


1. Cf. P. LEGENDRE, Le Désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l'État et du droit, Fayard, Paris, 1988.

2. Cf. M. MAFFESOU, Logique de la domination, PUF, Paris, 1976, et L'Ombre de Dionysos, Méridien/ Anthropos, Paris, 1982 ; A. TOURAINE, La Société post-industrielle, Denoël, Paris, 1969.

3. Cf. J. BAUDRILLARD, Les Stratégies fatales, Grasset, Paris, 1953 ; Pour une critique de l'économie politique du signe, Gallimard, Paris, 1972; L'Échange symbolique et la mort, Gallimard, Paris, 1976. R.

3 BARlHES, Mythologies, Point, Paris, 1957. E. GOFFMANN, Les Rites d'interaction, Minuit, Paris, 1974.

J.-J. Goux, Freutj, Marx. Economie et symbolique, Seuil, Paris, 1974. J.-F. LYOTARD, Economie libidinale, Minuit, Paris, 1974. F. VIDAL, Les Sociétés insatisfaites, Marne, Paris, 1974.

4. Cf. B. FRAPPAT, « Crépuscule des solidarités " Le Monde, 21 juillet 1985 ; « Le ras l'obole des

5. M. MAUSS, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, in Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1960.

6. Cf. J. BAUDRIUARD, L'Echange symbolique et la mort, op. cit. ; J. DUVIGNAUD, Spectacle et société, Denoël-Gonthier, Paris, 1970 ; C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss in Sociologie et anthropologie, op. cit. ; F. PERROUX, Economie et société. Contrainte, échange, don, PUF, Paris, 1960 ; J. SCHACHT, Anthropologie culturelle de l'argent, Payot, Paris, 1973 ; M. DOUGLAs, « Il n'y a pas de don gratuit », Revue du Mauss, Paris, 2. trim. 1989.

7. Cf. G. NICOLAS, Don rituel et échange marchand dans une société sahélienne, Institut d'ethnologie, Paris, 1986.

8. M. MAUSS, Essai sur le don, op. cil. C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, op. cil.

9. Cf. G. NICOlAS, Don rituel et échange marchand, op. cit.

10. T. B. VEBLEN, The Theory of the Leisure Class, Modern Library New York, 1934.

11. M. MAUSS, Essai sur le don, op. cit.

12. F. DOLTO, Le Cas Dominique, Seuil, Paris, 1971; J. LACAN, Écrits, Seuil, Paris, 1966, Les Ecrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975, Les Psychoses, Seuil, Paris, 1981.

13. C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, in op. cit.

14. C. LEVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires de la parenté, PUF, Paris, 1949.

15. P. AULAGNIER et al. , Le Désir et la perversion, Seuil, Paris, 1967 r, Paris, 10 octobre 1990, p. 14-15.

16. Cf. Le Nouvel Observateur, Paris, 10 octobre 1990, p. 14-15.

17. J. BAUDRlLLARD, Pour une critique de l’économie, op.cit. p. 265.

18. C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, in op. Cit.

19. G. BATAILLE, La Part maudite, précédée de La Notion de dépense, Éd. de Minuit, Paris, 1967 ; J.

BAUDRIUARD, L'Échange symbolique et la mort, op. Cit.

20. G. ROSOLATO, Essais sur le symbolique, Gallimard, Paris, 1969.

21. C. LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, p.223.

22. B. ÉTIENNE, L'Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987 ; G. KEPEL, La Revanche de Dieu, Seuil, Paris, 1991 ; B. LEWIS, Le Retour de l'Islam, Gallimard, Paris, 1985.