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Origine : http://forum.u-paris10.fr/CD/documents/don/NICOLAS-1991A.pdf
LE DON RITUEL, FACE VOILÉE DE LA MODERNITÉ
Par Guy Nicolas
L'embellie restauratrice que l'écroulement de l'utopie messianique
communiste vaut à l'idéologie néo-libérale
favorise aujourd'hui la prolifération d'innombrables discours
apologétiques célébrant ce succès. Ce
concert de satisfecit, à peine tempéré par
la conscience des menaces qui pèsent sur l'ordre utilitariste
et l'emphase des discours « humanitaires » prônant,
en contrepoint, solidarité et charité, contourne des
pans importants de réalité, les- quels se trouvent
ainsi déniés d'existence par une approche scientiste
marquée en fait du sceau de la pure utopie. Tout se passe
comme si l'édifice en question était bâti autour
d'un foyer secret. Ce non-dit que chacun s'emploie à ignorer
est l'immense machinerie de l'échange symbolique, et notamment
sa facette économique, à savoir le don rituel. L'emprise
totalitaire de l'idéologie en vogue est telle que le simple
fait d'évoquer ce domaine de réalité semble
une aimable plaisanterie. Chacun « sait », en effet,
que la pratique évoquée, si elle a pu jouer un rôle
important dans les sociétés archaïques, à
l'ère ténébreuse d'avant l'émergence
du marché, selon certaines thèses au demeurant éludées
par d'autres postulant la soumission des sociétés
pré-mercantiles à l'autoconsommation et au troc, ne
peut trouver place au sein de la société moderne que
dans une frange de comportements relevant davantage du folklore
surérogatoire que des données justifiant une quelconque
prise en compte « scientifique ». En fait, cet usage
est noyé dans celui du cadeau en tant qu'activité
gratuite dont la publicité des entreprises montre l'impact
sur le marché, le qualifiant ainsi pour une prise en compte
« rationnelle » et une indulgence intéressée.
Cette condescendance est d'autant plus sereine que les postulats
concernant son caractère mineur et l'écrasante omniprésence
de la sérieuse «utilité» marchande ne
sont contrariés par aucune enquête, aucun chiffre,
aucune analyse.
Le totalitarisme de la vision du monde évoquée est
tel que nul ne prend la peine d'évaluer les positions respectives
des conduites relatées et que tout chercheur qui s'aventure
aux abords de ce no man's land interdit se heurte à des difficultés
considérables pour recueillir les moindres indices. Tout
se passe comme si les très importantes sommes brassées
par le régime en question étaient exclues des comptes
par fondement. Les historiens du futur pourront sans doute conclure
de ce vide de références que nos sociétés
fonctionnaient bien conformément à leurs croyances,
à quelques vestiges près d'un passé révolu.
Or, le décret selon lequel un tel domaine serait purement
marginal est aventureux.
Son existence même témoigne du peu de sérieux
des prétentions scientifiques dont se réclament les
élaborations des spécialistes qui gèrent recherche
et savoir et du caractère hâtif des bricolages dont
ils se contentent sous couvert d'un primat de la .rationalité»
dont ils seraient le clergé infaillible. Car le don rituel
n'est pas un ensemble d'actes résiduels et ponctuels. Son
domaine est considérable. Il met en circulation des sommes
importantes, pèse sur le budget des entreprises et des particuliers,
commande à des secteurs moteurs de l'économie. Sa
disparition brusque pourrait mettre en question l'équilibre
de pans importants du marché. Il implique la totalité
des agents économiques. Et il n'a rien à voir avec
le don gratuit auquel il se trouve généralement assimilé,
non plus qu'avec l'échange réputé utilitaire.
Pourtant, les approches prétendues exhaustives de l'espace
du marché ne le mentionnent pas, ou de façon annexe,
sans daigner l'évaluer. Il n'est le chapitre d'aucune étude
de budget, alors qu'il oblige parfois les acteurs économiques
à organiser tout leur budget en fonction des dépenses
ou des dettes qu'il impose. A supposer, en guise de démonstration
par l'absurde, qu'un organisme public et a fortiori le fisc s'avisent
de son existence, il y a fort à parier que l'enquête
serait faussée, ne serait-ce que parce que les enquêteurs
ne disposeraient pas des paramètres permettant d'en apprécier
les composantes, mais surtout à cause de la loi du secret
qui leur serait opposée. Et si l'État s'avisait de
calculer les impôts des contribuables en fonction des données
recueillies, il se heurterait à une levée de boucliers.
Imaginons aussi bien que les services de coopération au développement
du tiers monde s'efforcent de suivre les méandres réels
de leurs dons ou subventions. Mais il s'agit sans doute d'une vue
utopique, tant le terrorisme du dogme occulte jusqu'à la
question.
Le don rituel, dont il sera question ici, fonctionne donc comme
un domaine interdit, honteux, ou plutôt clandestin, à
côté des usages érotiques, de la fraude commune,
du secret médical. Une étrange complicité lie
ici les acteurs aux économistes et autres décideurs,
analogue à celle qui préside à l'élision
des affaires intimes dans une conversation. sérieuse ».
Notre propos sera, non d'apporter des chiffres ou des évaluations
qui n'existent pas, mais simplement d'évoquer son existence,
ses contours, ses règles méconnues. Nous entendons
également souligner le caractère arbitraire du postulat
de son incompatibilité absolue avec l'ordre de l'échange
marchand, de celui de son fondement caritatif, couvert par l'ambiguïté
des mots « don» ou « cadeau », ou de sa
relégation d'office dans un temps « archaïque
», étranger à la « modernité ».
Ce dont nous parlons ici, c'est d'un bloc de faits actuels, bien
intégré sur le plan du concret, concernant la grande
majorité des acteurs économiques des sociétés
les plus «avancées» et jouant un rôle essentiel
dans leurs préoccupations, si essentiel qu'il pourrait apparaître
comme le véritable garant de la reproduction de sociétés
officiellement vouées à des polarités contraires.
L'appareillage néo-libéral de l'échange
des biens
Le traitement du réel dont il est question ne peut être
apprécié qu'en raison de la visée mythique
à fondement messianique à laquelle s'est identifiée
l'élite hégémonique dominante des sociétés
«développées ». Selon celle-ci, ces sociétés
ont accompli depuis la Renaissance une mutation consistant en leur
promotion à un état de rationalité définitif,
contrastant avec l'irrationalité foncière des autres
sociétés. Cette évolution est irréversible.
Consolidée par les Lumières, la Révolution
française, puis l'essor des innovations techniques et scientifiques
caractéristiques de la « modernité »,
cette perspective s'est diffusée au monde entier grâce
à l'élan prométhéen de ces formations,
porteuses d'un message libérateur universel. Ce progrès
essentiel est lié à l'émancipation du sujet
individuel, libéré des contraintes imposées
par les traditions et croyances antérieures et devenu capable
d'ajuster rationnellement les moyens de satisfaire ses fins. La
matrice de ce comportement nouveau est le comportement du même
sujet sur un marché concurrentiel total. Cet acte élémentaire
est le moteur d'une nouvelle organisation sociale mue par le marché.
Compte tenu du rôle dominant du vecteur monétaire au
sein de celui- ci, les rapports mercantiles dominent toutes les
relations sociales ou sont voués à le faire pour peu
que les conditions d'un échangisme généralisé
soient réunies. Dans une telle vision, la société
n'est qu'un vaste marché dont l'équilibre résulte
de l'ajustement toujours en question des intérêts des
acteurs individuels, sur une base de contrats réglant leurs
rapports quotidiens et à plus long terme. Le régime
démocratique ainsi constitué doit prévaloir
sur toute autre forme de rapport social. Ce mythe de base s'est
trouvé confronté, à par- tir du siècle
dernier, à une autre utopie, également messianique,
qui contestait la rationalité et les fondements de l'ordre
ainsi défini pour lui substituer une autre vision du progrès
censée déboucher sur l'émergence d'un Homme
nouveau caractérisé par ses dispositions altruistes
et accomplir, dans un dernier élan historique à venir,
l'abolition des contradictions nées du heurt des intérêts
résultant de l'ordre antagoniste. Aujourd'hui, tandis que
ce dernier mythe s'évanouit, le mythe libéral, assimilé
à l'ordre économique et social « occidental
», refait surface et impose à nouveau sa dogmatique.
Toutefois, la « société civile» qui s'identifie
à lui a pris en compte les enseignements des processus qui
ont conduit à l'émergence d'une utopie rivale et les
critiques concernant les effets suicidaires du déploiement
«sauvage» de sa logique originelle. Elle a donc édifié
un appareillage dans lequel les effets excessifs du jeu des intérêts
privés livrés à leur seule pente se trouvent
compensés par divers rouages limitant les appétits
individuels et instaurant une nouvelle rationalité sociale
tenant compte à la fois des aspirations égocentriques
des acteurs isolés et des impératifs d'un ordre social
tempéré. La nouvelle construction impose, à
côté et au-dessus du marché de la communication
économique et sociale interindividuelle, un organe régulateur,
arbitral, détenteur de la violence légitime, fondé
sur une délégation de pouvoir de ses mandants: l'État.
Ce rouage commun est censé calmer le jeu de la concurrence,
limiter les monopoles, empêcher les dérapages du marché
social vers l'anarchie, imposer une certaine cohésion aux
acteurs sociaux et protéger les marchés locaux de
concurrences extérieures menaçantes. Il est également
censé re- lancer la production, prendre en charge les secteurs
peu rentables et assurer des services sociaux dont le jeu des intérêts
privés ne saurait assurer le fonctionnement. Toutefois, cette
instance d'autorité est toujours susceptible d'agir en sujet
privé et d'étendre son domaine aux dépens des
intérêts des citoyens. D'où la nécessité
de limiter son action, ainsi que celle de ses agents. Face à
des entre- preneurs toujours tentés d'élargir leurs
appétits et de fausser le jeu du marché libre et à
un État également tenté de restreindre leurs
libertés, les acteurs individuels de base ont également
édifié de manière spontanée des contre-pouvoirs
consolidant leur marge d'initiative. Une société perçue
comme un assemblage de contracteurs mais peu soucieuse de courir
tous les risques d'un libéralisme extrême ou de subir
des restrictions trop fortes à sa marge d'action s'organise
de manière plus ou moins durable ou étendue pour imposer
ses franchises. L'opinion est ainsi devenue un facteur décisif
de l'ordre social, disposant d'organes puissants et de moyens de
pression efficaces.
Simultanément, l'ordre capitaliste a subi de profonds remaniements,
caractérisés notamment par la mondialisation des échanges
et l'émergence d'une nouvelle strate d'agents économiques
dont les intérêts ne reposent pas sur la possession
ou la production de moyens de production, mais sur leur capacité
à gérer et l'intérêt pour la gestion.
Ce corps d'intermédiaires s'interpose à tous les niveaux
entre les purs entrepreneurs ou le pouvoir coercitif et la masse
des citoyens, dont il se distingue du fait d'une compétence
acquise. Cet ordre «managérial », dont l'hégémonie
couvre à la fois le secteur privé et le secteur public
censé l'équilibrer, soucieux de consolider ses positions,
sécrète à cette fin une idéologie qu'il
impose par le canal des moyens de communication de masse qu'il contrôle
à une opinion publique de plus en plus soumise à des
inductions extérieures et de moins en moins fondée
sur une logique rationnelle1. Par ailleurs, la multiplication de
crises économiques ou sociales incontrôlables, le dépassement
du capitalisme de production vers un capitalisme financier inaccessible
à l'acteur primaire, la constitution d'une nouvelle «
classe oisive » de non-producteurs entretenus de façon
à demeurer passifs à l'égard du marché
de l'emploi ont changé les conditions du marché, contribué
à l'éclatement des solidarités de classe, élargi
à nouveau le fossé entre un foyer minoritaire de riches
acteurs et des consommateurs-spectateurs de plus en plus endettés.
Dans ce contexte, les motivations des entrepreneurs sont apparues
de plus en plus comme étrangères au principe de l'utilité
et régies par des logiques agonistiques ou ludiques fort
différentes des motivations utilitaristes avouées.
Une nouvelle sociabilité a émergé, dont les
théoriciens de la «post-modernité» s'emploient
à localiser les contours mouvants: convivialité diffractée,
visqueuse, échappant aux cadres institutionnels, fondée
sur un être ensemble immédiat, dont le symbole n'est
plus la figure de Prométhée mais celle d'un Dionysos
assagi et laïcisé 2.
Ces changements sociaux et culturels s'accompagnent d'une prise
de conscience générale du caractère halluciné
d'une pratique économique de plus en plus réglée
par la publicité. Servie par les nouveaux moyens d'information
gérés par les représentants de la strate «
managériale » déjà évoquée,
elle-même « possédée » par l'utopie
en vogue, celle- ci détermine de plus en plus besoins et
demandes et donc l'utilité des marchandises, les contours
de la rareté, les échanges. Une conduite économique
évoluant dans un réseau de symboles, de signes, d'artefacts
et non plus de demande vitale ou de pouvoir se dégage de
plus en plus des modèles légitimateurs qui falsifient
son exercice en même temps que le marché. Dans ce contexte,
on constate le développement croissant d'un consumérisme
consumatoire venant subvertir tous les principes de l'utopie d'«
économie »3. Cette pratique, qui affecte tous les secteurs
de l'échange des biens et des services, se fonde sur la pure
exaltation du moment ou du nouveau. Elle oscille entre les pôles
touristique, ludique, spéculatif, associe le « flambeur»
du loto au golden boy, le petit spéculateur boulimique à
l'entrepreneur joueur et constitue un moteur décisif de la
conduite « économique », sur un fond d'endettement
généralisé. Dans cette débâcle
générale, le spectre de l'anomie, jusqu'alors contenu,
gagne du terrain, de la petite délinquance à la drogue,
de la corruption à la transmission de maux suicidaires, des
«affaires» politiques aux révoltes des banlieues.
Son règne croissant sanctionne le dérèglement
général de la société mutante, sous
l'apparent triomphalisme de l'utopie gestionnaire. En réponse
à la grande peur qu'engendre cette situation, le repli sur
soi individuel - le cocooning - fait pendant aux utopies régénératrices
concurrentes, fondées sur des identifications collectives
puissamment mobilisatrices, dressées sur des mythes écologiques,
ethniques ou religieux, prétendant stopper la dérive
au prix d'implosions sacrificielles survalorisées par les
médias, hommage suprême au dieu obscur de 1'«
inutile» refusé.
Promotion du marché caritatif
Dans un tel contexte, une autre forme de compensation palliative
des effets négatifs de l'idéologie prédatrice
dominante est recherchée dans le domaine oblatif, en tant
que pratique individuelle généreuse et spontanée,
gratuite, sacrificielle. Il s'agit là d'une remise à
la mode d'un modèle d'inspiration religieuse chrétienne
légitimé à l'origine par les principes d'amour
du prochain, d'imitation du crucifié, mais aussi fondé
sur un marchandage du salut ou la culpabilité. Jusqu'ici,
cette pratique était gérée par des institutions
cléricales ou paracléricales associant charité
et foi. Toutefois, bien que certains symboles de son « renouveau»
soient religieux (Croix-Rouge, mère Térésa,
l'abbé Pierre, etc.), celui-ci correspond à une laïcisation
de l'institution, qui l'accorde aux valeurs substitutives de l'«
humanitaire» ou de la solidarité, tout en l'associant
à l'esprit d'entreprise contemporain. Ainsi, le « coeur»
trouve place à côté de la raison en tant que
moteur d'activité valorisée, dans la mesure où
la pratique du don est un acte du sujet individuel libre de toute
attache et favorise la création d'ONG, selon la dogmatique
de l'heure. En même temps, l'acte oblatif se trouve investi
d'une fonction utilitaire, en tant qu'instrument rectificateur des
excès du mercantilisme. Il s'en trouve légitimé.
Soigneusement comptabilisé, promu par la publicité,
il consolide les modèles dominants, humanise le système,
impulse dépenses et consommation et offre à la strate
gestionnaire un marché important.
Ce marché oblatif couvre différents secteurs d'activités:
un premier secteur, proche de l'échange marchand, correspond
à la technique de marketing, en plein essor, du " cadeau»
au client. Cette stratégie peut constituer un chapitre important
du budget d'entreprise sous couvert d'une communication oblative
fictive mais appréciée de la clientèle ainsi
achalandée, fidélisée, intéressée.
Une autre de ses manifestations est le cadeau au fournisseur ou
à l'intermédiaire, le « dix pour cent »,
souvent proscrit par la loi sous forme de « pot-de-vin »,
mais toujours pratiqué, sous peine de perdre le marché,
au prix d'un glissement de l'apparence généreuse au
marchandage et à la corruption. Certaines offrandes spectaculaires
ou sponsorings (généralement prélevés
sur l'impôt) peuvent également servir les intérêts
d'une entreprise en valorisant son image de marque. Le patronage
d'activités humanitaires, né dans les pays protestants,
s'inscrit dans la ligne de promotion d'un libéralisme à
visage humain, contrastant avec la froideur de la redistribution
bureaucratique. Les «nouveaux patrons, qui sont souvent de
confession chrétienne avouée, légitiment fréquemment
leur conversion aux normes libérales par ces dépenses
désintéressées. Le don au personnel par l'entreprise
sert également de moyen de le fidéliser, de modérer
ses ardeurs revendicatrices, ou de diversifier les modes de rémunération,
de façon parfois très intéressée.
Un autre secteur plus conforme à l'inspiration chrétienne
originelle, et dans une certaine mesure à son avatar socialiste,
correspond au domaine de la « communication humanitaire.
qui a connu une explosion remarquée au moment du déclin
du système bureaucratique soviétique, en tant que
volet généreux du procès de privatisation de
l'échange opposé au Tout-État. Son expansion
a bénéficié d'une promotion médiatique
au moins aussi intense que celle de l'entreprise, sous l'impulsion
d'une hégémonie gestionnaire offrant aux téléspectateurs
le culte identificatoire de l'entrepreneur audacieux et de la religieuse
généreuse. La mise en scène médiatique
a focalisé l'attention sur les événements qui
favorisent des élans spontanés de solidarité
orchestrés par les caméras. Phénomène
de mode, elle semble subir un net déclin aujourd'hui, après
un boom de dix années (on parle alors de « krach humanitaire.
ou de « ras l'obole4 » des consommateurs). Cette campagne
a dévié des quantités importantes de richesse
du domaine de la consommation utilitaire vers celui de la consumation.
L'expansion du marché caritatif a provoqué la formation
d'institutions nouvelles qui viennent concurrencer les organismes
déjà en place et constituer une extension du secteur
des ONG favorisant l~ conquête de cette nouvelle frontière
par de nouveaux entrepreneurs. Toutes ces entreprises ont recours
à la publicité pour collecter les dons et soutenir
la concurrence de leurs rivales, n'hésitant pas à
dramatiser l'événement, à traquer le donateur
éventuel à son domicile (développement du mailing),
à le disputer aux autres, de manière homologue aux
stratégies de leurs consoeurs du marché libéral.
D'où la naissance du phénomène de saturation
déjà évoqué, renforcé par la
révélation de détournements ou de gaspillage
des offrandes. Pour soutenir un marché devenu anarchique,
l'État doit souvent intervenir par le truchement de subventions,
d'interventions régulatrices ou la création d'institutions
tel le secrétariat à l'Aide humanitaire français.
Ce faisant, tout en permettant les déductions d'impôt
pour les actes généreux, la puissance publique s'est
dégagée d'activités marginales. En revanche,
l'ouverture de ce nouveau créneau privatif a fourni une voie
d'expansion à la nouvelle strate « managériale
», celle-ci se substituant en large part au personnel bénévole
des débuts sous le pré- texte d'assurer une meilleure
efficacité du flux des offrandes. En bout de chaîne,
ce marché a offert à une nouvelle frange de chercheurs
d'aventure et de dépassement la possibilité de vivre
une vie devenue inaccessible, ce para-clergé s'offrant à
incarner les rêves oblatifs du donateur de base par identification,
à la manière des missionnaires d'antan, en échange
d'un prélèvement modéré sur la circulation
ainsi mise en oeuvre.
Un autre volet du champ de la communication humanitaire met en
scène le secteur public ou parapublic, en tant qu'il contrôle
un important secteur de circulation redistributrice référé
au principe de la « solidarité », en tant que
manifestation de générosité supposée
spontanée du contribuable à l'égard des victimes
du système. Ces institutions assument la gestion d'un secteur
caritatif échappant à la sollicitude des ONG humanitaires
mais où le principe charitable s'efface derrière celui
de la prestation obligatoire. Pour les bénéficiaires,
celle-ci est un dû. Pour les tenants d'un ordre solidaire,
seul ce type de redistribution est valable et le secteur privé
devrait en être exclu. Mais les tenants d'un ordre charitable
mettent en cause le caractère « inhumain » de
la gestion étatique de la solidarité et lui opposent
leur propre solution, parée du prestige du modèle
Français » 26 décembre 1990.
de la privatisation, qu'il conforte du même mouvement. Entre
les mains de nouveaux entrepreneurs privés, la pratique de
la « manche », qui se développe à la lisière
de ces courants contradictoires, révèle la double
ambiguïté de la solidarité prestatoire et de
la charité bienfaisante en rejetant à la fois l’asymétrie
des positions des partenaires et la fiction de la bienfaisance.
Le caractère symétrique de l'expansion actuelle des
modèles du marché libéral et du marché
caritatif ne fait que souligner leur commune insertion dans le schéma
échangiste utilitariste, centré sur l'utopie d'un
sujet individuel sans attaches profondes et durables avec ses semblables
et mû par ses demandes les plus élémentaires.
Ce fait n'est pas sans rapport avec la censure exercée sur
le type de pratique que nous allons évoquer maintenant, et
qui s'oppose en principe à ces usages.
L'ordre occulté du don rituel
C'est à Marcel Mauss et à son Essai sur le don,.
Forme et raison de l'échange dans les sociétés
archaïques 5 que l'on doit la mise en relief de la pratique
du don rituel en tant que fondement d'un mode particulier d'échange
qui s'oppose aussi bien à celui de la communication utilitaire
qu'à celui du don de charité. Il est regrettable que
l'absence de terme alternatif ait obscurci l'éclat de cette
découverte en favorisant les amalgames entre ce dernier et
le système en question. Pourtant, des auteurs aussi différents
que Claude Lévi-Strauss, François Perroux, Jean Baudrillard,
Jean Duvignaud6 et bien d'autres ont vu dans l'ouvrage évoqué
un des sommets de la recherche anthropologique et la révélation
d'une loi fondamentale de la communication humaine. Un autre facteur
de méprise a été son assimilation à
un ordre « archaïque», pour reprendre l'expression
qui figure en sous- titre de celui-ci. Sur cette ligne d'opposition
historico-culturelle, les recherches concernant l'ordre en question
sont restées confinées dans l'étude des sociétés
«pré-modernes» et n'ont pas abordé l'analyse
de ses manifestations éventuelles au sein des sociétés
marchandes, industrielles ou « modernes ». Or, ainsi
que nous avons tenté de le montrer à propos d'une
société marchande africaine7 et comme nous souhaitons
le montrer ici, cette perspective n'est pas fondée. Don et
marché peuvent coexister, se pénétrer, se corriger
au sein de sociétés complexes. Rappelons tout d'abord
que le système d'échange dont il est question est
totalement opposé au principe du don caritatif, en dépit
de l'usage du mot « don» dans les deux cas. C'est pour-
quoi nous le désignerons essentiellement par l'expression
de « don rituel ». S'il repose, en apparence, sur un
mouvement d'offrandes protocolairement volontaires et généreuses,
il obéit à un fonde- ment prestatoire absolu. Mais
à l'inverse d'un ordre de la solidarité, le principe
qui le commande et qui dirige la participation des partenaires est
étranger à toute considération « économique».
Il s'agit d'une loi totale, sans auteur. Marcel Mauss décompose
celle-ci en trois obligations fondamentales, à savoir celles
de donner, de recevoir et de rendre. En fait, ces trois procès
ne sont que les temps de scansion d'un mouvement continu dans le
temps, réversif et cyclique 8 . S'il règle une grande
partie du fonctionnement de nombreuses sociétés «
pré-industrielles », il conserve ces traits fondamentaux
partout où il s'applique et où il noue entre eux des
partenaires dont il régit les rapports. Son principe de base
est la réversibilité de l'offrande offerte, qui annule
l'intérêt utilitaire de celle-ci et substitue au jeu
des dons et contre-dons le va-et-vient d'une perte réciproque,
constamment renouvelée, toujours selon les normes du rite.
En ce sens, il s'apparente au sacrifice. Mais ce jeu absurde au
regard de la rationalité utilitariste s'accompagne d'une
atmosphère festive qui tranche sur la grisaille des échanges
« utiles» ou considérés comme tels. Le
don rituel est ainsi à la source d'un climat relationnel
plein de chaleur constamment renouvelé, puisque l'échange
en question est voué à se perpétuer dans le
temps. Par ailleurs, les partenaires ainsi associés ne sont
en rien dans la position du sujet insulaire des rapports marchands
ou caritatifs. Ce sont des personnes morales, des persona échangeant
sans cesse .tes positions alternées, rituelles, de donateur
et de donataire, positions abstraites, définies par le jeu
des présents et contre- présents. Ce ne sont pas les
biens qui bougent entre partenaires, mais ceux-ci qui échangent
leurs rôles à propos du mouvement des biens, seul véritable
acteur. Ces relations s'effectuent sous le signe de la loi de l'échange
continu, du pacte perpétué, hors du temps de l'événement,
du troc, du geste généreux ou de l'assistance. Quant
aux rituels qui président aux modalités de ce cérémonial,
ils varient en fonction de protocoles divers de don agonistique
(potlatch), concurrentiel et parfois destructeur, d’échange
à égalité, d'offrande asymétrique, l'essentiel
étant qu'ils se poursuivent dans le temps.
La gratuité affectée des offrandes n'est qu'apparente
mais, à l'inverse du don de charité, totalement perçue
comme telle. En fait, le don offert doit coûter. Il s'évalue
en fonction du marché. Mais on ne doit pas faire état
de sa valeur. Elle n'en est pas moins soustraite du secteur «
utile », au prix de privations. L'« objet » du
don n'est pas en réalité l'objet offert ou reçu
en tant que chose matérielle, mais sa valeur d'utilité
muée en valeur de sacrifice. S'il arrive aujourd'hui que
l'on offre un cadeau «utile », le rite doit effacer
ce caractère sous peine de voir l'offrande muée en
insulte: l'aspect festif s'évanouit. Le lien fait place à
la rupture. En revanche, la prestation est fondamentalement obligatoire,
comme une dette, aussi longtemps que dure le pacte initial. Elle
implique les trois phases isolées par Mauss, mais ces temps
ne font que scander le jeu de navette des fils affectifs qui lient
les partenaires dans le même tissu relationnel. Car ceux-ci
ne sont pas des partenaires de rencontre, comme ceux de l'échange
marchand ou caritatif. Dans une société moderne, l'obligation
est librement acceptée par les partenaires, lesquels peuvent
rompre à leur gré leur relation privilégiée
sans grand dommage. Mais aussi longtemps que dure celle-ci, elle
se trouve liée au jeu des prestations rituelles, contrainte
librement acceptée, recherchée, perpétuée
avec ferveur. Le caractère rituel du mode de communication
évoqué, apparenté à celui qui régit
les offices religieux, la passion, le fantasme pervers, se retrouve
dans la mise en scène qui en marque les temps de scansion
et les constitue en moments d'exception. Il commande le choix des
présents, les manières d'offrir, le jeu du secret,
le cérémonial de réception. Il peut affecter
une note concurrentielle ou, au contraire, la modestie, l'humilité.
Mais il suffit qu'il soit omis ou mal exécuté pour
que tout l'appareillage s'écroule. Le rite transforme également
les partenaires qui ne sont en rien engagés dans un rapport
duel entre acteurs campés sur des positions irréductibles
ou fusionnés dans une relation en miroir. Durant le cérémonial,
ils sont comme masqués, en position alternative sus- pendue,
soumis à un tiers exigeant, divinité sans nom, qui
est précisément la pure loi de l'échange, laquelle
ne les disjoint que pour les conjoindre, perpétuellement9.
Et le climat festif associé à cet échange illumine
la mutation qui s'opère, l'instant du don, entre personnages
d'une représentation réglée pour toujours du
fond des temps et vouée à se perpétuer.
Dans les sociétés modernes, à l'encontre de
celles qui sou- mettent l'ensemble de la société à
ses lois, ce cérémonial s'adapte aux conditions de
vie changeantes, se concentre sur certains rap- ports sociaux, devient
plus intime, moins étendu. Il n'en constitue pas moins d'innombrables
constellations collectives chaleureuses dont les scansions festives
et oblatives rythment la vie quotidienne des sujets engagés
par ailleurs dans d'autres types de rapports sociaux. C'est au niveau
du couple engagé dans une relation durable règne avec
le plus d'éclat. L'ambiguïté du langage du «
cadeau » ne favorise pas la prise en compte du mouvement d'échange
de dons et de contre-dons qui double sur le plan des échanges
de biens le jeu du commerce amoureux. Il donne l'impression que
chaque présent est un acte univoque, immédiat, exceptionnel,
imprévu, allant de l'erotos à l'érotoumenos
et « payant » en quelque sorte le don personnel du dernier,
alors que l'échange réel croise et tisse cadeaux et
caresses ou sentiments. Le courant actuel d'« émancipation»
de la femme favorise une correction de l'impression d'achat quasi
mercantile que pouvait donner jusqu'ici le jeu des présents
masculins, coûteux en monnaie et de la réponse affective
ou physique du partenaire féminin, assimilé par les
cyniques à la prostitution. Ce dernier tient aujourd'hui
à rendre le présent reçu, sur le modèle
masculin traditionnel. Le transfert d'une position asymétrique
à une position symétrique symbolise ici un nouveau
type de rapport général entre l'homme et la femme
excluant l'image d'une relation de sujet à objet. Le don
rituel ne peut que bénéficier de cette situation,
la femme reprenant à sa charge le rôle tenu dans les
sociétés ancestrales par les hommes de son lignage.
L'émancipation de la femme autorise son entrée dans
la soumission au rite sans auteur qu'est l'échange rituel
à égalité, ce qui suppose qu'elle ait accès
aux ressources nécessaires à la restitution du don
reçu à valeur égale et qu'elle concurrence
l'homme hors de ce cadre. Quoi qu'il en soit, le premier contre-
don enclenche un immense processus d'offrandes réciproques
appelé à se prolonger et donc à constituer
pour les partenaires un chapitre obligé et souvent important
de leurs budgets respectifs. Certains dons sont exceptionnels, tel
celui de la bague de fiançailles. La plupart entrent dans
un cycle croisé que scandent anniversaires, fêtes religieuses
ou profanes, notamment de Noël et du Premier de l'an, de la
Saint-Valentin ou de la fête des Mères ou des Pères,
dons à l'occasion d'accouchements, invitations rendues, noces
de bronze, d'or ou d'argent. On peut s'étonner que nul économiste
n'ait vraiment songé à comptabiliser ces flux considérables,
dont l'inventaire réserverait des surprises, ce que savent
parfaitement banquiers ou commerçants sans jamais en faire
réellement état.
En revanche, le cadeau utile renouvelé, l'oubli de don,
la baisse de valeur des présents échangés ou,
au contraire, l'insistance sur le coût peuvent conduire à
une rupture dont les effets vont au-delà du simple échange
de biens ou de services. L'interruption du cycle peut alors se traduire
par un renvoi réciproque de cadeaux. Notons cependant que,
d'un commun accord, les partenaires peuvent réduire le coût
marchand des présents offerts pour consacrer davantage de
leurs ressources à d'autres dépenses, communes ou
non (achat de maison, vacances, etc.). Car ce qui compte, ce n'est
pas vraiment la valeur du présent, mais l'intention, le rite
reconnu, suggéré plutôt que déclaré,
qui supporte le jeu de réversion qui en constitue le moteur.
Le foyer familial, la famille étendue constituent un autre
cadre d'échange rituel continu, officiellement désintéressé
et réciproque. Évoquons le jeu des cadeaux de mariage
offerts par l'entourage d'un couple, toujours restituables par celui-ci,
souvent sur la base de listes déposées chez des commerçants;
celui des présents entre parents et enfants, qui culmine
lors des fêtes de Noël, des fêtes des Mères
et parfois des premières communions. Rappelons les rites
des offrandes aux défunts, à l'occasion des funérailles
ou, réciproquement, l'assimilation de l 'héritage
au don mis en question par la technocratie, notamment dans le cas
de l'assurance-vie : - la réversion étant assurée
en ce cas par la génération suivante dans le cadre
d'un rituel plus complexe (l'enfant rend à son enfant la
dette contractée vis-à-vis de son propre géniteur)
; les rapports oblatifs particuliers entre grands-parents et petits-enfants,
parrains et marraines et filleuls. Au-delà du cadre de la
parenté, le cercle des « relations» : amis intimes,
camarades, collègues de travail, etc., constitue lui aussi
un champ de circulation de dons réciproques important, centré
sur les invitations mutuelles à des repas, des parties, des
apéritifs, y compris la tournée des camarades de travail,
la participation obligée aux grandes collectes collectives
effectuées à l'occasion des mariages, des promotions,
des départs à la retraite, des funérailles,
etc. Dans tous ces cas, le don reçu implique un don en retour
pour une valeur équivalente et constitue une créance
sur le budget des intéressés. L'obligation dé
rendre peut obliger un partenaire à s'endetter, à
renoncer à des dépenses utiles. Mais quels que soient
les regrets, il convient d'éviter de donner au présent
un ton caritatif ou d'exprimer sa rancoeur de «gaspiller »
de précieuses ressources. Le don rituel s'inscrit ici à
l'encontre du mythe d'une convivialité immédiate,
fondée sur un « sentir ensemble,. ponctuel, caractéristique
de la « post-modernité » peut- être parce
qu'il en corrige l'aspect inhumain.
Le rétrécissement du cercle des partenaires de don
rituel ne signifie pas nécessairement une restriction des
dépenses consacrées à ce chapitre budgétaire:
un grand nombre de dépenses qualifiées de somptuaires
ou consumatoires relèvent en effet d'un comportement d'anticipation
prévisionnelle fondé sur l'éventualité
de l'apparition d'un partenaire. C'est pour cet inconnu que l'on
a un salon vide, une chambre d'amis, une argenterie inutiles. C'est,
de manière plus subtile, en fonction d'un tel invité
inexistant que l'on mange de façon plus somptuaire que l'on
ne le ferait si son apparition était inconcevable, que l'on
se vêt ou se pare plus somptueusement. Ces conduites irrationnelles
sont autant d'appels à un partenaire inconnu dont l'éventualité
de la venue comble un vide de sens.
Un autre type de comportement de même inspiration a été
reconnu comme jouant un rôle important dans le comportement
des entrepreneurs modernes, sans que les analystes qui l'ont mis
en relief ne tirent toutes les conséquences de leur constat:
il s'agit du potlach, qui ne saurait être considéré
comme un acte archaïque depuis les travaux de Thorstein B.
Veblen10. Sa prise en considération est liée à
son affinité avec la passion prométhéenne et
agonistique qui régit l'esprit d'entreprise contemporain.
L'imaginaire dualiste auquel on réduit ce rituel, en le ramenant
à un rapport spéculaire au miroir manque son véritable
ressort, à savoir sa soumission à la loi rituelle
de la perte qui ne cesse d'annuler ces positions subjectives et
leurs effets négatifs, en mettant en scène le sacrifice
symbolique des passions privées et des biens dont la possession
et l'étalage humilient l'opinion. En réalité,
ce type de conduite ne peut se comprendre qu'en fonction du spectre
général des rites oblatifs, dont il constitue un des
pôles. Une étude approfondie du champ du don rituel
devrait comporter une évaluation des dépenses soustraites
par son truchement à l'ordre de l'utile, du besoin, de l'intérêt
donné comme fondement de l'ordre relationnel. Faute de chiffres
concrets, l'immense domaine évoqué dans ces pages
demeurera minimisé au profit de dogmes a priori.
Le don rituel, facette économique de l'échange
symbolique
Les fonctions du don rituel ne peuvent être comprises que
dans le cadre de l'ordre plus large de l'échange symbolique,
qui déborde de loin le simple jeu de signes « économiques
». Marcel Mauss avertissait déjà les lecteurs
de l'Essai sur le don que ce « fait social total» ne
concernait pas seulement un mouvement de biens mais qu'il n'était
qu'un des termes d'un contrat plus général et permanent
brassant des politesses, des festins, des rites, des femmes, des
enfants, des fêtes, des foires, dont le marché n'est
qu'un moment, des services militaires, etc.11 II. Après lui,
divers chercheurs ont mis en relief l'existence d'un ordre universel
de la communication gouverné par des lois toujours identiques.
Ces lois détermineraient l'accès de l'enfant à
l'échange social, toute défaillance dans ce processus
pouvant se traduire par une incapacité pathologique 12 .
Pour C. Lévi- Strauss, les principales manifestations de
cet ordre seraient la communication des messages, des femmes (relations
de parenté) et des biens et services13. Malheureusement,
cet auteur n'a pas consacré à ce dernier domaine la
même attention qu'à ceux des mythes ou des femmes.
En ce qui concerne celles-ci il a souligné la contradiction
résultant du fait que, à l'encontre des phonèmes,
les femmes n'étaient pas seule- ment des signes, mais des
« personnes », restées valeurs en même
temps14. C'est une contradiction homologue qui complique l'analyse
du don rituel, compte tenu du double aspect de signe et de valeur
des objets échangés. Nous évoquerons ici quelques
manifestations de l'échange oblatif général
correspondant aux lois qui régissent ce domaine. En premier
lieu, les affinités sont grandes entre son fonctionnement
et celui du langage, notamment sous ses aspects concrets d'échange
de signes et de messages, soumis à une syntaxe identique.
Ainsi, une partie des mots échangés entre interlocuteurs
est inutile ou ne signifie rien. On parle souvent « pour ne
rien dire », « à côté », «
pour parler », c'est-à-dire pour échanger, même
si l'on n'a « rien à dire ». Il faut répondre
à son parte- par politesse, laisser dire des phrases et les
mots, même si l'on est seul à détenir une information.
Un discours univoque ou sans rituel produit une rupture de communication
qui brise l'échange. Le silence est l'une la vie collective,
comme l'oubli du don. Il pèse sur l'existence même
du groupe. Mais des mots jetés sans signifier, une boutade,
peuvent sauver la situation en relançant un échange
qui vaut par lui-même. Le dialogue fonctionne pour marquer
de l'intérêt, du respect, de l'acceptation, marquer
des différences plus que pour exprimer des idées ou
des renseignements. Il est impératif de répondre et
le silence peut traduire un rejet. C'est pourquoi la conversation
courante tranche sur le langage du militaire ou de l'entrepreneur,
qui « économise» son discours. Une part importante
du commerce social repose sur des échanges de plaisanteries,
échanges parfois provocateurs, inutiles, imposant des réponses
de même niveau, de même ton. Il convient de ne pas se
vexer, d'éviter le sérieux, de relancer la joute.
Celui qui « ne comprend pas la plaisanterie» se trouve
rejeté de la communauté. Mais il est des plaisanteries
déplacées dont l'effet est négatif.
Dans un autre registre, si l'échange des femmes, qui occupe
une place décisive dans l'ordre social de multiples communautés,
s'efface dans les sociétés modernes, victime de l'individualisation
du sujet, de l'égalité des sexes et des aspirations
des femmes de ces sociétés - qui peuvent se traduire,
nous l'avons vu, par un accès croissant de celles-ci au système
du don rituel, la société néo-libérale
a développé la pratique de l'échangisme du
couple. Dans le cadre de celui-ci, les lignages alliés sont
rem- placés par les quatre partenaires des couples de base,
lesquels échangent deux à deux leurs conjoints ordinaires
pour un temps limité. Ce commerce peut se reproduire de façon
cyclique, comme le jeu des dons qui l'accompagne généralement.
Plus précis est l'échange pervers, fondé sur
un rite complexe de va-et-vient de fantasmes 15. Un tel rapport
trouve une expression plus proche du langage dans l'usage du moderne
minitel rose, dans lequel des partenaires distants et qui s'ignorent
font circuler entre eux le dé- sir, avivé par la nudité
des messages 16. Sur un autre plan, concernant des ensembles sociaux
plus larges, on peut situer, toujours dans le même registre,
les échanges de fêtes entre collectivités, notamment
entre villages ou villes jumelées, promus par les moyens
de communication de masse. Là encore, le rituel des relations
entre communautés ainsi associées met en jeu des protocoles
de réciprocité, d'équivalence, de temps festifs
qui se perpétuent et se diffractent à la marge entre
familles des deux groupes concernés, qui s'invitent réciproquement,
à chaque élan du balancier, et marient parfois leurs
enfants. Une forme proche d'échange oblatif, à caractère
agonistique celui-là, consiste en compétitions sportives.
Ce type de communication qui s'est étendu au monde entier
tient une certaine place dans les discours et les préoccupations
des joueurs, de leurs supporters, des membres de leurs clubs, des
organisateurs des joutes générales et des villes dont
font partie les clubs. Or, les camps opposés ne font qu'échanger
un ballon, à des fins de prestige dont l'aura rejaillit sur
les communautés locales ou nationales auxquelles ils se rattachent.
Mais, ainsi que le note Jean Baudrillard, un parti qui gagnerait
à tous les coups briserait la règle de base de cette
communication, en interrompant le rite de la réversibilité
qui la fonde17. D'où les passions suscitées par les
tricheries, dopages et autres ruptures de la loi en question.
Mécanismes d'exorcisme du don rituel
Le paradoxe que constitue, en ce qui concerne l'usage du don rituel,
son insertion au coeur du système d'échange de richesses
qui gouverne la dynamique des sociétés contemporaines
et l'étrange cécité manifestée à
son égard par les gestionnaires ou doctrinaires de ce système,
en dépit de leurs prétentions scientifiques, ne peut
s'expliquer par un simple aveuglement ou une confusion entre ce
régime et celui, opposé, du don caritatif. Il re-
lève d'une véritable conduite d'exorcisme révélant
le caractère de pure croyance d'une vision économiste
capable d'effacer de ses comptes un secteur où se brassent
cependant des richesses considérables, soustraites aux paramètres
du modèle marchand tout en lui imprimant une certaine impulsion.
Aucun diktat n'est jamais prononcé à son égard.
Il est seulement censuré, effacé de l'ordre des faits,
de façon spontanée. Un premier facteur d'une telle
dénégation peut être trouvé dans la nature
totalitaire de l'idéologie du sujet insulaire sur lequel
repose l'utopie dominante. Un tel sujet se conçoit comme
un mini-État souverain, dont les relations avec les autres
se nouent au gré de ses intérêts ponctuels,
dans une ambiance de guerre latente. Il n'a rien d'une « personne»
ouverte à de multiples relations participationnelles. La
psychologie du comptable s'est substituée à celle
du drame. Cet acteur prédateur rejette toute attache. Les
impératifs du don rituel se confondent dès lors avec
les contraintes sociales des ères « archaïques»
ou médiévales dont il s'est délivré
pour émerger. Le messianisme « managérial »
s'accommode de l'idée que l'acteur puisse gaspiller et même
se vouer à une forme de potlach, mais à condition
que ces comportements irrationnels puissent être attribués
à un décideur isolé. Il ne peut accepter que
l'agent de l'échange se soumette à des normes et valeurs
mettant en cause cette insularité. L'émergence de
l'entrepreneur libre s'est constituée contre les «ordres»
antérieurs. L'émancipation de la femme a consacré
l'effondrement du système de parenté. La modernité,
en tant qu'axe d'évolution libératrice, accepte les
mouvements du coeur mais exclut les usages. Cette disposition s'accentue
à l'ère de la « post- modernité »,
dans la mesure où ceux-ci pétrifient la viscosité
du magma convivial. Une telle perspective se renforce du désarroi
ou de la réaction d'autodéfense du gestionnaire devant
un ordre qui fonctionne tout seul, sans intermédiaires ni
régulateurs, à partir du moment où donateurs
et donataires acceptent de s'y plier.
Un autre facteur de cécité résulte de la survivance
de modèles chrétiens liés à l'émergence
du système libéral, à l' arrière- plan
des attitudes d'« économie ». Ces modèles
excluent en effet de leur vision tout mouvement de type oblatif
qui ne soit pas l'ex- pression d'une charité désintéressée,
spontanée, rachetant les péchés, achetant le
salut et résultant d'une identification du sujet à
son prochain, lui-même substitut du dieu sacrifié.
En revanche, les messianismes collectivistes qui se sont efforcés
de se substituer à l'ordre religieux ont dénoncé
la charité comme un facteur d'aliénation. Socialistes
et jacobins ont voulu substituer à un système caritatif
largement monopolisé par les Églises un modèle
de solidarité collective organisé, géré
ou contrôlé par l'État. Dans les deux cas, le
don rituel ne peut être qu'un vestige d'un passé de
ténèbres. Son occultation s'est également trouvée
renforcée par les effets du partage disciplinaire universitaire
contemporain: phénomène social total, cette pratique
ne peut être inscrite dans aucune des catégories de
classification sur la base desquelles chercheurs et enseignants
représentent l'ordre social: les économistes l'excluent
de leurs schémas. Les ethnographes le réduisent à
un régime caractéristique des sociétés
« traditionnelles ». Sociologues et politologues en
profitent pour l'ignorer. Certains philosophes sociaux ont tenté
de l'intégrer à leurs analyses, mais toujours sous
l'aspect d'un phénomène étranger à la
société contemporaine, promu au rang d'alternative
aux principes qui régissent celle-ci.
La procédure la plus efficace d'escamotage de cette part
de réalité est son renvoi au cadre de l'archaïque.
Nous avons vu que Marcel Mauss lui-même avait sacrifié
à cette perspective, ouvrant la voie à une distorsion
des faits concernant les sociétés contemporaines résultant
de la fixation des chercheurs sur cette perspective. Le traitement
structuraliste de l'échange oblatif opéré par
Claude Lévi-Strauss dans son introduction à son oeuvre18
a accentué cette déviation dans la mesure où,
privilégiant l'échange en tant que tel sur le fait
de circulation des richesses, minimisant l'obligation de rendre
et ne prenant en compte que des faits relatifs à des sociétés
traditionnelles, il a contribué à détourner
les chercheurs de l'analyse de ses manifestations internes aux sociétés
marchandes. L'anthropologisme apologétique de divers commentateurs
s'inspirant de quelques-unes de ses manifestations les plus spectaculaires
(le potlach kwakiutl, la kula trobriandaise) pour ériger
un modèle de contre-ordre idéal totalement opposé
à l'ordre marchand, tels Georges Bataille ou Jean Baudrillard19,
a contribué à ces déviations qui favorisent
la stratégie hégémoniste du bloc historique
« managérial » de manière inconsciente
en évacuant de son champ d'investigation une masse de faits
bien réels. De leur côté, les gestionnaires
du marché « humanitaire» s'emploient à
masquer le don rituel sous le déguisement du don caritatif,
qui en est pourtant l'opposé. Une société hallucinée
est ainsi conviée à voiler certains de ses usages
en même temps que d'autres formes de comportements décrétés
d'inexistence formelle pour ne pas se plier aux impératifs
de l'utopie dominante.
Un sanctuaire secret de sociabilité participative
Toutefois, l'occultation qui frappe le don rituel ne peut s'expliquer
par la seule stratégie des gérants d'une idéologie
dominante. Tout indique que ce silence, telle l'omerta sicilienne,
repose sur une complicité de la quasi-totalité des
acteurs des sociétés modernes dont l'effet est de
préserver un autre ordre social que celui qui se trouve représenté
sur le devant de la scène, ordre connu de tous mais pudiquement
préservé des feux de la rampe par une sorte de convention
tacite. Loin de correspondre à un attachement désuet
à des coutumes surannées, cette pratique réservée
semble remplir des fonctions décisives: en premier lieu,
on peut y voir l'effet d'une stratégie spontanée de
contre-pouvoir visant à limiter le champ d'application du
pouvoir « managérial ». Par ail- leurs, en sacrifiant
des produits déviés à cet effet des circuits
« utiles », donateurs et donataires paraissent manifester
une volonté de; démythification des modèles
et valeurs qui régissent ceux-ci. L'ordre mercantile est
perçu, en effet, comme générateur d' antagonismes,
d' anomie, de violence, de misère psychique suicidaire. Simultanément,
le consommateur éprouve le sentiment confus que ses motivations
sont largement induites, que ses choix ne correspondent ni à
ses pulsions profondes ni à ses besoins, notamment de rapports
sociaux participatifs. Il estime que ses élans caritatifs
programmés par les pouvoirs publics ou les médias
et gérés par divers intermédiaires n'ont que
des effets mineurs par rapport à ses aspirations. En cette
conjoncture, le cérémonial symbolique du don rituel
vient conjurer les dangers anomiques, restituer les « vraies
valeurs », vécues comme l'expression d'une «
vraie vie ». Le temps de l'échange réversif,
il n'est plus une monade isolée dans un monde sans pitié,
prisonnier du jeu des demandes et réponses immédiates,
mais une personne, définie par relations durables, festives,
avec des partenaires qui ont des visages et se sou- mettent comme
lui à une même loi « inutile» mais fondatrice
et efficiente. Le caractère festif de la communication maintenue
révèle l'aspect libérateur du rite évoqué
par rapport à l'aliénation qu'impose le marché.
En consumant l'idole qui fonde cette aliénation, comme des
foules révoltées brûlent le drapeau d'un pouvoir
dominateur, les partenaires recréent les conditions d'une
existence «digne d'être vécue» à
leurs yeux.
On peut voir dans l'efficience de ce processus un effet du mécanisme,
déjà évoqué, de l'efficacité
symbolique. Celui-ci préside au développement de l'enfant
aussi bien qu'à divers modes de résolution de situations
génératrices de malaise individuel et social résultant
de ratés de l'évolution « normale », conçus
spontanément par diverses sociétés.
Par ce processus, en intégrant la perte à son discours,
le sujet résout les fascinations infantiles qui l’asservis-
sent à des modèles duels, en miroir, où il
se perd en croyant combler ses failles. En mettant ces modèles
en perspective grâce au langage et à la loi dite de
castration, il accède au désir et à des échanges
sociaux sereins. A l'inverse, tout échec de ce processus
le voue à la folie, qui lui interdit tout échange20.
Or, le jeu symbolique de la dette semble permettre, en manipulant
« la propriété inductrice que posséderaient
», selon la formule de Claude Lévi-Strauss, «
les unes par rapport aux autres des structures formelle- ment homologues
pouvant s'édifier, avec des matériaux différents
aux différents étages du vivant21 », de sublimer
des situations in- tolérables rendant le commerce social
impossible. Tel est précisément l'effet du don rituel,
lequel présente sur d'autres expressions symboliques l'avantage
de mettre en scène le sacrifice de l'objet même qui,
dans l'ordre mercantile, ravive constamment en lui la faille du
besoin, du désir, de la demande toujours difficiles à
satisfaire, à savoir la marchandise. En l'occurrence, c'est
l'objet même d'une vie d'« économie »,
d'envie, de parcimonie dont le pouvoir aliénant est annulé,
mué en symbole du lien qui tisse entre partenaires le va-et-vient
de leur intimité commune. En offrant un cadeau qui sera rendu,
le donateur ne renonce pas seule- ment à une satisfaction
utile. Il s'émancipe des illusions qui conféraient
à l'objet dont il se défait le statut imaginaire de
résoluteur de son manque fondateur. Et ce résultat
est obtenu grâce au jeu de réversion continu dans lequel
des partenaires unis par un cérémonial immuable échangent
leurs manques respectifs, jouent avec la perte, mettant ainsi à
distance leurs avidités mortifères, ce qui leur permet
de communiquer dans la fête et la reconnaissance mutuelle.
Ils peuvent dès lors retourner à la grisaille des
échanges utiles, capables de se soustraire à des impulsions
excessives. Le jeu de l'échange marchand peut alors se dérouler
de façon plus décontractée, plus rationnelle.
Ainsi, l'ordre du don rituel, loin de s'opposer de manière
absolue à celui du marché, favorise « u contraire
le bon usage de ce dernier. Il s'y approvisionne en ingrédients
nécessaires à la mise en scène du sacrifice
sur lequel il se fonde. Ce faisant, il lui confère une impulsion
parfois déterminante. Il le purifie de ses tendances à
dériver vers des expressions génératrices de
destruction de ce corps social dont il prétend régler
les échanges internes. Car telle est, nous l'avons vu, la
contradiction majeure qu'il porte avec lui. Il est significatif
qu'une alternative jugée jusqu'ici, comme lui, caractéristique
d'un temps dépassé de l'évolution de l'humanité,
retrouve aujourd'hui une actualité décisive: nous
voulons parler du fondamentalisme religieux. En l'occurrence, cette
contre-utopie, tout aussi totalitaire que l'idéologie libérale,
oppose au« matérialisme» d'une modernité
fondée sur l'isolement du sujet et les lois du marché
un idéal de sacrifice du premier à la loi d'un gestionnaire
absolu dont la figure comble tout manque. Ledit sacrifice peut aller
jusqu'à l'anéantissement du « martyre 22 ».
A l'encontre d'une telle alternative, le cérémonial
du don rituel relève d'un ordre de régulation absolument
laïque, dans la mesure où la loi qui régit le
principe sacrificiel sur lequel il repose est épurée
de tout auteur. Son autorité ne se soutient que du seul attachement
porté au rite de l'échange réversif par les
partenaires engagés dans la régulation qui le régit,
sanctionné par la fête et les effets affectifs d'un
climat de participation qui « n'a pas de prix» à
leurs yeux.
Le silence entretenu par la société contemporaine
sur ce sanctuaire, en dépit du fait qu'il recèle l'un
des mécanismes de sa reproduction, pourrait correspondre
à celui qui, de tout temps, caractérise l'approche
du sacré. Mais le sacré dont il. s'agit ici fonctionne
sans support transcendant. Il traduit seulement l'absolu de la loi
de la perte qui préside à l'échange social
le plus fondamental. Loin d'apparaître comme une scorie dans
le fonctionnement de l'ordre de la communication des biens, le don
rituel, en tant que facette économique de l'échange
symbolique, recèle peut-être le secret de la survie
d'une société dont l'idéologie dominante privilégie
de manière parfois quasi hallucinée, d'autres appareillages.
1. Cf. P. LEGENDRE, Le Désir politique de Dieu. Étude
sur les montages de l'État et du droit, Fayard, Paris, 1988.
2. Cf. M. MAFFESOU, Logique de la domination, PUF, Paris, 1976,
et L'Ombre de Dionysos, Méridien/ Anthropos, Paris, 1982
; A. TOURAINE, La Société post-industrielle, Denoël,
Paris, 1969.
3. Cf. J. BAUDRILLARD, Les Stratégies fatales, Grasset,
Paris, 1953 ; Pour une critique de l'économie politique du
signe, Gallimard, Paris, 1972; L'Échange symbolique et la
mort, Gallimard, Paris, 1976. R.
3 BARlHES, Mythologies, Point, Paris, 1957. E. GOFFMANN, Les Rites
d'interaction, Minuit, Paris, 1974.
J.-J. Goux, Freutj, Marx. Economie et symbolique, Seuil, Paris,
1974. J.-F. LYOTARD, Economie libidinale, Minuit, Paris, 1974. F.
VIDAL, Les Sociétés insatisfaites, Marne, Paris, 1974.
4. Cf. B. FRAPPAT, « Crépuscule des solidarités
" Le Monde, 21 juillet 1985 ; « Le ras l'obole des
5. M. MAUSS, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange
dans les sociétés archaïques, in Sociologie et
anthropologie, PUF, Paris, 1960.
6. Cf. J. BAUDRIUARD, L'Echange symbolique et la mort, op. cit.
; J. DUVIGNAUD, Spectacle et société, Denoël-Gonthier,
Paris, 1970 ; C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de
Marcel Mauss in Sociologie et anthropologie, op. cit. ; F. PERROUX,
Economie et société. Contrainte, échange, don,
PUF, Paris, 1960 ; J. SCHACHT, Anthropologie culturelle de l'argent,
Payot, Paris, 1973 ; M. DOUGLAs, « Il n'y a pas de don gratuit
», Revue du Mauss, Paris, 2. trim. 1989.
7. Cf. G. NICOLAS, Don rituel et échange marchand dans une
société sahélienne, Institut d'ethnologie,
Paris, 1986.
8. M. MAUSS, Essai sur le don, op. cil. C. LEVI-STRAUSS, Introduction
à l'oeuvre de Marcel Mauss, op. cil.
9. Cf. G. NICOlAS, Don rituel et échange marchand, op. cit.
10. T. B. VEBLEN, The Theory of the Leisure Class, Modern Library
New York, 1934.
11. M. MAUSS, Essai sur le don, op. cit.
12. F. DOLTO, Le Cas Dominique, Seuil, Paris, 1971; J. LACAN, Écrits,
Seuil, Paris, 1966, Les Ecrits techniques de Freud, Seuil, Paris,
1975, Les Psychoses, Seuil, Paris, 1981.
13. C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss,
in op. cit.
14. C. LEVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires
de la parenté, PUF, Paris, 1949.
15. P. AULAGNIER et al. , Le Désir et la perversion, Seuil,
Paris, 1967 r, Paris, 10 octobre 1990, p. 14-15.
16. Cf. Le Nouvel Observateur, Paris, 10 octobre 1990, p. 14-15.
17. J. BAUDRlLLARD, Pour une critique de l’économie,
op.cit. p. 265.
18. C. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss,
in op. Cit.
19. G. BATAILLE, La Part maudite, précédée
de La Notion de dépense, Éd. de Minuit, Paris, 1967
; J.
BAUDRIUARD, L'Échange symbolique et la mort, op. Cit.
20. G. ROSOLATO, Essais sur le symbolique, Gallimard, Paris, 1969.
21. C. LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958,
p.223.
22. B. ÉTIENNE, L'Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987
; G. KEPEL, La Revanche de Dieu, Seuil, Paris, 1991 ; B. LEWIS,
Le Retour de l'Islam, Gallimard, Paris, 1985.
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