|
Origine :
http://www.sens-public.org/article_paru1.php3?id_article=9
Revue Sens public
« Le village entier partit le lendemain dans une trentaine
de pirogues, nous laissant seuls avec les femmes et les enfants
dans des maisons abandonnées. »
Lévi-Strauss, lapsus après un séjour chez
les Bororos : « Dès lors que les hommes sont partis,
il n'y a plus personne... » (rapporté par M. Le Doeuff
dans Le sexe du savoir.)
En guise d'introduction, je ferai des remarques de méthode.
La différence des sexes structure partout la pensée
humaine, mettant en retrait, par là même, d'autres
aspects de l'être humain peut-être plus fondamentaux,
et elle commande ainsi deux concepts primordiaux : l'identique et
le différent. Différence (absence d'identité,
de similitude) renvoie à identité (similitude) et
non à égalité ou inégalité, et
encore moins à supériorité ou infériorité.
Ces différences sont conjuguées de multiples façons
selon les sociétés. On s'aperçoit qu'avec le
même alphabet ancré dans cette nature biologique commune,
chaque société élabore des phrases culturelles
singulières et qui lui sont propres. Les recherches de tous
ordres, philosophiques, historiques, anthropologiques et sociologiques,
ont montré que les perceptions biologiques du masculin et
du féminin n'étaient ni immuables, ni universelles.
Il n'y a pas de traduction unique et universelle de ces données
élémentaires du biologique. La différence sexuelle
est une structure mouvante, changeante dans laquelle le discours
puise pour construire une hiérarchie. Mais sur cette opposition
biologique identique/différent, se moulent beaucoup d'autres
oppositions conceptuelles et des classements hiérarchiques,
qui imposent des valeurs. Cependant, la construction de la différence
des sexes produit partout, selon des termes différents, une
sujétion des femmes. De là à dire, bien sûr,
qu'il existe une réalité, une vérité...
il n'y a qu'un pas que beaucoup franchissent. S'interroger sur la
manière dont la hiérarchisation est construite, dont
l'assujettissement se fait (mais céder n'est pas consentir)
me paraît donc être une démarche d'historien(ne).
Le discours médical est largement fondateur au XIXème
siècle de constructions, de reconstructions, d'affermissements
ou de changements des conceptions et des perceptions de la nature,
et plus précisément de la naturalisation de la femme.
Les médecins sont des acteurs sociaux et des scientifiques
de tous horizon. Ils élaborent des catégories masculin/féminin
comme des catégories naturelles, données par le sexe
de la naissance, immuables et éternelles (cf. : l'éternel
féminin). Or, les enjeux de cette définition sont
majeurs puisqu'au XIXème siècle, le 'naturel' est
d'autant plus important qu'à travers la question du droit
naturel, il sous-tend toutes les demandes, en particulier les demandes
d'égalités civiques et civiles (se reporter à
l'article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1791 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droit », qu'Olympe de Gouges traduisait dans sa Déclaration
des droits de la femme et de la citoyenne par ces mots : «
La Femme naît et demeure égale à l'Homme en
droits ».)
Pour mieux mettre au jour les distinctions entre biologie et culture,
nature et culture, je distinguerai sexe et genre. Ce découplement
permet en effet de différencier ce qui relève du biologique
et ce qui relève du culturel et du social. J'utiliserai ainsi
le concept méthodologique du gender anglo-saxon, que je concevrai
comme un outil méthodologique. Ce qui l'éloigne du
sens premier français, (genre : gram. catégorie exprimant
l'appartenance au sexe masculin, féminin ou neutre. Catégorie
de certains mots qui est soit le masculin, soit le féminin).
Des historiennes anglo-saxonnes ont utilisé ce concept pour
penser l'histoire en terme de relations et pour dépasser
le biologique (cf. genre / Joan W. Scott dans La citoyenne paradoxale,
Albin Michel). Par 'genre', j'entends me référer au
discours de la différence des sexes. Il ne se rapporte pas
simplement aux idées mais aussi aux institutions, aux structures,
aux pratiques quotidiennes comme aux rituels, tout ce qui constitue
les relations sociales. Le discours est un instrument de mise en
ordre du monde. Même s'il n'est pas antérieur à
l'organisation sociale, il en est inséparable. Il s'ensuit
que le genre est l'organisation sociale de la différence
sexuelle. Il ne reflète pas la réalité biologique
première, mais il construit le sens de cette réalité.
La différence sexuelle n'est pas la cause originaire de laquelle
l'organisation sociale pourrait dériver ; elle est plutôt
une structure sociale mouvante qui doit elle même être
analysée dans ses différents contextes historiques.
Le genre suppose donc la saisie de l'organisation sociale et politique
dans son historicité. L'historien ou l'historienne doivent
être attentifs au changement, aux enjeux de tel ou tel moment
historique, doivent chercher à analyser la construction discursive
d'une réalité, les résistances qu'elle engendre,
dans le moment de sa construction (résistances qui, le plus
souvent, sont ensuite évacuées, oubliées par
l'histoire) et les identités qu'elle crée.
En utilisant ce genre, dans les analyses des discours et des pratiques,
on découvre, en effet, qu'il est un élément
constitutif des relations sociales, un élément essentiel
des rapports sociaux dont on peut alors mettre au jour qu'ils sont
fondés sur des différences perçues, construites
entre les sexes. Il permet :
-de percevoir des processus, de mettre en question ce qui semble
aller de soi
-de restituer leur épaisseur problématique à
des faits présumés naturels ou allant de soi et de
constituer en objet d'étude le rapport social qui le rend
possible (Michèle Riot-Sarcey, La démocratie à
l'épreuve des femmes, Albin Michel).
-d'étudier hommes et femmes non seulement dans leurs relations
d'êtres biologiquement situés, mais aussi dans une
relation qui n'est pas obligatoirement sexuée. Il permet
donc de dépasser le déterminisme biologique qui, trop
souvent, sous-tend une analyse des rapports entre les sexes et qui
renvoie bien plus fréquemment les femmes que les hommes à
leur nature, à leur physiologie et à leur morphologie.
Ainsi, l'outil 'genre' dévoile la fausse neutralité
des textes qui traitent des hommes en général sans
se soucier de leur appartenance sexuée, laissant penser qu'il
s'agit des êtres humains alors qu'ils ne concernent que les
hommes mâles la plupart du temps (par exemple, le terme de
suffrage universel utilisé en 1848). Par delà, l'historien
ou l'historienne peut mettre ainsi à nu l'apparente neutralité
du langage, un des éléments constitutifs des rapports
sociaux. On s'aperçoit alors que seuls les discours sur les
femmes sont explicitement spécifiés, et qu'en histoire
le modèle général est l'homme, être en
soi, sujet à part entière, qui organise le social,
qui définit la société, qui crée et
gère les institutions. Les hommes ne sont pas pensés,
ni dits comme un groupe sexué ; les femmes en revanche sont
définies et se définissent par rapport à l'homme,
érigé en référent tandis qu'elles-mêmes
ne sont que des êtres sexués, le biologique étant
leur facteur unificateur premier. Elles sont reproductrices, Mères.
Le genre aide à révéler, à souligner
ou simplement à affiner les inégalités multiformes,
les oppositions nombreuses mais aussi les similarités possibles
entre hommes et femmes. Il permet d'éviter la simplification
purement binaire, celle de l'antagonisme ou de la complémentarité.
Pourtant, me semble t il, chaque être humain a sa compétence
et son profil propre, configurés par de nombreux facteurs
dont l'appartenance à un sexe ou à l'autre n'est qu'un
élément autour duquel tout le reste est construit.
Ainsi, le genre est utile pour lire, comprendre et interpréter
le discours médical, il permet de mettre au jour comment
la différence et la hiérarchisation entre les hommes
et les femmes se construisent, comment les êtres humains sont
constitués comme différents et semblables, comment
s'élaborent le masculin et le féminin. « On
ne naît pas femme, on le devient. » (Simone de Beauvoir)
Il s'agit donc de saisir les différents moments du discours
médical du XIXème siècle qui font naître
un dispositif hiérarchique, afin de mettre au jour la construction,
sous le couvert d'une complémentarité, d'une catégorie
'femme' infériorisée, et de montrer que par leur position
scientifique, se donnant comme détenteurs de vérité,
les médecins valident les inégalités sociales
et politiques mises en place par les différents pouvoirs
politiques du XIXème siècle.
« La naturalisation des femmes servit de socle au dispositif
hiérarchique de la démocratie représentative
dont les règles furent admises par tous les partis politiques.
(...) La construction des différences a commandé l'ensemble
des pratiques politiques : du Code civil à la formation du
citoyen en passant par les programmes scolaires. » (M. Riot-Sarcey,
art. à paraître)
Ch. 1. .Médecine, politique et société
(fin XVIIIème-début XIXème).
La Révolution française affirme l'égalité
des droits entre les hommes et la liberté individuelle de
chacun dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Or, en quelques années, les femmes sont reléguées
dans l'espace privé de la famille tandis qu'est assigné
aux hommes l'espace public, et le Code civil vient singulièrement
restreindre les libertés féminines. Comment justifier
de telles décisions, valider de telles institutions, faire
accepter comme normal et juste une telle iniquité ?
I Une nouvelle donne politique et sociale (Révolution
et Ier Empire).
La Révolution française marque un tournant dans la
redéfinition de l'égalité et de la liberté.
Divers points de vue sur la différence des sexes s'expriment
alors, ils sont au coeur d'enjeux essentiels tels que ceux de la
participation des femmes au politique, de leur place dans la société
et de leurs droits civils.
1. L'homme comme référent.
Le modèle que construit la période révolutionnaire
est masculin et seulement masculin. La communauté des hommes
libres et égaux se bâtit autour d'un modèle
masculin, d'une communauté de frères, semblables entre
eux. Communauté fraternelle immortalisée par tableau
de David, peintre officiel qui met en scène, qui représente
cette fraternité d'où sont exclues les femmes.
L'écart entre individus nés libres et les femmes
'naturellement' assujetties est en train de naître et cet
écart se consolide pendant tout le XIXème siècle.
La Révolution et l'Empire marquent une régression
relative ou forte du statut social et politique des femmes puisqu'elles
n'accèdent pas aux mêmes droits ni aux mêmes
libertés que les hommes. Les femmes sont rapidement exclues
de l'espace public révolutionnaire : interdiction des deux
clubs de femmes qui avaient été créés,
interdiction de participer à la Garde Nationale (droit 'naturel'
réclamé par certaines en 1792) tout comme à
l'armée, de participer au suffrage universel quand il est
inscrit en juin 1793 dans la Constitution. Pourtant des voix s'élèvent
pour dénoncer ces exclusions, un petit groupe significatif
de femmes militantes et de quelques hommes tel Condorcet ou Guyomar,
député montagnard.
« Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables
droits ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le
droit d'un autre quel que soit sa religion, sa couleur ou son sexe,
a dès lors abjuré les siens. » (Condorcet, 1790).
Les femmes sont ensuite exclues de l'éducation secondaire,
sous l'Empire, les lycées qui font pourtant de l'enseignement
un service public sont réservés aux garçons
(plus tard encore, la loi Guizot de 1833 ne fera obligation aux
communes que d'ouvrir une école de garçons). Enfin,
le Code civil de 1804 fait des épouses, des mineures «
à l'égal des enfants et des fous ». L'épouse
doit obéissance à son mari qui lui donne en retour
sa protection. Le mari fixe le lieu de résidence, l'épouse
est tenue de le suivre. Celle ci est incapable juridiquement, elle
ne peut disposer librement de son salaire, ne peut travailler sans
l'autorisation de son mari, n'a pas non plus de droit légal
sur la direction et l'éducation de ses enfants (jusqu'en
1970). La femme célibataire est presque l'égale de
l'homme devant la loi civile, elle ne peut pas cependant être
témoin d'un testament ou d'un acte public (jusqu'en 1907).
Seule la veuve est civilement quasiment l'égale de l'homme.
Dans les écrits de cette époque, tout cela va de soi,
est normal. Ainsi des textes de la Révolution dressent des
portraits-types.
2. Profil de la femme et de l'homme idéal au tournant
du XIXème siècle.
Les hommes de la Révolution dessinent un portrait idéal
de l'homme et de la femme que l'on peut lire dans des discours politiques
ou philosophiques. La femme est douce : « la première
et la plus importante qualité d'une femme est la douceur
» (Rousseau, Emile ou l'éducation, 1762). La douceur,
accompagnée de retenue et de timidité, est une qualité
donnée comme naturelle et essentielle au sexe féminin.
Corollaire de cette douceur, les femmes sont faibles. Corollaire
de cette faiblesse, elles manquent de force morale, d'énergie,
de courage, d'abnégation. Mais elles sont dévouées,
elles sont sensibles car elles sont mères. L'homme est «
fort, robuste, né avec une grande énergie, de l'audace
et du courage (...) Il brave les périls, l'intempérie
des saisons par sa constitution. » (Journal Le moniteur, 1794).
Ainsi, le décret du 30 avril 1793 exclut les femmes qui servaient
dans l'armée, il n'autorise que les femmes cantinières
et blanchisseuses. Le prétexte : exclure les prostituées
ou épouses de soldats qui suivaient les armées. Mais
de fait, le décret exclut aussi les soldates, les combattantes,
peu nombreuses, certes, mais courageuses et décentes. Mais
l'héroïsme pour une femme ne peut être pensé
comme guerrier, « il consiste à porter le poids du
ménage et les peines domestiques ». Enfin, Rousseau
se demandait si les femmes « étaient capables d'un
solide raisonnement », le politique Amar répond en
affirmant qu'en général « elles sont peu capables
de méditations hautes et de conceptions sérieuses
». Elles ne peuvent donc pas participer au politique. L'homme
seul est capable de réflexion mûrie et de raisonnement
rigoureux et profond.
La transgression de ces idéaux entraîne la monstruosité
: la femme-homme ou l'inverti (c'est ainsi qu'on nomme au XIXème
l'homosexuel). La femme, sortant du rôle qui lui est assigné,
est une mauvaise mère puisqu'en sortant dans l'espace public,
elle délaisse ses enfants. Elle est laide, les militantes
sont toujours « laides à faire peur », malpropres
et souvent de mauvaise vie. Elle est un monstre. De même l'inverti.
Mais la femme-homme fait peur parce qu'elle met en question la domination
et le pouvoir des hommes, l'inverti prête au mépris
et au rire. Ces affirmations discursives ne sont certes pas nouvelle,s
mais dans le moment révolutionnaire où l'on proclame
l'universalité de la liberté et l'égalité
des droits, ils sont à re-fonder, à justifier à
nouveau, car s'ils vont de soi pour la plupart, des voix s'élèvent
pour les mettre en cause, on l'a vu.
3. Que sont donc les femmes ?
a. Les femmes sont elles des exceptions à la règle
de l'universel ?
La vulgate de la philosophie des Lumières proclamait la
croyance en des valeurs humaines universelles, qui en tant que telles
auraient donc du aussi concerner les femmes. Mais ces universaux
sont construit sur une hypostase (= substitution d'une catégorie
grammaticale à une autre, ou d'un verbe, d'un nom : le manger,
un Harpagon) des valeurs de ceux qui aspirent au pouvoir. L'universel
recouvre ainsi des hommes blancs de culture chrétienne, bourgeoise
et occidentale, il ne peut donc valoir pour les femmes. Bien sûr,
cette hypostase n'apparaît que pendant et après la
Révolution quand des femmes revendiquent ces universaux.
Que faire ? Dans ce premier schéma, les femmes vont être
pensées comme des exceptions à la règle universelle
dont les hommes les dispensent. Les femmes bénéficieraient
d'une sorte de privilège, protégées des maux
de la guerre, des affaires et de la politique. Non engagées
dans le « struggle for life » avant l'heure darwinienne.
Justification ambiguë pour sûr... Mais dans ce schéma,
les femmes peuvent revendiquer l'universel (en refusant le privilège
de protection), ce que feront des féministes. Il faut donc
s'appuyer sur quelque chose de plus solide.
b. Les femmes sont elles une sous-espèce dans le
genre humain ?
L'autre schéma, qui se met en place au XIXème, s'alimente
aux travaux des biologistes, des médecins et des naturalistes.
(Nous y arrivons !) Il tend à imposer peu à peu l'idée
que l'humanité est composée de deux sous-espèces,
l'une masculine, l'autre féminine, chacune ayant son fonctionnement
physiologique, moral et intellectuel propre, partant ses propres
valeurs et ses propres lois. Les discours « scientifiques
», le discours médical au premier chef, naturalisent
la femme, la décrivent, la dissèquent comme on le
ferait d'une espèce animale, lui assignent une place, en
un lieu intermédiaire entre l'animal et l'homme. La femme
est alors une « portion » du genre humain, dit le médecin
Virey. Ce qui autorise à s'interroger sur la conséquence
sociale d'une existence fractionnelle en terme de « place
» : qu'on donne à la femme sa « véritable
place » dit le médecin Cabanis.
Cependant, plus encore, cette fraction du genre humain devient
souvent, sous la plume des médecins, un « tout »
différent. La femme est un tout car elle est le sexe, le
sexe des deux sexes, le Sexe, le Beau Sexe, comme on dit au XIXème
siècle. Elle est ce qui est sexué dans le genre humain.
Elle est substance, elle est ce qui est nature, ce qui est naturel
dans le social. Sa place est donc évidente. Ainsi se trouvent
légitimées la séparation et la hiérarchie
des sexes parce que les « savants » ne voient pas qu'une
différence entre hommes et femmes mais aussi hiérarchie
et nécessaire subordination. Le masculin vaut plus que le
féminin, qu'il se doit donc de soumettre et de gouverner
pour endiguer les dangers de toutes sortes que celui-ci recèle
pour la culture et la civilisation. De ce fait, les femmes (et du
même coup, les hommes) se trouvent elles/ils pris(es) à
la fois
-dans un système d'opposition dualiste féminité/virilité
dans tous les discours qui font intervenir la théorie de
la complémentarité des sexes ;
-dans un système de classement hiérarchique où
les femmes se trouvent toujours en position d'infériorité
puisqu'on les rapporte et les juge à l'échelle de
« l'humain » c'est à dire du masculin hypostasié.
Les femmes perdent donc sur tous les tableaux : féminines,
elles sont frivoles, légères, sans raison etc... Mais
si elles s'aventurent vers la politique, les affaires publiques,
etc..., elles manquent aux règles qui leur sont propres et
elles sont présomptueuses, voire monstrueuses. La validité
de ces affirmations est d'autant plus grande que :
4. Un changement épistémologique rend possible
l'émergence du biologique (naissance de la clinique).
Il s'agit là d'une référence que je ne développerai
pas. A la fin du XVIIIème siècle, on voit en effet
émerger la possibilité d'une histoire naturelle de
l'homme, Buffon et Daubenton ont écrit Histoire naturelle
de l'homme. Et au tournant de la Révolution, l'homme devient
un objet d'observation et d'expérience avec la clinique.
L'observation de l'organisme est rendue possible. On peut en particulier
observer les relations entre structure et fonctions d'un corps.
Si la structure des humains montre une identité des deux
sexes dans l'espèce humaine, les fonctions sexuelles, en
revanche, les différencient. A partir de là, les médecins
vont produire un discours 'scientifique' qui hiérarchise
les hommes et les femmes. C'est donc ce discours médical
que nous allons analyser dans son historicité,
II. La naturalisation des femmes : l'infériorisation
par la science médicale.
Le discours médical situe les hommes et les femmes de manière
très différente par rapport à la Nature puisque
l'homme est représenté comme un être avant tout
social, et la femme comme un être avant tout naturel car reproducteur.
1. La femme est un être de nature défini par
rapport à l'homme et à l'animal ; l'homme, en revanche,
est « à la tête du règne animal ».
(Lire les pages des deux brochures sur les femmes.)
a. D'un côté, la femme et les femelles mammifères,
et l'homme, de l'autre, l'homme au sommet du règne animal.
Julien-Joseph Virey, médecin-philosophe, qui écrit
les articles « femme » et « homme » dans
le Dictionnaire des sciences médicales édité
par Panckoucke, compare la (c'est toujours cet article au singulier
qui est utilisé, je reprendrai donc cette formulation) femme
aux femelles mammifères (ce que ne faisait ni Roussel, ni
l'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot). Le docteur Jacques
Moreau (de la Sarthe) fait de même dans son Histoire naturelle
de la femme, (3 vol.1803). Comparée à celles-ci, la
femme n'en sort pas pour autant grandie. Bien au contraire, elle
pâtit de sa station debout qui lui fait courir un surcroît
de risque : avortement, chute d'organe, varice... Lors de l'accouchement,
les femmes souffrent plus que les bêtes mais cette souffrance
est interprétée comme ayant un but : « leurs
fils (sic) leur en sont plus chers... » Souffrance salvatrice.
On constate donc au début du XIXème un infléchissement
net de la représentation des femmes vers la naturalisation.
La femme par ailleurs, est toujours mesurée à l'aune
masculine, sa taille est plus petite, son bassin est plus grand
puisqu'il est fait pour loger les foetus. Elle n'a pas la même
sensibilité que l'homme, plus nerveuse donc plus changeante,
plus mobile... Beaucoup de médecins la donnent comme moins
sensible à la douleur (sinon elle ne supporterait pas tous
ses maux, en particulier ceux de l'accouchement). De toute façon,
plus ceci ou moins cela, elle est toujours dévalorisée
par rapport à l'homme qui est le référent (sauf
bien sûr pour la maternité en vue de laquelle elle
est spécifiquement conçue). En revanche, il est exclu
que l'homme soit mesuré à l'aune féminine.
L'homme est « l'être humain », le genre humain
dont on fait l'histoire quand on le décrit à l'article
« homme ». Quand il est comparé à l'animal,
c'est pour affirmer qu' « il est au sommet du règne
animal » qu'il domine. Ainsi, s'il reçoit la station
debout, c'est qu'il a été « principalement créé
pour l'exercice de la pensée et de l'industrie. » Quant
aux fonctions de reproduction à comparer avec celles des
mammifères, il n'en est pas question. Pour finir, la femme
est aussi comparée à l'enfant auquel elle ressemble
par sa faiblesse.
b. La faiblesse anatomique de la femme, la force de l'homme.
La femme est faible : (cf. art. de Virey.) :
-par son squelette : ses os sont plus petits et moins durs que
ceux des hommes, sa cage thoracique est plus étroite, son
bassin plus large impose aux fémurs une obliquité
qui gêne la marche car dans un déplacement rapide,
les genoux se touchent, les hanches se balancent donc pour retrouver
le centre de gravité, la démarche est vacillante et
incertaine. Une femme ne peut guère courir.
-Pour le reste, ses tissus sont spongieux et humides (la femme
est plus humide que l'homme, vous reconnaissez là l'héritage
encore prégnant de la médecine humorale), ils s'enflamment
plus facilement que ceux de l'homme, sa peau est fragile, ses muscles
et ses fibres sont grêles et mous. Leurs nerfs et leurs vaisseaux
sont plus ramifiés ce qui les rend plus nerveuses (mais pas
forcément plus sensibles à la douleur, on vient de
le voir), mobiles et changeantes. Enfin, plus petite, elle a moins
de besoins que l'homme, elle mange donc moins et plus sucré.
-Le cerveau des femmes est différent de celui des hommes
(l'article du Panckoucke est écrit par Gall et Spurzheim)
: « L'organisation cérébrale des deux sexes
explique parfaitement pourquoi certaines qualités sont plus
énergiques chez l'homme et d'autres chez la femme. Les parties
du cerveau situées vers la partie antérieure supérieure
du front sont en général plus petites chez les femmes
et leurs fronts sont plus petits et plus courts. (...) Leur cervelet
est communément plus petit que celui des hommes. Ces différences
expliquent parfaitement ce que l'on trouve de dissemblable entre
les qualités intellectuelles et morales de l'homme et de
celles de la femme, à savoir fragilité, sensibilité...
» Certains médecins, dont Moreau, refusent ainsi aux
femmes l'ampleur et l'acuité de la vue et de l'ouïe
qui sont pourtant « les portes de l'intelligence ».
Le médecin-idéologue Cabanis déduit de tous
ces caractères que les femmes « ont un dégoût
d'instinct pour les violents exercices. » Il constate que,
leur marche étant difficile, elles préfèrent
les travaux délicats et sont sédentaires, à
l'inverse des hommes. Par ailleurs, la faiblesse du muscle féminin
lui interdit de descendre dans un gymnase, « les qualités
de son esprit et le rôle qu'elle doit jouer dans la vie lui
défendent plus impérieusement encore, peut-être,
de se donner en spectacle dans le lycée ou dans le portique.
» Le corps masculin, en revanche, est marqué par les
qualificatifs de dureté, de force, de solidité, de
ténacité, de sécheresse (opposé à
l'humidité). L'homme est résistant, énergique.
Cependant, il vit un peu moins longtemps que la femme.
2. L'homme est « le genre humain », la femme
est « le Sexe »
a. Un seul sexe ? celui de la Femme ?
« Le Sexe », le « Beau sexe », sont des
métaphores de la femme. La langue française ne qualifie
pas l'homme et la femme de la même façon, le discours
sur la femme privilégie son sexe, on analyse en quoi son
être sexué la rend irrémédiablement différente.
La caractérisation de l'homme ne renvoie guère à
son être sexué. Le médecin Roussel écrit
sur l'homme sans parler de son sexe et Virey, dans le Panckoucke,
écrit de même une histoire de l'homme en général,
de l'homme générique, du genre humain. Ainsi, le plus
souvent, dans ce cadre sexué, on oppose non pas femme à
homme mais femme à genre humain. Elle est le Sexe du genre
humain. Aussi, on distinguera moins une femme d'une autre femme,
qu'un homme d'un autre homme ; il y a la femme et les hommes car
les femmes « se tiennent plus près de leur nature que
nous de la nôtre, écrit Virey, la civilisation semble
fortifier leurs penchants tandis qu'elle tend à diminuer
les nôtres. » La femme est assignée à
son sexe, à sa nature parce que reproductrice, elle est du
côté de l'espèce qu'à travers elle, elle
reproduit. L'homme, moins prisonnier de sa tâche de reproducteur,
se tourne du côté de l'être, il est poussé
vers la culture et s'éloigne toujours plus de la nature.
« Tota mulier in utero. L'essence du sexe ne se borne pas
à un seul organe mais s'étend par des nuances plus
ou moins sensibles, à toutes les parties ; de sorte que la
femme n'est pas femme seulement par un endroit, mais par toutes
les faces par lesquelles elle peut être envisagée.
» Cette phrase, écrite par le médecin Pierre
Roussel en 1775, est exemplaire, et son livre, le Système
physique et moral de la femme, est systématiquement réédité
après la Révolution tout au long du XIXème.
Non seulement l'ensemble des discours médicaux et scientifiques
insistent sur les spécificités de l'anatomie et de
la physiologie féminine, on l'a vu, mais plus encore, la
femme est définie par son sexe. Le sexe féminin est
partout dans la femme et la femme est tout entière comprise
dans son sexe. La partie domine le tout. La femme est son utérus
et à la différence de l'homme, son sexe pèse
sur toute l'économie de son corps. « Tout individu
femelle est uniquement créé pour la propagation ;
ses organes sexuels sont la racine et la base de toute sa structure
: mulier propter uterum condita est ; tout émane de ce foyer
de l'organisation, tout y conspire dans elle. Le principe de sa
vie qui réside dans ses organes utérins, influe sur
tout le reste de son économie vivante. » L'homme, en
revanche, n'est pas son sexe qui est « plus extérieur
ou plus excentrique dans la génération (...) »
et qui n'influe donc pas sur son être. La nature n'assujettit
pas l'homme à son pénis que bien au contraire, il
domine de son esprit comme tout le reste de son corps, « l'homme
étant principalement créé pour l'exercice de
la pensée et de l'industrie (...) » Ainsi, «
les sexes ne diffèrent pas seulement entre eux par des organes
destinés à la génération mais encore
par toutes les parties de chaque individu. » (Panckoucke).
Hommes et femmes diffèrent d'autant plus que les philosophes
sensualistes affirment à ce moment que nos impressions et
nos expériences ont un fondement physiologique. Et les médecins
idéologues se font un jeu d'opposer la sensibilité
changeante, mobile et superficielle des femmes à la stabilité
et la profondeur de celle des hommes.
Et l'homme ? Ses organes génitaux, étant à
l'extérieur de son corps, sont représentés
comme n'ayant quasiment aucune influence sur le reste de son corps.
Pour se reproduire en tant qu'homme, il suffit qu'il soit vigoureux
et en bonne santé. Au moment de la conception, les médecins
pensent, en effet, que les semences se rejoignent et que les plus
fortes gagnent. Garçon si l'homme est en pleine santé,
en pleine vigueur physique, fille si l'homme est épuisé
(notamment dans les sociétés polygames). Les filles
sont donc pensées dans cette première moitié
du XIXème comme le produit d'un épuisement, d'une
fatigue de leur père.
3. La femme tout entière être de reproduction,
l'homme, être de culture.
a. La femme est destinée à être mère
et seulement mère, l'homme, quant à lui, n'est pas
défini par rapport à sa paternité biologique
mais par rapport à sa paternité sociale.
La femme est donc dominée par son sexe et par sa matrice
qui est l'organe de la reproduction. Cette matrice représente
la fonction de reproduction et l'analogie devient identification
: puisque la reproduction est féminine, la femme est reproduction.
La femme est reproductrice de l'espèce humaine. Engendrer
est « sa destination naturelle », comme le prouve le
mot 'femme', 'foemina', 'fœtus', 'foetare' ont une même
racine linguistique. Virey écrit ainsi :
« L'existence de la femme n'est qu'une fraction de celle
de l'homme. Elle ne vit pas pour elle même, mais pour la multiplication
de l'espèce, conjointement avec l'homme. Voilà le
seul but que la Nature, la Société et la Morale avouent.
» (art. « femme » dans le Panckoucke) Et quelles
que soient les découvertes scientifiques du XIXème
siècle, elles seront toujours interprétées
pour confirmer le postulat premier : les femmes sont destinées
à la procréation.
b. La sexualité des femmes doit être contrôlée
car elles sont mères ; celle des hommes ne réfère
qu'à eux-mêmes.
Dans le discours médical, on trouve l'idée, on l'a
vu, que chez l'homme, il y a surabondance, surplus, tandis que chez
la femme, il y a au contraire manque et faiblesse. L'équilibre
sexuel, l'égalité se fait dans cette différence
: plus et moins s'équilibrent. L'inégalité
de la complémentarité, véritable doxa des relations
homme/femme au XIXème, est ainsi clairement mise au jour.
Cette relation sexuelle, rapport entre le plus et le moins, entre
la surabondance et le manque, est emblématique du rapport
entre les sexes et au-delà, de tout rapport entre les hommes
et les femmes. Par ailleurs, les médecins pensent que pour
assurer une bonne reproduction, l'acte sexuel de l'homme doit être
un acte rapide qui est considéré comme plus efficace.
Est ce par crainte de la sexualité des femmes ? Possible
: cette crainte de la sexualité des femmes est récurrente
(cf : Eve). Ainsi, pendant le XIXème siècle, le discours
des médecins sur le plaisir sexuel des femmes évolue.
On l'a pensé tout d'abord indispensable à la procréation
puis, après la découverte de l'ovulation (années
1840) dont on montre qu'elle s'opère automatiquement, les
médecins affirment l'inutilité du plaisir féminin.
Et certains expliquent même qu'une femme conçoit plus
aisément sans plaisir parce que sa tranquillité lui
permet de mieux retenir le sperme. Du coup, le plaisir féminin
devient non seulement inutile mais suspect. En même temps,
se développe aussi tout un discours sur la pudeur des femmes
: la pudeur consiste à ignorer que les femmes ont un sexe.
Ce discours est redoublé par celui de l'Eglise : le XIXème
est le siècle de Marie, Vierge et mère.
Détourner la femme de sa sexualité, c'est la consacrer
exclusivement à sa maternité. C'est aussi pour l'homme,
distinguer plaisir et procréation, donc épouse et
maîtresse : On sait le développement des maisons closes
et des « filles en carte », tout comme la sévérité
du Code civil vis-à-vis de l'adultère féminin.
Une inquiétude cependant pour les hommes : la crainte devant
la déperdition spermatique qui, pensent les médecins,
affaiblit l'homme (cf. l'interdit de la masturbation, qui rendrait
sourd, idiot, malade... Pire encore pour les femmes, mais bien sûr
pour d'autres raisons).
III. L'infériorisation des femmes.
De la différence anatomique est déduite, d'abord,
une infériorité physique, puis une infériorité
intellectuelle. Certaines femmes s'insurgent et dénoncent,
dès la fin du XVIIIème, cette interprétation.
Constance de Thiès écrit ainsi en 1797 :
« Laissons l'anatomiste, aveugle en sa science,
D'une fibre avec art calculer la puissance.
Et du plus ou du moins inférer sans appel,
Que sa femme lui doit un respect éternel »
Elles ne sont pas entendues, leurs voix sont minoritaires et les
enjeux de la construction de la différence des sexes sont
trop importants. Cette infériorité devient une idée
reçue, une pensée dominante qui perdure dans le discours
médical jusqu'à la fin du XIXème au moins,
même si des voix dissonantes se multiplient dès la
fin du second Empire. Ainsi, la rubrique 'maladies de femmes' disparaît
du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales
édité par Dechambre.
1. La construction par le discours médical des 'maladies
de femmes'.
a. Les 'maladies de femmes' fondées sur la différence
génitale
Il existe dans le Dictionnaire des sciences médicales de
Panckoucke une rubrique 'maladie de femmes' qui n'a pas moins de
107 pages et qui n'a pas d'équivalent masculin. Cette rubrique
apparaît au XVIIIème siècle (auparavant liée
aux maladies des enfants) et, à la fin du XVIIIème
siècle, Diderot s'afflige de ce que plus on chérit
une femme, plus on l'expose à des incommodités et
à des souffrances. Ainsi, la femme partage quasiment tous
les maux des hommes mais elle est de surcroît assujettie à
d'autres qui lui sont propres. Cette représentation de la
femme devient un lieu commun qui persiste dans la deuxième
moitié du XIXème siècle. Dans L'Amour (1858),
Michelet parle ainsi de la femme :
« Elevée par sa beauté, sa poésie, sa
vive intuition, sa divination, elle n'est pas moins tenue par la
nature dans le servage de faiblesse et de souffrance. Elle prend
l'essor chaque mois, et chaque mois la nature l'avertit par la douleur
et par une crise pénible et la remet aux mains de l'amour.
(...) De sorte qu'en réalité, 15 ou 20 jours sur 28
(on peut dire presque toujours) la femme n'est pas seulement une
malade mais une blessée. Elle subit incessamment l'éternelle
blessure d'amour. »
La construction des 'maladies de femmes', maladies qui ne concernent
d'abord que leur appareil génital, valide scientifiquement,
me semble-t-il, une différence anatomique des sexes qui n'était
pas faite jusqu'alors de cette façon, et qui devient un élément
nodal de distinction du genre humain. Pendant des siècles,
l'idée que les femmes avaient les mêmes parties génitales
que les hommes, les unes les portant à l'intérieur
du corps, les autres à l'extérieur, s'était
imposée comme un lieu commun. Cette représentation
induisait un classement hiérarchique dans lequel la femme
était un homme imparfait. La médecine clinique bouleverse
cette vision qui devient obsolète. On voit ainsi un Sylvain
Maréchal s'insurger « contre l'idée que dans
une grande échelle des êtres, se placerait un sexe
au dessous de l'autre (...) » A la hiérarchie des siècles
antérieurs, le XVIIIème siècle puis le XIXème
substituent, dans un premier temps, une différence. Les organes
génitaux des hommes et des femmes sont dorénavant
représentés, pensés et décrits comme
dissemblables, non seulement par leur anatomie mais surtout par
leur physiologie.
b. Aux maladies de femmes (génitales) s'ajoutent
maladies nerveuses et mentales.
Les névroses sont, selon le discours médical, en
développement plus rapide chez les femmes que chez les hommes.
L'aliéniste Ph.Pinel rédige l'article 'névrose'
dans le Panckoucke. Il s'agit de maladies nerveuses organiques (le
terme est créé par l'Ecossais Cullen en 1769). Il
estime qu'elles sont en augmentation en raison de la concentration
urbaine, de l'entassement des ouvriers dans les manufactures, de
celui des enfants dans les internats pour les garçons. Les
femmes sont cependant plus menacées en raison de leur plus
grande sensibilité. Virey et Moreau les pensent plus nombreuses
dans les hôpitaux (il n'y a pas d'asile spécialisé
avant 1838 mais des espaces sont réservés aux fous
dans les hôpitaux). La femme, incapable de maîtriser
ses passions et ses sens, y succombe Aussi compte-t-on un plus grand
nombre de femmes folles que d'hommes insensés dans les maisons
d'aliénés, selon Virey. Il est vrai qu'Esquirol, qui
écrit l'article 'folie' dans le Panckoucke, dément
cette différence. Mais en même temps, il illustre son
article de quatre gravures représentant les quatre figures
de la folie : mélancolie, fureur, idiotie et démence,
par quatre visages de femme.
L'opposition hystérie-hypocondrie est elle aussi significative.
Pendant au moins tout le premier quart du XIXème siècle
et ce depuis des millénaires, l'hystérie est considérée
par la majorité des médecins français comme
une affection de l'utérus. En 1815, Jean Baptiste Louyer-Villermay
(1775-1837) l'attribue à une sorte d'engorgement de l'utérus
; en 1830, Frédéric Dubois d'Amiens (1799-1873) estime
encore qu'il s'agit d'une surexcitation de la matrice. Cette vieille
thèse utérine heurte certes l'honorabilité
de la femme hystérique, représentée comme lascive
et érotique, tout entière dominée par sa sexualité,
mais elle vient corroborer l'existence d'une nature féminine
fragile et bien distincte de celle des hommes. Hors d'atteinte de
l'hystérie par nature, ceux-ci connaissent l'hypocondrie,
présentée comme une maladie miroir de l'hystérie.
Or, c'est parmi les hommes de lettres, les citoyens livrés
aux travaux assidus du cabinet, les artistes, les poètes,
parmi les littérateurs les plus distingués et surtout
au milieu des personnes douées de l'imagination la plus ardente
et la sensibilité la plus vive, qu'elle choisit de préférence
ses victimes(Louyer-Villermay). L'hypocondrie est certes due à
un excès, mais cet excès est lié à un
sur-travail : c'est une maladie valorisante qui situe l'homme du
côté de la culture et valide sa supériorité
sur la femme. Dans ce dispositif de construction de la différence
anatomique et physiologique, au moment où se développe
la révolution clinique, la mise en exergue d'une profonde
dichotomie des maladies génitales me semble faire preuve
à la fois de cette différence et d'une infériorité
des femmes. Recherches anatomo-pathologiques et regard clinique
ont permis de proposer une nouvelle conception de la maladie dont
la connaissance relève de la physiologie.
Chez Xavier Bichat (1772-1802), ce sont les tissus, de vingt-et-un
types possibles, qui forment l'espace anatomique, et qui peuvent
participer à la constitution d'organes très divers.
Organes qu'il faut soigner, selon François Broussais(1772-1838),
qui fait de l'inflammation de ces tissus la cause exclusive des
maladies. Ce dernier affirme ainsi pour la première fois
l'identité entre le normal et le pathologique. Aussi, représenter
la femme comme une malade par nature, par l'anatomie et la physiologie
de ses organes génitaux, la renvoie à une autre normalité
que celle de l'homme. Elle est bien cet Autre du genre humain. La
désigner comme un être toujours et par nature menacé
par la maladie, c'est valider le discours sur sa fragilité,
rendre nécessaire sa protection et finalement l'inférioriser.
Ce discours permet d'assigner à chacun un rôle et une
place sur l'échiquier social et politique dans une volonté
de construire une complémentarité via la différence
et la hiérarchie.
2. Faiblesse et sensibilité rendent la femme intellectuellement
inférieure à l'homme (influence du physique sur le
moral).
Par nature (cf. le cerveau par exemple), sensibilité, mobilité
et maternité rendent la femme incapable de raison ; à
l'inverse, force, profondeur, persévérance font de
l'homme un être « principalement créé
pour l'exercice de la pensée et de l'industrie. » (Virey,
art. 'homme').
Légère, versatile, superficielle, mobile, sa nature
interdit à la femme toute pensée ou raisonnement suivi.
On lui refuse le génie pour ces raisons, et la femme sera
« toujours au dessous de la perfection dans les sciences,
les lettres ou les arts. » (Virey). Inférieure par
la faiblesse de la physiologie de ses organes, la femme l'est donc
aussi par ses capacités intellectuelles, constamment obérées
par sa nature même : son esprit est lent, obscurci et inapte
aux études lorsqu'elle a ses règles, qu'elle est enceinte
ou qu'elle allaite. Ces états naturels et sains sont placés
sous le signe de la pathologie par le discours médical, et
cette représentation participe à la construction de
l'infériorisation intellectuelle des femmes. La femme ne
peut ainsi, comme l'homme, à la fois penser et procréer.
La grande fécondité de l'esprit chez les femmes produit
presque toujours la stérilité corporelle. Si l'homme
connaît le même type de déboires -un surcroît
de travail intellectuel lui fait en effet perdre son énergie
générative-, les conséquences sont bien plus
considérables sur la femme dont l'organisation est délicate
et tout entière destinée à la procréation.
« Toute la constitution morale du sexe féminin dérive
de la faiblesse innée de ses organes ; tout est subordonné
à ce principe par lequel la nature a voulu rendre la femme
inférieure à l'homme. » (Virey)
Fort, audacieux, puissant, l'homme, en revanche, a une pensée
vigoureuse qui lui permet de mener une méditation, d'inventer,
de créer, de raisonner logiquement.
« Le caractère masculin imprime donc l'énergie,
l'activité pour le corps, la raison pour l'entendement ;
le caractère féminin produit la grâce, la douceur
au physique, et l'esprit au moral. » (Virey). Les femmes font
les moeurs, les hommes font les lois. Les qualités intellectuelles
de la femme sont en effet la subtilité, la légèreté,
le délié, le délicat, l'exquise sensibilité,
le talent charmant de la conversation, le tact, le goût rapide.
Remarquons que les modèles de ces descriptions renvoient
à la bourgeoisie ou à l'aristocratie, population très
minoritaire en France où les femmes sont paysannes. Il s'agit
bien de la construction d'un modèle, d'une femme idéale.
Là encore les hommes et les femmes sont donnés dans
une apparente complémentarité harmonieuse. Si les
hommes sont sur le front du politique et du social, l'hommage rendu
à la femme est appuyé : elle fait les moeurs, elle
polit la société, elle adoucit les habitudes, «
la femme orne au moins de fleurs la triste carrière de la
vie des hommes. » Elle est indispensable. Peut-elle franchir
les frontières de sa nature ?
b. La Femme se rapproche des capacités intellectuelles
de l'homme quand elle se virilise, mais si elle se virilise, elle
n'est plus une femme.
Quand, en vieillissant, après la ménopause, elle
n'est plus vraiment une femme puisqu'elle ne peut plus être
mère, elle prend du poil et se rapproche des hommes. «
La mort du système sexuel semble reporter un surcroît
de force dans tout le reste de l'organisation (...) lorsque les
forces vitales cessent de conspirer vers l'utérus, elles
augmentent celles de l'esprit et du reste du corps. (..) Leur esprit
acquiert plus de netteté, d'étendue, de vivacité
(...) on donne moins au sentiment qu'à la réflexion,
la femme se rapproche davantage de la constitution masculine. »
(Virey) Pour les mêmes raisons, elle se rapproche des capacités
intellectuelles de l'homme quand elle est stérile. Sinon,
si elle sort de ce rôle que les hommes lui assignent, si elle
veut penser, écrire, parler, si elle veut être l'égale
de l'homme, elle devient repoussante et monstrueuse, car les qualités
de l'homme sont incompatibles avec sa nature. Une femme qui pense
et qui raisonne n'est pas une femme, les auteures sont ainsi traitées
de « bas bleu » ou pire encore.
IV. La Nature assigne aux hommes et aux femmes leurs rôles
respectifs dans l'espace de la Cité.
Tout ce dispositif argumentaire et discursif permet de justifier
l'inégalité entre hommes et femmes et l'assujettissement
de ces dernières au nom d'une Nature immuable.
1. Energie/ manque.
L'homme est le pôle unique d'énergie, de force et
de dynamisme ; la femme est un réceptacle passif.
a. L'homme est le chef de famille, l'époux qui tient
sous sa houlette sa femme et ses enfants.
La femme est comme un enfant,un être faible, on l'a vu,
qui a donc besoin de protection. Ainsi, femme et enfant sont proches
par la constitution corporelle : sensibilité, inconstance,
mobilité. Ils « s'aiment réciproquement davantage
par consonance de tempérament, qu'ils n'aiment l'homme auquel
ils ne se rallient qu'en tant qu'être faibles. Ils ont besoin
d'appui, de protection. » (Virey).Avantmême quelafemme
ne soit mère, il y a donc le groupe enfant/femme. Cela redouble
la nécessité d'une existence privée et familiale.
La femme est doublement du côté des enfants, par sa
constitution corporelle et par sa maternité. « La nature
lui a donné le besoin de maternité. » Au contraire,
l'homme « par toute la terre est plus robuste que la femme
(...) Cette différence de conformation est analogue aux fonctions
de chaque sexe ; l'homme est destiné par la nature au travail,
à l'emploi des forces physiques, à l'usage de la pensée,
à se servir de la raison et du génie pour soutenir
la famille dont il doit être le chef (...) »
b. L'homme donne la vie : il transmet une énergie
vitale « spermatique »
La surabondance est du côté de l'homme grâce
à sa production spermatique que la femme ne possède
bien sûr pas, mais que l'homme doit lui fournir car «
elle est semblable à l'individu privé de sperme, ou
telle que l'eunuque ou l'enfant » (Virey) et car « L'un
doit donner, l'autre est constitué pour recevoir le niveau
complet. »(Voir brochure, Virey) La femme a donc besoin de
l'homme d'une manière vitale, en quelques sortes, pour survivre.
D'une certaine façon, elle est reproductrice mais c'est l'homme
qui donne la vie grâce au sperme. Essentiel pour l'enfant
et la femme, le sperme l'est aussi pour l'homme puisqu'il est le
moteur de son dynamisme. C'est donc « le sperme et l'ardeur,
l'énergie qu'il imprime à tout le corps viril qui
fortifie les muscles, tend le système nerveux, grossit la
voix, fait sortir les poils et la barbe, (...) inspire le courage,
les hautes pensées, rend le caractère franc, simple,
magnanime. » Le sexe de l'homme est donc identifié
à la production de sperme ; créateur de vie et d'énergie.
Et il y a, me semble-t-il, une métaphore de l'extériorité
qui est marquée par un redoublement : les organes génitaux
sont externes et le sperme est émis, éjaculé.
L'homme se construit ainsi lui même, de lui même à
lui même, le sperme en fait un homme (tend le système
nerveux...) tourné, poussé vers l'extérieur,
vers le culturel, le social et le politique. Le sperme n'est pas
nommé, désigné comme permettant la procréation
(en équivalence de l'ovulation ou de la matrice) mais comme
un énergétique, un créateur de vie, un facteur
moteur du dynamisme, de la création et de la pensée.
A tel point que la femme mariée a quelque chose de plus viril,
de plus masculin, de plus assuré que la vierge timide et
les filles publiques deviennent plus homasses.
2. La construction d'une (apparente) complémentarité
entre hommes et femmes.
Tout le discours médical masque la domination et l'assujettissement
des femmes en montrant d'une part qu'il y a réciprocité
dans la domination, et d'autre part que les femmes consentent à
leur état et que, bien plus, elles l'aiment.
« La femme aime à donner et à recevoir un doux
esclavage »
Il ne peut être question de domination puisque le discours
médical montre au contraire qu'il y a réciprocité
des rapports de force. Affirmation d'autant plus crédible,
que ce « doux esclavage » est finalement plein de charme
comme le signifie l'alliance d'un mot fort (esclavage) et d'un adjectif
qualificatif qui en transforme le sens en le renvoyant à
la féminité (douceur) et à l'amour. Pour Virey
en effet, la femme règne grâce à sa douceur
: « voilà sa puissance », grâce à
ses charmes : « voilà sa gloire » Son domaine
est celui de l'amour. Elle met ainsi en doux esclavage les hommes.
Certes, c'est un combat du fort et du faible mais « où
le premier commande et triomphe, le second succombe et supplie ;
mais telle est la compensation de ces rapports, que le plus faible
règne en effet sur le plus fort. » (Relisez encore
une fois ...) Analysons le raisonnement exemplaire de Virey, l'homme
« vend sa protection au prix de la volupté »,
la femme « emprunte la puissance du fort en s'y abandonnant.
» L'homme vend », ce qui implique normalement un échange,
une réciprocité, or il vend sa protection contre son
plaisir sexuel, sa jouissance. Il reste maître du jeu, il
maîtrise l'ensemble du marché. En revanche, la femme
« emprunte », ce qui veut implique qu'elle doit rendre.
Et qu'emprunte-t-elle ? La force de l'homme à laquelle elle
succombe (s'abandonner = se livrer.) Que lui reste-t-il quand la
force de l'homme lui est reprise dès l'acte sexuel consommé
? La force énergétique, spermatique que lui donne
l'homme. « La puissance de la femme naît donc de sa
faiblesse même, du défaut de sperme ou du feu vital
; elle cherche la force qui lui manque ... » C'est pourquoi
les femmes aiment les hommes forts, les mâles les plus robustes
», elles ont besoin de cette force mâle pour vivre.
Par ailleurs, la femme est faite pour répondre à ces
besoins virils, si elle est « vive et changeante » (Cabanis),
c'est que cette sensibilité est « nécessaire
à la perfection de l'objet qu'elle doit remplir » car
elle doit séduire l'homme, « se plier à ses
goûts, céder sans contrainte même aux caprices
du moment. ».
« Voilà le véritable rapport naturel des sexes
entre eux. » Il y aurait donc bien réciprocité,
échange, complémentarité. Chacun, homme et
femme, y trouverait son compte. La dialectique puissance/faiblesse,
fort/ faible est donc essentielle à la construction de la
complémentarité des rôles. La faiblesse de la
femme oblige l'homme à se montrer viril et protecteur, donc
à être lui même, selon sa nature. La femme qui
n'est que manque, est doublement dépendante : elle a besoin
à la fois de la protection et de la force vitale (spermatique)
de l'homme. Enfin, les médecins affirment que non seulement
la femme consent à son état mais, bien plus, l'aime
car « de ce que l'homme par toute la terre, est plus robuste
que la femme, il ne s'ensuit pas que la nature ait accordé
exclusivement l'empire au plus fort sur le plus faible, la violence
ne fait qu'une esclave, c'est le consentement qui donne une compagne.
» (Virey, Femme, Panckoucke) Comment pourraient-elles ne pas
aimer ce pour quoi la Nature les a faites ? Dociles et douces, elles
aiment les petits détails de la vie quotidienne et sont douées
pour les soins du ménage. « Sa sensibilité vive
et douce ... lui rend agréables les soins, les détails
du ménage. »(Cabanis)
b. « Quand céder n'est pas consentir. »
(Titre d'un article de Nicole Claude Mathieu dans L'arraisonnement
des femmes, essai en anthropologie des sexes, Paris, EHESS, 1985.
Je ferai quelques remarques sur le prétendu consentement
des femmes à la domination masculine.
- Une violence symbolique :
Pour qu'il y ait consentement, il faut qu'il y ait libre acceptation
sur un accord explicite. Or les femmes du XIXème n'ont pas,
ou quasiment pas, d'alternative possible, elles sont obligées
de choisir l'espace privé qui leur est dévolu. Si
elles refusent, elles sont mises au ban de la société.
Rares sont celles, par ailleurs, qui peuvent critiquer la «
pensée dominante », n'étant pas éduquées
et n'ayant à leur disposition que les concepts des hommes
qui justement les dominent. Les femmes n'ont ainsi accès
qu'à des fragments de possibilités de refus, fragments
déstructurés, souvent incohérents donc inefficaces.
Par ailleurs, les femmes sont probablement désorientées
par les contradictions de leur éducation et en particulier
de la morale qu'on leur apprend et de la réalité de
leur vie. En témoignent leurs connaissances sur la sexualité
: on ne leur apprend que la nécessité de repousser
et de refouler toute sexualité, or elles doivent s'y plier
pour procréer au moment du mariage. Et même si elles
ne sont pas frigides, elles se sentiront coupables d'avoir du plaisir
(Eve/ le Diable/ Sexualité débridée/ les maisons
closes). Les hommes au contraire disposent d'un champ de conscience
bien structuré, bien cohérent même s'ils ne
sont que peu éduqués pour les plus pauvres. Comme
eux d'ailleurs, mais à l'inverse, les femmes incorporent
dès leur plus jeune âge les modèles et les normes
auxquels elles doivent adhérer, leur personnalité
se structurent autour de référents masculins qu'elles
reproduisent ensuite à travers leurs fils et leurs filles.
Bien souvent, faute de pouvoir penser leur assujettissement, elles
le scotomisent (mise à l'écart d'un partie de la réalité
méconnue) et peuvent se fabriquer des illusions. En échange
de quoi, elles ont bien sûr toutes sortes de gratifications
morales et religieuses.
- Enfin, de lourdes contraintes physiques et matérielles
pèsent sur la majorité des femmes :
surfatigue liée à la tenue de la maison (repas, linge,
et toutes ces tâches sont à cette époque longues,
difficiles et fatigantes- enfants ...) et au travail extérieur
agricole, artisanal ou ouvrier. Ces femmes n'ont aucun loisir (même
à la veillée, on s'active). Cela conduit à
un accaparement continu du corps et de l'esprit (pour penser, il
faut « une chambre à soi » écrivait Virginia
Woolf). D'autre part, leur reconstitution physique et énergétique
est moindre que celle des hommes, elles mangent moins, dorment moins
(enfants). Enfin, elles sont bien souvent battues, il est normal
au XIXème pour un homme de battre sa femme et ses enfants.
In fine :
3. Le discours médical permet au pouvoir politique
de valider l'inégalité sociale et politique entre
les hommes et les femmes.
Le dispositif argumentaire du discours médical est alors
verrouillé, médecins et hommes politiques peuvent,
de concert, en déduire la place nécessaire de la femme
mineure dans la famille, protégée par son père
ou son mari, veillant sur ses enfants loin de l'agora, de la guerre
et des lycées dont la loi et les institutions les ont exclues
PARCE QUE LA NATURE assigne à chacun sa place et sa fonction
dans la société. La femme est « incapable de
supporter les fatigues, d'affronter les hasards, de résister
au choc tumultueux des grandes assemblées d'hommes, elle
leur a laissé ces forts travaux, ces dangers qu'ils avaient
choisis de préférence (...) En un mot la femme a dû
laisser aux hommes les soins extérieurs et les emplois politiques
ou civils : elle s'est réservée les soins intérieurs
de la famille et ce doux empire domestique par lequel elle devient
respectable et touchante. »(Cabanis) Au contraire, il faut
que l'homme « soit fort, audacieux, entreprenant (...), telle
est la loi de la nature (...) pour affronter les hasards, résister
aux chocs tumultueux des grandes assemblées d'hommes »
(Cabanis), pour assumer la dureté de la vie publique et de
ses tâches politiques.
Or, cette construction de la différence est fondatrice
de notre mode de penser le politique et de notre démocratie
représentative », elle fait de la femme un Autre dans
le genre humain et cette altérité permet de penser
l'homme comme l'individu abstrait, comme l'unique référent
masculin de l'universel. « La représentation des femmes
en catégorie à part a pour but de rendre la femme
présente comme Autre afin d'offrir à chacun la possibilité
de s'identifier au même. » L'individu abstrait comme
l'universalité peuvent être ainsi dorénavant
connus au masculin. En revanche, les femmes ne sont pas pensées
en tant qu'individu, ni comme sujet de droit mais comme des mineures
au sein de la famille liées à leur époux ou
père dont elles dépendent et qui les représentent.
« La situation des femmes, maintenues dans l'incapacité
d'accéder à la liberté, garantit donc aux hommes
libres un potentiel de pouvoir de représentation. »
(Virey) La science médicale est ainsi la caution du nouveau
statut des femmes que les libéraux, républicains ou
monarchistes, ont eu après la Révolution française.
Travail délicat, responsabilité exigeante dans un
contexte scientifique, social et politique toujours changeant, les
médecins doivent tenir ensemble les découvertes, ou
les nouvelles approches scientifiques, et leur possible accord avec
un ordre social dont ils sont pour la plupart les garants. Ce sera
aussi ma conclusion.
Bibliographie
Les deux grands dictionnaires de médecine du XIXème
siècle :
-Dictionnaire des sciences médicales (67 volumes) édité
par Panckoucke de 1812 à1822,
-Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales
(100 volumes) édité par A.Dechambre, de 1864 à1889.
Mais aussi le Dictionnaire médical de Littré (les
éditions après 1878). le Grand dictionnaire universel
édité sous la direction de P.Larousse (1864-1876),
la Grande Encyclopédie sous la direction de Berthelot, des
traités de médecine légale, des traités
d'hygiène publique, enfin des ouvrages de médecins,
essentiellement des ouvrages de vulgarisation destinés au
grand public ou destinés aux étudiants en médecine.
Il n'y a pas encore d'ouvrage de référence écrit
sur ce thème mais des articles :
G. Fraisse, « L'homme générique et le sexe
reproducteur » dans Les femmes et leur histoire, Paris, Folio,
1998, pp.200-222. G. Fraisse est une philosophe.
Delphine Gardey et Ilana Léwy (sous la dir.), L'invention
du naturel, les sciences et la fabrication du féminin et
du masculin, Paris, Ed. des Archives contemporaines, 2000. Il s'agit
d'un recueil d'articles qui ne recouvre pas la problématique
du cours
Y. Kniebiehler et C. Fouquet, La femme et les médecins,
Paris, Hachette, 1983.
Y. Kniebiehler, « Le discours médical sur la femme,
constante et rupture » dans Romantisme, n°113-14, 1976,
pp.41-56 et « La nature dans le Code civil » dans Annales,
ESC, n\'b04, juillet-août 1974, pp.824-845.
Th. Laqueur, Making sex, body and gender from the Greeks to Freud,
(1990) traduit en français, La fabrication du sexe, Paris,
Gallimard, 1993
Auteur Nicole Edelman
|