"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2015

Moteur de recherche
interne avec Google

Le MYTHE DE LA DIALECTIQUE REVOLUTIONNAIRE
Anne Vernet



A propos de la "théorie de la révolution" selon Marx et Engels:
Le concept dialectique (Hegel) est un formidable outil créateur pour conduire à la fois la réflexion et l'argumentation, le débat, et l'action.
Il fonctionne par 3 “lois” simultanées (je schématise):
1. unité dans la lutte des contraires,
2. retournement du quantitatif qui produit un retournement du qualitatif,
3. renversement du négatif en positif ("négation de la négation")

Il a été instrumentalisé par Marx et Engels en concept politique de la “théorie de la révolution” (repris par les stals en modèle de la "praxis" orthodoxe - et même en modèle esthétique).
Les 3 lois (logiques) sont devenues 3 "stades” temporels / historiques:
T1. "unité" dans la lutte => lutte des classes (cette lutte constituerait donc "l'unité" même du monde social pré-révolutionné)
T2. retournement quantitatif => retournement qualitatif => Révolution: le rapport de force basculant (renversement quantitatif) entraine un retournement des "valeurs" sur lesquelles se construit l'organisation sociale (collectivisation, redistribution, etc.).
T3. renversement du négatif en positif => la Révolution accouche d'un Age d'Or.

Le 2ème point n'a été réalisé que par violence extrême, le 3ème a été celui de l'échec intégral (ghettoïsation, capitalisme d'état, dictature, répression, pourrissement).
Quant au 1er, il reste une hypothèse.
L'application du concept dialectique au monde vivant des hommes en lutte pour réaliser la révolution a donc échoué. On peut alors se poser quelques questions et poser 3 hypothèses:
1° l'application en a été mauvaise (problème du "communisme autoritaire");
2° les circonstances et la réalité sociale ont évolué et que la forme du concept est dépassée;
3° la transposition arbitraire du concept, déformé et morcelé dans le temps, est en soi invalide;

Ce que j'en verrais pour ma part c'est:

1° => l'application aurait été mauvaise parce que forcée, ou précipitée, imposée autoritairement par des "décideurs" au détriment de la progression organique collective du processus;

2° => le contexte actuel (français, ie) n'est plus celui de 1850.
Au hasard, un exemple: 1974 (6 ans après 68), élection de VGE sur le slogan: "tous les français propriétaires" => cela voulait la mort du prolétariat en tant que classe, en pariant sur la croissance et cela a plus ou moins marché jusque vers 1990, où l'exploitation des travailleurs issus de l'immigration, et la précarisation, ont reconstitué cette classe en la réduisant au système salarial "sauvage" comme seul moyen de survie économique. Cela a produit quelque chose de très vicieux (complètement négligé par les marxistes d'alors).
Si ces conditions recommencent à être réunies depuis 1990, cela ne ramène pas la situation à 1917: une partie de la classe prolétaire a vécu la propriété privée et n'admet pas de perdre ce "droit" (fondamentalement réactionnaire) => lepénisation de cette classe. Cette manipulation, induite par la bourgeoisie libérale il y a 35 ans, a provoqué l'émergence d'une composante néo- fasciste que le marxisme ne pouvait entrevoir et que la problématique révolutionnaire doit prendre en compte: l'opposition n'est peut-être plus seulement binaire mais triangulaire (le néofascisme sert le capital mais dans une relative autonomie: lequel contrôle l'autre? Jusqu'où? Comment? réduire l'un à l'autre n'est pas peut-être la meilleure manière d'identifier l'ennemi). Là, le seul exemple historique qu'on ait, c'est le nazisme: et cela n'a pas accouché d'une révolution (tentative de réaliser un progrès), mais d'une guerre mondiale - et de la “Résistance” (et résister n'est pas progresser mais défendre l'état des choses). La différence, là aussi, est que ce qui forme aujourd'hui cette classe fasciste, contrairement à l'Allemagne de 1933 n'est pas le désespoir et la misère, contrairement à ce qu'on veut faire croire (parce qu'en plus faudrait les comprendre et les plaindre?), mais la frustration d'un égoïsme crapoteux et les séquelles de la soumission idéologique: immaturité politique et avidité de pouvoir.
Autre exemple: le niveau de l'éducation, durant le XXe siècle (en Europe) et jusqu'aux années 90, ne permet pas non plus de référer sans nuance aux "masses ignorantes et inéduquées" telles qu'elles se présentaient à la fin du XIX: là aussi, cette évolution (issue des luttes sociales) a elle-même contribué à l'échec de la formule (mais nourrit la soc'dem libérale de "gauche").

cf 3° => La dialectique marxiste révolutionnaire échouera encore parce qu'il s'agit de l'instrumentalisation d'une figure logique abstraite afin de contrôler la pratique concrète et collective: découpant arbitrairement le temps en phases, érigé en dogme comme une nouvelle trinité ne supportant pas le blasphème, ce concept produit des résultats catastrophiques. Il faut alors élaborer autre chose (qui ne résulte pas de l'application ex nihilo d'une abstraction logique au champ social-historique), qui reste criticable en permanence dans ses variations concrètes mais survive, au niveau des principes, à l'évolution sociale et à la stratégie pratique.
Ou alors l'anarchisme se condamne à la pragmatique avec "la dialectique révolutionnaire" comme parapluie troué au-dessus de sa tête.
Ce qui veut dire, sinon rompre, du moins mettre une véritable distance avec cette référence. Il faut s'interroger sur l'aspect de "parole révélée" du concept marxiste de dialectique révolutionnaire dans la plupart des théories de la révolution et sa sacralisation comme vérité intouchable, ce qui a coupé le marxisme de la réalité vécue de l'histoire, et sans qu'il ait réalisé son objectif. Et il faut par ailleurs réexaminer franchement, en regard de l'évolution mondiale actuelle, son utilité même.
En quoi peut-il répondre à l'attente et à la réalité de l'anarcho-syndicalisme-révolutionnaire? Puisque, par la perversion du "découpage" temporel qu'il instaure (le contrôle par l'élite des trois phases de la dialectique révolutionnaire avec pour horizon la fin de l'Histoire), il met l'autonomie en contradiction avec elle-même: or, si pour Hegel la dialectique était le dynamisme logique de l'autonomie, le grand souci d'Engels, en revanche, était de liquider celle-ci.

Anne Vernet
- 13.06.02 -

Ce texte est issu de débats sur la théorie révolutionnaire qui ont eu lieu au sein du mouvement libertaire dont la CNT / EDUC / FAU de Paris