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Devenir un anarchiste personnel

Origine : http://endehors.org/news/7500.shtml


Lu sur Ecology of Mind :
Le terme « anarchie » est généralement utilisé dans le contexte politique, faisant référence à une philosophie qui prône l’abolition de tout gouvernement établi. Ce mot évoque généralement des images d’attentats, de violence, de désordre et de chaos. L’étymologie du mot, cependant, révèle une image plus inoffensive. Ce mot signifie littéralement « sans dirigeant », et une analyse plus profonde du terme montre que la racine « archos », à partir de laquelle « dirigeant » à évoluée, signifiait originellement « premier ». Cette forme initiale a évolué (« archétype ») pour devenir le « modèle », le « patron ». Ainsi, plus fondamentalement, « anarchie » référerait plutôt à un système qui fonctionne sans dépendre de règles établies ou encore de modèles.

Le Principe Anarchiste

L’essence de la philosophie anarchiste (Read, 1971) est le rôle qu’elle donne à la liberté et à l’égalité, qu’elle considère comme des facteurs nécessaires et favorables au progrès humain. Ce dernier se mesure alors par le degré de différentiation et d’articulation jusqu’auquel peuvent parvenir les individus au sein d’une société donnée. On peut retrouver cette définition du progrès dans la proposition de Kelly (1979a) selon laquelle l’évolution humaine va s’accélérant et que les humains y prennent directement part en élaborant continuellement des systèmes constructionnistes dans le but de comprendre l’univers. Pour Read (1971) un tel processus d’élaboration et de différentiation peut permettre à la personne de développer « une appréhension plus large et plus profonde du sens et de la portée de l’existence humaine » (p.37), et de devenir un producteur alors acteur du progrès humain. Selon cette perspective, le groupe social fonctionne comme un moyen, une aide opportune qui peut fournir la base à partir de laquelle l’évolution peut avoir lieu. Le progrès ne survient, cependant, qu’à partir de la scission et de la différentiation d’avec le groupe.

Comme la conscience personnelle s’élabore à partir de la relation établie entre l’individu et le groupe, un sens de la réciprocité et de la compassion se développe, fondé sur la tendance naturelle de l’humain à chercher à découvrir les lois de la nature et à vivre en harmonie avec celles-ci. « La loi la plus générale dans la nature est l’équité – le principe d’équilibre et de symétrie qui guide la croissance des différents composés vers une plus grande efficacité structurelle (Read, 1971, p.41). » Le propos de la philosophie anarchiste est que si l’on suit le principe d’équité, et que nos élaborations correspondent de plus en plus étroitement aux évènements, la conduite de la société humaine sera naturellement « morale » et co-opérative. A l’inverse, un comportement qui ne correspond pas à la nature profonde des évènements conduit à des conflits et à des attitudes « immorales » des uns envers les autres, telle l’hostilité (Kelly, 1971b). Ce sens naturel de la conduite juste à adopter est alors biaisé dès lors que l’on en tire des lois morales, ensuite institutionnalisées en organisations politiques, légales et religieuses. Les « instincts » naturels sont dénaturés en devenant des objets définis de manière rigide et au final inhibés par le poids de la structure :

La vie organique du groupe, une vie autorégulée comme l’est la vie de toute entité organique, est déformée pour s’ajuster au cadre rigide d’un code. Elle cesse d’être vie au sens propre du terme, et son fonctionnement ne devient plus que convention, conformité et discipline (Read, 1971, p.40).

La tendance de l’État à établir un système de lois statutaires pour lesquelles il n’y a plus aucune perspective d’observer le principe fondamental d’équité, qui introduirait plus de souplesse et de flexibilité. Dans un régime anarchiste, le principe d’équité prévaudrait sur les lois statutaires.

Sarason (1976) a résumé les principes centraux de l’anarchisme :

1. L’État centralisé (et son appareil gouvernemental) de par sa nature propre et sa dynamique propre devient une force étrangère aux intérêts du peuple, et plus fort deviendra l’État, d’autant sera asservi le peuple, en ce sens qu’il sera sommé, et forcé, de faire ce qu’il n’aura pas désiré. En d’autres termes, il y a une dilution du sens individuel de l’autonomie. La rhétorique de l’État est une chose ; ce qu’il fait réellement en est une autre.
2. Plus puissant deviendra l’État, et plus il sera perçu par le peuple comme la seule source des initiatives envisageables et de l’aide que l’on peut recevoir. Et le sens psychologique de la communauté sera dilué d’autant. Cela revient à dire que plus la vie du peuple est une conséquence de décisions prises dans « Le Château », et plus il est privé de ces liens communautaires et de la responsabilité qui permettent au sens de l’enracinement [dans une communauté] de se construire (p.251)

Une conséquence majeure des principes anarchistes est que toute règle élaborée pour servir les besoins humains doit être par nature adaptée aux circonstances et ne doit jamais pouvoir « s’institutionnaliser ». Or l’on peut observer que cette idée a été particulièrement adoptée parmi les psychologistes de la Psychologie des Constructs Personnels (PCP) [1] qui ont résisté à la formation d’une organisation formelle de la PCP, suggérant que cela aurait mené à l’émergence de caractéristiques institutionnelles qui auraient été un obstacle à l’évolution naturelle de la théorie. De la même manière, une fois qu’une institution c’est développée, elle doit être abandonnée ou « détruite » pour permettre aux choses de rester dans leur état le plus naturel possible, afin qu’à nouveau elles puissent s’affirmer d’elles-mêmes.

Bien que le concept d’anarchie n’ait été la plupart du temps qu’évoqué dans un cadre politique, on peut étendre plus largement cette idée fondamentale que le progrès humain est ralenti par l’attachement à des lois ou à des règles pour l’appliquer dans différents autres contextes, tels la science ou la psychologie communautaire.

Science et Anarchie

Plusieurs philosophes et historiens des sciences ont critiqué le fait qu’on donne trop d’importance en science en l’adhésion à des règles strictes qui permettraient de décider si on doit accepter une connaissance scientifique comme valide ou non. Kuhn (1970) a cherché à décrire la nature des évolutions dans les disciplines scientifiques et a proposé le concept de « paradigme », qui est en quelque sorte une représentation de la vision globale du monde qui caractérise une discipline scientifique. Entre autres choses, le paradigme intègre les règles selon lesquelles la science doit être menée, des exemples de problèmes « appropriés » et une méthodologie. Polanyi (1958), cependant, en présentant ce qu’il appelait une théorie « post-critique » de la connaissance, a déclaré qu’il n’y avait aucun moyen de spécifier des règles a priori par lesquelles on pourrait accéder à la découverte d’une connaissance nouvelle. Selon l’analyse du progrès scientifique par Polanyi, la découverte scientifique naît de la prise de conscience personnelle du scientifique, qui saisie comment sont reliés de manière cohérente des évènements qui jusque-là étaient perçus comme sans rapport les uns avec les autres. C’est la croyance, que le scientifique maintient profondément au fond de lui, d’observer une entité jusqu’alors inconnue mais potentiellement réelle qui conduit à la découverte scientifique, et il n’y a aucun moyen d’anticiper la survenue de la preuve qui éventuellement justifiera et permettra de soutenir l’idée nouvelle.

Feyerabend (1978) a avancé l’hypothèse que la pratique scientifique qui consistait à lier règles méthodologiques et preuves entravait souvent le progrès scientifique et qu’en fait cela ne reflétait pas la manière dont ce progrès avait eu lieu tout au long de l’histoire. Cet auteur a mené une recherche historique qui n’a pas permis de confirmer l’idée que la science avance selon « …une méthode qui comprend des principes fermes, immuables et absolument incontournables (p.23) ». Chaque règle de ce genre qui a été proposée jusqu’ici a été systématiquement transgressée à un moment ou à un autre, et même il y a des situations dans lesquelles ces infractions méthodologiques ont conduit à un accroissement de la connaissance. Feyerabend a proposé une philosophie de la connaissance, appelée « anarchie épistémologique », qui affirme que puisqu’il est impossible de déterminer quelque règle que ce soit qui pourrait guider la conduite scientifique, « la seule règle qui n’inhibe pas le progrès est que tout est permis (p.23) ».

La tendance à suivre des règles dans la recherche scientifique a été un problème particulièrement important dans le cas de la psychologie. Kelly (1970) a éloquemment critiqué le soucis d’elle-même dont a toujours fait preuve la psychologie, c'est-à-dire sa préoccupation à propos de sa respectabilité scientifique et l’insistance avec laquelle elle cherchait à apparaître scientifiquement rigoureuse. Il a émis l’idée que les psychologues seraient bien plus efficaces s’ils abandonnaient leurs tentatives de suivre des règles de méthodologie fixées a priori, imitant les procédures employées dans les sciences physiques, et usant de toute méthode qu’ils pourraient inventer pour poursuivre leurs recherches en psychologie. Pour lui, si les psychologues parvenaient finalement ne serait-ce qu’à la moindre avancée dans cette perspective, la communauté scientifique seraient bien plus prompte à accepter leurs résultats.

Bakan (1973), dans une critique assez complète de la méthodologie en psychologie, a développé ce thème plus largement. Il a comparé la relation entre la « vrai science » et la recherche en psychologie à celle existant entre les « vrais cow-boys » et des enfants jouant à être des cow-boys. En mobilisant tous leurs efforts pour respecter règles particulières et modèles de méthodologie scientifique, les psychologistes ont imité le comportement des scientifiques en négligeant le plus important qui est au fond ce que font les vrais scientifiques : se confronter directement à leur sujet d’étude avec créativité. Bakan a décrit l’approche de la recherche en psychologie comme étant de la « méthodolâtrie », une pratique qui tient de l’idolâtrie dans la religion. Pour Bakan, l’idolâtrie survient lorsqu’une règle particulière élaborée au cours de la quête de l’humanité pour une compréhension plus profonde de l’univers en vient à être considérée comme une fin en elle-même. C’est cette idolâtrie que du point de vue anarchiste on cherche à abolir en refusant de vouer un culte à quelque règle que ce soit.

Psychologie Communautaire et Anarchie

Entre êtres humains, il existe une assistance mutuelle et des services rendus qui peuvent aussi s’« institutionnaliser », et ce d’une manière qui peut affaiblir leur capacité à conduire le progrès humain. Sarason (1974) a proposé ce qu’il appelle le « sens psychologique de la communauté » entendant par là le caractère fondamental de la capacité qu’a la société d’entretenir et de développer l’individu, contribuant ainsi à la poursuite de l’évolution de l’humanité. Par ce concept, Sarason se rapporte à l’idée selon laquelle chacun fait partie d’un réseau omniprésent, dont les éléments se soutiennent les uns les autres, et constitué par les relations dont chacun dépend, du moment que la personne n’a ressentie de manière prolongée aucun sentiment d’isolement, qui alors amènerait à des actes ou à un style de vie qui lui permettent de cacher son anxiété et préparerait le terrain pour des angoisses à venir bien plus destructrices (p.1).

Dans cette perspective, n’importe quel type d’aide ou service n’est valide que s’il améliore ce sens de la communauté entre ses membres. La tâche de la psychologie communautaire est de travailler afin de faciliter l’accès à ce sens communautaire, à travers le respect des différences individuelles et en rendant aisé et équitable l’accès aux différentes ressources humaines (Rappaport, 1977). Adopter la perspective de la psychologie communautaire peut conduire à une altération radicale des institutions de service et d’assistance existantes.

Sarason (1974) donne un exemple de la manière dont l’institutionnalisation des services a pu interférer avec la mise en place de services qui étaient vraiment nécessaires, et a affaibli le sens psychologique de la communauté parmi les personnes qui y étaient impliquées. Dans le Connecticut, fut lancée la construction, avec l’aide de l’État, d’un centre scolaire régional pour retardés mentaux. Cependant, tandis que les fonds étaient en cours d’accréditation, et que la construction des équipements avait débuté, il a fallu mettre« temporairement » en place un système qui permettrait de pallier aux besoins des patients inscrits sur la liste d’attente d’urgence. Un groupe de travail a été mis sur pied afin d’élaborer une solution à ce problème, et très rapidement ce groupe, en mobilisant les ressources locales, a pu inventer diverses solutions pour dispenser les services attendus dans les communautés où vivaient les individus à prendre en charge. Au cours du processus, le groupe de travail a découvert qu’il n’y avait vraiment nul besoin d’un centre régional. De plus, la réalisation de ce centre aurait été préjudiciable vis-à-vis des besoins des usagers et de la communauté dans son ensemble, puisque cela aurait pour résultat le retrait des personnes attardées de leur communautés locales, conduisant à la perte d’un bénéfique sens psychologique de la communauté à la fois pour les personnes attardées et les membres de la communauté qui leur étaient venu en aide lors du programme « temporaire ». Lorsque le groupe de travail s’est rendu compte de la supériorité de ce programme alternatif de traitement communautaire, le centre était déjà devenu une « institution », et il est apparu clairement que les besoins de la communauté passeraient en second par rapport au fonctionnement structurel de l’institution. Ainsi, le centre devint une réalité bien que ce fût contre les besoins de la communauté qu’il était supposé servir.

L’Anarchie Personnelle

La discussion précédente a rapidement effleuré les différentes manières dont le construct « anarchie » peut être appliqué dans les champs politiques, scientifiques, et communautaires, mais le but premier de cette discussion était de préparer le terrain pour esquisser une métaphore du social sur le personnel. L’utilisation d’une métaphore comme moyen pour appréhender des points de vue différents sur la condition humaine a une longue histoire dans la Psychologie des Constructs Personnels (PCP) (Mair, 1977b). Les métaphores fournissent un véhicule à travers lequel des phénomènes inconnus ou encore seulement partiellement connus peuvent être propositionnellement construits à l’aide de constructs qui ont déjà un sens et une utilité.

« Science » et « Communauté » sont des thèmes qui ont déjà été utilisés par des psychologistes PCP pour esquisser des connections métaphoriques avec l’individu. Kelly (1955) a utilisé la métaphore du « scientifique personnel », avançant l’idée que l’on peut avantageusement comprendre le comportement des gens en général si l’on admettait qu’ils se comportaient de manière comparable à celle de scientifiques. Il s’agit là du point de départ de la Psychologie des Constructs Personnels. Mair (1977a) a proposé la métaphore de « la communauté du Soi », métaphore dans laquelle l’ensemble des différentes facettes d’un individu peut être vue comme représentant une « communauté ». De manière analogue, la métaphore de « l’anarchiste personnel » propose que « l’institutionnalisation » de nos constructs personnels pourraient aller jusqu’à entraver, plutôt que contribuer à son amélioration, notre capacité à discriminer et à élaborer notre champ perceptif. Dépendre de constructs personnels tels que des « règles » ou des « codes » peut conduire à des difficultés personnelles, des distorsions et des rigidités analogues à celles discutées dans les cadres politiques, scientifiques et communautaires.

Le développement du « Soi »

Le processus par lequel les constructs peuvent devenir une institution est profondément ancré dans leur genèse, et dans le sens de soi qui se développe avec le processus de construction. Le but initial du processus de construction est de servir le désir qu’a la personne de rendre le monde plus compréhensible et de pouvoir anticiper efficacement les évènements. En proposant la PCP, Kelly (1955) a souligné que le processus de construction était un processus pratique dont l’existence s’inscrivait dans un but très appliqué. C’est pour vivre dans un monde réel d’évènements réels que ce processus est mis en œuvre, et, afin que les constructs élaborés demeurent parmi les plus efficaces tout au long de la vie, ceux-ci doivent continuellement évoluer pour correspondre au plus près aux évènements. L’hypothèse philosophique et épistémologique adoptée par Kelly occupe une place centrale dans ce processus dynamique : l’alternativisme constructif, qui met l’accent sur le fait que les idées ne doivent jamais être « institutionnalisées » mais toujours ouvertes à la révision, voire, au remplacement pure et simple, c'est-à-dire que les idées doivent pouvoir être facilement abandonnées pour ouvrir la voie à une nouvelle vision du monde. Cette nature provisoire et circonstanciée (au sens de correctement adaptés) des constructs est clairement à mettre en parallèle avec la conception anarchiste, qui lui est similaire. En outre, l’hypothèse de Kelly d’un univers dynamique, toujours changeant, permet de mieux justifier l’exigence qui pose qu’une élaboration/construction efficace est une élaboration qui doit être flexible, et toujours ouverte au changement.

Un aspect de l’élaboration personnelle d’un construct qui a eu des avantages pratiques positifs est la construction d’un Soi. Afin de pouvoir anticiper les évènements qui vont avoir lieu dans le futur, la personne doit avoir la possibilité d’imaginer ce futur et un rôle personnel dans celui-ci. Ceci requiert un concept, ou construct, du Soi qui expérimentera ce futur. Kelly (1955) décrivait le Soi comme la structure noyau, un ensemble de constructs qui existe dans le but d’anticiper les processus de maintenance personnelle. Il y a deux éléments centraux dans cette conception du Soi. L’un est la notion que le Soi est une partie des processus personnels mais ne représente pas leur totalité. L’autre, que le Soi requiert de la conscience personnelle ; avoir un construct « Soi » est être conscient du Soi en tant que sujet de l’expérience. Dit d’une autre manière, sans le concept de Soi, il n’y a pas de conscience au sens où le terme est habituellement compris.

Il y a un accord général concernant les processus sous-tendant le développement de la conscience de soi. Jaynes (1976) a proposé que la conscience du Soi, en tant qu’agent conscient qui a la responsabilité de faire des choix et de guider les actions en fonction de l’avenir, est apparue plutôt récemment dans l’évolution humaine, peut-être guère plus qu’il y a trois mille ans. Un des points centraux de la théorie de Jaynes sur l’origine de la conscience est qu’elle s’est développée subséquemment à l’usage du langage. Il a avancé un argument convaincant qui démontre que les êtres humains auraient pu exister avec un langage, une pensée, une raison et la capacité d’apprendre, mais sans aucun sens de la conscience de soi ou la conscience d’un «je » qui aurait été responsable des actions.

Wilber (1980 ; 1982), dans des revues de plusieurs théories du développement et de l’évolution, a suggéré également que le Soi est un artefact social qui évolue conjointement avec le langage. Lorsqu’un enfant développe la capacité à utiliser des symboles verbaux, particulièrement ceux qui se rapportent au Soi, l’identité personnelle passe d’un Soi-corps à un Soi-mental. Ce changement indique le début du stade de l’ego dans le développement, le moment où la personne parvient à s’identifier presque exclusivement à son ego mental socialement déterminé, avec les symboles verbaux appropriés, comme un rappel constant de l’identité.

Cette identité émergente en tant que Soi mental est très utile pour accroître la capacité à anticiper le futur, puisqu’elle crée le sens d’une entité fixée, permanente qui expérimentera les évènements futurs. Sans ce sens du Soi, les humains seraient à la merci de leur environnement immédiat, ils suivraient des modèles routiniers de comportement et seraient incapable de transcender leurs besoins immédiats de manière à effectuer des choix ou d’anticiper des évènements dans le futur éloigné. Le développement de cette conscience de soi, alors, a été une étape évolutive majeure dans l’accroissement de la capacité humaine de survivre efficacement dans une large gamme de circonstances environnementales.

Le Soi comme « Institution »

Ce sens de la conscience de soi, cependant, est une lame à double tranchant. Au-delà de son utilité, il y a des risques potentiels d’identification exclusive avec l’ego qui peut obstruer, plutôt qu’améliorer, la capacité à traiter un univers toujours changeant. Angyal (1982) a décrit la tendance du soi à s’efforcer à contrôler et diriger l’organisation de l’ensemble de la personnalité :

Le Soi conscient qui n’est qu’une partie seulement, c'est-à-dire la conscience ou la part symbolique du sujet biologique, tend à établir son propre gouvernement autonome. Ce que nous appelons « volonté » représente la détermination autonome, le Soi-gouvernant de cette conscience étroite ou Soi symbolique. Le Soi symbolique devient un État dans l’État. Ainsi un clivage s’opère dans l’organisation du sujet. Ce clivage est grandement accentué par le fait que le Soi symbolique tend à l’hégémonie, tend à s’emparer du gouvernement de la personnalité dans sa totalité, une tâche pour laquelle il n’est pas armé (p.35-6).

Jusqu’ici, la structure « Soi » a été décrite comme la part consciente, désignée verbalement, de la personne. Une grande part de cette structure, cependant, n’est pas accessible à l’expérience consciente. Kelly (1955) a décrit un grand nombre de manières par lesquelles peut avoir lieu « une construction cachée ». Plusieurs facettes « voilées » du Soi sont particulièrement pertinentes. Premièrement, il y a les constructs associés avec les expériences qui ont eut lieu avant le développement du langage et qui continuent à être utilisé en dépit d’un manque de mots-symboles en adéquation. Kelly les décrits comme des « constructs pré-verbaux ». Deuxièmement il y a les constructs qui se développent ouvertement à un moment de la vie d’une personne, mais qui sont incompatibles avec l’organisation actuelle du Soi. Ces constructs ont été « suspendus » (Kelly, 1955). Bien que la personne n’ait pas conscience de ces expériences, elles continuent à exercer une influence sur le comportement, et peuvent représenter des « règles » inconscientes qui sont suivies automatiquement. Une troisième forme de construction voilée ou cachée et ce que Wilber (1983) appelle « l’inconscient intégré », les « règles » qui gouvernent les opération de la structure noyau qui ne sont pas accessible à la conscience du Soi en raison de la pleine identification du Soi avec ces structures.

Le Soi ne peut percevoir ces structures parce que le Soi est ces structures… Aucune structure d’observation ne peut s’observer en train d’observer. Une personne utilise les structures de ce niveau comme quelque chose avec quoi percevoir et interpréter le monde – mais personne ne peut percevoir et traduire ces structures elles-mêmes (Wilber, 1983, p. 112).

Ainsi, à la fois dans les voies conscientes et inconscientes, le Soi, originellement au service de la personne, devient une « institution » qui a perdu son but initial et demeure un ensemble de règles ou de modèles qui sont suivis sans considérer s’ils sont correctement adaptés aux évènements avec lesquels la personne est confrontée. La tâche de l’anarchie personnelle est de détruire cette institution de telle manière que la personne puisse poursuivre le processus évolutif.

Fomenter une insurrection personnelle.

La philosophie anarchiste fait une distinction entre révolution et insurrection (Read, 1971). Le concept de révolution se réfère au remplacement d’une forme de structure gouvernementale par une autre et le terme trouve son origine étymologique dans le concept de « roulement » ou de « rotation ». En essence, la révolution peut être vue comme un processus circulaire par lequel une méthode ou une forme est remplacé par une autre par une sorte de mouvement giratoire. L’insurrection est une action contre toute forme de structure étatique, et son origine étymologique suggère un « rejet» de n’importe quel type. En discutant diverses méthodes par lesquelles la conscience humaine évolue vers des formes plus élevées, Wilber (1983) trace une distinction similaire entre les changements de forme au sein du même niveau de conscience (interprétation) et l’évolution vers un niveau plus élevé (transformation). Pour qu’une véritable transformation ait lieu, il faut qu’il y ait une « mort du Soi » au niveau immédiat, une insurrection personnelle dans laquelle toute forme de structure « Soi » à ce niveau d’organisation sont renversée afin d’être transcendée.

Avant qu’une structure « Soi » puisse être transcendée, cependant, un Soi organisé et en état de marche doit exister, tout comme il ne pourrait y avoir d’insurrection politique en l’absence d’une structure étatique pré-existante. La structure « Soi » peut être vue dans ce contexte comme une étape universelle dans l’évolution personnelle, qui se développe pour servir des buts utiles et nécessaires, mais peut éventuellement devenir une forme vide qui entrave le fonctionnement évolutif. Cette étape ou ce niveau d’évolution ne peut être évité et donc les approches de l’insurrection personnelles doivent suivre, plutôt que précéder, le développement d’une organisation du soi efficace et qui fonctionne.

Etant donnée l’existence d’une structure « Soi » fonctionnelle, le concept d’insurrection personnelle peut être appliqué à l’affaiblissement ou à la dissolution d’une identification exclusive avec la structure « Soi » symbolisée et consciente, et de ses composants cachés, « inconscient ». Dans un sens, l’insurrection personnelle est une application personnelle de l’alternativisme constructif, en ce qu’elle représente une approche consciente, agressive, en accord avec l’hypothèse de Kelly selon laquelle les constructs peuvent être révisés et remplacés. L’objectif n’est pas de détruire la capacité à traiter efficacement le monde réel. Il s’agit plutôt de faciliter la poursuite d’une différenciation et de l’élaboration du fonctionnement personnel, de l’intégration du Soi symbolisé verbalement avec les processus personnels restant, et un sens de l’identification personnelle qui transcende les limites individuelles. Le but ultime de l’anarchie personnelle est de rester frais et ouvert, continuellement prêt à traiter la réalité moment par moment selon des voies nouvelles et efficaces sans dépendance rigide à des règles préexistantes.

Il y a de nombreuses approches potentielles de ce processus, et seulement certaines d’entre elles seront discutées ici. Leur noyau commun est de mettre l’accent sur la connaissance de Soi dans le but d’une transcendance du Soi. Ce but peut être différencié de celui de l’épanouissement personnel. Alors que beaucoup de techniques et de pratiques peuvent être utilisées pour atteindre les deux objectifs, celui de l’épanouissement personnel est de rendre le Soi « meilleur » tandis que le but de la transcendance de Soi est d’étudier le Soi, de voir sa structure de base pour qu’il cesse ainsi d’avoir son rôle dominant dans la vie. L’anarchie personnelle peut être approchée par le biais de la psychothérapie. Bien que celle-ci soit typiquement utilisée pour assister une personne dans le but de développer une structure « Soi » forte, efficace ainsi que pour dépasser des modèles mal adaptés qui empêchent un fonctionnement sain, la psychothérapie pourrait aussi être utilisée pour aider l’anarchiste personnel à développer une connaissance de Soi qui peut affaiblir l’emprise de la structure Soi sur la personnalité entière.

Les pratiques méditatives, dérivées des perspectives orientales sur la psychologie, représentent un autre outil pour gagner la connaissance du Soi nécessaire à l’anarchie personnelle, et plusieurs aspects de la relation qui existe entre les approches orientales et la PCP ont été décrits (McWilliams, 1983 ; 1984). L’objectif de la méditation Zen, par exemple, est d’étudier le « Soi » pour observer sa nature toujours changeante et la transparence de la construction dualiste. A travers ce processus, le « Soi » est « oublié », permettant à la personne d’exprimer une nature plus fondamentale par une vie en harmonie avec une vie quotidienne ordinaire (Aitken, 1982).

Dans la perspective de la PCP, une connaissance du Soi anarchiste peut être approchée par l’utilisation de techniques orientée par la conversion de constructions cachées en constructions manifestes. Nombres de méthodes dérivées de la technique de la grille de recensement (repertory grid) (Fransella et Bannister, 1977) peuvent être appliquées à cette fin. La mise en évidence des constructs, l’échelonnage des constructs sur-ordonnés et les méthodes d’analyse de grilles qui dévoilent la « meta structure » du système de constructs, tout cela peut être utilisé pour aider à une plus grande conscience des « règles » cachées et de « l’organisation » qui contrôle la (re-)construction des évènements. L’approche de Boxer (1979 ; 1980) avec « l’apprentissage réflexif » représente une méthode par laquelle les technique des grilles de recensement peuvent être dirigées vers l’étude du processus, plutôt que du contenu, de construction.

Quelques commentaires conclusifs

Métaphores et similitudes, paraboles et comparaisons peuvent être utilisées pour décrire tout ce qui appartient au monde relatif, dichotomisé, mais même l’expérience de la réalité la plus simple et la plus commune, la sensation tactile que provoque l’eau chaude, l’odeur du camphre, sont incommunicables par quelque moyen que ce soit ; combien plus la Paternité de Dieu, l’Absence de Signification du Sens, la Valeur Absolue d’un pop-corn… (Blyth, 1976).

Pour être utilisée à son meilleur avantage, une métaphore devrait être prise clairement et rapidement pour telle et au mieux comme une construction incomplète et seulement suggestive. La métaphore de l’anarchiste personnel ne fait pas exception, et son but est seulement de proposer des voies alternatives de constructions de la condition humaine. Quelques techniques spécifiques ont été mentionnées, et cela très brièvement. C’est en adéquation avec l’idée anarchiste, qui est que, à la fin, il ne peut y avoir aucune règle gouvernant un anarchiste personnel.

Spencer A. McWilliams


Références

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[1] pour une définition des termes constructs, Psychologie des Constructs Personnels (PCP) et Psychologie Communautaire, voir le commentaire ci-dessous.

Traduit par mes soins
Mis en ligne par Cercamon, le Dimanche 3 Avril 2005, 19:33 dans la rubrique "Pour comprendre".

Ce texte a donné lieu à de nombreux commentaires disponibles ici

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