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Origine : http://www.abri.org/antidelation/article931.html
Disons-le d’emblée : l’appel contre des «
ratonnades anti-Blancs » lancé par des organisations
communautaires et signé par des personnalités réputées
de gauche nous paraît particulièrement inquiétant.
Bien qu’il soit difficile de mesurer exactement ce qui s’est
passé, les violences survenues lors des récentes manifestations
lycéennes ont été largement dénoncées.
A juste titre. Et ceux de leurs auteurs qui ont été
interpellés seront jugés comme auteurs d’actes
de délinquance.
Mais le problème n’est pas là. Il est de considérer
ces violences comme une nouvelle forme de racisme, voire l’expression
d’un « mouvement de haine judéophobe et francophobe
», comme l’a déclaré Alain Finkielkraut.
D’ailleurs, la plupart des réactions ne s’y sont
pas trompées, qu’il s’agisse de représentants
d’associations (de la LDH au Mrap, de l’Unef à
SOS Racisme, sans oublier l’Union nationale lycéenne),
de parents d’élèves victimes des violences et
des vols, ou encore d’enseignants, de militants ou de journalistes.
En clair, on peut en même temps désapprouver avec force
les agressions dont de nombreux lycéens ont été
les victimes, et considérer le texte comme « simpliste
», « idiot », « irresponsable ».
Cependant, ce texte n’est pas seulement choquant moralement
: il est à la fois sociologiquement inexact et politiquement
dangereux. Sous couvert d’équité, anticipant
la stigmatisation à laquelle il participe pourtant pleinement,
il peut être considéré comme un symptôme.
Il traduit en effet un profond bouleversement des représentations
des rapports sociaux et des clivages politiques traditionnels. Là
comme ailleurs, il s’agit de minimiser les déterminations
proprement sociales des phénomènes de violence et
des conduites délinquantes pour n’en saisir que les
dimensions ethniques et raciales. C’est un tel déplacement
qui, au-delà de l’actualité immédiate,
mérite qu’on s’y attarde, pour s’efforcer
d’y répondre.
Mais revenons aux faits. Les manifestations des lycéens
ont enflammé les rues des grandes villes et les unes des
médias, remettant au centre la question scolaire ; mais cette
fois par les acteurs du système eux-mêmes, et non plus
par le haut, dans le cadre du « grand débat »
sur l’avenir de l’école. Comme toujours, on a
dit que cette mobilisation traduisait un « malaise »,
dont la mise en cause d’un projet de loi ne serait que le
prétexte. Ce n’est pas faux, même si, pris isolément,
ce constat recouvre une forme de mépris à l’égard
des lycéens mobilisés contre le projet Fillon. Toujours
est-il que la déferlante des bandes de « casseurs »
lors des défilés parisiens du 18 février et
surtout du 8 mars a marqué un tournant. La mobilisation des
lycéens parisiens en a été affectée
: une peur diffuse s’est installée devant la potentialité
que de telles violences se répètent, d’autant
que la passivité des forces de l’ordre fut troublante.
L’effervescence lycéenne a ainsi été
amoindrie pour des raisons tant externes (le gouvernement jouant
la carte du pourrissement et de la fermeté) qu’internes
(le mouvement peinant à se structurer, les vacances scolaires
et la perspective des examens faisant le reste).
Dans le même temps, le traitement médiatique a rebondi
sur les questions sécuritaires et xénophobes. Toute
une série de textes (communiqués, articles, points
de vue) a contribué à la construction médiatique
de la figure des « violences raciales » : dans le rôle
des agresseurs, des « Noirs », dans celui des victimes,
des « Blancs ». Quelques « portraits » esquissés
dans l’urgence et quelques citations permettaient d’en
convaincre. Du coup, on en oubliait le projet de loi Fillon, les
critiques qu’il a suscitées, les dérives qu’il
comportait, et le fait qu’il a pourtant été
voté avec peu d’adaptations à l’Assemblée.
Venons-en maintenant à la lecture pour le moins simpliste
des violences par nos intellectuels médiatiques. Tout d’abord,
le lien fait subrepticement entre deux événements
: les violences subies par quatre jeunes le 26 mars 2003 en marge
d’une manifestation contre la guerre en Irak et celles subies
par plusieurs dizaines de lycéens le 8 mars dernier. S’agirait-il
d’alimenter une vision « communautariste » de
la société française ? De servir des intérêts
partisans sous couvert d’éclairer l’opinion ?
Lorsque le président de la LDH, Michel Tubiana, explique
qu’on ne peut donner une « lecture ethnique à
la haine sociale », il pointe en même temps une dérive
qui ne date hélas pas d’aujourd’hui.
Force est de constater que nous nous sommes habitués à
voir classés (et à classer) les individus non plus
seulement en fonction de catégories objectives mais à
partir de désignations très marquées idéologiquement.
Une lecture « ethnique » de la ville et de la question
des banlieues s’est imposée dans le débat public,
aussi bien avec le thème des « cités-ghettos
» qu’à travers l’euphémisation des
catégories de « quartiers » et de « jeunes
des cités » recouvrant implicitement les populations
issues de l’immigration. De même, s’est imposé
un décryptage communautaire des dysfonctionnements du système
scolaire. Dans les années 70, on parlait d’élèves
ou de jeunes « immigrés », puis dans les années
80, d’« élèves maghrébins »,
aujourd’hui, d’« élèves musulmans
».
Ces catégories ont largement dépassé le cadre
de l’école pour nourrir un climat où racisme
et xénophobie, à force de banalisation, portent la
marque d’une lepénisation des esprits. Le débat
sur le foulard islamique et les « dérives » en
aura été, par excès, l’illustration.
On en retrouve encore la trace explicite dans le rapport Benisti
sur la prévention de la délinquance. Ce rapport pose
en effet comme une évidence le lien entre immigration, bilinguisme
et délinquance. Dans ce contexte, cet appel contre le «
racisme anti-Blancs » est symptomatique : il semble surfer
sur une ethnicisation des rapports sociaux qu’il alimente
plus qu’il ne s’efforce d’en proposer une compréhension.
Il participe lui-même davantage d’une « démarche
communautaire »incitant au repli que d’une réflexion
« citoyenne » appelant au respect des droits et devoirs
de chacun.
Comprendre ces phénomènes nécessite de revenir
sur les effets sociaux de la désindustrialisation et le processus
de désaffiliation (tant sociale, territoriale et scolaire
que politique) qui ont profondément affecté les anciennes
banlieues ouvrières. Il faut aussi souligner comment, face
au vide laissé par la décomposition de la classe ouvrière,
au chômage de masse, aux discriminations ethniques et raciales,
la référence au territoire, les cultures de la rue,
l’attrait de l’argent facile que font miroiter les trafics
illicites, les tensions parfois quotidiennes avec les policiers
et les représentants des institutions, sont venus structurer
l’expérience sociale d’une jeunesse sans avenir.
Mais, comme l’ont montré la plupart des enquêtes
sociologiques récentes, on constate une hétérogénéité
des situations et des trajectoires sociales, la diversité
des rapports à l’école et à la délinquance,
sans oublier la place de ces nouveaux militants des cités
qui oscillent entre désir de reconnaissance et accès
à la citoyenneté, entre activisme pour la promotion
de l’égalité et désenchantement. En un
mot, les « quartiers » et les « jeunes »
dont on parle apparaissent comme un monde complexe, fractionné,
à l’image même de la société dans
laquelle nous vivons.
C’est pourquoi assimiler les phénomènes de
violence à l’origine ou à la couleur de peau
est une confusion exaspérante. Ainsi des témoignages
attestent que des jeunes lycéens issus de l’immigration
maghrébine ont été agressés. Parmi eux,
le port du keffieh les aurait identifiés comme des militants.
La logique d’action comporterait dès lors une dimension
politique, et à l’égard des injustices sociales
dont ils sont l’objet et comme rejet des formes d’engagement
militant. Qui s’en soucie ? Pourtant, prendre en compte cette
problématique inégalités-injustices fait apparaître
les questions sociales et politiques centrales de ces phénomènes.
A l’inverse, les réduire à l’expression
d’une « culture de l’excuse » traduit la
misère de la pensée réactionnaire dont se parent
les néorépublicains.
Si le malaise, à gauche, a été manifeste,
force est de constater que ce débat traduit une recomposition
des clivages politiques traditionnels (progressistes-conservateurs).
Pire, il marque la victoire des idées du Front national.
Ne serait-il pas temps d’en prendre la mesure et de réfléchir
à des pistes d’action qui permettent de se démarquer
de ce climat malsain et de la myopie intellectuelle qui le caractérise
?
mardi 5 avril 2005
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