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Origine :http://www.medecines-douces.com/impatient/260oct99/viotraa.htm
Nos sociétés occidentales développées
ont évacué la violence physique des lieux de travail.
On ne fouette plus les gens pour les faire travailler ! Mais d’autres
moyens de pression se font jour.
"Aujourd’hui, constate le Pr Christophe Dejours, du
laboratoire de psychologie du travail du Cnam (Conservatoire national
des arts et métiers), l’organisation du travail n’utilise
pas la violence mais elle fait naître de la violence. Les
méthodes de gestion modernes des personnels sont davantage
du domaine de la perversion que de la violence physique."
Une menace sourde
Une pression croissante pèse sur les épaules des
cadres. La dernière illustration en est la généralisation
du téléphone portable qui permet de les joindre à
tout moment, même chez eux. Mais on observe aussi des cadences
de plus en plus rapides sur les chaînes pour augmenter la
productivité. Celle-ci n’a cessé de croître
depuis 1984. La production dite en flux tendus permet de répondre
immédiatement à la demande des clients, il n’y
a plus de stocks, ils sont désormais dans les camions sur
les routes ! Enfin, l’éclatement du temps de travail
multiplie les personnes « taillables et corvéables
» à merci. Dans la grande distribution, on rencontre
des employés dont les horaires sont étalés
sur toute la journée avec des arrêts qui ne sont pas
comptés dans le temps de travail. Ces méthodes de
gestion prospèrent dans un contexte de menace de licenciement
et de peur du chômage. Deux enquêtes réalisées
en 1998, et qui viennent d’être publiées par
le ministère du Travail, montrent que les salariés
vivent dans la crainte des erreurs et la peur du licenciement. Dans
la première, ils redoutent non seulement d’être
sanctionnés mais encore de commettre une faute à l’égard
de l’entreprise et de nuire à son bon fonctionnement.
La seconde, portant sur les troubles du sommeil, établit
un lien direct entre ces conditions de travail et les problèmes
de santé. Une seule catégorie de salariés semble
échapper à cette charge mentale : les ouvriers agricoles
!L’acceptation des contraintes, source de nombreuses souffrances,
relève non pas de la violence physique mais de la pression
psychologique. « Tout le courant de pensée qui nous
amène à croire que le système libéral
et la mondialisation sont inéluctables, explique le Pr Christophe
Dejours, participe de cette violence symbolique. Les moyens utilisés
sont la persuasion, la manipulation, le tout enrobé dans
un discours cohérent et plausible. Une sorte de fatalité
économique. Résultat : en grand nombre, ils consentent
à subir le système en silence et à le faire
fonctionner malgré leur réprobation. »
Des révoltes individuelles
En réaction, on assiste à une augmentation des cas
de violence sur les lieux de travail : vandalisme, sabotage, «
secouage » et séquestration des cadres ou des chefs
d’entreprise se multiplient. Le Pr Christophe Dejours cite
l’exemple récent d’un cadre qui n’a pas
hésité à révéler tous les secrets
de fabrication à la concurrence. Ces réactions violentes
restent la plupart du temps individuelles, car les oppositions collectives
sont plus rares. « Souvent, poursuit-il, cette révolte
violente contre le matériel ou contre lui-même isole
l’individu. Il est parfois désavoué par les
autres. Dans notre logique libérale, les violents dans le
travail sont des coupables et non des victimes. » Ultime conséquence,
cette violence génère de la violence dans l’espace
domestique : femmes et enfants se transforment en exutoires de la
violence du travail. Lorsque les individus retournent la violence
contre eux-mêmes, décompensations violentes (délires,
hallucinations) et suicides ne sont pas rares. Le Dr Guiho Bailly,
psychiatre et chef de service au centre hospitalier de Cholet, témoigne
de l’impact des nombreuses restructurations industrielles
de la région sur la santé mentale des travailleurs.
« J’ai été obligé d’intégrer
dans ma pratique le fait que les troubles psychiques de mes patients
ne s’inscrivaient pas uniquement dans une histoire personnelle
et familiale, mais qu’ils avaient aussi une origine sociale.
Ce qui m’a amené à prendre en compte l’importance
du travail dans la construction identitaire et l’équilibre
des personnes. » Un article récent du Canard Enchaîné,
rapporte que les usines Renault à Douai connaissent une inflation
galopante de suicides, hors et dans l’entreprise. Christophe
Dejours, lui, fait état d’une entreprise de 300 personnes
– dont il ne souhaite pas citer le nom – qui a connu
huit suicides en trois ans, dont quatre sur place… Le suicide
est la violence ultime contre soi-même, mais aussi le burn
out, un syndrome d’épuisement nerveux de l’individu.
Eliane, infirmière dans un service accueillant des personnes
atteintes de sida, a tenu longtemps avant de craquer d’un
coup. On relève aussi les troubles musculo-squelettiques
liés au travail répétitif : les caissières
de supermarché font des milliers de fois le même geste
et leurs performances sont contrôlées par ordinateur
afin d’accélérer le débit des caisses
! Les cadres ne sont pas épargnés. Au Japon, le karôshi,
mort subite par hémorragie cérébrale ou spasmes
cardiovasculaires, se manifeste en général vers la
quarantaine. Il est inscrit sur la liste des maladies professionnelles.
Il concerne des hommes jeunes (25/45 ans) sans antécédent
notoire et travaillant en moyenne plus de soixante-dix heures par
semaine… « Il faut tout de même dire, remarque
Christophe Dejours, que le chômage et la misère provoquent
plus de suicides, de dépressions ou de criminalité
que le travail. Le travail demeure aujourd’hui encore intégrateur
et structurant pour l’individu. »
Il y a des solutions
Cette montée de la violence dans le travail est connue des
professionnels. En mars 1999, un colloque intitulé «
Violence et travail » a réuni plus de 650 enseignants-chercheurs,
médecins du travail et DRH (directeurs des ressources humaines…
autrefois appelés chefs du personnel). Médecins du
travail et syndicats réfléchissent au moyen de faire
baisser la violence et les souffrances sur les lieux de travail.
L’ergonomie, qui permet d’analyser les situations de
travail, est un outil précieux. Il suffit parfois d’un
aménagement des espaces et d’une isolation phonique
pour faire baisser la violence. Par exemple, dans les bureaux de
poste, l’attente se fait désormais de façon
organisée et chaque agent est isolé phoniquement pour
ne pas être perturbé par ce que dit son collègue.
Cela a fait baisser de manière importante les manifestations
violentes des usagers comme des postiers… Alors, au travail
!
Martine Laganier impatient ('at) medecines-douces.com
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