Origine : http://www.domainepublic.ch/archives/Marco_Daniel__Note_de_lecture__La_banalisatio__.html
Il est rare qu'un psychiatre se risque à quitter les études
de cas. Celles-ci, même nombreuses et cumulées ne font
pas une histoire ni ne constituent une thèse.
Or c'est précisément une histoire et une thèse
que nous propose Christophe Dejours dans son dernier ouvrage. L'histoire
de la transformation du travail dans une société qui
perd sa référence centrale, à savoir le modèle
de développement qui a prévalu durant les trente années
de l'après-guerre.
Pourquoi la pensée dominante naturalise-t-elle le chômage
et l'exclusion ? À l'instar de Hannah Arendt dans sa relation
du procès Eichmann, Dejours met l'accent sur la banalisation
du mal. Nous tolérons aujourd'hui 12 voire 15 % de chômeurs,
une attitude impensable il y a encore vingt ans. Mais ce ne sont
pas seulement le taux de chômage et le nombre des exclus qui
augmentent ; c'est toute la société qui ne réagit
plus. La tolérance à l'injustice s'est installée.
En mai 1968, les contestataires ont fait de la souffrance au travail,
des rapports entre sujets et travail des thèmes majeurs.
Mais les préoccupations à l'égard de la santé
mentale des travailleurs ont vite été taxées
d'individualistes et nuisibles à la mobilisation collective.
Donc négligées par les syndicats.
Pour Christophe Dejours, cette négligence a préparé
le terrain à l'absence actuelle de réaction collective
face au chômage et à l'exclusion.
La banalisation du mal se nourrit du discours économique
apparemment rationnel. Les restructurations sont présentées
en termes guerriers guerre économique ce qui permet de tromper
le sens moral de ceux que Dejours appelle « les braves gens
» sans pour autant abolir ce sens moral à la guerre
comme à la guerre.
Daniel Marco
Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l'injustice
sociale, Seuil, 1998.
Hannah Arendt, Considérations morales, Rivages, 1996.
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