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Origine : http://decroissance.free.fr/Un_mot-obus.pdf
Le mot d’ordre de la décroissance a rencontré
en l’espace d’un an un vif succès. Mais dénoncer
les errements de notre société ne suffit pas, nous
devons défendre les valeurs de partage et de démocratie
: la décroissance doit être bien comprise comme une
chance pour tous, et non comme un appauvrissement. Nous devons aussi
porter cette parole de dissensus dans la sphère politique,
que nos adversaires seraient trop heureux de nous voir délaisser.
Nous savons qu’il n’existe pas de développement
et de croissance sans fin. Au contraire, nous pensons que notre
humanité n’émerge que lorsque nous sommes capables
de nous fixer des limites. Mais il ne suffit pas d'être contre
la croissance économique et les sociétés développementistes,
nous devons dire à partir de quels points de vue, en nous
fondant sur quelles valeurs nous voulons construire un autre type
de société. La question n'est pas seulement d'être
pour la décroissance, mais de savoir quel contenu nous voulons
lui donner, car, s’il existe une théorie critique de
la croissance, il n'existe pas de théorie toute faite de
la décroissance. Ce mot d'ordre est un mot-obus pour pulvériser
la pensée économiste dominante, qui ne se limite pas
au néo-libéralisme.
Le succès rapide du mot d’ordre de la décroissance
est dû à la coexistence de quatre crises majeures du
système : une crise environnementale (dérèglement
du climat), une crise sociale (montée des inégalités),
une crise politique (désaffection et dérive de la
démocratie), une crise de la personne humaine (perte de sens).
Le système développementiste écrase l'homme
comme il écrase les liens sociaux et détruit la nature.
Le mot d'ordre de la décroissance est donc une tentative
pour amorcer une sortie à cette quadruple crise.
Le terme a des inconvénients : il est négatif, il
flirte même parfois avec des figures douteuses : celle de
«la terre ne ment pas» du maréchal Pétain
ou les déclarations du baron Seillière : «Il
faut siffler la fin de la récréation». Nous
sommes donc sur une ligne de crête. Mais la décroissance
a un avantage considérable sur ses concurrents : il est très
difficilement récupérable. Il attaque frontalement
le capitalisme et la société de consommation dans
leur idéologie mais aussi dans leur imaginaire sans se limiter
à leurs conséquences.
Le partage au centre Face au concept de décroissance, des
économistes altermondialistes ont développé
récemment l’idée d’une «décélération»
de la croissance (1). Ce terme a pour handicap de se vouloir à
la fois dedans et dehors. La «décélération»,
ce serait les avantages de la croissance moins ses inconvénients.
En voulant ménager la chèvre et choux, il renforce
l'illusion que nous voudrions faire «la même chose en
moins». La «décélération»
nous cantonne dans le domaine du quantitatif, du comptable, de l’économisme.
La décroissance, elle, pose la question du contenu des richesses,
donc celle l'utilité sociale des biens.
Nous ne devons pas craindre de réaffirmer sans cesse que
la décroissance ce n'est pas la décroissance de tout
ni pour tous. Elle s’applique aux « surdéveloppés
», à l’«ex-croissance», à
des sociétés et des classes sociales dont l’obésité
et la boulimie sont des conséquences de la captation de richesses
des plus faibles, en même temps qu’un processus d’auto-destruction.
La question du partage, donc de la démocratie, précède
celle de l'économique.
A partir de là, le mouvement en faveur de la décroissance
doit travailler à l'articulation de trois niveaux de résistance
: le niveau de la résistance individuelle, la simplicité
volontaire ; le niveau des alternatives collectives, qui permettent
d'inventer d'autres façons de vivre pour les généraliser
; le niveau politique, c'est-à-dire celui des débats
et des choix collectifs fondamentaux de société. Nous
ne devons pas laisser le champ politique à nos adversaires
: nous devons être des empêcheurs de développer
en rond. Si nous ne pratiquons pas le dissensus politique, base
de la démocratie, personne ne le fera à notre place.
Le concept de décroissance sera même dévoyé
de son sens et instrumentalisé par des esprits intéressés.
Les conditions sont aujourd'hui mûres pour que notre discours
soit entendu et fasse problème.
Il est de notre devoir de citoyen de nous engager et de participer
au processus démocratique.
Nous devons expliquer aux exclus et aux déçus de
la croissance, à tous les sans-voix que la vraie alternative
n'est plus entre croissance et décroissance, mais entre récession
et décroissance.
Non au catastrophisme Nous devons pour cela prendre garde à
tout discours pessimiste comme celui sur la pétroapocalypse,
c’est-à-dire la fin du pétrole vu comme un chaos
inéluctable. Non seulement cette posture est dangereuse car
elle démobilise et favorise les comportements cyniques, mais,
surtout, elle laisse croire que nous choisirions la décroissance...
faute de mieux. Même si une croissance illimitée était
possible, surtout si elle était possible, nous serions plus
encore des objecteurs de croissance pour pouvoir être tout
simplement des humains, pour ne pas succomber aux fantasmes de toute-puissance.
Nous ne défendons pas la décroissance avec le langage
du nécessaire mais avec celui du politique. Le catastrophisme
à la Yves Cochet (2), député des Verts et ancien
ministre de l’environnement, entretient l'idée que
nous serions condamnés à la décroissance. Quelles
que soient les bonnes raisons écologiques, nous devons refuser
d’abord l'aliénation d'une société qui
réduit l’homme à sa seule dimension économique.
Les tenants de la décroissance ne sont pas des écolo-pessimistes,
ni des archéo-nostalgiques rêvant à la société
d'hier. Il ne s'agit pas de revenir en arrière vers un pseudo
paradis perdu, il s'agit collectivement de bifurquer. Nous ne sommes
pas davantage de nouveaux puritains jouant à plus-décroissant-que-moi-tu-meurs
! Nous ne voulons pas remplacer le politique par le jugement moral
ni réduire la morale au religieux. Nous ne venons pas vers
les gens en jetant des anathèmes : la décroissance
n'appartient à personne. Nous savons que ce nouveau paradigme
bouleversera les filiations politiques, idéologiques, philosophiques
pour redistribuer les cartes et les alliances nécessaires
pour repenser le monde. Mais nous ne partons pas au combat les mains
vides : nous savons par exemple qu'il faudra faire avec la relocalisation
de l’économie. Notre décroissance nous la voulons
conviviale, immédiate et socialement équitable.
Paul Ariès
1- Le développement a-t-il un avenir ?, ATTAC, Ed. Mille
et une nuit, 2004. Le mot décélération est
proposé comme « première étape vers une
décroissance sélective ».
2- Intervention au colloque de Montbrison, organisé par
l’institut d’études économiques et sociales
pour la décroissance soutenalble (IEESDS), les 5 et 6 février
2005.
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