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Origine : http://www.peripheries.net/article321.html
Qu’elle était naïve, décidément,
cette idée selon laquelle, avec l’expansion des moyens
de communication, il ne serait plus possible de commettre une exaction
sans que l’opinion internationale, aussitôt alertée,
réagisse par une protestation unanime... Alors que, pour
compenser ce rétrécissement spectaculaire de la planète,
il suffisait d’intensifier en proportion les efforts de propagande.
Les bombardements israéliens sur Gaza en offrent la démonstration
la plus achevée. Vous croyez voir une population prise au
piège, privée de tout par un blocus inhumain, se faire
massacrer par un Etat qui, soutenu par la première puissance
mondiale et assuré, quels que soient ses forfaits, de ne
jamais être inquiété, occupe illégalement
des territoires et opprime un peuple depuis quarante ans, en violant
sans cesse ses engagements ? Abracadabra ! Mais non : vous voyez
un pauvre petit Etat merveilleusement démocratique se défendre
contre les méchants islamistes qui veulent sa perte. Et le
pauvre petit Etat est vraiment désolé de devoir au
passage réduire en charpie quelques gamins - les seuls Palestiniens
que l’on daigne considérer comme « innocents
», ce sont les enfants ; et encore... - pour parvenir à
atteindre les fourbes activistes méritant mille fois la mort
qui se cachent lâchement parmi eux.
« A partir du moment où l’autre est l’ennemi,
il n’y a plus de problème. » On avait déjà
eu l’occasion de citer ici cette phrase par laquelle, dans
le roman de Stéphanie Benson Cavalier seul, un personnage
explique comment on peut justifier les pires crimes. Croit-on vraiment
qu’un seul massacre ait pu se commettre sans que ses auteurs
se persuadent et persuadent les autres qu’ils y étaient
obligés par le danger que représentaient leurs victimes
? Dans son livre La peur des barbares (Robert Laffont, 2008), Tzvetan
Todorov rappelle : « Quand on demande aux policiers et aux
militaires sud-africains pourquoi, au temps de l’apartheid,
ils ont tué ou infligé des souffrances indicibles,
ils répondent : pour nous protéger de la menace que
les Noirs (et les communistes) faisaient peser sur notre communauté.
"Nous n’avons pris aucun plaisir à faire cela,
nous n’en avions aucune envie, mais il fallait les empêcher
de tuer des femmes et des enfants innocents (1)." »
Transformer le faible en fort et le fort en faible
Ainsi, le sort fait aujourd’hui aux Gazaouis a été
permis par une longue et obstinée construction de l’ennemi.
Depuis le mensonge fondateur d’Ehud Barak sur la prétendue
« offre généreuse » qu’il aurait
faite en 2000 à Camp David, et que les Palestiniens auraient
refusée, les politiciens et les communicants israéliens
s’y emploient avec zèle ; et, ces jours-ci, ils intensifient
leurs efforts (lire par exemple « Internet, l’autre
zone de guerre d’Israël », Le Figaro, 31 décembre
2008). Mais le 11 septembre 2001, en poussant l’Occident à
la frilosité grégaire et au repli identitaire, leur
a offert un terrain favorable en leur permettant de jouer sur la
nécessaire solidarité des « civilisés
» face aux « barbares » (2) : innocence inconditionnelle
pour les premiers, culpabilité tout aussi inconditionnelle
pour les seconds. Dans son éditorial de Libération
du 29 décembre, Laurent Joffrin met ingénument en
garde Israël contre le risque de perdre sa « supériorité
morale » : en effet, on frémit à cette hypothèse.
Quant à Gilad Shalit, il n’est pas le soldat d’une
armée d’occupation capturé par l’ennemi,
ce qui fait quand même partie des risques du métier,
mais un « otage » (3).
La focalisation hypnotique, obsessionnelle, sur l’«
intégrisme musulman », relayée avec zèle
par d’innombrables éditorialistes et tâcherons
médiatiques, tous ces « meilleurs spécialistes
de l’islam de tout leur immeuble » qui, conformément
au désormais bien connu « théorème de
Finkielkraut » (moins tu en sais sur le sujet dont tu causes,
plus on t’écoute), y ont trouvé un fonds de
commerce providentiel et l’occasion d’une gloire facile,
est parvenue à persuader l’opinion occidentale que
celui-ci représentait aujourd’hui le plus grand danger
menaçant le monde. « Pour ma part, je soutiens Israël
et les Etats-Unis. La menace islamiste est, à mes yeux, beaucoup
plus terrifiante », ânonne ainsi un intervenant sur
un forum - les forums constituant un témoignage accablant
de l’ampleur et de la réussite du lavage de cerveau.
Bassiner jour après jour des citoyens occidentaux désorientés
par l’évolution du monde et peu sûrs d’eux-mêmes
avec la « menace islamiste » a eu pour effet de faire
disparaître tout le reste, et en particulier de gommer comme
par magie tout rapport de forces objectif. Le résultat, c’est
qu’un type qui insulte une femme voilée dans le métro
parisien n’a pas l’impression de s’en prendre
à plus faible que lui, mais de poser un acte de résistance
héroïque (« M’agresser est quasiment vécu
par l’agresseur comme de la légitime défense
», observe Malika Latrèche dans Les filles voilées
parlent). Et qu’Israël passe non pas pour l’agresseur,
mais pour la victime : « Les Israéliens ont toute ma
sympathie dans cette épreuve », lit-on sur les forums
du Nouvel Observateur, alors que les Gazaouis pataugent dans le
sang et les gravats.
Massacrer les Palestiniens pour libérer leurs femmes
Le matraquage sur l’« islamisme » a été
si efficace que l’occupation israélienne, qui constitue
pourtant la donnée première de la situation au Proche-Orient,
a tout simplement disparu des radars. Au mieux, quand on reste un
peu sensible au malheur palestinien, on fait comme s’il était
symétrique au malheur israélien - toujours cette «
fausse symétrie » que pointaient Denis Sieffert et
Joss Dray dans La guerre israélienne de l’information.
Si d’aventure l’opinion occidentale est quand même
prise d’un doute passager, « euh, vous êtes sûrs
que vous n’y allez pas un peu fort, là, quand même
? », elle est aussitôt invitée à se rappeler
que, de toute façon, ces gens-là ne sont que des bêtes
malfaisantes qui détestent les juifs par pure méchanceté
d’âme (eh bien oui, pour quelle autre raison cela pourrait-il
bien être ?) et qui oppriment leurs femmes - on espère
que les femmes palestiniennes seront au moins reconnaissantes à
Israël de les débarrasser de tels monstres en tuant
leurs maris, leurs pères, leurs frères, leurs fils.
Faut-il en déduire que le machisme mérite la peine
de mort ? Dans ce cas, suggérons que la sanction soit aussi
appliquée en Occident : je sens qu’on va rigoler. Oh,
mais pardon, bien sûr, j’oubliais : il n’y a pas
de machos en Occident, où règne une égalité
parfaite entre les sexes. Et il n’y a pas d’antisémitisme
non plus. Six millions de morts, c’était avant le déluge,
d’ailleurs nos grands-parents étaient tous résistants,
et de plus ces salauds d’Arabes étaient pronazis, ce
qui prouve quand même leur malfaisance foncière. Avoir
été pronazi, c’est vachement plus grave que
d’avoir été nazi ou collabo, non ?
Cette analyse faisant de l’intégrisme musulman le
plus grand péril menaçant la planète est parfois
posée au détriment du plus élémentaire
bon sens, comme le montrait par exemple en 2004 Sadri Khiari dans
sa lecture du livre de Caroline Fourest et Fiammetta Venner Tirs
croisés. Il relevait la contradiction entre le tableau que
peignaient les auteures de la puissance respective des différents
intégrismes monothéistes et les conclusions qu’elles
en tiraient, à savoir que l’islamisme était
le plus redoutable : « Malgré ses bombes humaines,
son argent sale, ses foules arabo-musulmanes fanatisées et
impuissantes, l’islamisme semble bien inoffensif par rapport
à la puissance des intégrismes chrétien et
juifs, du moins tels qu’elles nous les présentent,
influençant la politique des Etats les plus puissants du
monde. Or, c’est à l’idée inverse qu’elles
aboutissent : "A côté de l’intégrisme
musulman, les intégrismes juifs et chrétien donnent
l’impression de phénomènes marginaux plutôt
folkloriques, en tous cas sans conséquences." »
Israël fera la paix...
« quand les Palestiniens seront finlandais »
Mais surtout, cette focalisation sur l’« islamisme
» est désastreuse parce qu’elle s’en prend
à un phénomène de nature essentiellement réactive
et défensive, qu’elle ne fait qu’alimenter encore
davantage. La prise de pouvoir du Hamas est présentée
comme une preuve de l’arriération et du caractère
belliqueux des Palestiniens, alors qu’elle résulte
de l’exaspération d’une population qui a vu l’occupant
poursuivre inexorablement sa politique de terreur et de spoliation.
« On nettoie, et ensuite, peut-être qu’on verra
enfin émerger un partenaire palestinien raisonnable »,
disent en substance les autorités israéliennes aujourd’hui
- comme si elles ne s’étaient pas acharnées
auparavant à discréditer, à diaboliser, à
éradiquer les partenaires raisonnables qu’elles avaient
en face d’elles, assiégeant le quartier général
de Yasser Arafat tandis que les infrastructures du Hamas et du Djihad
islamique restaient debout. Selon toute vraisemblance, c’est
plutôt les Palestiniens qu’il s’agit de «
nettoyer ». « Sharon fera la paix... quand les Palestiniens
seront finlandais », prédisait à juste titre
Charles Enderlin (Libération, 20 octobre 2004). C’est
tout aussi vrai d’Ehud Olmert. Et cela risque malheureusement
d’être encore plus vrai de celui ou celle qui lui succédera
en février.
Comment pourrait-il en être autrement ? C’est l’existence
même des Palestiniens qui gêne. Dans un texte publié
le 30 décembre, « On Gaza », l’activiste
altermondialiste américaine Starhawk écrit : «
Je suis juive, de naissance et d’éducation, née
six ans après la fin de l’Holocauste, élevée
dans le mythe et l’espoir d’Israël. Le mythe dit
ceci : "Pendant deux mille ans nous avons erré en exil,
nulle part chez nous, persécutés, presque détruits
jusqu’au dernier par les nazis. Mais de toute cette souffrance
est sortie au moins une bonne chose : la patrie à laquelle
nous sommes revenus, enfin notre propre pays, où nous pouvons
être en sécurité, et fiers, et forts."
C’est une histoire puissante, émouvante. Elle ne présente
qu’un seul défaut : elle oublie les Palestiniens. Elle
doit les oublier, parce que, si nous devions admettre que notre
patrie appartenait à un autre peuple, elle en serait gâchée.
Le résultat est une sorte d’aveuglement psychique dès
qu’il s’agit des Palestiniens. Si vous investissez réellement
Israël comme la patrie des juifs, l’Etat juif, alors,
vous ne pouvez pas laisser les Palestiniens avoir une réalité
à vos yeux. Golda Meir disait : "Les Palestiniens, qui
sont-ils ? Ils n’existent pas." Nous entendons aujourd’hui
: "Il n’y a pas de partenaire pour la paix. Il n’y
a personne à qui parler." » Face à cet
aveuglement, une seule alternative s’offre à la communauté
internationale, au sein de laquelle les leviers de décision
sont encore occidentaux : soit obliger les Israéliens à
voir les Palestiniens ; soit approuver cet aveuglement - «
mais non, bien sûr, vous avez raison, ces gens n’existent
pas, mais larguez donc encore quelques bombes pour vous en assurer,
si cela peut vous soulager » - et cautionner, voire encourager,
un sociocide. Il semble qu’elle ait fait son choix.
Se mettre à la place des dominés, c’est
trop fatigant
Ce choix a été largement facilité par la résurgence
du mépris colonial le plus cru - élément que
Starhawk néglige quelque peu. Pouvoir déchaîner
son inconscient colonial à l’abri du noble combat pour
ceux que l’on a autrefois si allègrement génocidés,
avouons que c’est quand même une formidable aubaine.
La propagande pro-israélienne compte sur l’imprégnation
persistante des cerveaux par les vieux clichés coloniaux,
qui empêche toute appréhension réelle du malheur
des Palestiniens. Ensevelis sous les représentations racistes,
parlant une langue dont les accents ont été moqués
par des générations de comiques troupiers, ceux-ci
inspirent toujours la méfiance et le soupçon : quand
Arafat avait reconnu Israël, on était persuadé
qu’il s’agissait d’une ruse. Leur douleur est
toujours suspectée d’être une mise en scène
(4), une fourberie destinée à abuser l’Occidental
trop naïf (une militante féministe, citée dans
Les filles voilées parlent, à une femme voilée
qu’elle vient d’agresser : « Arrêtez avec
vos larmes de crocodile »). La propagande pro-israélienne
parie sur l’impossibilité d’une identification
du pékin occidental avec les Palestiniens, comme en témoigne
le succès de l’argument que l’on voit copié-collé
ad nauseam sur tous les forums : « D’accord, mais mettez-vous
à la place des malheureux Israéliens qui vivent sous
les tirs de roquettes, quel Etat au monde accepterait cela »,
etc. Ce n’est jamais à la place des Palestiniens qu’on
est invité à se mettre. Le fait de vivre sous la menace
d’une mort violente, menace qui se concrétise rarement,
est considéré comme plus intolérable que celui
de vivre avec l’omniprésence de la mort effective,
qui plus est dans des conditions matérielles et morales infernales,
et de subir une occupation depuis des décennies.
L’obsession de l’islamisme et l’effacement du
rapport de forces réel - son inversion, même - ont
été d’autant plus faciles à installer
qu’ils permettent de faire l’économie de toute
identification aux dominés. Et cela tombe bien, parce que
justement, de toute façon, en France ou ailleurs, on ne meurt
pas d’envie de se mettre à la place des dominés,
d’essayer de comprendre ce qu’ils vivent ou comment
ils voient les choses. On laisse désormais cet exercice pénible
à ceux qui ont, dit-on, la « haine de soi ».
A propos d’Amira Hass, rare journaliste israélienne
à travailler dans les territoires palestiniens, un intervenant
ricane sur un forum : « Plutôt qu’Amira Hass,
c’est Amira Selbsthass [« haine de soi » en allemand]
qu’elle devrait se nommer ! » L’opinion majoritaire,
c’est que les victimes nous emmerdent avec leurs pleurnicheries,
qu’elles font un drame de tout - à preuve, les dénonciations
très en vogue de la « victimisation ».
Cette profonde réticence, le refus de fournir cet effort
d’identification - car cela demande bien un effort -, cet
enfermement dans le confort de ses certitudes et de sa position
dominante, produisent une sous-estimation permanente des souffrances
de l’autre. On reste sans voix, par exemple, en entendant
certains, en France, affirmer leur incrédulité quant
au fait que l’histoire coloniale continuerait de produire
des effets dans notre réalité présente : «
C’était il y a longtemps », arguent-ils... Sous-estimation,
aussi, dans tous ces discours qui affirment que l’ancien tiers-monde
ne doit sa piètre situation qu’à lui-même,
et non à l’héritage colonial. Pire : la possibilité
même de l’existence d’un point de vue sur le monde
autre que le point de vue blanc et occidental suscite le scepticisme.
C’est peut-être bien cela que signifient les accusations
de « relativisme culturel », si fréquentes ces
dernières années à l’égard de
tous ceux qui défendent encore la nécessité
d’un décentrage : il n’y a au monde qu’un
seul point de vue valide et respectable, c’est le point de
vue occidental ; et la seule alternative offerte aux autres est
soit de l’embrasser, soit de rester dans les ténèbres
de leur sauvagerie.
« Les commentateurs occidentaux, qui évoquent
les "sanglants attentats-suicides", ne parlent jamais
de la "sanglante occupation" »
Cette sous-estimation du préjudice causé à
l’autre, le journaliste néerlandais Joris Luyendijk
la pointait en 2007 dans un article du Monde diplomatique intitulé
« Les mots biaisés du Proche-Orient » : «
Le mot "occupation" peut-il être, lui aussi, vide
de sens pour les lecteurs et les téléspectateurs occidentaux
? Un tel vide expliquerait pourquoi on multiplie les pressions sur
l’Autorité palestinienne pour qu’elle prouve
qu’elle "en fait assez contre la violence" alors
qu’on ne demande presque jamais aux porte-parole du gouvernement
israélien s’ils "en font assez contre l’occupation".
Nul doute qu’en Occident le citoyen sait ce qu’est la
menace terroriste, ne serait-ce que parce que les responsables politiques
le lui rappellent régulièrement. Mais qui explique
aux publics occidentaux la terreur qui se cache derrière
le mot "occupation" ? Quelle que soit l’année
à laquelle on se réfère, le nombre de civils
palestiniens tués en raison de l’occupation israélienne
est au moins trois fois supérieur à celui des civils
israéliens morts à la suite d’attentats. Mais
les correspondants et les commentateurs occidentaux, qui évoquent
les "sanglants attentats-suicides", ne parlent jamais
de la "sanglante occupation". » Et pourtant, imaginons
un seul instant l’impact qu’aurait, par exemple, l’instauration
d’un check-point tenu par des soldats hostiles dans les rues
de Paris ou de New York...
Non seulement l’occupation reste une abstraction, mais on
sent aussi percer l’idée qu’après tout,
des métèques, semblables à ces colonisés
et à ces immigrés que l’on tutoie avec mépris,
ne devraient pas être aussi chatouilleux sur leur dignité
ou sur les conditions de vie qu’on leur impose. N’est-ce
pas leur destin naturel, après tout ? On détruit leur
société ? Oui, bon, pour ce qu’elle vaut, leur
société... De là à estimer que leur
oppression par un peuple « civilisé » représente
pour eux une chance, il n’y a qu’un pas - que Bernard-Henri
Lévy, dialoguant en mars 2008 avec l’écrivain
arabe israélien Sayed Kashua à l’occasion du
Salon du livre de Paris, franchissait joyeusement : « Vous
ne parleriez pas l’hébreu, et vous ne le parleriez
pas si bien et avec tant de grâce et de talent, si l’Etat
d’Israël n’existait pas », avait-il le culot
prodigieux de lui dire (5)...
Non seulement la majorité des gens, biberonnés à
la propagande télévisuelle, cramponnés à
leurs « principes » comme à des bouées
de sauvetage, ne veulent même plus essayer de comprendre ce
que vivent et ressentent des non-Blancs ou des non-Occidentaux,
ne veulent plus essayer de se mettre à leur place ne serait-ce
qu’un instant, mais ceux qui en ont encore le désir
deviennent suspects, comme si, ce faisant, ils choisissaient leur
camp, ou posaient un acte criminel. Déplacer un tant soit
peu la perspective revient à trahir sa communauté,
à se ranger du côté des barbares, des terroristes.
Lorsqu’on a rendu compte, sur ce site, du livre Les filles
voilées parlent, les quelques mails scandalisés qu’on
a reçus en retour ne disaient pas simplement, comme c’était
encore le cas en 2003, quand le « débat » sur
le sujet a été lancé : « Je ne suis pas
d’accord avec vous. » Cette fois, ils disaient : «
Je suis atterré, je suis abasourdi, moi qui aimais tant vos
livres... » Autrement dit : « Je vous croyais du côté
de la culture, et vous étiez du côté de la barbarie.
»
La divergence des points de vue, s’agissant du Proche-Orient,
est particulièrement exacerbée. D’un côté,
des Occidentaux, profondément marqués par le génocide
des juifs d’Europe, et que le double ressort d’une mauvaise
conscience mal placée et d’un vieux complexe de supériorité
raciste conduit à accorder à Israël un chèque
en blanc moral. De l’autre, des pays, des communautés,
des individus épars, marqués par une tout autre histoire
— ou pas, d’ailleurs —, qui ne comprennent pas
pourquoi c’est aux Palestiniens de payer les crimes commis
par des Européens ; qui sentent bien, pour certains d’entre
eux, que, à travers l’abandon et l’écrasement
de ce peuple, c’est leur vie à eux aussi que l’on
insulte, que l’on traite pour rien ; et qui, voyant l’étau
de la propagande se refermer sur eux, perdent peu à peu tout
espoir de voir une issue à l’injustice. On leur souhaite
de ne pas se laisser défigurer par la haine, de résister
à ce que l’on veut faire d’eux. Mais il faut
avouer qu’on a vu des années commencer sous des augures
moins sinistres.
Mona Chollet
Notes
(1) Phrase citée par Desmond Tutu dans son livre Il n’y
a pas d’avenir sans pardon, Albin Michel, 2000.
(2) Tzipi Livni, lors de sa visite officielle en France : «
Israël se trouve en première ligne du monde libre et
est attaqué car nous représentons les valeurs du monde
libre, dont fait partie la France. » (« Livni : la situation
humanitaire à Gaza est "comme elle doit être"
», Nouvelobs.com, 4 janvier 2009.)
(3) Lire aussi, dans Le Monde diplomatique de janvier 2009, «
La mémoire refoulée de l’Occident », par
Alain Gresh.
(4) PLPL-Le Plan B relevait par exemple, dans Marianne du 10 décembre
2001 : « La guerre des images est meurtrière pour Israël.
Pour des raisons objectives, d’abord : on ne voit pas la bombe
qui explose dans un bus, ni le terroriste suicidaire entraînant
les passants dans la mort. La caméra arrive avec les ambulances.
En revanche, la caméra est présente quand Tsahal réprime
une manifestation et quand les enfants palestiniens courent sous
les bombes larguées par les hélicoptères. A
quoi s’ajoute le sens de la mise en scène acquis par
les Palestiniens, passés maîtres en l’art des
enterrements publics [sic] avec expression de la colère et
de la douleur. » Commentaire : « PLPL préfère
ne pas imaginer la réaction qui eût accueilli un texte
de ce genre où les parents israéliens de victimes
d’attentats suicides auraient été présentés
comme une clique de simulateurs. Et leur "mise en scène"
attribuée à une prédisposition nationale ou
religieuse à la fourberie. » Voir sur le site du Plan
B : « Les Sharoniards » (février 2002).
(5) « L’appel au boycott du Salon du livre est une
prise d’otages », Libération, 13 mars 2008.
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