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Que fait-on en "sciences humaines" ? L’intérêt de la déconstruction dans les cultural studies.
QU’EST-CE QUE LA DECONSTRUCTION?
Jacques Derrida

Que fait-on en "sciences humaines" ? L’intérêt de la déconstruction dans les cultural studies.

Atelier du 10 janvier 2007 : a eu lieu au CASC

http://lgbti.un-e.org/spip.php?article11

Que fait-on en "sciences humaines" ? L’intérêt de la déconstruction dans les cultural studies.

Déconstruire, s’est s’intéresser à ce que suppose un discours :

suppositions métaphysiques qui sont toujours aussi des suppositions politiques. L’idéal scientifique, souvent mécompris ou quelques fois sciemment mésusé en sciences humaines, peut en effet servir de caution à une absence de réflexion à la fois sur les termes que l’on emploie et sur les buts que le discours universitaire se donne. Or, ces termes et cet idéal ont une histoire et charrient avec eux une conception du langage et du monde. Il s’agira de dégager l’utilité que peut avoir pour le chercheur en sciences humaines le fait de se livrer à cet exercice de philosophie qu’est la déconstruction déridéenne.

Avant de venir, vous pouviez consulter cette interview.

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QU’EST-CE QUE LA DECONSTRUCTION?
Jacques Derrida

Le Monde, mardi 12 octobre 2004. Propos recueillis par R.-P. D.

http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/deconstruction.htm

Au cours d’un entretien inédit enregistré le 30 juin 1992, Jacques Derrida avait donné cette longue réponse orale

Il faut entendre ce terme de “déconstruction” non pas au sens de dissoudre ou de détruire, mais d’analyser les structures sédimentées qui forment l’élément discursif, la discursivité philosophique dans lequel nous pensons. Cela passe par la langue, par la culture occidentale, par l’ensemble de ce qui définit notre appartenance à cette histoire de la philosophie.

Le mot “déconstruction” existait déjà en français, mais son usage était très rare. Il m’a servi d’abord à traduire des mots, l’un venant de Heidegger, qui parlait de “destruction”, l’autre venant de Freud, qui parlait de “dissociation”. Mais très vite, naturellement, j’ai essayé de marquer en quoi, sous le même mot, ce que j’appelais déconstruction n’était pas simplement heideggérien ni freudien. J’ai consacré pas mal de travaux à marquer à la fois une certaine dette à l’égard de Freud, de Heidegger, et une certaine inflexion de ce que j’ai appelé déconstruction.

Je ne peux donc pas expliquer ce que c’est que la déconstruction, pour moi, sans recontextualiser les choses. C’est au moment où le structuralisme était dominant que je me suis engagé dans mes tâches, et avec ce mot-là. C’était aussi une prise de position à l’égard du structuralisme, la déconstruction. D’autre part, c’était au moment où les sciences du langage, la référence à la linguistique, le “tout est langage” étaient dominants.

C’est là, je parle des années 1960, que la déconstruction a commencé à se constituer comme... je ne dirais pas anti-structuraliste mais, en tout cas, démarquée à l’égard du structuralisme, et contestant cette autorité du langage.

C’est pourquoi je suis toujours à la fois étonné et irrité devant l’assimilation si fréquente de la déconstruction à - comment dire? - un “omnilinguistisme”, à un “panlinguistisme”, un “pantextualisme”. La déconstruction commence par le contraire. J’ai commencé par contester l’autorité de la linguistique et du langage et du logocentrisme. Alors que tout a commencé pour moi, et a continué, par une contestation de la référence linguistique, de l’autorité du langage, du “logocentrisme” - mot que j’ai répété, martelé -, comment se fait-il qu’on accuse si souvent la déconstruction d’être une pensée pour laquelle il n’y a que du langage, que du texte, au sens étroit, et pas de réalité ? C’est un contresens incorrigible, apparemment.

Je n’ai pas renoncé au mot de “déconstruction”, parce qu’il impliquait la nécessité de la mémoire, de la reconnexion, de la remembrance de l’histoire de la philosophie dans laquelle nous sommes, sans toutefois penser sortir de cette histoire. J’avais d’ailleurs très tôt distingué entre la clôture et la fin. Il s’agit de marquer la clôture de l’histoire, non pas de la métaphysique globalement - je n’ai jamais cru qu’il y ait une métaphysique; ça aussi, c’est un préjugé courant... L’idée qu’il y a une métaphysique est un préjugé métaphysique. Il y a une histoire et des ruptures dans cette métaphysique. Parler de sa clôture ne revient pas à dire qu’elle est finie.

Donc, la déconstruction, l’expérience déconstructive se place entre la clôture et la fin, dans la réaffirmation du philosophique, mais comme ouverture d’une question sur la philosophie elle-même. De ce point de vue, la déconstruction n’est pas simplement une philosophie, ni un ensemble de thèses, ni même la question de l’Etre, au sens heideggérien. D’une certaine manière, elle n’est rien. Elle ne peut pas être une discipline ou une méthode. Souvent, on la présente comme une méthode, ou on la transforme en une méthode, avec un ensemble de règles, de procédures qu’on peut enseigner, etc.

Ce n’est pas une technique, avec des normes ou des procédures. Bien entendu, il peut y avoir des régularités dans les manières de poser un certain type de questions de style déconstructif. De ce point de vue, je crois que cela peut donner lieu à enseignement, cela peut avoir des effets de discipline, etc. Mais, en son principe même, la déconstruction n’est pas une méthode. J’ai essayé moi-même de m’interroger sur ce que pouvait être une méthode, au sens grec ou cartésien, au sens hégélien. Mais la déconstruction n’est pas une méthodologie, c’est-à-dire l’application de règles.

Si je voulais donner une description économique, elliptique de la déconstruction, je dirais que c’est une pensée de l’origine et des limites de la question “qu’est-ce que?...”, la question qui domine toute l’histoire de la philosophie. Chaque fois que l’on essaie de penser la possibilité du “qu’est-ce que?...”, de poser une question sur cette forme de question, ou de s’interroger sur la nécessité de ce langage dans une certaine langue, une certaine tradition, etc., ce qu’on fait à ce moment-là ne se prête que jusqu’à un certain point à la question “qu’est-ce que?”

C’est ça, la différence de la déconstruction. Elle est en effet une interrogation sur tout ce qui est plus qu’une interrogation. C’est pour ça que j’hésite tout le temps à me servir de ce mot-là. Elle porte sur tout ce que la question “qu’est-ce que?” a commandé dans l’histoire de l’Occident et de la philosophie occidentale, c’est-à-dire pratiquement tout, de Platon à Heidegger. De ce point de vue, en effet, on n’a plus tout à fait le droit de lui demander de répondre à la question “qu’est-ce que tu es?”, “qu’est-ce que c’est?” sous une forme courante.