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Des professionnels de la « décivilisation »
De Bassidiki COULIBALY

Origine : http://homnispheres.info/article.php3?id_article=115

Exceptés de très rares cas (dont le plus incontestable est Max Stirner), les élites et intellectuels occidentaux croient qu’il est impossible de penser sans concepts : sans concept, l’intuition est vide, dogmatise Kant. A sa suite, des clercs occidentaux ne pensent plus, mais croient que l’activité de la raison humaine perd toute dignité si elle ne se coule au préalable dans le moule de la conceptualisation ; Hegel n’est pas étranger à cette réduction. Même le premier agent commercial venu croit faire œuvre de pensée en récitant les caractéristiques du « concept » de sa camelote. Mais toute croyance a son sacré qu’elle ne peut profaner, qu’elle ne veut profaner et le mot « civilisation » est pour le clerc occidental le mot sacré par excellence. On peut définir la civilisation, on peut opposer la civilisation à la barbarie, on peut opposer la civilisation à la sauvagerie, opposer la civilisation aux civilisations, opposer la civilisation à la culture, critiquer la civilisation, mais on ne peut profaner la civilisation. Si on ne peut profaner la civilisation, c’est théoriquement parlant car dans les faits, les grands criminels de la trempe des Périclès, Néron, Cortès, Napoléon, Hitler, et tous ceux qui ont régné ou qui règnent par le feu et dans le sang n’ont fait que profaner l’humanité au nom de la civilisation. Au regard des atrocités et crimes contre l’humanité qui ont été commis au nom de la civilisation depuis l’antiquité grecque, mais surtout depuis le XVIe siècle, Jaulin affirme, lors d’un entretien : « La civilisation occidentale ne supporte pas les autres civilisations - ce qui prouve bien qu’elle n’est pas une civilisation mais une décivilisation - fait ‘de son mieux’ pour détruire ; nous appelons cela « l’intégration » (...). Les Indiens ne sont pas gênés par l’existence des Blancs, ce sont les Blancs qui sont gênés par l’existence des Indiens. L’Occident ne supporte pas autrui, ce ne sont point les autres qui ne supportent pas l’Occident. Hélas, les autres supportent trop l’Occident, c’est là une qualité, un souci de comptabilité au terme desquels ils ont été détruits. C’est parce que les autres civilisations vivaient en fonction d’un pluriel de l’homme, d’une comptabilité, du respect des différences que cette notion de pluriel exprime, qu’ils ne se sont pas suffisamment méfiés de l’Occident, et l’ont pris pour une civilisation, alors qu’il s’agit simplement d’un système de dé-civilisation, de destruction des civilisations » (49).

Sous la plume de Jaulin, la « décivilisation » est bien ce que les clercs appellent « concept », un concept situé et daté avec un contenu qui saute aux yeux et pourtant, beaucoup en ont fait un concept tabou, y compris parmi ceux qui, après Jaulin, nous entretiennent de la civilisation. Avec le concept de « décivilisation », Jaulin a commis le crime de lèse-civilisation. L’humanité n’a pas attendu Samuel Phillips Huntington pour constater Le choc des civilisations, l’humanité n’a pas attendu Hegel (La Raison dans l’histoire) pour savoir que la civilisation européenne irradie, tel un nuage radioactif, toutes les civilisations qu’elle déniche par tous les moyens ; l’humanité a attendu les Grecs de l’antiquité pour discipliner « l’esprit et le corps » pour en faire une machine de guerre d’une efficacité redoutable et d’une férocité implacable. La longue lignée des rationalistes Grecs de l’antiquité ont réussi ce fait unique et inédit dans l’histoire de l’humanité, fait que même les pharaons, leurs prêtres, leurs savants et leur main-d’œuvre pharaonique n’ont pas réussi, à savoir la transformation d’une civilisation en Civilisation, la colonisation qui est un crime en entreprise philanthropique, les contacts entre les civilisations en choc entre la civilisation et la barbarie ce qui, mis à l’endroit comme dirait Marx (au sujet de la dialectique hégélienne), est en réalité l’assaut de « la décivilisation » contre les civilisations. Décivilisation par l’Athènes antique de toute civilisation à sa portée, décivilisation par la Rome antique de toute civilisation rencontrée dans sa macabre odyssée : la civilisation « judéo-chrétienne », tout comme son enfant terrible, la civilisation « arabo-musulmane » n’ont jamais été autre chose pour « les Noirs » que la « décivilisation ».

La « décivilisation » n’est pas un échange, mais une machination et une machinerie à sens unique, préméditée, programmée, organisée, planifié, calculée, effrénée, qui n’a pas de marche arrière : ça passe et ça casse, ça casse même quand ça ne passe pas, dans tous les cas, ça casse... les femmes et les hommes, les enfants et les vieillards, ça brise les corps et les cœurs, ça « nettoie » tout à son contact. Le « Delenda est Carthago » (Il faut détruire Carthage) de Caton l’Ancien, le « Un bon Indien est un Indien mort » du général yankee Custer (vaincu par les valeureux Sioux de Sitting Bull le 25 juin 1876) relèvent indéniablement du même processus de « décivilisation » initiée par les Grecs de l’antiquité (ethnocide) : « Pax israelita » (L. Sala-Molins) avec Moïse, Josué, leur peuple et leurs descendances, « Pax romana » avec Saint-Paul et tout le « blanco-biblisme » d’Occident, la « Paix verte » avec Mahomet et ses hordes musulmanes déferlant sur l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Quel que soit son pelage, le « décivilisateur » n’est pas un enfant de cœur : c’est un serviteur, un esclave tout dévoué. Il est dévoué à une et une seule cause : non pas celle de l’humain, (même si par transitivité, il l’est souvent à celle du rabbin, du prêtre, de l’imam, du pasteur...), mais celle du divin. Le « décivilisateur » a tout pour réussir : les armes, la stratégie, la tactique, la planification, la conceptualisation, la Raison et toutes les raisons, Dieu et tous les dieux. Au nom de l’Anankè (la Nécessité, la Loi), les Grecs (philosophes, scientifiques, poètes tragiques...) n’ont jamais cru que leur « supériorité » était le fruit du hasard (50), au nom de Yahvé, les Juifs ont toujours cru, depuis Moïse, qu’ils sont sans l’ombre d’un doute, le peuple élu avec raison, au nom de la Raison, le rationaliste croit fanatiquement comme Leibniz, conseiller en colonisation, qu’il existe une harmonie universelle et qu’il vit dans le meilleur des mondes possibles : c’est « la Paix blanche » de l’Occident conquérant et autiste. « Paix blanche » qui flotte sur une mer de sang, paix qui se veut immaculé et qui ne tolère aucune tâche, surtout pas noire : c’est dans la Bible, parole de Dieu.

Avec la Bible, « la Paix blanche » n’a jamais été autre chose qu’une interminable nuit blanche pour les « peuples noirs ». Passés corps et âmes à la moulinette de la « décivilisation », les descendants du « maudit » Cham (Genèse 9, 21-27) se sont accrochés à la vie de toutes leurs forces, au point de survivre au « génocide le plus glacé de la modernité » (Sala-Molins). Survivre à un génocide est une chose, vivre avec la noirceur épidermique au sein d’une civilisation judéo-chrétienne est une tout autre affaire. Et cette affaire, pas un seul « peuple noir » à travers le monde n’en a encore été blanchi ; Dieu seul sait pourtant à quel point « les Noirs » se gavent de Bible, de Coran, de Torah !


Notes

(49) R. Jaulin, La décivilisation, politique et pratique de l’ethnocide, Bruxelles, Editions Complexe, 1974, textes réunis par R. Jaulin, pp. 65-66.

(50) H. D. F. Kitto, Les Grecs, autoportrait d’une civilisation, Paris, B. Arthaud éditeur, 1959, pp. 217-218.

Illustration de couverture : Bruce CLARKE, www.bruce-clarke.co