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Origine : http://clio.revues.org/document421.html
Résumé
À partir des principaux résultats d'une recherche
sociologique réalisée en 1992, l'auteur montre dans
ce texte quelles furent les pratiques et les théories du
mouvement féministe français contemporain à
l'égard des thèmes de la maternité et de l'éducation.
En utilisant deux catégories de sources la presse de
ce mouvement social et les témoignages actuels des militantes-,
l'auteur conclut à la faible prise en compte de ces deux
thèmes par les féministes, un silence qu'elle explique
par des raisons tout à la fois sociologiques (le statut social
dominant des militantes), historiques (l'absence de transmission
d'une génération de féministes à une
autre) et idéologiques (la croyance en une libération
immédiate des femmes). Puis elle révèle quelques-unes
des pratiques pédagogiques que, en dépit d'un tel
contexte, des militantes mères de petites filles et de petits
garçons ont tenté d'élaborer et de mettre en
pratique durant la même période (1970-1980).
Table des matières
Les raisons et la méthode d'une enquête
De la dénonciation à l'éloge : le mouvement
féministe face à la maternité
Un `Émile' mais toujours pas d'Émilie : l'éducation
« féministe » des filles ou l'impensé
de ce mouvement social
Mon fils, ma fille et moi : des aberrations provisoires à
la mise en acte de grands principes
Texte intégral
Le mouvement féministe français contemporain (1970-1980),
celui-là même qui déclarait que « le privé
est politique », s'est peu préoccupé d'éducation
et de maternité1. Du moins, à son apogée (1970-1975).
On trouve bien dans la presse de ce mouvement, quelques textes isolés
qui font écho à des débats collectifs (limités
mais réels) sur ces différents thèmes. Mais
ceux-ci ne sauraient dissimuler le silence massif du mouvement féministe
- dans ses écrits et ses débats - vis-à-vis
des questions d'éducation et de transmission en direction
des filles. Néanmoins, et les entretiens réalisés
avec des femmes du mouvement en témoignent, des militantes
féministes ont expérimenté des pratiques nouvelles
envers leurs enfants, animées par la seule conviction que
« rien ne devait plus jamais être comme avant ».
L'article fera le point, d'une part, sur les théories de
la maternité et sur la critique de l'éducation traditionnelle
telles qu'elles furent élaborées par les féministes
de la seconde vague. D'autre part, il présentera brièvement
les expériences pédagogiques nouvelles que des femmes
du mouvement, mères de petites filles ou de petits garçons
à cette même période, ont mis en place.
Les raisons et la méthode d'une enquête
Une enquête sociologique a été réalisée
en 1991 avec un double objectif théorique : observer les
capacités d'un mouvement social à construire, élaborer
des valeurs collectives puis à les transmettre à ses
militant(e)s et par leur intermédiaire, à l'ensemble
de la société ; analyser comment ces valeurs se «
déplaçaient » du terrain politique et social
vers celui de la famille. A un niveau empirique, la recherche était
orientée sur l'étude des processus d'appropriation
individuelle de valeurs portées par un collectif - ce qui
revenait à observer comment l'individu intégrait des
valeurs socio-politiques particulières à sa propre
représentation du monde, forgée et construite depuis
l'enfance et, partant, comment il donnait vie et corps à
ces dernières non seulement dans ses pratiques militantes
mais aussi dans les situations de son quotidien.
Le mouvement féministe français contemporain et le
thème tout particulier de l'éducation des filles sont
vite apparus comme un terrain d'observation pertinent, notamment
parce que ce mouvement social est pionnier dans sa démarche
visant à dénaturaliser la famille tout comme les questions
touchant à l'intime des personnes2. En effet, et la lutte
pour la libération de l'avortement et de la contraception
en témoigne, ces militantes-là sont « sorties
» des thèmes revendicatifs traditionnels de la gauche.
Non sans mal3, elles ont su faire accepter l'idée que le
champ de la reproduction (famille, corps, maternité, travail
domestique...) pouvait être un espace d'exploitation ou d'oppression
au même titre que celui de la production (économique,
capitalistique). L'espace reproductif pouvait donc également
être un terrain de luttes sociales.
Aussi, si « le privé est politique » (ou «
est une construction sociale ») et si, de surcroît,
cette affirmation constitue un positionnement politique central
du mouvement des femmes, on pouvait légitimement poser pour
hypothèse que la question de l'éducation, et plus
particulièrement celle des filles, serait au coeur des réflexions
féministes. Et, pourquoi pas, constituerait le moment privilégié
où les pratiques de militantes, de femmes... et de mères
pouvaient s'accorder ou se développer de concert.
Pour mener à bien cette recherche, deux catégories
de sources ont été utilisées : l'écrit
et le discours. La première phase de l'enquête a résidé
dans l'étude des publications (journaux, brochures, livres
collectifs, revues...) du mouvement des femmes parues entre 1970
et 1980. L'ensemble des numéros de plus d'une dizaine de
revues (ou de petits journaux) a été consulté,
et parmi celles-ci : Les Pétroleuses, Le Torchon brûle,
Sorcières, La Revue d'en face, Les Cahiers du GRIF, Les Cahiers
du féminisme, Nouvelles questions féministes... Des
brochures du MLAC et des ouvrages collectifs comme Libération
des femmes : années 0, Le Livre de l'oppression des femmes,
Maternité esclave, Les Femmes s'entêtent, Petites filles
en éducation, Histoires du MLF, Le Programme commun des femmes,
etc. ont également été intégrés
à l'analyse.
Cette étude présentait de multiples avantages et
notamment celui de mesurer l'intérêt accordé
au thème de l'éducation face aux autres thèmes
de réflexion et d'action développés par les
femmes du mouvement4. Sans compter que l'espoir était grand
d'y « dénicher » quelques textes proposant, par
exemple, une série de propositions pour « une éducation
féministe des filles », à la manière
des travaux de Madeleine Pelletier (1914).
La seconde phase de l'enquête a consisté en la réalisation
d'une quinzaine d'entretiens semi-directifs de recherche auprès
de femmes, militantes du mouvement féministe et ayant connu
la maternité entre 1968 et 1975 - ces deux dates ayant été
choisies parce qu'elles correspondent à l'origine et au début
du déclin du mouvement social. Le fait qu'elles aient été
mères d'une petite fille ou d'un petit garçon n'a
pas été retenu lorsqu'il s'est agi de construire l'échantillon
de l'enquête. En revanche, un soin tout particulier a été
porté au fait que les différents groupes ou courants
de pensée du mouvement soient représentés et
sur ce point, l'objectif visé a été atteint
au-delà de toutes espérances.
Sachant que toutes les femmes rencontrées ont chacune milité,
simultanément ou successivement, dans deux structures au
moins, on dénombre pas moins de vingt-quatre groupes représentés
parmi l'échantillon. Dresser la liste de ces groupes peut
paraître fastidieux mais, pour qui connaît peu ou mal
le mouvement féministe, cela permet de le resituer davantage
et de saisir ce qu'il fut à sa « grande » époque
: un mouvement éclaté certes, mais aussi massif, touffu,
riche d'expériences diverses. Ainsi, les femmes rencontrées
ont milité, pour le moins, au sein d'un des groupes suivants
: « Les Pétroleuses », quatre « Groupes-femmes
de quartier » (Paris et Marseille), plusieurs « Groupes
de paroles » et deux « Groupes-femmes étudiantes
» (mêmes localités), le « Groupe Psychanalyse
et Politique » (« Psy et Po »), deux « Commissions-syndicales
femmes » de la CFDT (fédération « Finances
» et « Éducation Nationale »), le «
Groupe de réflexion sur le désir d'enfant »,
le « Groupe des femmes mariées », le «
Groupe du Jeudi », deux comités de rédaction
de revue, « l'UFF » (Union des Femmes Françaises),
le « MLAC » (Mouvement pour la libération de
l'avortement et de la contraception), le « MFPF » (Mouvement
français pour le Planning familial), le « GIS »
(Groupe Information Santé), deux « Groupes-femmes »
d'un parti politique (PSU - Parti socialiste unifié - et
LCR - Ligue Communiste Révolutionnaire), le « Groupe
de femmes salvadoriennes » et un « Centre de recherche
universitaire pour les études féministes ».
Les entretiens se sont déroulés en deux temps : le
premier portait essentiellement sur l'engagement militant de ces
femmes (la prise de conscience, les raisons de leur militantisme...)
et sur la « vie » des groupes auxquels elles ont participé
(les débats, les conflits, les actions publiques, l'attitude
du groupe face à la présence des enfants de l'une
des militantes). Le second volet de l'entretien était consacré
aux questions éducatives et relationnelles. Posant par hypothèse
que les militantes féministes auraient à coeur de
ne pas reproduire les schémas pédagogiques anciens,
il semblait important de faire le point avec elles sur tout ce qui,
dans l'éducation traditionnelle, fait l'objet d'une pratique
sexuellement différenciée très marquée.
Elles ont donc été invitées à s'exprimer
sur la question des vêtements, du choix des couleurs, des
jouets, de la littérature enfantine... sur le type de sorties
et de loisirs suggérés à l'enfant, sur le rapport
au corps, à l'autonomie...
De la dénonciation à l'éloge : le
mouvement féministe face à la maternité
Si l'on devait décrire quelle fut l'attitude du mouvement
des femmes à l'égard de la maternité, il faudrait
impérativement distinguer trois étapes successives
(dont on trouve les échos dans la presse féministe)
et qui, parfois se « chevauchent » durant un an ou deux.
La première, 1970/1971, est celle de la « Maternité
volontaire » ou de la lutte pour la libération de l'avortement.
Par un doux euphémisme, on parlera un temps de « maternité
volontaire », par exemple dans la revue Partisans5, pour défendre
le droit à l'avortement et à la contraception. L'idée
de « volontariat » est donc à entendre dans une
seule de ses acceptations : avoir le droit, la possibilité
et le choix de ne pas avoir d'enfant quand on ne le désire
pas. De fait, c'est aux femmes et à elles seules que le mouvement
pense (et on peut le comprendre6) lorsqu'il se bat pour l'avortement
et non aux nouvelles relations qui pourraient s'instaurer entre
la mère et l'enfant si la maternité n'était
plus conditionnée par le hasard ou l'obligation. Cela peut
paraître une évidence lorsqu'on sait à quel
point le droit de choisir et la lutte pour l'avortement sont déterminants
dans la constitution du mouvement féministe. Cependant, on
pouvait élaborer une toute autre hypothèse, en raison
notamment de l'utilisation réitérative d'un certain
nombre d'illustrations ou de logo mettant en scène l'enfant
comme l'enjeu de la lutte en cours. Sur les couvertures des brochures
ou les banderolles de manifestations, on notera l'omniprésence
d'un dessin représentant un bébé portant une
pancarte sur laquelle est inscrit : « C'est tout de même
plus chouette de vivre quand on est désiré »
ou cet autre (repris dans Le Torchon brûle, n°1) montrant
une petite fille pleurant parce qu'elle est « un bébé
Ogino » et « qu'elle en a marre d'être une mal
aimée ».
En réalité, c'est essentiellement en réponse
aux groupes anti-IVG qui se présentent comme les défenseurs
de l'enfant à venir, que certaines femmes (rares, il est
vrai) vont se situer elles-aussi sur le terrain de l'enfant. Parmi
elles, S. de Beauvoir qui à l'occasion du procès de
Bobigny (1973) écrira7 : « Enfants délaissés,
enfants martyrs, enfants abandonnés à l'Assistance
Publique : la plupart des délinquants, beaucoup de criminels
ont pris la vie par ce triste départ ; ce sont ces déshérités
qui se pendent dans nos prisons ; souvent ils finissent leur vie
dans des hôpitaux psychiatriques ».
Aussi poignant (démagogique ?) que soit ce passage, il ne
doit pas masquer le fait que l'essentiel de son argumentaire en
faveur de l'avortement est ailleurs : l'avortement doit être
légalisé d'abord parce qu'il accentue les inégalités
sociales entre les femmes (les plus fortunées allant avorter
dans des conditions optimales de sécurité en Angleterre
ou aux Pays-Bas, les plus pauvres n'ayant d'autre choix que le recours
aux faiseuses d'anges). Il doit être légalisé
ensuite parce que « quand la femme aura obtenu (...) une maîtrise
de son corps (...) elle sera disponible pour d'autres luttes. Elle
comprendra qu'il lui faudra se battre à la fois pour changer
son propre statut et cette société qui le lui impose.
Elle se battra. Et j'espère qu'un jour viendra où
elle gagnera »…
Plus sûrement, il faut retenir l'absence quasi générale
de réflexion du mouvement sur la maternité non plus
subie, mais « volontaire » justement. D'ailleurs, dès
1972, le terme de « maternité volontaire » disparaît
des textes et des brochures défendant le droit à l'avortement.
C'est dans un tout autre contexte que les militantes féministes
vont reparler de maternité et il convient de préciser
que cette réflexion, contrairement à la première,
va s'inscrire dans la durée (1970 / 1976).
La deuxième étape, 1970 / 1975, est celle de la théorie
de la maternité comme esclavage et voit se développer
l'utopie de l'émancipation immédiate des femmes Une
nouvelle fois, les textes publiés en 1970 dans la revue Partisans
vont donner le ton : la maternité y est analysée comme
une fonction sociale qui fait des femmes des « esclaves ».
L'univers de la production économique servira ici de modèle
explicatif à la situation faite à « la femme-mère
». Tel l'esclave, bâtisseur de pyramides mayas, incas
ou égyptiennes, dont la force de travail était utilisée
et accaparée sans contre-partie, la « femme mère
» exécute le travail domestique à titre gratuit,
sans attendre en retour ni reconnaissance sociale ni avantage. Elle
est alors « esclave » parce qu'elle est dépossédée
de sa force de travail par l'homme mais aussi parce qu'elle est
sous sa dépendance.
Les textes du mouvement qui seront publiés par la suite
ne développeront pas tous une semblable analyse mais jusqu'en
1975-1976, il existe un certain consensus des militantes féministes
dans le fait de considérer la maternité comme une
forme d'esclavage et, à tout le moins, comme un outil fondamental
de l'oppression des femmes. Dans un autre registre, c'est-à-dire
sans faire de comparaison avec le système productif, il s'agit
désormais de s'inscrire en faux face à l'idéologie
traditionnelle qui fait de la maternité la raison d'être
d'une femme et qui seule lui confère son véritable
statut social. Telle est en tout cas la démarche choisie
par le collectif de femmes à l'origine de la publication
du Maternité esclave (1975) : la dénonciation systématique
de tout ce qui, dans le quotidien des femmes, fait que la maternité
devient le « sacrifice de notre vie à celle des générations
futures, (une) muraille de Chine toujours à reconstruire
»8. Aussi, c'est à une sorte d'inventaire non des joies
mais des peines ou des contraintes du rôle maternel que le
lecteur ou plutôt la lectrice est convié(e). C'est
« un travail écrasant », disent-elles, «
on est grignotée, bouffée, sucée, pompée,
mangée, vidée, détruite, dévorée...
». Tout y passe et pas seulement le temps passé avec
l'enfant, présenté comme un sacrifice : « Il
en faut de l'amour, n'est-ce pas, pour accepter de se transformer
en machine à soigner, pour renoncer, pendant les années
les plus actives, à toute vie personnelle ? ». La grossesse
est également dénoncée pour les dommages qu'elle
est censée provoquer sur le corps féminin : «
Tout enfantement alourdit, distend, meurtrit » affirment-elles.
L'objectif d'une telle démonstration est clairement annoncé
: « La seule attitude cohérente quand on a réellement
pris conscience de ce que notre société a fait de
la maternité est de la refuser ». Cette prise de position
n'est pas sans rappeler la « grève des ventres »
lancée par Nelly Roussel en 19199. Toutefois, le groupe qui
a rédigé Maternité esclave n'ira pas jusqu'à
défendre ce mot d'ordre jusqu'au bout, considérant
quand même « (que) les choses sont loin d'être
simples, parce que l'on se refuse alors à une expérience
humaine importante ». Aussi, à défaut d'appeler
à la grève des ventres, préfère-t-il
informer les femmes sur « ce que ça nous coûte
d'être mères ».
La même année, à l'occasion de la parution
du livre Les Femmes s'entêtent (1975), un texte10 reviendra
sur cette question en se montrant plus explicite encore sur l'attitude
que les militantes féministes doivent adopter à l'égard
du thème de la maternité : « Il ne s'agit pas
pour nous de poser comme tactique ni même comme but une grève
de la procréation (...) mais d'expliciter suffisamment la
menace en mettant l'emphase sur la légitimité de ne
pas avoir d'enfants ». En décrivant la maternité
comme une « menace », il s'agit avant tout pour ces
militantes de diffuser un message allant dans le sens d'une dissociation
entre le féminin et le maternel ou, plus exactement, de revendiquer
pour les femmes un statut social à part entière («
légitime ») en dehors de la maternité.
À ce point de la démonstration, il convient de remarquer
qu'à travers cette dénonciation quasi systématique11
de la maternité, se profile l'une des particularités
du mouvement féministe français contemporain : la
croyance qu'une émancipation immédiate des femmes
est possible. Mieux : qu'elle est en marche - à ce titre,
le titre de la revue Partisans est on ne peut plus révélateur
de cet état d'esprit : « Libération des femmes
: Année 0 » ! La démarche politique adoptée
par les groupes de paroles illustre cet état d'esprit. Ces
groupes (également appelés « groupes de conscience
») avaient pour but de favoriser l'expression des femmes et
la prise de conscience (individuelle et collective) de cette même
oppression. Ici, le témoignage des femmes rencontrées
est précieux : « Je trouve que tant qu'on n'est pas
passé dans un groupe de conscience, on reste dans l'idéologie,
on fait pas de démarche intérieure (...) Moi, je pense
que tant que les structures mentales ne changeront pas (...) ça
n'évoluera pas » dit aujourd'hui Danièle. «
Dans le mouvement (...) on engageait tout, on engageait une sorte
de révolution des esprits » raconte Marie-Claude. «
Mon évolution en tant que féministe (...) a eu des
implications sur mon fonctionnement quotidien et des répercussions
sur... la façon que j'avais d'aborder la relation de couple
» précise Catherine qui a d'ailleurs divorcé
à la même époque.
`Changer les structures mentales', `engager une révolution
des esprits', `modifier les rapports hommes / femmes dans le couple'...
À les entendre, on se rend bien compte qu'il ne s'agit pas
de simples mots d'ordre mais d'un type de conduites et de comportements
qu'elles étaient déterminées à adopter
ici et maintenant, c'est-à-dire, sans attendre un quelconque
« Grand Soir ». En un sens, leur participation aux groupes
de parole s'inscrivait déjà dans un processus de libération.
Et les prises de position du mouvement à l'égard de
la maternité (évoquées plus haut) participent
de cette même croyance en une émancipation immédiate
des femmes. Action politique et action dans la famille ne seraient
alors plus dissociables : si la maternité est un esclavage
pour les femmes et si on le leur dit, leur montre et démontre,
alors elles peuvent y échapper. Et si elles y échappent
alors dans une certaine mesure, elle se libèrent parce qu'elles
rompent avec l'un des principaux outils ou des principales armes
de leur oppression spécifique.
En 1979, deux militantes du mouvement12 reviendront sur cette notion
de « maternité esclave » et tâcheront de
l'expliquer en insistant comme on vient de le faire sur le sentiment
qui animait les militantes à cette époque - participer
à une « révolution des esprits et des corps
» en cours : « C'est vrai qu'il fallait, à partir
du Mouvement de libération des femmes, faire oeuvre iconoclaste,
briser les carcans, brûler les mielleries de la fête
des mères, jeter du vitriol sur les idéologies fascistes,
pas si lointaines que ça, du `Kinder', `Kirsche', `Küche'...
». Mais une telle utopie n'aurait pas eu un tel impact sur
les discours et les pratiques des militantes féministes à
l'égard de la maternité si certaines conditions sociologiques,
propres à ce milieu, n'avaient pas été réunies.
Notons que la composition sociale du mouvement est homogène,
notamment en ce qui concerne l'âge des militantes - entre
20 et 30 ans, en moyenne, à la création du mouvement
(1970)13 - et leur situation familiale : la majorité des
militantes de cette époque n'est pas mariée et...
n'a pas d'enfant. Comme le dit Magali, l'une des femmes rencontrées
: « Moi, j'avais un môme et à l'époque,
c'était pas la mode (...) Le Mouvement s'est réapproprié
la maternité vers les années 1976, finalement vers
la fin. Mais au départ (1970), la maternité c'était
pas le truc des féministes (...) Cinq ans plus tard, toutes
les copines en voulaient, elles étaient toutes `gagas' ».
La dernière étape, 1976 / 1980, est celle de la `maternitude'14.
À partir de 1976, c'est un tout autre discours qui émerge
et prend résolument à contre-pied le précédent.
Finies les descriptions pesantes des dommages corporels causés
par la grossesse. Finies les analyses qui ne voient dans l'enfant
que la disponibilité qu'il exige de sa mère. Finies
aussi celles qui ne parlent de la maternité que sous le registre
du travail domestique non rémunéré. Voici venu
le temps de l'éloge et du changement d'approche : désormais
les textes évoquent centralement tout ce qui touche au sensible,
au corporel / charnel, au relationnel et... au plaisir. Sans compter
que la place accordée à ce thème dans les publications
du mouvement devient tout à fait considérable15.
Dès 1976, la quasi-totalité d'une revue (le n°3
de Sorcières : « Enceintes, porter, accoucher »)
lui est consacré. Un an plus tard, c'est au tour des Cahiers
du GRIF (une publication belge, très lue et discutée
en France) de publier un numéro spécial : «
Mères / femmes ». Et au même moment, La revue
d'en face qui vient de se créer, dédit à la
maternité une rubrique permanente : « Ma fille et moi
». Toutes les questions qui ont été abordées
lors des réflexions sur la « maternité esclave
» sont revisitées de fond en comble. Telle la grossesse
: « Ce que je trouve très beau dans la grossesse »
dit une militante (in Sorcières16), « ce corps qui
cesse de se suffire à lui-même et qui devient maison,
abri, nourriture ». Une autre lui répond : «
Je me trouvais belle enceinte. Je voulais qu'on fasse des photos
de mon ventre ». Et cette dernière : « J'ai eu
l'impression de toucher quelque chose de très pur, de toucher
de la terre, de l'eau (...) Ce qui me semblait important c'était
de me sentir mammifère, femelle, animal porteur de mamelles
qui va avoir un petit, peut-être même plusieurs... ».
Quant à l'enfant, il devient sujet de poèmes en prose
: « Enfant de mes entrailles tu m'as fait naître. Force
délivrée par ta naissance, dureté, inexpugnabilité.
Décision irrévocable de lutte à mort pour la
vie (...) Laissez aux mères et à l'enfant la jouissance
incestueuse, rageuse, révolutionnaire »17.
Dans ce changement d'approche, même le style littéraire
se métamorphose - des froides descriptions « sociologiques
», on passe à la poésie. On parlait de la maternité
comme d'une fonction sociale, on en parle désormais comme
d'une expérience humaine, dans ce qu'elle a de plus «
naturelle » ou biologique. Mieux : l'expérience de
la maternité devient presque un vécu hors du social.
Rejetée hier, valorisée voire sacralisée aujourd'hui,
des femmes vont jusqu'à déclarer que donner la vie
constitue une seconde naissance pour elles. Ce qui, en des termes
moins métaphoriques, revient à dire que cette expérience
a changé leur façon d'être et leur identité.
Une autre grande différence tient au contexte dans lequel
cette nouvelle réflexion du mouvement intervient : une période
marquée par le reflux de l'agitation sociale de masse. Il
y aura bien la grande manifestation de 1979 lors du vote à
l'Assemblée Nationale qui devait confirmer la loi Veil de
1975, il n'empêche que le nombre de groupes de femmes existants
a profondément diminué. Et si les revues féministes
se multiplient à cette même époque, cela ne
reflète pas pour autant l'état réel des «
forces » du mouvement - dans bon nombre de cas, les comités
de rédaction des revues et les groupes militants se confondent.
Le mouvement des femmes est en train de perdre ce qui faisait de
lui un mouvement social d'ampleur (son implantation dans les quartiers
et les universités18, notamment, régresse).
L'impact de cette nouvelle réflexion sur la maternité
est donc à relativiser. Pour l'anecdote, notons que la quasi-totalité
des femmes rencontrées avaient déjà quitté
le mouvement quand ce discours de la maternitude est devenu central.
En tant que militantes féministes actives, elles n'auront
donc connu que la théorie de la « maternité
esclave », une théorie dans laquelle elles ne se reconnaissaient
pas. Et l'on peut se demander dans quelle mesure la distance existante
entre leur vécu quotidien de mère et la thèse
longtemps dominante du mouvement à l'égard de la maternité
n'a pas contribué à les éloigner d'un mouvement
dans lequel elles se sentaient marginalisées.
Avant de passer au thème plus spécifique de l'éducation,
il convient de remarquer que même lorsque les textes évoquent
la maternité de manière positive, ce n'est toujours
pas de relation mère / enfant dont il est question. C'est
encore d'elles dont ces femmes parlent, de ce qu'elles ressentent
(et c'est bien naturel) mais surtout de ce que cette expérience
change en elles. L'enfant, dans ces nouveaux discours, n'existe
que par les sensations qu'involontairement ou presque il a provoqué
chez sa mère en naissant.
Un `Émile' mais toujours pas d'Émilie : l'éducation
« féministe » des filles ou l'impensé
de ce mouvement social
La réflexion sur l'éducation portée par le
mouvement des femmes s'est déroulée en deux étapes
bien distinctes : une première période (1970 / 1975)
au cours de laquelle ce thème n'est que très faiblement
discuté, puis une seconde marquée par un (faible)
regain d'intérêt des militantes pour cette question.
En revanche, on n'observera pas à propos de l'éducation
une opposition théorique aussi marquée que celle occasionnée
par le débat sur la maternité. Cette absence d'opposition
révèle une moindre théorisation (ou réflexion
organisée) de ce thème par les féministes de
la seconde vague. Mais pas seulement.
Lorsque l'on consulte les quelques textes du mouvement sur ce sujet,
on a souvent la sensation (un peu inconfortable) de lire le journal
intime d'une adolescente en révolte contre ses parents. À
titre d'exemple parmi tant d'autres, ce texte publié dans
le premier numéro du Torchon Brûle et qui commence
par ces mots : « Chers parents, vous m'avez tuée dès
mon plus jeune âge ; merci mon Dieu. Papa, maman (...) Vous
m'avez toujours confinée dans la famille (...) Vous ne m'avez
jamais donné la parole. Vous ne m'avez jamais écoutée...
»19. Ou cet autre poème en prose d'une grande violence
verbale : « Mère-ma-mort, voici ma vie (...) toi mon
bourreau, tapie au fond de moi »20.
Cette démarche intellectuelle, qui prend racine dans le
vécu individuel et à partir de ce vécu révèle,
reconstruit puis dénonce les fondements généraux
de l'oppression des femmes, n'est pas en soi une nouveauté
dans le mouvement féministe - la plupart des textes sont
composés sur un modèle similaire. F. Picq (1973),
qui a tenté de faire l'histoire de ce mouvement, ne dit pas
autre chose : « Il n'y a de “savoir” sur l'oppression
des femmes que celui du vécu de chacune »21. Mais le
passage de l'expérience vécue à la théorisation
générale ne sera que rarement fait pour ce qui concerne
le thème l'éducation. En outre, ces textes-témoignages
n'ont rien d'une projection sur l'enfant à naître :
quand les femmes écrivent, c'est en tant que « filles
de leur mère » et non en tant qu'éducatrices.
Elles ne semblent pas davantage se « projeter » dans
l'avenir en tâchant d'imaginer quel « genre »
de mères elles seront plus tard. C'est vers le passé
qu'elles regardent, leur passé qu'elles décrivent
et dénoncent : « J'ai été nourrie dès
le berceau de l'idée que les femmes souffrent et c'est comme
ça, c'est la vie (...) Ces malheurs leur viennent des hommes,
qui sont des salauds et c'est comme ça la vie, et il n'y
a rien à faire... »22.
En fait, jamais elles ne semblent s'identifier au statut social
d'éducatrice23, qui seul leur aurait permis de penser ou
d'élaborer un modèle éducatif alternatif au
modèle traditionnel. Encore et toujours elles cherchent à
comprendre pourquoi leur mère leur a « transmis l'oppression
». Aucune des femmes qui écrivent ne se met en position
de briser le cercle de l'assujettissement des femmes. Aucune ne
dit, par exemple : « ma mère a fait ça, alors
je ferais autrement ». On cherchera donc sans succès
une quelconque version « moderne » de « l'éducation
féministe des filles » et l'on ne trouvera pas davantage
de textes y faisant référence.
Dans son contenu, la critique féministe de l'éducation
traditionnelle, telle qu'elle se donne à voir dans les publications
du mouvement, pourrait être résumée en quelques
lignes. Il s'agit tout d'abord d'une dénonciation en règle
du rôle de la mère qui est généralement
décrite comme « la courroie de transmission de l'oppression
des femmes ». C'est ensuite une mise en accusation de l'orientation
normative de l'éducation des petites filles, une éducation
pensée et conçue dans un rapport de stricte opposition
avec celle des petits garçons. C'est enfin une remise en
cause du pouvoir presque absolu que tout parent s'estime être
en droit d'exercer sur son enfant. Ce dernier point n'est pas spécifique
aux militantes féministes, il a été porté
par l'ensemble de la génération de Mai 68 (Fize M.,
1990), mais c'est celui qui fait véritablement la différence
avec les analyses des pionnières du féminisme, telle
S. de Beauvoir.
La question du pouvoir parental mise à part, on est frappé
par la grande similitude de ces (rares) analyses avec ce qu'écrivait
la philosophe en 1949. Cependant, à lire les féministes
de la seconde vague, rien ne permet de penser que cette similitude
puisse être attribuée au fait qu'elles aient lu Le
Deuxième sexe et s'en inspirent sans vergogne (c'est-à-dire,
sans jamais citer l'auteur). Tout laisse à penser qu'à
partir de leur propre expérience (toujours) et sans vraiment
s'en rendre compte, elles « font du S. de Beauvoir »
(évidemment pas dans sa dimension philosophique, mais dans
la façon qu'a cette auteure d'étudier comment «
la femme fait l'apprentissage de sa condition »). Ce qui reviendrait
à dire - mais l'on éprouve quelque peine à
s'aventurer jusque là, tant ce point peut être sujet
à controverses - que d'une génération de féministes
à l'autre, la transmission n'a pas eu lieu ou, à tout
le moins, n'a pas été revendiquée comme telle24.
F. Picq indique pour sa part que le « mouvement naissant ne
se connaît pas d'histoire » et ce, dit-elle «
par ignorance des luttes passées (...) ou désaveu
de filiation »25. En revanche, il ne fait aucun doute pour
elle que les militantes du MLF aient lu Le Deuxième sexe.
Les fondatrices parisiennes ? Certainement et ce, d'autant plus
que bon nombre d'entre elles suivaient par exemple les cours de
la sociologue Andrée Michel et plus tard (1973), ceux de
l'historienne Michelle Perrot, mais les autres ? c'est-à-dire
toutes les autres femmes qui ont rejoint le mouvement par la suite
? Rien n'est moins sûr. Quoiqu'il en soit, de la lecture à
l'appropriation, il y a un pas que toutes n'ont sans doute pas franchi.
Cependant, il ne faudrait pas que l'étude systématique
des textes concernant l'éducation induise une erreur d'appréciation
sur la place réelle accordée à ce thème
au sein des discussions collectives du mouvement. En fait, et les
témoignages recueillis par l'enquête en témoignent,
dans les groupes on en parle très peu. Très peu, proportionnellement
à tous les autres thèmes, mais quand même davantage
que dans d'autres mouvements sociaux contemporains au mouvement
féministe. Très peu ou pas du tout, c'est selon :
« Dans le groupe de Fac, y'avait que moi (qui avait un enfant)
» dira Jacqueline, « On en a jamais parlé, c'était
pas notre truc (...) On parlait de comment on allait débattre
à la fac, comment organiser tel ou tel truc... ». Pauline,
militante des Pétroleuses, confirme : « Dans mon groupe,
j'étais la seule à avoir un enfant (...) On discutait
beaucoup du couple, de la liberté qu'on donnait ou pas au
conjoint, de la liberté qu'on se donnait à soi-même,
de l'homosexualité (...) Comme on avait un journal, fallait
l'écrire et puis le vendre donc on discutait de ça
aussi ».
Il est clair que le fait qu'elles aient été peu nombreuses
à cette époque à être à la fois
mères et militantes explique largement le silence du mouvement
sur ce thème. Mais la plupart des femmes rencontrées
insistent sur un tout autre facteur explicatif : elles disent avoir
subi de la part des autres militantes une sorte de mise au ban ou
de jugement collectif plus ou moins explicite et violent à
leur encontre. Telle Danièle qui souhaitait que son groupe
s'exprime sur la maternité et l'éducation, mais dont
les propositions en ce sens n'ont jamais été acceptées
: « C'est toujours difficile quand vous êtes adhérente
d'un mouvement de libération et, quand vous arrivez-là,
vous vous rendez compte qu'une partie de vous est interdite dans
le lieu où vous pensiez vous libérer. C'est dur ».
D'autres femmes, qui ne militaient pas dans le même groupe
que Danièle, ont de semblables souvenirs : « Il semblait
qu'avoir des enfants était une trahison » raconte Frédérique,
« Une trahison majeure pour celles qui croyaient qu'avoir
un enfant c'était pactiser avec les hommes. Une tradition
sociale... pour celles qui pensaient que c'était un enfermement
dans la domesticité et dans les rôles traditionnels
(...) Pour avoir un esprit vraiment indépendant, il fallait
pas avoir d'enfant ». Frédérique a d'ailleurs
tant craint que le fait d'être enceinte soit mal vu par les
autres femmes, qu'elle est allée jusqu'à demander
« l'absolution » de la « leader » de son
groupe. Régine, enfin, se souvient : « Quand j'emmenais
(ma fille) en réunion, les autres femmes ne disaient pas
un mot. Elles disaient pas : `C'est ta fille ? C'est ton fils ?
Comment il s'appelle ?' C'était comme si les gosses n'existaient
pas. Ça, c'était très difficile à vivre
parce qu'on se sentait rejetée en tant que mère (...)
Donc moi, à la fois j'étais ravie d'avoir une fille
et il y avait une espèce de... pas de honte, mais j'étais
pas conforme au modèle ».
Dans de telles conditions, comment re-penser l'éducation
des filles ? Dans les faits, la réflexion n'a pas eu lieu
et le collectif n'a pas été en mesure d'influer (ni
n'a souhaité y prendre part) sur les pratiques, rendues nécessairement
individuelles, des militantes mères de famille. À
ce stade de la démonstration, on pourrait légitimement
se demander si l'élaboration collective de modèles
pédagogiques alternatifs entrait véritablement dans
les « attributions » de ce mouvement social. Etait-ce
son rôle quand, au même moment, une lutte essentielle
pour l'ensemble des femmes (celle pour le droit de choisir) était
en train de se dérouler ? Pourtant, ce serait oublier que
pour bien d'autres questions (et notamment celles relatives à
la sexualité), ce mouvement n'hésitait pas à
envisager des contre-modèles. Que penser alors de cet «
impensé » du mouvement féministe ? C'est sur
ce point que se concluera cet article, non sans un dernier détour
par l'exposé des pratiques sociales des militantes à
l'égard de leurs enfants.
Mon fils, ma fille et moi : des aberrations provisoires
à la mise en acte de grands principes
À défaut de modèle « clé en main
», la conviction qu'il fallait tout changer, que plus jamais
les petites filles et les petits garçons ne devaient être
élevés comme avant, guidait l'action des femmes rencontrées.
Mais comment faire ? Il leur fallut improviser et dans ce rôle
d'inventeur Lépine d'un genre particulier, il y eut bien
quelques ratés ou, comme les femmes rencontrées les
désignent, non sans humour : « quelques aberrations
provisoires ». La plus importante d'entre elles a consisté
à s'inscrire en faux face à tout ce qui est généralement
réservé à l'un ou l'autre sexe. Certaines,
mères de petites filles, ont prohibé l'achat de poupées
(mais elles les ont mises entre les mains de leurs fils), la possession
et l'utilisation de jupes, de robes et autres souliers vernis. Les
garçons aussi ont eu leur lot d'interdits : les armes à
feu en plastique et les petites voitures, offertes aux filles cette
fois. Dans le même ordre d'idées, elles ont mis sous
clef tous les contes de fées jugés trop sexistes.
Si ces femmes parlent d'aberrations provisoires, c'est bien sûr
parce que les enfants n'acceptaient pas toujours (ou alors, un temps,
pour faire plaisir à maman) les jouets qu'elles leur offraient
et ce, parce qu'ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient
posséder les jouets de leurs copains/copines. De même,
l'idée d'une sélection drastique en matière
de littérature posait de multiples problèmes : peut-on
priver un enfant de la culture générale commune ?
Plus sûrement, cette attitude, aussi bien intentionnée
soit-elle, entrait en parfaite contradiction avec les valeurs anti-autoritaristes,
portées par la révolte de Mai 68, auxquelles ces militantes
adhéraient par ailleurs. S'il est interdit d'interdire, comment
refuser à l'enfant ce qu'il désire (et ce, même
si l'on pense que c'est mieux pour lui) ? Comment lutter en tant
qu'individu pour la libération des femmes et se comporter
en tant que mère comme un « censeur » domestique
? La contradiction apparaissait d'elle-même. Rappelons également
qu'à cette époque, le « politiquement correct
» n'était pas un concept auquel les féministes,
les Françaises comme les autres, se référaient.
Assez vite en fait, les femmes rencontrées ont adopté
un tout autre type de pratiques, plus en accord sans doute avec
leur personnalité et leur militantisme - un militantisme
certes subversif mais à tendance « libertaire ».
Sans compter qu'elles ne souhaitaient pas non plus être «
enfermées » dans leur rôle maternel en y consacrant
trop de temps et d'investissement. Elles voulaient garder du temps
pour elles ou comme le dit Magali : « On voulait pas trop
se faire chier avec les mômes ». Ce dernier impératif
a rapidement trouvé sa place parmi les grands principes pédagogiques
: pour que la femme ne soit pas étouffée par la mère
qu'elle est aussi, il faut que rapidement l'enfant acquière
une autonomie, qu'il sache se « gérer » seul
(jouer seul, sortir seul...). L'autonomie de mouvement et de décision
a longtemps été réservée aux hommes,
disent les féministes, alors la permettre à sa fille
présente un double avantage : le premier est pour la mère
et le second pour l'enfant elle-même, pour qu'elle se construise
et se vive comme un être indépendant de corps et d'esprit.
Le second principe pédagogique découle immédiatement
de celui-là : si l'enfant doit sortir seul, alors il faut
l'armer contre la violence sexuelle masculine. Très tôt,
donc, est posé le problème de l'inscription des filles
à des cours d'arts martiaux pour qu'elles apprennent à
se défendre. À défaut, la mère se fixe
comme objectif de la former à la vigilance et à l'auto-défense.
Cette formation se veut théorique et pratique : « Je
lui ai parlé des risques de l'agression très longuement
» raconte Mireille, « du coup, je lui avais expliqué
que tout homme est un ennemi en puissance (elle rit), qu'il faut
jamais faire confiance à un homme a priori, parce qu'il est
une menace permanente ». Frédérique confirme
: « J'ai vraiment essayé de développer en elle
une certaine agressivité... je l'ai toujours beaucoup encouragée
à développer ses qualités physiques ».
Et Jacqueline, plus pragmatique encore, confie : « Je lui
ai toujours dit : Si on t'attaque, tu te défends, tu donnes
des coups de pied où il faut et de préférence
dans les c... si c'est un mec ».
Le troisième grand principe qui a animé ces femmes
est plus complexe à formuler. Il part d'une constatation
que chacune a expérimenté dans sa famille : la petite
fille est traditionnellement peu valorisée. Soit on lui préfère
son frère, soit on lui fait comprendre qu'un garçon
« c'est toujours mieux » qu'une fille, en valorisant
par exemple l'organe sexuel masculin et en maintenant caché
celui de la soeur. Il s'agit donc pour les militantes rencontrées
d'inverser la tendance, c'est-à-dire de valoriser le féminin
sans pour autant élever les garçons dans une infériorisation
tout aussi injustifiée à leurs yeux26. Dans cette
optique, chacune va inventer une petite méthode et saisir
la moindre occasion (très souvent les premières règles)
pour faire passer le message. Telle Mireille : « Le jour dit,
j'ai acheté un énorme « Castel au chocolat »,
un grand gâteau super bon (elle rit) Et j'ai dit : `Voilà,
c'est pour fêter ton entrée dans le monde des femmes'.
On a fait comme si c'était un anniversaire ». Ou encore
Frédérique : « C'était surtout dans le
bain (...) Je lui disais que son sexe était très beau.
Il y avait toute cette poétique autour du sexe féminin
et de sa ressemblance avec un coquillage ». Et Jacqueline,
enfin : « Je lui disais que les mecs avaient un zizi dehors
et les nanas, un zizi dedans et qu'en plus, les nanas, elles pouvaient
faire des enfants (elle rit), ce qui était encore mieux ».
Le dernier grand principe vise à étendre les possibles
de chaque sexe là où l'éducation traditionnelle
tentait de les restreindre en les compartimentant selon des critères
sexués exclusifs. Dans cette optique, tout est possible ou
tout est permis, comme on voudra. Qu'il s'agisse de vêtement,
de jeux, de livres, de sorties... ou de comportements (pleurer ou
ne pas pleurer, grimper à l'arbre ou ne pas grimper, se battre
avec les copains ou ne pas se battre etc.), chaque enfant est encouragé
à tout expérimenter puis à agir suivant ses
désirs, sans que son appartenance sexuelle n'entre en ligne
de compte. Un exemple parmi tant d'autres nous est fourni par Frédérique
: « Moi, ce que je voulais, c'est qu'elles aient, autant que
possible, le choix. Après si elles décident de ne
pas jouer au train électrique, c'est leur problème.
Mais le train électrique, ça pouvait être à
elles si elles le voulaient ».
L'absence de modèles collectifs alternatifs et de discussions
au sein du mouvement féministe a indéniablement pesé
sur l'action des mères féministes rencontrées.
Elles-mêmes disent avoir vécu le face à face
avec l'enfant dans l'enthousiasme mais surtout dans l'angoisse de
mal faire. Confrontées aux défis multiples qu'imposait
une éducation nouvelle, elles se sont senties seules, isolées
voire abandonnées par un mouvement social qui, par bien d'autres
aspects, les accompagnait sur le chemin de leur propre libération.
Cependant, elles ont agi et tenté à leur niveau (strictement
individuel, donc) de ne pas reproduire les schémas anciens.
Une autre enquête pourrait d'ailleurs faire le point avec
les filles et les garçons de féministes sur ce qu'ils
ont gardé ou retenu des principes maternels27 et, pourquoi
pas, tenter de cerner quels adultes, hommes et femmes, ils sont
devenus. Mais dans cette conclusion, il nous faut revenir sur ce
qui, dans cet article, a été qualifié «
d'impensé du mouvement féministe » - soit le
silence de ce mouvement social sur les questions de maternité
et d'éducation.
Il va sans dire que les groupes ou les individus anti-féministes
y verraient une illustration de la haine des féministes pour
l'enfant (ce que certains n'ont pas hésité à
faire à propos de l'expérience personnelle de S. de
Beauvoir) ou encore, de leur absence de tout sentiment maternel
- laquelle absence constitue à leurs yeux la preuve que les
militantes féministes ne sont pas de vraies femmes28. Tel
n'est évidemment pas notre point de vue. Quant aux discours
de la maternitude, ils ne signifient pas davantage un retour ou
un sursaut d'instinct maternel (ce qui signifierait qu'elles l'avaient
perdu un temps, chose à laquelle nous ne pouvons adhérer).
En fait - et l'article a tenté d'en faire la démonstration
- des conditions tout à la fois sociologiques, politiques
et idéologiques ont contribué à faire de ces
différents thèmes une question secondaire face à
l'immense tâche que s'était fixée le mouvement
des femmes : libérer (ou contribuer à libérer)
l'ensemble des femmes de la domination masculine. Il peut sembler
curieux, lorqu'on a 20 ans aujourd'hui, que tant de femmes aient
pu croire qu'une aussi belle utopie soit à portée
de la main et qu'il était possible, ici et maintenant, de
faire advenir une nouvelle société - une société
juste et sexuellement égalitaire. Mais il faut se replacer
dans le contexte des années 1970 pour comprendre que les
féministes n'étaient pas plus idéalistes que
les autres jeunes gens de leur génération - ou, à
tout le moins : que ceux et celles qui s'inscrivaient dans la mouvance
de gauche et d'extrême-gauche française29. Jacqueline
se rappelle aujourd'hui de l'état d'esprit qui était
le sien à cette époque : « Moi, quand j'ai eu
cet enfant », dit-elle, « je pensais (...) que c'était
la Révolution et tout ca. Et que c'était bien ».
La révolution, elles y croyaient et sans doute même
davantage (Albistur M., 1977) que les militants révolutionnaires
qui sont leurs contemporains, lesquels cherchaient dans chaque agitation
ouvrière ou sociale, les signes avant-coureurs, annonciateurs
du « Grand soir ». Ne pas attendre, changer (se changer)
maintenant et partout - telle aurait pu être la devise des
féministes de la seconde vague.
Et l'enfant dans tout ça ? Pour celles qui en ont, la question
ne se pose pas. Ils sont là et leur présence est plutôt
stimulante. Comme le confie Régine : « On avait l'impression
qu'on allait transformer le monde et que (ma fille) entrerait dans
un monde différent de celui qu'on avait vécu, que
notre mère avait vécu... qu'on lui ouvrait des choses
extraordinaires ». Pour les autres femmes, il est à
peu près certain que nombreuses sont celles qui ont repoussé
leurs projets de maternité, non par refus absolu de vivre
l'expérience, mais parce que d'une part, dans la plupart
des cas, elles étaient jeunes, étudiantes de surcroît
(et non salariées) et que la question des enfants ne se posait
pas encore pour elles ; et d'autre part, parce qu'elles étaient
en train de vivre (ou se percevaient comme tel) un processus de
libération personnel et collectif qui passait par d'autres
expériences30 que celle de la maternité.
Aussi, quand le mouvement féministe va commencer à
refluer - avec son corollaire : la fin des illusions - et quand
les jeunes militantes auront vieilli de quelques années,
ces deux questions (maternité et éducation) vont émerger
presque d'elles-mêmes. Sauf qu'il sera trop tard pour que,
toutes ensembles, elles aient véritablement les moyens d'influer
encore un peu, mais sous une autre forme - la socialisation directe
et la formation des générations futures - sur une
société qui aujourd'hui encore divise et hiérarchise
les deux sexes.
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Notes
1 Ce texte a été présenté une première
fois, sous cet intitulé et sous la forme d'une intervention
orale, au séminaire d'histoire des femmes (dirigé
par F. Thébaud) de l'université Lyon-II. Il a, depuis
lors, été longuement discuté avec Yvonne Knibiehler.
Qu'elle en soit ici remerciée.
2 Il convient d'insister ici sur le fait que ce questionnement
est porté par un mouvement de masse et non par des individus
(tels que F. Engels, F. Tristan... ou à un autre niveau S.
Freud) aussi éclairés ou `pionniers' pour leur époque,
soient-ils. Ce n'est pas tant la nature des réflexions du
mouvement féministe sur ce point qui est profondément
novateur mais le fait que celles-ci aient pu constituer la base
ou le fondement de plus de cinq années d'agitation sociale.
3 C. Delphy (1992) parle même du rapport entre la gauche
et le féminisme comme d'un rapport d'extériorité
hérité « d'un siècle et demi de malentendus
» (p. 27). Selon cette sociologue, c'est même à
partir d'une rupture radicale avec l'extrême-gauche française
que commence le mouvement féministe. Tout en partageant cette
analyse, J. Jenny (1996) rappelle à juste titre que les rapports
de classe constituaient pour la gauche des années 70 «
le front de lutte prioritaire et stratégique ». Les
militantes féministes organisées dans les différents
partis ont donc dû `lutter' au sein même de leur organisation
pour que les thèmes féministes soient reconnus et
défendus. Parfois en vain (ce qui a motivé leur départ
de ces mêmes organisations).
4 La presse féministe n'accorde qu'une place extrêmement
réduite aux thèmes de la maternité et de l'éducation
(Fortino, 1992). En fait, la plupart des publications, articles
ou ouvrages collectifs, ont trait à l'avortement (présentation
de la méthode Karman, manifestes en faveur de l'IVG, témoignages
de femmes qui ont avorté...) à la sexualité
(éducation sexuelle, contraception, « plaisir »
féminin), à l'image des femmes (journaux féminins,
littérature, publicité, cinéma...), au mariage,
au corps féminin et à la place des femmes dans les
mouvements sociaux.
5 Kohen A., 1970.
6 En 1973, S. de Beauvoir déclarait au procès de
Bobigny que l'avortement clandestin en France causait la mort de
près de 5000 femmes chaque année (sans compter les
dommages corporels graves stérilité, infections...
que subissaient les femmes en avortant dans des conditions
d'hygiène et de sécurité dramatiques).
7 De Beauvoir, 1973, 11.
8 Collectif, 1975, 13.
9 Nelly Roussel, citée par Y. Knibiehler (1980), a lancé
son appel afin d'obtenir une amélioration des conditions
de vie des mères et un statut social protégé
et revalorisé. On notera qu'elle aussi, à cette époque,
dénonçait la maternité comme une « cause
d'esclavage, d'humiliation et de misère » des femmes.
10 Mano, Claude et Christine, 1975, 177-178.
11 Dans ce même ouvrage Les Femmes s'entêtent, on pourra
lire un texte du « groupe de réflexion sur le désir
d'enfants » qui le premier pose la question de la maternité
autrement que comme un esclavage. On notera que la publication de
ce texte a posé des problèmes et nécessité
l'arbitrage de S. de Beauvoir (les militantes « tendance maternité
esclave » refusant qu'il soit publié).
12 Brisac G., Lapierre C., 1980, 47.
13 Dhoquois, 1989.
14 À l'occasion de la recherche, le terme « maternitude
» (inspiré des termes de « féminitude
» et de « négritude ») a été
créé pour rendre compte de la valorisation extrême
de la maternité que l'on rencontre dans les textes du mouvement
après 1975. L'attitude des militantes féministes à
cet égard paraissait en tout point similaire avec celle adoptée
par le mouvement pour les droits civiques des noirs américains
lorsque ce dernier avait fait de l'objet même de l'oppression
un mot d'ordre fort, en forme de pied de nez à tous les racismes
(« Black is beautifu l ! »). Or, dès 1980, G.
Brisac et C. Lapierre utilisaient déjà ce terme. Rendons
donc à ces dernières ce qui leur appartient.
15 Seule la « tendance » des féministes lutte
de classe semble résister à ce nouvel engouement pour
la maternité. Dans les Cahiers du féminisme, par exemple,
ou encore dans les brochures des « Commissions-syndicales-femmes
», après la lutte pour l'avortement, c'est le thème
du droit au travail des femmes, de l'égalité professionnelle,
etc. qui devient central. Ces militantes ont d'ailleurs longtemps
reproché aux autres tendances du mouvement son manque d'intérêt
pour ces questions.
16 L'ensemble des citations de ce paragraphe est issu du texte
non signé « De bouche à oreille ». Collectif,
Sorcières, 1976, 33-35.
17 Collectif, Les Femmes s'entêtent, 1975, 365.
18 En revanche, la période 1976-1981 est marquée
par le développement des commissions femmes dans les syndicats.
19 Anonyme, Le Torchon brûle, 1970, 4.
20 Anonyme, Les Femmes s'entêtent, 1975, 397.
21 Picq F., 1993, 54.
22 Texte anonyme, Le Livre de l'oppression des femmes, 1972, 91-92.
23 A une exception près : dans le numéro spécial
des Cahiers du GRIF, ce sont des femmes, mères à leur
tour, qui écrivent. De fait leur regard porte sur trois générations
: leurs mères, elles et leurs enfants. Mais rappelons que
cette publication est très tardive (1977).
24 Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui,
la présence de S. de Beauvoir auprès des militantes
féministes des années 1970 n'allait pas de soi pour
toutes les femmes. A Tristan et A. de Pisan racontent (in Histoires
du MLF) que lors des premières assemblées générales
du mouvement, certaines refusaient d'accepter le soutien et la participation
de la philosophe. Faut-il voir dans cette attitude un « refus
d'héritage » de son oeuvre ou plutôt une contestation
de sa personne (que certaines refusaient de prendre pour modèle)
? Difficile à dire mais une étude sur cette question
apporterait sans nul doute de précieux éclaircissements.
25 Picq F., 1993, 11.
26 Précisons que l'éducation des garçons semblait
dans l'absolu autrement plus complexe et angoissante pour les mères
féministes que celle des filles. Dans l'absolu parce que
celles qui ont effectivement eu un petit garçon ne se sont
pas trop posé de question : élever l'enfant dans le
respect de lui-même et dans celui des femmes ne leur semblait
pas incompatible. Les autres ont déclaré que la naissance
d'une fille les a rassurées et comblées parce qu'elles
craignaient de se comporter en mères « castratrices
» ou répressives envers un fils. Pour contrecarrer
le machisme culturel ambiant, elles redoutaient (à tort ou
à raison) de trop en faire.
27 M. Ferrand, dans son article, « Le féminisme, nos
filles et nous » (1989) a d'ailleurs commencé à
le faire.
28 Cf. l'ensemble des noms d'oiseaux que l'on a attribué
aux militantes féministes dans les années 1970 (et
que l'on voit émerger encore aujourd'hui lorsqu'on organise
des débats télévisuels, par exemple, sur le
féminisme). Sans prétendre nullement en dresser la
liste, indiquons plus simplement que toutes ces insultes ont en
commun de contester leur identité de femme.
29 Sur cette question, voir l'ouvrage d'Hamon et Rotman Génération.
30 Parmi ces expériences, citons bien sûr la participation
à un mouvement social, mais aussi : la vie communautaire,
l'union libre, l'homosexualité...
A propos de Sabine FORTINO
Doctorante en sociologie du travrail au Gedisst-CNRS-Iresco. Après
s'être longuement intéressée au mouvement féministe
français (son histoire, ses rapports sociaux internes, l'influence
de ses thèmes dans la société…), elle
prépare désormais une thèse sur l'évolution
des processus de féminisation et de masculinisation des emplois
de la fonction publique et des entreprises du secteur public. Elle
participe au GDR Mage `marché du travail et genre'
, est co-responsable du séminaire public de recherche
du Gedisst (Groupe d'Études sur la division sociale et sexuelle
du travail), a donné des cours à l'université
de Paris 7-Diderot en sociologie des rapports sociaux de sexe (un
cours intitulé « Femmes et Institutions »). Dernières
publications : « La Promotion au cœur des inégalités
professionnelles », pp. 103-117, in Les Cahiers du mage, 1/96,
mars 1996 ; « Employé(e)s du public, employé(e)s
du privé : archétypes des paradoxes actuels de la
division sexuelle du travail ? », pp. 77-106, in Les Cahiers
du Gedisst, n° 16, novembre 1996.
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