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Origine : http://mouvement.critique.du.sport.chez.tiscali.fr/pages/presse_n.htm
En tant que phénomène historique (le sport est né
à la fin du 19ème siècle), le SPORTISME apparaît
à trois niveaux : il est une idéologie, un mouvement
et un système c'est-à-dire un ensemble hiérarchisé
d'institutions et de mécanismes de décisions.
Le sport est-il un phénomène marginal sans véritable
influence sur le climat socio-politique des pays ? Ou au contraire
n'a-t-on pas affaire avec lui à un système de pensée
(1) d'une importance inversement proportionnelle à la qualité
des études qu'il engendre ? Le sport ne peut se limiter aux
listes de résultats, au nombre de records battus, aux "morceaux
de bravoure", aux exploits historiques, aux matches de légende
(il y a un match du siècle tous les six mois !), pas même
au nombre de pratiquants et de spectateurs conduits par des démagogues
particulièrement habiles. La question du poids de l'idéologie
sportiste en France et dans le monde ne peut plus être occultée
; elle est d'autant plus centrale que le sujet est tabou et dramatiquement
consensuel.
Faconner le monde
Fidèle à ses mâitres et ses pionners (Coubertin,
Desgrange, Goddet parmi beaucoup d'autres), l'idéologie sportiste
se veut génératrice d'une révolution spirituelle
et créatrice d'une nouvelle civilisation communautaire où
seraient parfaitement intégrées toutes les couches
de la société. Le sportisme constitue bien une catégorie
universelle qui possède ses variantes : les sportistes orthodoxes,
les sportistes réformateurs, les sportistes hors structure
(extérieure, du moins un temps, à l'institution :
fédérations, clubs).
Cette société sportiste n'est pas le champ de bataille
où s'affrontent idées politiques et groupes sociaux
mais une collectivité humaine et harmonieuse (l'idéal
olympique de la fraternité et de l'amitié) ; elle
jouit d'une unité morale dont l'émanation est le gouvernement
mondial du sport (le Comité international olympique en premier
lieu) et dont la puissance repose sur l'unanimité spirituelle
de la masse. Et ce gouvernement (fort peu démocratiquement
"élu", n'est-ce pas M. Samaranch ?) est le gardien
de cette unité qu'il développe en utilisant tout moyen
susceptible de la confirmer : la propagande, les medias-supporteurs,
les clubs, l'éducation (sportive plus que physique).
La mentalité, la sensibilité du sportisme font partie
intégrante de notre culture. Le spiritualisme et l'idéalisme
qu'il préconise fournissent les moyens d'une révolution,
la seule qui puisse ne pas porter les caractéristiques de
la lutte des classes : une révolution morale. Le sportisme
est le levier d'une transformation profonde des esprits et des âmes,
le problème de la décadence étant longtemps
resté (il reste encore chez certains fidèles) l'une
de ses préoccupations majeures. C'est la raison pour laquelle
il faut créer un homme nouveau, porteur de ces classiques
vertus que sont l'héroïsme, l'énergie en éveil
permanent, le sens du devoir et du sacrifice, et l'acceptation de
la primauté de la collectivité sur les individus qui
la composent. La toute première des qualités des sportifs
est la foi en la puissance de la volonté.
Le corporatisme sportiste et un gouvernement mondial fort constituent
les moyens de cet assaut contre la société morcelée
en classes antagonistes, contre le dépérissement de
la civilisation. Le sportisme n'est pas qu'une simple forme de chauvinisme
et de nationalisme exacerbés ; il constitue un système
d'idées organisé pour façonner le monde. La
très large et pourtant très impalpable et très
souterraine diffusion de ces idées atteste que ses racines
sont profondes et son influence considérable.
Le sportisme qui s'attaque à sa manière au désordre
économique et plus encore au désarroi moral propose
des solutions de rechange à la lutte des classes : le sport,
lieu d'harmonie, comme facteur d'intégration, remède
aux fléaux de la drogue, de l'alcoolisme, de l'abus sexuel,
du tabac (2). Mais aussi et surtout comme lieu d'embrigadement d'un
peuple unifié (sans distinction de couleur et de statut social)
dans le cadre d'un système notoirement autoritaire.
La recherche de valeurs nouvelles expliquent l'engouement pour les
pratiques sportives qu'elle soient dures, molles, fun ou de glisse
! Le sportisme exerce un attrait beaucoup plus profond que ce que
voudraient admettre ceux qui pratiquent mais aussi ceux qui regardent
le sport, qui en parlent ou qui en subissent l'extraordinaire et
inquiétante présence (combien d'heures d'antennes
à la radio et à la télévision, de pages
dans les journaux?).
Une révolution spirituelle
Le sportisme, cette profonde révolution morale et spirituelle
- Pierre de Coubertin ne disait pas autre chose quand il parlait
de la "religion athlétique" et de la nécessité
de "rebronzer les corps et les esprits" - impressionne
par son omnipotence tranquille et sa capacité à établir
un consensus presque total. Tout le monde admire les qualités
morales des sportifs : le dévouement, le sacrifice, l'amitié
virile, l'élan de ces hommes chargés de toute l'ardeur
que donne d'avoir trouvé une foi et un sens à la vie.
Tout le monde applaudit aux performances de cette jeunesse paisible,
s'incline devant sa passion fière et dure, sa volonté
de grandeur, sa rude noblesse, sa supériorité morale.
Le sportisme c'est à la fois un hymne à cette jeunesse
bien sage (à 30 ans on est vieux en sport) et la victoire
de la force sur ceux qui haïssent l'effort.
L'anti-intellectualisme et l'idéalisme sont les piliers de
ce sportisme qui constitue bien un ensemble idéologique sur
la nature duquel il est difficile de se tromper pour peu qu'on se
donne la peine d'en déchiffrer le message. Il doit son rayonnement
véritable au fait que de l'essence de ses idées (de
sa pensée) participent de vastes secteurs de l'opinion. Les
milieux contestataires les plus divers demeurent facilement perméables
à l'appel du sportisme ou au moins à certains de ses
éléments. Nombreux sont ceux qui répondent
à cet appel d'ardeur juvénile et accueillent avec
bienveillance cette religion purificatrice dans un univers économique
impitoyable.
Prenons garde. L'idéologie sportiste (l'idéologie
du don, de la compétition naturelle, de la collaboration
des classes, le culte du chef, de la discipline, l'apologie de la
douleur et de la souffrance, etc.) s'infiltre toujours plus dans
la société, remonte à la surface et saisit
les leviers de commande. Le sport jouit d'un préjugé
favorable et cette bonne dose de sympathie met en marche l'engrenage
collaborationniste. Le peu de résistance que rencontre la
sportivisation de la planète est lourd de menaces.
Charles Tardieu écrivait dans un livre paru en 1940 et préfacé
par Jean Borotra, alors Commissaire général à
l'Education générale et sportive : "Le sport
pourrait être pour les jeunes la première école
d'application d'une morale générale. Des maîtres
avertis et choisis, s'efforceront de créer dans des cerveaux
malléables et dociles, jusqu'à l'indépendance
de la virilité, une véritable religion nouvelle du
sport désintéressé, chevaleresque, discipliné,
altruiste (...). Bref, la révolution nationale sportive doit
être avant tout une révolution des esprits appuyés
sur des méthodes nouvelles" (3). Croire que le sport
est un jeu, ne rien faire et ne rien dire sur les valeurs qu'il
véhicule et sur la vision du monde qu'il propose relève
de ce "crime d'indifférence" dont parlait Herman
Broch en 1945.
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(1) Lire par exemple l' Essai de doctrine du sport publié
en 1965 par le parti gaulliste, à l'initiative du Haut Comité
des sport.
(2) Au cours du siècle, on a toujours voulu faire croire
que l'on allait résoudre les problèmes sociaux grâce
aux clubs sportifs. En 1997, on feint de penser qu'on va favoriser
l'intégration et diminuer la violence dans les cités
en créant des clubs de boxe (!) ; en 1915, Coubertin déclarait
: "J'ai toujours déploré que les sociétés
antialcooliques n'aperçoivent pas dans le sport le véritable
antidote auquel il convient d'avoir recours dans la lutte contre
le fléau".
(3) Charles Tardieu, Le Sport, ta joie, ta santé, Paris,
Sequana Editeur, 1940, p 93-94. Sur ce thème général
de la Révolution nationale se reporter aux différents
ouvrages de l'historien Zeev Sternhell et à son article synthétique
et précieux "Sur le fascisme et sa variante française"
paru dans Le Débat n°32, novembre 1984.
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