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Origine : http://www.traboules.org/index.html
Les Traboules, association de recherches sociologiques et ethnologiques
Je serais artiste, je chanterais le monde : la vie d'ici,
les humiliations subies et celles imposées à mes proches, connu-e-s
ou inconnu-e-s, mais aussi le souffle de révolte qui donne l'énergie
de penser demain… Je suis homme, sociologue et Motivé-e, personne
n'est parfait. Dans l'esprit qui a animé la Commission Pour Une
Société Non Sexiste, et pour alimenter les débats d'après campagne,
dans le cadre de la Diversité d'Eté ou ailleurs, il m'a semblé intéressant
de jeter quelques idées sur le papier. Essayer de mettre en relation
les luttes contre la domination masculine, contre le machisme et
la virilité obligatoire, les recherches que nous menons sur les
situations des femmes et des hommes avec le/la politique. Bref,
alimenter, à ma manière nos débats. Ces mêmes débats qui nous permettent
de penser un monde différent, ici et là-bas, maintenant et plus
tard… Daniel Welzer-Lang Août 2001.
Penser la politique autrement…
en intégrant les rapports hommes/femmes, les femmes mais aussi les
hommes, ce que l’on appelle le genre
L'objectif de ce texte est d'essayer d'aider à réfléchir ce que
pourrait être la politique "Autrement ". En particulier de mettre
des mots sur des idées communes que nous avons agitées ensemble.
Notre démarche collective à Motivé-e-s a, lors de la campagne et
après, d'accepter nos différences, nos histoires particulières,
de ne laisser personne hors de l'analyse. Ainsi, il n'a jamais été
question de ne pas écouter et intégrer dans nos analyses et propositions
les jeunes de quartiers, y compris les sœurs (moins visibles)
des garçons, les immigré-e-s sans papier, les artistes… Or,
lors de la fureur électorale, nous avons bien souvent été obligé-e-s
de courir entre deux rencontres, entre deux diffusions ou fêtes,
sans toujours avoir le temps d'écrire nos idées, d'expliciter ce
qui sous-tendait nos analyses et nos prises de position. Souvent,
de manière très pragmatique, face à un événement, un discours, nous
avons réagi au plus vite, proposé autre chose… D'une manière
générale, nous avons fait l'économie des textes.
Aujourd'hui une réflexion me semble urgente. Pourquoi ?
- D'une part pour briser les résistances masculines aux changements,
ce qui contribue à freiner les aspirations des femmes à vivre autrement
et, en même temps, pour aider les hommes à changer, les accompagner.
En particulier ceux qui manifestent des difficultés à vivre les
changements.
- D'autre part, pour faire évoluer la politique, le politique
en lui offrant un cadre au plus proche de la vie quotidienne des
hommes et des femmes ; ce qui contribue à accompagner la révolution
mise en place par le mouvement féministe. Notamment en balayant
les obstacles qui limitent l'entrée des femmes, comme citoyennes
à part entière dans le politique, y compris dans la mouvance Motivé-e-s.
L’histoire d’une commission
Souvenons-nous : à la première Assemblée Générale, quelques
personnes (5, si je me souviens bien) proposent d'ajouter à la liste
des commissions proposées par ceux et celles qui avaient préparé
cette rencontre, une commission de plus : sur le sexisme. De
suite, nous précisions qu'il n'était pas question de faire une nouvelle
" Commission Femmes ", que pour nous, celles et ceux qui voulions
intégrer cette question dans la campagne, la lutte contre le sexisme
ne concernait pas que les femmes, mais aussi les autres : les
hommes.
Pourquoi une commission contre le sexisme et non pas une commission
Femmes ?
Cette réaction visait à refuser le consensus qui semble aujourd'hui
exister sans même qu'il n'y ait eu un débat quelconque à ce propos.
La parité hommes/femmes, l'amélioration du mode de vie des femmes,
leur participation citoyenne, les revendications salariales égalitaristes…
seraient le problème des femmes, et des quelques " amis-hommes "
qu'elles ont su se faire au cours de plus de trente années de luttes.
Mais ce n'est jamais le problème " des " hommes, encore moins celui
des rapports entre ces hommes et la virilité. Or, au delà des différences
biologiques - le fait d'avoir ou pas quelques centaines de grammes
de chair entre les jambes ou entre les épaules - la question est
d'abord sociale. C'est bel et bien parce que des femmes s'occupent
du domestique que des hommes peuvent faire de la politique, et sans
conteste parce que les hommes raptent les postes de pouvoir que
les femmes ont tant de difficulté à y accéder… Bref la question
est celle de la distribution des pouvoirs et de la lutte (conjointe)
contre la domination masculine.
Inégalité/domination
Quand il y a une (bonne et belle) tarte, que les hommes prennent
huit part et distribuent une part aux femmes, il faut que les hommes
apprennent à en prendre moins, à partager…A nous de leur faire
comprendre qu'on vit mieux sans diabète, sans cholestérol…
Bref que partager la tarte n'est pas sans bénéfice secondaire…
Surtout pour ceux, celles qui aiment manger en altérité…
Beaucoup de texte aujourd'hui nous parlent d'inégalités persistantes,
d'accès inégal… Crions le bien fort, il ne s'agit pas uniquement
d'une question d'inégalité entre les sexes. Si inégalité il y a,
c'est parce que, encore aujourd'hui, un groupe (les hommes) s'attribuent
la majorité des hauts salaires, des postes politiques (le droit
de légiférer), des postes dans la police et l'armée (le droit de
réprimer), " exploitent " le travail domestique gratuit de leur
conjointe (pour ceux vivant en couple) utilisent les violences comme
formes de contraintes de leurs proches, etc. Nous sommes bel et
bien dans un système où perdure la domination masculine. Et c'est
bien cette domination des hommes qui est aujourd'hui vacillante.
Précisons de suite qu'être dominant, comme homme, ne signifie pas
être " un salaud ", un " monstre ". Qu'en plus, l'âge, l'origine
ethnique, la classe sociale sont des facteurs qui interfèrent sur
le pouvoir dont chaque homme peut disposer.
Cette base était implicite et évidente
- pour les femmes du Mouvement des Femmes de Toulouse qui ont
adhéré collectivement à Motivé-e-s, les mêmes qui, autour de l'APIAF,
du Collectif pour le Droit des Femmes, etc. se battent depuis plusieurs
années contre les violences faites aux femmes, le sexisme…
- les quelques hommes qui, dès le début ont travaillé avec
elles.
Souvent nos positions, communes et discutées à la commission ont
été incomprises. Le temps limité, l'ampleur du travail à réaliser
ne nous ont pas toujours donné l'énergie d'expliquer. Expliquer
comment l'analyse globale, la lutte contre la domination masculine
et les critiques sur les " manières de faire " étaient liées. Notamment
dans la critique de la virilité.
J'aimerais reprendre cette discussion à partir de 5 événements que
l'on a vécus à Motivé-e-s. Montrer que la critique de la virilité
obligatoire est, et doit être, quotidienne dans nos pratiques. Pour
le bien de toutes, de tous et la marche conjointe vers une " Autre"
société : une société non-raciste, non-sexiste, non- homophobe
où chacun-e puisse vivre sans être opprimé-e ou discriminé-e pour
quelque raison que ce soit.
La virilité en question
D'abord, rassurons ceux qui pourraient être inquiets. Et, il y en
a… En critiquant la virilité obligatoire, il n'est bien évidemment
pas question de castrer les hommes, ni les hommes motivé-e-s, ni
les autres. Le fait de bander, de désirer des femmes, des hommes,
ou les deux (voir plus loin) n'est pas en cause. La manière de le
faire, oui !
Qu'est-ce que la virilité ? Dans le Dictionnaire critique du
féminisme, paru aux PUF en novembre 2000, avec Pascale Molinier
(CNAM/Paris), nous la définissions ainsi :
La virilité revêt un double sens : 1) les attributs sociaux
associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage,
la capacité à se battre, le " droit " à la violence et aux privilèges
associés à la domination de celles, et ceux, qui ne sont pas, et
ne peuvent pas être, virils : femmes, enfants… 2) la
forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine. La virilité,
dans les deux acceptions du terme, est apprise et imposée aux garçons
par le groupe des hommes au cours de leur socialisation pour qu'ils
se distinguent hiérarchiquement des femmes. La virilité est l'expression
collective et individualisée de la domination masculine.
Avons-nous été, sommes nous en dehors de ce débat ?
Non. J'utiliserai 4 exemples commentés, tirés de notre expérience
commune, pour le montrer et avancer dans nos réflexions.
PREMIER EXEMPLE : IMPOSER SON POINT DE VUE PAR LA FORCE, LA
VIOLENCE DES INTERVENTIONS
Rappelons-nous : la première Assemblée Générale, la même où
Rachida juste sortie d'un café du centre ville est venue dire de
manière si émouvante combien la démarche Motivé-e- s était nécessaire,
importante… Tayeb distribuait le micro… Les débats se
menaient… Dans les faits, il s'agissait de la première rencontre
publique de ceux et celles qui allaient devenir les Motivé-e-s.
Beaucoup de monde : des jeunes, des moins jeunes, des hommes,
des femmes, des gens aux couleurs différentes, dans tous les sens
du terme. Certain-e-s venaient des luttes contre la mondialisation,
d'autres des luttes liées à l'immigration et au post-colonialisme,
des squats et mouvement d'artistes, du monde syndical, des associations
féministes toulousaines, de l'extrême gauche officielle... …
Et le débat s'engagea. Avec très vite, de ma part, un double étonnement :
la Diversité des gens présents, et la volonté commune de faire autrement
de la politique, de dire Ouste à Baudis et sa clique… la violence
de certaines interventions. Plusieurs militant-e-s d'une organisation
d'extrême gauche présente au début de Motivé-e- s voulaient (déjà)
débattre des places sur la liste, du second tour. Ce qui était leur
droit légitime. La manière fut étonnante. Nous avons eu droit à
des interventions " en rafale " où, ce n'était pas tant les idées
développées qui étaient importantes, que le rappel incessant par
l'ensemble des intervenant-e-s de cette organisation : de leur
appartenance organisationnelle (" Moi aussi je suis membre de la
XXX…" ) qu'ils/elles étaient d'accord avec les positions de
leur porte parole… (Moi aussi, je suis d'accord avec XXXX…
"). J'étais médusé, scotché à mon siège, ne sachant pas trop s'il
fallait rire, rire d'une telle dérision de la démocratie, ou pleurer,
pleurer d'une Énième tentative de putsch gauchiste visant à faire
passer en force UNE position, sans débats possibles, sans écoute
de l'Autre. La suite, on la connaît. L'organisation en question
est partie sous sa propre bannière. Cette manière de débattre, de
s'affronter, de faire passer son point de vue est " traditionnel
" en politique. Qu'elle soit aujourd'hui, pour une partie congrue,
effectuée par des femmes ne change rien. Elle rappelle la guerre
entre hommes, que chacun doit s'efforcer de mener, sous peine de
ne pas être considéré comme un homme. Un vrai…
La guerre entre hommes
Dis-moi quel est ton coq de référence, je te dirai ton parti
politique…
Etendons un peu le propos. Combien de discours, d'interventions
faites par les hommes n'ont comme unique objectif de montrer qu'ils
sont présents et qu'ils ont raison ?
Sur la virilité en Politique
La politique, le politique sont encore masculins. Les hommes ont
le pouvoir, les postes… et ont du mal à lâcher les privilèges
associés à ces fonctions. Le politique est un concentré de pouvoirs
masculins. Les hommes, même ceux qui s'autoproclament " progressistes",
quelle que soit leur couleur (verts, rouges, roses…) les copient,
jouent aux jeunes coqs en guerre permanente, en luttes viriles pour
être les premiers, les meilleurs, les plus forts, bref reproduisent
ce que leur apprend la socialisation masculine… Affirmons
ensemble, de suite, que nous sommes pour une autre manière de débattre,
d'échanger. Que la discussion représente une forme d'échange où
JE peux apprendre quelque chose de l'Autre. Nos points de vue, nos
idées sont largement conditionnées par nos statuts, nos places sociales
et notre appartenance de genre (être un homme, une femme). De tous
temps, les riches ont dit qu'ils avaient raison parce qu'ils avaient
la connaissance, le savoir. Le fait qu'ils avaient connaissances
et savoirs parce qu'ils étaient riches, qu'ils détenaient le pouvoir
et que par conséquent, ils pouvaient décider eux-mêmes, entre-eux,
ce qui était réellement la. connaissance et le savoir ne les a pas
effleuré. Ce sont les catégories en lutte, les opprimé-e- s, les
ouvrié-e-s, employé-e-s, les immigré-e-s, etc. qui ont contesté
le pouvoir des riches, et les savoirs eux-mêmes. De tous temps les
hommes, riches ou non, ont pensé qu'ils avaient raison, qu'ils savaient
comment conduire le monde, parce qu'ils étaient hommes. Un homme,
un vrai homme, sait, fonce, dirige (le monde, mais aussi SA femme
et SES enfants). Chaque homme, même celui qui n'appartient pas aux
classes supérieures, reçoit les dividendes individuels de la domination
masculine sous forme de droits qu'il exerce au dépend des non-hommes,
des non-dominants : femmes, enfants…
La domination masculine a laissé de grandes traces dans nos débats.
Apprenons à rompre avec ces pratiques :
Ce n'est pas parce que je suis un homme que j'ai raison
Ce n'est pas parce que je suis un homme que je dois me mettre en
valeur plus que les femmes
Ce n'est pas parce que je parle le plus fort que j'ai raison
Ce n'est pas parce que je monopolise la parole que mes propos sont
plus justes…
DEUXIEME EXEMPLE : L’ENCULE DU LOCAL…
Avant d'aller à une réunion - je ne me souviens plus laquelle -
je passe au local de la rue des quêteurs. Vous savez notre local
où nos camarades-filles tenaient, plus fréquemment que les garçons,
les permanences. Comme souvent, en ces temps là, cela grouille de
monde et chacun-e de commenter le dernier sondage, les rumeurs sur
telle ou telle liste. Avec, cette ambiance si particulière qui constitua
Motivé-e, qui fait que des gens qui ne connaissaient pas quelques
semaines auparavant sont devenus amie-s, confident-e-s. Akim n'avait
pas encore posé son affiche pour la création d'une commission sur
le " parlé gras non sexiste", mais les murs montraient déjà les
diffusions de tracts, les réunions à animer… Bref, un jour
ordinaire pour la campagne électorale des Motivé-e-s. Et on se passait
à tour de rôle un article où figurait une interview de Salah, notre
tête de liste bien aimée que chacun-e commentait… La discussion
a légèrement dévié et un garçon, membre de Motivé-e, a voulu résumer
la position d'un de nos adversaire politique en disant : "
Lui, c'est un enculé… ". Je me retourne rapidement, et lui
dit très affectueusement qu'être enculé est une chose parfois agréable,
en tous cas quand c'est fait avec douceur… Silence dans le
local ! Il me dit qu'il n'a rien contre les homosexuel-le-s,
mais qu'il n'a pas fait d'études… Comme si la connaissance
de la sodomie avait un rapport avec le niveau scolaire. Nous discutons
et j'essaie de lui expliquer en quoi le fait de traiter des hommes
d'" enculé " a rapport avec l'hétérosexisme, mais aussi avec la
virilité, la même qui dévalorise les femmes…
La virilité, l’homophobie et les enculés
Bien sûr qu'à Motivé-e et dans toutes les listes qui se réclament
du progressisme on soutient les luttes des homosexuel-le-s, des
bisexuel-le-s, des transgenres. Nous pensons tous et toutes que
la sexualité devrait être une affaire privée, que l'Etat, les Eglises
ne devraient pas interférer dans les choix et les goûts sexuels
qui sont, ou devraient, être des choses privées. On reprendra cette
question plus loin (voir exemple n° 5)
En quoi " enculé " est une insulte ?
Un homme, un vrai, un qui a des couilles, comme ont dit en langage
populaire, est une mec actif. Un mec qui se bat, qui affirme haut
et fort son honneur d'homme, sa parole, ses idées. Si être traité
d'" enculé " est une insulte, c'est que la menace permanente qui
pèse sur les hommes est d'être vu, traité, pensé, considéré comme…
une femme. Ce sont les femmes qui sont pénétrées, voire enculées.
Dans ce cas, dans la mesure où notre imaginaire viril nous pousse
à associer la sodomie à la douleur, l'acceptation d'être pénétrée
ainsi est sensé représenté un gage d'amour et/ou de soumission.
De toutes façons, amour (des femmes) et soumission (aux hommes)
sont liés dans notre imaginaire masculin.
Mais la peur pour un homme d'être pris comme une femme est une métaphore.
Personne n'est dupe, un homme n'est pas une femme, on ne déplace
pas si facilement quelques centaines de grammes de chair entre les
jambes pour les placer entre les épaules. De plus, la création d'un
vagin n'est pas chose aisée. Surtout dans notre société transphobe,
où les transsexuel-le-s ont tant de mal à faire admettre leurs droits.
Donc, un homme n'est jamais une femme… Là se cache l'homophobie.
L'homophobie est la discrimination des qualités ou des défauts
attribués à l'autre genre. La stigmatisation des hommes dits
efféminés, ou des femmes qui veulent ressembler à des hommes. Notre
société associe les hommes efféminés à des homosexuels et à des
femmes. Les homosexuels mâles, eux-mêmes sont assimilés à des femmes,
des folles, des tapioles…
Dans l'éducation masculine ce que j'appelle dans mes textes théoriques
la Maison-des-hommes en référence aux travaux anthropologiques,
les garçons sont socialisés dans le groupe des pairs, c'est-à-dire
avec les autres garçons de leur âge. Dans ces groupes, qui se réunissent
dans les cours d'école, dans les équipes de sports, au café, en
bas des immeubles, les hommes pour prouver qu'ils sont des hommes,
doivent prouver sans cesse qu'ils ne sont pas des femmes, qu'il
en ont… Non seulement on apprend aux hommes à être en guerre
permanente pour être le meilleur, le premier, le plus fort, mais
on va associer ces valeurs dites viriles au fétichisme phallique.
Le sexe, et ses accessoires (les testicules) deviennent les emblèmes
de la virilité. Et chaque homme de s'interroger (en général) sur
la taille de son engin à prouver sa virilité.
Voilà un extrait d'un texte déjà écrit sur cette question en 1994.
La maison-des-hommes
Dans nos sociétés, quand les enfants-mâles quittent le monde des
femmes 1 , qu'ils commencent à se regrouper avec d'autres garçons
de leur âge, en général cela commence à l'école, ils traversent
une phase d'homosocialité 2 lors de laquelle émergent de fortes
tendances et/ou de grandes pressions pour y vivre des moments d'homosexualité.
Compétitions de zizis, marathons de branlettes (masturbation), jouer
à qui pisse (urine) le plus loin, excitations sexuelles collectives
à partir de pornographie feuilletée en groupe, voire même maintenant
devant des strip-poker électroniques où l'enjeu consiste à déshabiller
les femmes… à l'abri du regard des femmes et des hommes des
autres générations, les petits hommes s'initient entre eux aux jeux
de l'érotisme. Ils utilisent pour ce faire, les stratagèmes, les
questions (la taille du sexe, les capacités sexuelles) léguées par
les générations précédentes. Ils apprennent et reproduisent alors
les mêmes modèles sexuels quant à l'approche et à l'expression du
désir (3) . Dans cette maison-des-hommes, à chaque âge de la vie,
à chaque étape de la construction du masculin, est affecté une pièce,
une chambre, un café ou un stade. Bref, un lieu propre où l'homosocialité
peut se vivre et s'expérimenter dans le groupe de pairs. Dans ces
groupes, les plus vieux, ceux qui sont déjà initiés par les aînés,
montrent, corrigent et modélisent les accédants à la virilité. Une
fois quitté la première pièce, chaque homme devient tout à la fois
initiateur et initié.
Apprendre à souffrir pour être un homme. A accepter la loi des
plus grands
Apprendre à être avec des hommes, ou ici dans les premiers apprentissages
sportifs à l'entrée de la maison-des-hommes, à être avec des postulants
au statut d'homme, contraint le garçon à accepter la loi des plus
grands, des anciens. Ceux qui lui apprennent et lui enseignent les
règles et le savoir-faire, le savoir-être homme. La manière dont
certains hommes se rappellent cette époque et l'émotion qui transparaît
alors, semblent indiquer que ces périodes constituent une forme
de rite de passage.
Apprendre à jouer au hockey, au football, au base-ball, c'est d'abord
une façon de dire : je veux être comme les autres gars. Je
veux être un homme et donc je veux me distinguer de son opposé (être
une femme). Je veux me dissocier du monde des femmes et des enfants.
C'est aussi apprendre à respecter les codes, les rites qui deviennent
alors des opérateurs hiérarchiques. Intégrer codes et rites, en
sport on dit les règles, oblige à intégrer corporellement (incorporer)
les non-dits. Un de ces non-dits, que relatent quelques années plus
tard les garçons devenus hommes, est que l'apprentissage doit se
faire dans la souffrance. Souffrances psychiques de ne pas arriver
à jouer aussi bien que les autres. Souffrances des corps qui doivent
se blinder pour pouvoir jouer correctement. Les pieds, les mains,
les muscles… se forment, se modèlent, se rigidifient par une
espèce de jeu sado-maso avec la douleur. P'tit homme doit apprendre
à accepter la souffrance - sans rien dire - pour intégrer le cercle
restreint des hommes. Dans ces groupes monosexués s'incorporent
les gestes, les mouvements, les réactions masculines, tout le capital
d'attitudes qui serviront à être un homme.
Dans les tous premiers groupes de garçons, on "entre" en lutte dite
amicale (pas si amicale que cela si l'on en croit le taux de pleurs,
de déceptions, de chagrins enfouis que l'on y associe) pour être
au même niveau que les autres, puis pour être le meilleur. Pour
gagner le droit d'être avec les hommes ou d'être comme les autres
hommes. Pour les hommes, comme pour les femmes, l'éducation se fait
par mimétisme. Or le mimétisme des hommes est un mimétisme de violences.
De violence d'abord envers soi, contre soi. La guerre qu'apprennent
les hommes dans leurs corps est d'abord une guerre contre eux-mêmes.
Puis, dans une seconde étape, c'est une guerre avec les autres (4).
Articulant plaisirs, plaisirs d'être entre hommes (ou hommes en
devenir) et se distinguer des femmes, plaisirs de pouvoir légitimement
faire "comme les autres hommes" (mimétisme) et douleurs du corps
qui se modélise, chaque homme va, individuellement et collectivement,
faire son initiation. Par cette initiation s'apprend la sexualité.
Le message dominant : être homme, c'est être différent de l'autre,
différent d'une femme.
De plus j'ai montré dans mes enquêtes sur le viol comment l'analyse
de " la première pièce " de la maison-des-hommes, ce que j'ai nommée
le vestibule de la " cage à virilité " est un lieu à haut risque
d'abus. Elle fonctionne, semble-t-il, comme un lieu de passage obligé
qui est fortement fréquenté. Un couloir où circulent tout à la fois
de jeunes recrues de la masculinité, les petits hommes qui viennent
juste de quitter les jupons de leurs mères [ou plus rarement de
leurs pères], à côté d'autres p'tits hommes fraîchement initiés
qui viennent - ainsi en convient la coutume de cette maison - transmettre
une partie de leur savoirs et de leurs gestes. Mais l'antichambre
de la maison-des-hommes est aussi un lieu, un sas fréquenté périodiquement
par des hommes plus âgés. Des hommes qui font tout à la fois figures
de grands frères, de modèle masculin à conquérir par p'tit homme,
d'agents chargés de contrôler la transmission des valeurs. Certains
s'appellent pédagogues, d'autres moniteurs de sports, ou encore
prêtres, responsables scouts… Certains sont présents physiquement.
D'autres agissent par le biais de leurs messages sonores, de leurs
images qui se manifestent dans le lieu. Ceux-là sont dénommés artistes,
chanteurs, poètes. En fait, parler de "la première pièce" de la
maison-des-hommes constitue une forme d'abus de langage. Il faudrait
dire : les premières pièces, tant est changeante la géographie
des maisons des hommes. A chaque culture ou chaque micro-culture,
parfois à chaque ville ou village, à chaque classe sociale, correspond
une forme de maison-des-hommes. Le thème de l'initiation des hommes
se conjugue de manière extrêmement variable. Le concept est constant
mais les formes labiles.
Le masculin est tout à la fois soumission au modèle et obtention
des privilèges du modèle. Certains aînés profitent de la crédulité
des nouvelles recrues, et cette première pièce de la maison est
vécue par de nombreux garçons comme l'antichambre de l'abus. Et
cela dans une proportion qui, à première vue, peut surprendre 5
. Non seulement, je l'ai dit, p'tit homme commence à découvrir que
pour être viril, il faut souffrir, mais dans cette pièce (ou dans
les autres, il ne s'agit ici que d'une métaphore), le jeune garçon
est quelquefois initié sexuellement par un grand. Initié sexuellement,
cela peut aussi vouloir dire violé. être obligé - sous la contrainte
ou la menace - de caresser, de sucer ou être pénétré de manière
anale par un sexe ou un objet quelconque. Masturber l'autre. Se
faire caresser… On comprend que les hommes à qui une telle
initiation est imposée en gardent souvent des marques indélébiles.
Tout semble indiquer dans les interviews réalisées dans l'étude
sur l'homophobie, puis dans celle sur la prison (cf. mon livre violences
et sexualités en Prison édité par l'Observatoire International des
Prisons) que beaucoup d'hommes qui ont été appropriés par un autre
homme plus âgé n'ont de cesse que de reproduire cette forme particulière
d'abus. Comme s'ils se répétaient : " Puisque j'y suis passé,
qu'il y passe lui aussi ". Et l'abus, outre les bénéfices qu'il
procure, revêt alors aussi une forme d'exorcisme, une conjuration
du malheur vécu antérieurement. Puis, au fil des ans, quand le souvenir
de la douleur et de la honte s'estompe enfin quelque peu, l'abus
initial fonctionnerait comme élément de compensation, un peu comme
l'ouverture imposée d'un compte bancaire ; les autres abus
perpétrés représentant les intérêts que vient réclamer l'ex-homme
abusé. Cela vaut tant pour les abus réalisés à l'encontre des hommes
que dans d'autres lieux à l'encontre des femmes.
D'autres se blindent. Ils intègrent une fois pour toutes (6) que
la compétition entre hommes est une jungle dangereuse où il faut
savoir se cacher, se débattre et où in fine la meilleure défense
est l'attaque.
J'évoque ici les abus (dits) sexuels (7) . Ils sont bien réels et
en nombre très important. Les recherches futures nous en révéleront
les formes, la fréquence et les effets à courts, moyens et longs
terme. Avouons pour l'instant notre partielle incurie sur ce thème.
D'autres formes d'abus sont quotidiennes, complémentaires ou parallèles
par rapport aux abus sexuels. Elles en constituent d'ailleurs souvent
les prémices. Des abus individuels, mais aussi des abus collectifs.
Qu'on pense aux différents coups : les coups de poing, les
coups de pieds, les "poussades". Les pseudo-bagarres où, dans les
faits, le plus grand montre une nouvelle fois sa supériorité physique
pour imposer ses désirs. Les insultes, le vol, le racket, la raillerie,
la moquerie, le contrôle, la pression psychologique pour que p'tit
homme obéisse et cède aux injonctions et aux désirs des autres,
… Il y a donc un ensemble multiforme d'abus de confiance violents,
d'appropriation du territoire personnel, de stigmatisation de tout
écart au modèle masculin dit convenable. Toutes formes de violences
et d'abus que chaque homme va connaître, tant comme agresseur que
comme victime. Petit, faible, le jeune garçon est une victime désignée.
Protégé par ses collègues, il peut maintenant faire subir aux autres
ce qu'il a encore peur de subir lui-même. Conjurer la peur en
agressant l'autre, et jouir alors des bénéfices du pouvoir sur l'autre,
voilà la maxime qui semble inscrite au fronton de toutes ces pièces.
Ne nous y trompons pas. Cette union qui fait la force, cet apprentissage
du collectif, de la solidarité, de la fraternité - les hommes d'un
même groupe peuvent être assimilés à des frères - ne revêt pas que
des côtés négatifs. Bien que dans la maison-des-hommes, la solidarité
masculine intervienne pour éviter la douleur d'être soi-même victime,
cette maison est le lieu de transmission de valeurs qui, si elles
n'étaient pas au service de la domination, sont des valeurs positives.
Prendre du plaisir ensemble, découvrir l'intérêt du collectif sur
l'individuel, voilà bien des valeurs humanistes qui fondent la solidarité
humaine.
Toujours est-il que dans la socialisation masculine, il faut pour
être un homme, ne pas pouvoir être assimilé à une femme. Le féminin
devient même le pôle repoussoir central, l'ennemi intérieur à combattre
sous peine d'être soi-même assimilé à une femme et d'être (mal)traité
comme tel.
Et on aurait tort de limiter l'analyse de la maison-des-hommesà
la socialisation enfantine ou juvénile. Une fois en couple, l'homme
tout en " assumant " sa place d'homme pourvoyeur, de père qui dirige
la famille, de mari qui sait ce qui estbon, et bien, pour femme
et enfants, continue à fréquenter des pièces de la maison-)des-hommes :
les cafés, les clubs, voire parfois même la prison, où il faut toujours
se distinguer des faibles, femmelettes, des " pédés", bref de ceux
qui l'ont peut considérer comme des non-hommes.
Le masculin, les rapports entre hommes sont structurés à l'image
hiérarchisée des rapports hommes/femmes. Ceux qui ne peuvent
pas prouver qu'ils " en ont ", sont alors menacés d'être déclassés
et considérés comme les dominées, comme les femmes. " Ils en sont
" dira-t-on à leurs propos ". Et ils vont être traités comme des
femmes, servir de boucs émissaires, être violenté par les autres
hommes.
Le fait d'être pris comme une femme, y compris abusé parfois sexuellement,
est une menace qui s'exerce sur tous les hommes qui ne veulent pas,
ou n'arrivent pas à faire croire à leur virilité.
C'est ainsi qu'en prison, un segment particulier de la maison-des-hommes,
les jeunes hommes, les hommes repérés ou désignés comme homosexuels
(hommes dits efféminés, travestis…), hommes qui refusent de
se battre, voire ceux qui se sont fait prendre à violer des dominées
8 , sont traités comme des femmes, appropriés sexuellement par les
" grands hommes " que sont les caïds, rackettés, violentés. Souvent
même, ils sont tout simplement sont mis en position de " femme à
tout faire " et doivent assumer le service de ceux qui les contrôlent
notamment le travail domestique (nettoyage de la cellule, du linge…)
et les services sexuels.
Les rapports sociaux de sexe sont transversaux à l'ensemble de la
société et hommes et femmes en sont traversé-e-s.
Dans cette perspective j'ai proposé alors de définir l'homophobie
comme la discrimination envers les personnes qui montrent, ou
à qui l'on prête, certaines qualités (ou défauts) attribuées à l'autre
genre. L'homophobie bétonne les frontières de genre. Lorsque
dans une enquête, nous avons demandé à quelques 500 personnes à
quoi elles reconnaissaient des personnes homosexuelles dans la rue,
celles-ci, à une écrasante majorité, ne parlent que des hommes homosexuels
(le lesbianisme est invisible). Et qui plus est, elles assimilent
aux homosexuels les hommes qui présentent des signes de féminité
(voix, vêtements, postures corporelle). Les hommes qui ne montrent
pas des signes répétitifs de virilité sont assimilés aux femmes
et/ou à leurs équivalents symboliques : les homosexuels.
La domination masculine divise hommes et femmes en groupes hiérarchisés,
donne des privilèges aux hommes au détriment des femmes, et face
aux hommes tentés, pour une raison ou une autre, de ne pas reproduire
cette division (ou qui, pire, la refuseraient pour eux-mêmes), la
domination masculine produit de l'homophobie pour que, menaces à
l'appui, les hommes se calquent sur les schèmes dits alors normaux
de la virilité.
Les " Grands hommes "
Je viens d'invoquer les caïds en prison, et d'évoquer à leur propos
les " Grands-Hommes ". Il se peut que la prégnance de l'analyse
marxiste qui a privilégié les classes sociales, ou celle féministe
post-marxiste qui nous a fait adopter une analyse analogue pour
étudier la domination masculine, doublé du peu d'études sur les
hommes et le masculin, ait occulté ce que chaque homme sait. On
a beau être un homme, un dominant, chaque homme est lui même soumis
aux hiérarchies masculines. Tous les hommes n'ont pas le même pouvoir
ou les mêmes privilèges. Certains, que je qualifie de Grands-Hommes
ont des privilèges qui s'exercent aux dépens des femmes (comme tous
les hommes), mais aussi aux dépens des hommes.
Qui sont les Grands-Hommes ? Comment leur statut est-il rétribué ?
En argent, honneur (confortant la virilité) et en statuts de pouvoir.
Empiriquement (cf. mes étude sur l'échangisme et le commerce du
sexe), on sait que pour un homme, le fait d'être vu avec des " belles
" femmes fait classer cet homme dans les Grands-Hommes ; au
même titre que celui qui a de l'argent et/ou du pouvoir manifeste
sur les hommes et les femmes. Chaque homme a ou peut avoir, s'il
accepte les codes de virilité, du pouvoir sur les femmes (qu'il
reste d'ailleurs à quantifier) ; certains (chefs, Grands-Hommes
divers) ont en plus du pouvoir sur les hommes. C'est bel et bien
dans ce double pouvoir que se structurent les hiérarchies masculines.
On peut, on doit, aussi articuler ces divisions avec les classes
sociales. Un-e cadre, un-e patron-n-e a - de fait - du pouvoir dans
l'espace professionnel sur d'autres hommes et d'autres femmes. Sans
doute il n'est pas indifférent d'être à ce moment-là un homme ou
une femme. Il faut encore travailler les liens entre pouvoirs professionnels
et pouvoirs (et privilèges) domestiques. Mais tout cela reste encore
à faire.
Cette question est importante dans l'étude des changements masculins.
Certains hommes RMIstes, tout en restant des hommes dans leurs rapports
aux femmes suivent une mobilité sociale qui les fait se rapprocher
sérieusement de la situation d'exclusion, de précarité de certaines
femmes, quand d'autres femmes, en mobilité ascendante tendent à
calquer les schèmes de concurrence virile des hommes.
Ce que cache, in fine, l'analyse sur la pseudo naturalité de la
division sociale en genres, c'est l'historicité de cette division.
Qu'il est probable que suite aux luttes féministes et à l'évolution
égalitariste de nos sociétés, elle devienne obsolète (9) , quitte
à être remplacée par d'autres formes de domination entre humain-e-s.
Toujours est-il que la menace pour un homme est d'être pris, considéré
et traité COMME une femme.
Quand on insulte quelqu'un en le traitant d'enculé, on le menace
EN FAIT de ne pas être considéré comme un homme viril et d'être
puni comme une femme.
L'insulte homophobe renforce de ce fait la domination masculine,
et le culte de la virilité.
Je suis persuadé qu'à Motivé-e on devrait être capable de construire
d'autres système de valeur qui ne doit pas péjoratif, ni dévalorisant
ni pour les femmes, ni pour les homosexuels.
Maintenant, oui beaucoup d'hommes ont été abusés, enculés contre
leur gré. Mais ceci est une autre histoire. Nous en saurons sans
doute beaucoup plus sur cette question quand les hommes commenceront
à parler d'eux, au lieu de fantasmer ensemble sur les exploits imaginaires
qu'ils exerceraient sur (contre ?) les femmes.
TROISIEME EXEMPLE : LES DEBATS LORS D’UNE COORDINATION
C'était en mai. Après la rédaction du texte d'appel national par
un groupe de travail, et juste avant notre Assemblée Générale, différentes
délégations venues d'autres villes se sont retrouvées au premier
étage du Puerto pour débattre de la rencontre de juin.
Averti par Paul, j'arrive en retard. En discussion, un projet de
plate forme qui commence par ces mots : Liberté, Egalité, Fraternité…
Très vite j'explique notre difficulté à Motivé-e-s à accepter le
terme Fraternité (tous les hommes sont frères) comme seul chapeau
d'une plate-forme commune, notre volonté d'intégrer les femmes…
Stupeur de certain (là-haut, ce jour là, il n'y a que des hommes…).
Pour un mot, vous exagérez dit un de nos amis extérieur à Toulouse.
Salah, Paul expliquent comment l'intégration des femmes, des idées
féministes a été constitutive de Motivé-e-s… Deux minutes
plus tard, un autre ami, en parlant d'autres courants politiques
dit " On ne va pas se faire mettre par eux…". A nouveau, je
demande pourquoi le fait de se faire mettre est désagréable et insultant…
Re-stupeur… Oui nous devons discuter.
L'antisexisme n'est pas qu'un mot… C'est d'abord une posture,
un regard, une idée égalitaire…
Un exemple : l’insécurité
Quid des débats sur l'insécurité ?
Quand on sait que le lieu le plus dangereux pour une femme, n'est
pas la rue, mais son domicile. Une femme sur 10 est victime de violences
de son conjoint… Un viol sur deux est commis par un proche
des victimes…
Qui parle ? et à qui ?
Bien sûr, pour l'instant l'Etat, LE pouvoir met en exergue l'insécurité
de ses groupes dominants : les hommes. L'insécurité est calculée,
prévenue en fonction du risque d'insécurité que vivent les hommes :
vols dans leurs voitures, agressions dans la rue des hommes et de
LEURS femmes et de LEURS enfants…
Et pour prévenir cette insécurité, nous voyons mis en place des
(hommes) vigiles aux allures viriles utilisant, eux-aussi, la même
violence (la violence masculine) pour imposer le calme aux autres
hommes.
Que se passe-t-il alors ? Au lieu de lutter contre l'insécurité
des femmes confrontées à des hommes qui pensent normal d'utiliser
la force et la violence pour affirmer leur virilité, l'utilisation
dite préventive d'hommes aux méthodes viriles renforce l'insécurité
des femmes, des enfants et de toute personne qui refuse (ou ne peux
pas) utiliser la même force. Pensons l'insécurité en intégrant aussi
les femmes, et le terme FRATERNITE ne sera pas qu'un mot, mais montrera
clairement comment la Révolution Française a exclu les femmes de
la citoyenneté !
De plus - ainsi fonctionnent toutes les dominations - les dominants
n'ont souvent pas idée de ce que vivent les dominé-e-s. Souvent
même, ils ne les écoutent même pas, pensant qu'il s'agit de bruits…
Pour ce qui concerne les rapports entre hommes et femmes, entre
hommes et minorités stigmatisées et maltraitées, c'est pareil !
Apprenons à écouter les dominé-e-s,
- celles et ceux qui subissent la domination masculine, y compris
celle que nous, hommes, mettons en place, et reproduisons…
- celles et ceux qui ont contesté la domination masculine
Parfois, la non-écoute, la dévalorisation des paroles de femmes,
la non prise en compte de leurs préoccupations, s'apparente à une
véritable cécité.
Ce que font les hommes, les dominants, ou ce que le système patriarcal
les oblige à faire : travailler à l'extérieur pour faire vivre
les familles, être obligé de se battre entre eux, devoir lutter
pour de meilleurs salaires et conditions de travail… sont
des faits considérés comme importants. Les femmes sont alors les
bien-venues sur ce type de luttes et de problématiques.
Le reste, en particulier le privé, les violences faites aux femmes,
les relations avec l'école, l'élevage des enfants, bref ce à quoi
sont cantonnées les femmes, sont des trucs privés donc secondaires,
des trucs " de bonnes femmes ",. sans rapport avec la politique
elle-même. Et le regard qu'en porte le politique est alors un regard
qui doit être porté par les femmes, dans le cadre de l'Action Sociale.
Les femmes sont éduquées dans la valorisation que porte le regard
de l'Autre, et non pour ce qu'elle font. Jeunes, on valorise leur
beauté en les obligeant à se calquer sur les schèmes érotiques masculins,
et quand leur corps ne ressemble pas ou plus aux jeunes femmes anorexiques
disponibles dans les catalogues (ou à tout autre modèle), on (=
nous les hommes et les femmes qui se conforment aux codes masculins)
les valorise parce qu'elles s'occupent bien des autres : maris,
enfants, parents… La politique reproduit cette division. Le
regard porté sur les " activités de bonnes femmes " est un regard
différent de celui porté aux activités masculines.
Déviriliser la politique implique qu'hommes et femmes s'ouvrent
au monde. Bien entendu, il est hors de question de dire que ce que
font (traditionnellement) les hommes ou les femmes est chargé de
moins ou de plus de valeurs.
Le système patriarcal divise hommes et femmes en privilégiant des
activités qu'il nomme masculines ou féminines. Mais l'ensemble de
ces activités sont nécessaires, et doivent être repensées politiquement.
Pourquoi dévaloriser systématiquement ce que font les femmes ?
Pourquoi ne pas partager le travail ? Tout le travail. Celui
invisible fait à la maison, et celui visible et rétribué fait à
l'extérieur.
Avouons pour l'instant que nous sommes à un tournant. Les changements
qui vivent femmes et hommes depuis une cinquantaine d'années (Droits
de vote des femmes, droit à la contraception et à l'avortement,
politiques d'égalité…) n'ont pas d'équivalent en 20 siècles
d'histoire. En cela, nous devons innover.
Penser Autrement…
QUATRIEME EXEMPLE : COMMENT DEBATTRE ?
Deux illustrations sur cette question :
- la première concerne la maison des homosexualités (MDH),
ou — le titre exact n'est pas encore défini — ce qui
devrait exister à Toulouse sur ce thème. Dans un premier temps,
Douste Blasy, ou des gens de son cabinet, négocient en sous-main
avec une association d'étudiant-e-s, puis avec une autre. Suite
à notre réaction, une réunion avec une grande partie des associations
gaies, lesbiennes, bi et les associations de luttes contre le sida
aboutit à ce que la délégation qui rencontre Le Maire soit composée
de plusieurs associations et que le projet de MDH devienne un « vrai »
projet : un lieu central, visible, ouvert, etc. Il est prévu
que les gens qui rencontrent le samedi matin le maire soient ceux,
celles présent-e-s à la dernière réunion. Act-up et Prochoix informent
les autres association par mail qu'ils/elles ont décidé que leur
représentante sera Marie, qui n'était pas présente (pour cause de
travail).
A ce moment là, un des jeunes gai lié à l'association étudiante
envoie ce mail… « Je vais être grossier, et je m'en excuse.
La liste des participants n'est pas modifiée puisqu' elle a été
décidée en réunion inter-associative. Sauf si nous n'avons pas les
couilles de nous opposer à ce que quiconque, eut-il les meilleures
raisons du monde, nous impose sa présence de manière autoritaire
et fasciste. Et je pèse mes mots. »
La rencontre s'est très bien passée. Douste — avec la touche
de démagogie qui le caractérise — a fait savoir que naturellement
il soutenait le projet, qu'il était heureux de voir Act-up avec
qui il avait travaillé lors de son passage au Ministère de la Santé…
Et alors que nous ne nous étions jamais rencontrés, il m'a demandé
« si je m'étais bien remis de la campagne électorale ».
Comme quoi… Quant au garçon qui a si peur d'être grossier,
nous n'avons pas vu ses couilles… Dommage, peut-être…
- la seconde illustration est plus près de nous, de notre
grand et beau mouvement. Sur la liste Motv'net, on a reçu cet échange
de mails suivants : C'est à propos du logo Motivé-e-s :
A dit : Mais pourquoi donc avez vous changé le Logo motivé-e-s ?
Est-ce bien raisonnable, alors que…[…]les motivé-e-s
sont-ils des flèches ou plus simplement des êtres sensibles
B répond :on l'a pas changé puisqu'on n'a pas encore récupéré
le bon.
Que répond A ? juste un mot : connard
et quelques mails plus loin, après avoir évoqué Fabien, C reprend
le "débat" C'est une des première fois que je vois un e-mail avec
pour seul mot "connard", et c'est tout ! Celui qui embête
Fab, il a intérêt a savoir courir sinon, c'est pas une chataigne
virtuelle qu'il va se prendre... Moi aussi je peux faire dans
le léger ! Mais je préfèrerai des arguments...
Je sais même pas si Fabien, notre célèbre collaborateur de groupe
a été au courant des projets guerriers qu'on lui prête, mais…
De ces deux exemples pris dans des origines différentes, nous avons
une belle illustration de comment, homosexuel ou non, les garçons
discutent et débattent, y compris des garçons proches de Motivé-e-s.
.
A propos des homosexualités
J'ai eu parfois l'impression dans la campagne électorale qu'évoquer
la présence d'homosexuel-le-s dans une communauté particulière :
un quartier, un groupe, une famille laissait mes interlocuteurs
ou interlocutrices mal-à-l'aise. L'image, encore valorisante de
la virilité, tend à nous faire penser que les pédés, les gouines,
les bi… ce sont les autres, qu'il n'en existe pas chez nous.
Comme si, les homosexuel-le-s, hommes ou femmes, les bi, n'étaient
pas des gens comme les autres. En tous cas, n'étaient pas, pour
les garçons hétérosexuels, des hommes normaux. L'hétérosexisme -
je m'excuse pour ce gros mot, c'est ainsi que l'on appelle la stigmatisation
de l'homosexualité, la promotion incessante de l'hétérosexualité
par les institutions, les individu-e-s - tend à nous faire admettre
que seul-e-s les hétéros sont normaux.
L'analyse est différente pour les filles et les garçons. Pour les
hommes, du moins la majorité d'entre-eux, le lesbianisme n'existe
pas. Les lesbiennes [on dit lesbiennes pour les femmes qui revendiquent
leur homosexualité] seraient des femmes qui n'ont pas encore trouvé
de garçon capable de les faire jouir, homme que chacun, dans son
for intérieur pense pouvoir être. C'est ainsi que toutes les vidéos
pornos, des femmes " se gouinent " comme disent les hommes entre-eux.
Elles ne font pas l'amour m'a dit un jour un homme à propos
des femmes homosexuelles, elles se font guili guili.
Les gais [on dit gai pour les hommes qui revendiquent leur homosexualité],
du fait de l'assimilation aux femmes (voir exemple n°1) sont présentés
comme des passifs, des hommes " qui se font baiser ". Ce n'est pas
vraiment des hommes ! Prétendre le contraire reviendrait à
accepter que l'on peut être homme et excité, sans pour autant bander,
que l'on peut même jouir sans bander… On imagine aisément
le trouble de virilité que cela représente.
(Une petite parenthèse pour ne pas mourir idiot-e )
Rappelons que c'est un des apports majeurs de Michel Foucault -
un philosophe connu qui s'est battu contre l'Asile, les prisons
et pour les Droits des homosexuel-le-s - qui montre que la sexualité
comme telle est une invention récente. Avant le XVIIIème siècle,
il n'y a pas de sexualité. Bien sûr, un tel énoncé a de quoi faire
bondir. Il y a eu, de tout temps, des coïts, et même des coïts hétérosexuels,
sans quoi nous ne serions pas ici pour en parler. Cela, Michel Foucault
le savait ! Mais ce qu'il nous montre, ce sont deux choses :
il montre, d'une part, qu'il est illusoire de chercher une quelconque
transhistoricité dans la manière de problématiser la reproduction
biologique. Ainsi, nous dit Michel Foucault dans l'Usage des Plaisirs :
" On aurait bien du mal à trouver chez les Grecs (...) une notion
semblable à celle de "sexualité" et de "chair". Je veux dire :
une notion qui se réfère à une entité unique et qui permet de regrouper,
comme étant de même nature, dérivant d'une même origine, ou faisant
jouer le même type de causalité, des phénomènes divers et apparemment
éloignés les uns des autres : comportements, mais aussi sensations,
images, désirs, instincts, passions " (p43).
Michel Foucault expose ensuite la manière dont cette catégorie en
vient à se structurer, au fil d'un ensemble de maturations très
lentes. Il identifie au moins trois facteurs. l'apparition d'une
subjectivité singulière, qui amènera le sujet à se reconnaître comme
sujet désirant ; et ceci dans le cadre (toujours actuel) de
la pastorale chrétienne de la chair. Ah la religion ! l'apparition
d'une morale, c'est à dire comme Foucault l'a montré, d'infiniment
plus de choses qu'un simple ensemble de normes qui viendrait réguler
les modalités de l'agir individuel et inter-individuel. le troisième
ingrédient, c'est l'institution, environ au XVIIème siècle, d'un
nouveau, et toujours actuel, rapport au monde dont la science est
le véhicule cardinal. Le monde, alors relégué au statut d'extériorité
devient objet de pure connaissance instrumentale et expérimentable.
L'impérialisme scientifique prétendra dès lors ne rien laisser hors
champ. Le XIXème siècle finissant nous livre ainsi une biologie
de la reproduction et une " théorie de l'âme qu'on a pu présenter
comme science " : la psychanalyse. De la rencontre de ces trois
ingrédients, le désir, la morale, la science, naîtra donc la catégorie
de " sexualité ", attestée dans le lexique à partir du XIXème siècle.
Emergent dans le lexique, autour des années 1870, les termes d'homosexuels
et d'homosexualité. Ces créations ne proviennent pas de n'importe
qui : elle reviennent en propre à des médecins qui oeuvrent
dans le champ de la psychopathologie. Et, si ces savants sont alors
occupés à dire le vrai, ils sont surtout occupés à dire le bon.
Ils veulent surtout connaître et reconnaître le normal. Retenons
donc que c'est la médecine au XIXème siècle qui se charge de définir
de manière normative ce qu'est la sexualité normale. La catégorie
" homosexuelle " [pas la pratique désignée sous cette catégorie]
est récente. Et c'est parce que les sciences médicales désignent
une catégorie déviante, que l'on peut, par la suite, créer son corollaire :
l'hétérosexualité. Homo/hétéro, comme homme/femme sont des couples
d'opposition qui n'ont de sens que pris ensemble. Apparaît alors
la science de la sexualité (scientia sexualis pour les érudit-e-s).
La définition des individus non plus à travers une donnée physiologique
(l'appareil génital), mais au travers d'une catégorie psychologique
qu'est leur désir sexuel, a contribué à imposer chez les hommes
10 un cadre hétérosexuel présenté, lui-aussi, comme une forme naturelle
de sexualité. Assimilant la sexualité, et son lot de jeux, de...désirs,
de plaisirs à la reproduction humaine, le modèle hétérosexuel s'est
imposé comme ligne de conduite pour les hommes et les femmes. C'est
ce qui fonde aujourd'hui l'hétérosexisme. (fin de la parenthèse)
(11).
Retenons que la catégorie homosexualité date du 19e siècle ;
que ce sont les médecins qui tout en se constituant comme Ordre
de pouvoir, se sont proposés pour repérer et normaliser ces insoumis
à l'Ordre " normal".
Toujours est-il, et l'exemple du premier mail est éloquent, que
l'on peut être stigmatisé comme homosexuel, transsexuel (j'en parlerai
une prochaine fois) et vouloir se présenter comme un homme viril,
donc avoir des couilles pour prouver qu'on est un mec ! L'imagerie
gai (ces mecs à crâne rasé et petite moustache) en sont une autre
illustration. Comme souvent chez les hommes, il faut, là-aussi se
démarquer des femmes, ou des " folles " (c'est ainsi que l'on nomme
les hommes effémines).
Et je ne confonds pas cela avec les travaux, pour l'instant avortés,
de la célèbre commission pour un parler gras non sexiste proposé
par Akim, notre artiste chéri. Le parler gras, le fait de dire :
bites, couilles, gonzesses, enculés… est souvent une manière
de réagir, de provoquer, un exutoire… Souvent ce parler gras
est associé à des images et des formes sexistes. Souvent aussi,
le parler gras est associé à un langage populaire. Je ne pense pas
que le langage fasse tout. Que les étudiant-e-s, ceux et celles
qui savent manier le verbe soient moins sexistes parce qu'ils/elles
savent les codes de langage à ne pas utiliser. Comme peut être aussi
dominant qu'un autre homme, un garçon frêle, pas costaud qui ne
montre pas des signes extérieurs de virilité. Longtemps une partie
des ouvriers n'ont eu que leur force de travail à vendre. Là où
des techniciens, ou d'autres cadres sup pouvaient faire l'économie
du développement de leur système musculaire. L'informatique en est
un bel exemple. Bref, ce n'est ni le langage, ni la carrure qui
font d'un homme un individu sexiste… Encore faut-il pouvoir
remettre en cause des images, des discours qui expriment des relations
de pouvoirs entre hommes et femmes, ou entre hommes. L'évocation
de femmes toujours soumises à la volonté masculine (" elle est bonne,
celle-là, je vais me la faire… " , la menace d'être pénétré
violemment (" j'vais t'enculer…" ) sont des propos sexistes
au sens où ils reproduisent les rapports de pouvoirs hommes/femmes
et hommes/hommes qui sous-tendent la domination masculine. Comme
je l'ai proposé, il y a un énorme travail à faire pour détourner
ces images, en montrer le sens oppressif. " Attention, si tu m'emmerdes,
je ne t'enculerai pas… " est un exemple de détournement.
Mais, malheureusement, pas de détournements dans ces échanges de
mail… Mais de la violence masculine à l'état brut ! Et
puisque l'on parle de violence masculine, pourquoi ne développerait-on
pas une réflexion critique sur ce thème.
Comment nous, moi, hommes élevés en hommes, donc en dominants
avec les femmes, reproduisons cette violence ? avec des femmes
et avec des hommes ?
Pourquoi toujours penser travailler pour les autres ? S'occuper
des Autres ?
Le deuxième exemple de mail montre à l'évidence qu'à Motivé-e, on
dérape aussi vite qu'ailleurs. Quelques mots malheureux et on insulte,
et/ou menace de casser la gueule physiquement son interlocuteur
tout autant motivé-e.
Dans la transformation actuelle des rapports hommes/femmes, tout
est fait, pensé, pour nous faire croire que le seul problème sont
les femmes.
A ma connaissance, seul 1% des personnes violentes en couple sont
des femmes (Sur des hommes), 99% sont des hommes avec les femmes !
Jusqu'à preuve du contraire, sur les mails reçus depuis plusieurs
années, seuls les hommes insultent, menacent… Nous avons tous
une culture de violence.
Trouver d'autres formes de débats passe par en discuter, proposer
des alternatives à la violence masculine, accueillir les hommes
violents pour leur permettre de changer, accompagner les hommes
dans leurs questions face aux séparations… Sans, bien entendu
à nouveau rendre les femmes responsables des malheurs de ces garçons.
Je l'ai souvent dit : pourquoi ne pas revendiquer à tous les
niveaux (municipal, régional, national…) des services d'accompagnement
des hommes, des bureaux de la condition masculine ? Des délégué-e-s
chargé-e-s de l'égalité pour les hommes ? Le tout en concertation
avec le mouvement féministe !
Mais avant tout, pour nous, ici et maintenant :
Pourquoi ne pas lancer un appel à déviriliser La politique, Le
politique ?
Notes :
(1) Ou des quelques hommes qui s'occupent des enfants en bas âges.
(2) Que l'on peut définir comme les relations sociales entre les
personnes de même sexe, à savoir les relations entre hommes ou les
relations entre femmes.
(3) Dès la prime enfance, à travers les revues pornographiques,
les jeunes mâles apprennent que l'on peut fantasmer, s'exciter seul
ou en groupe devant des figures de femmes, et que ces figures, ces
représentations de personnes réelles (payées pour cela, mais les
jeunes n'en ont pas toujours conscience) sont disponibles à leurs
scripts sexuels. Ces images, de par leurs poses, les propos ou scenarii
sexuels qu'on leur prête, aident à structurer un imaginaire sexuel
où en achetant ces revues, les hommes achètent aussi le droit d'imaginer
leur possession sexuelle. Les jeunes garçons apprennent alors à
être " clients ". La question du type d'imaginaire ne nous intéresse
pas ici. Mais on retiendra qu'à travers cette socialisation pornographique
les mâles apprennent à dissocier affects (produits de la rencontre
entre deux personnes et des liens sociaux créés) et excitation sexuelle.
On peut, et dans la maison-des-homme, on doit, être excité par les
figures représentant des femmes disponibles à la sexualité du consommateur.
Et cette sollicitation à la dissociation est renforcée par l'ensemble
de nos mass-médias qui, à longueur de temps, nous signalent la "beauté"
des femmes présentes sur les plateaux de TV, dans les films, les
pubs… Remarquons qu'en même temps que les mâles sont socialisés
en clients, ils le sont dans un paradigme hétéronormatif où l'objet
de désir est centré sur les femmes, leur pénétration ; ce qui
dans l'idéel masculin signifie possession et soumission. Hétéronormativité
intégrée au sein d'un fort vécu homosocial. Jean-Jean (2000) explique
les difficultés qu'ont, par la suite, les hommes qui aiment les
hommes à investir toute leur sexualité ; comment les homosexuels
ou les bisexuels doivent se débrouiller seuls pour traduire la socialisation
masculine hétérocentrée dans leurs goûts sexuels. [Jean-Jean, 2000,
" La cave des tantes " in D. Welzer-Lang (sous la dir) Nouvelles
approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses Universitaires
du Mirail, pp 187-192.] Plus tard, tout mâle sait qu'il peut, pour
une somme modique, louer ou acheter les services sexuels d'une femme,
d'un homme, ou d'un transgenre. Quand on observe les mâles en bandes
qui rodent autour des personnes prostituées, on retrouve au sein
de leur groupe cette ambiance homosociale particulière :ils
chassent ! Seulement le secret qui lie les dominants entre
eux (Godelier, 1982, Mathieu, 1985, Welzer-Lang, 2000) leur demande
le silence. Dans un système viriarcal, à domination masculine, la
sexualité extraconjugale de l'homme n'est aucunement contradictoire
avec le contrat de fidélité du mariage. [Godelier Maurice, 1982,
La production des Grands Hommes, Paris, Fayard, réédition
en 1996. Mathieu Nicole-Claude, 1985, "Quand céder n'est pas consentir,
des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée
des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie"
in L'Arraisonnement des Femmes, essais en anthropologie des sexes,
Paris, E.H.E.S.S, pp. 169-245. Cer article est reproduit dans son
excellent livre : Mathieu Nicole-Claude, 1991, L'anatomie politique,
catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Côté-femmes (recueil
des principaux articles).] Welzer-Lang Daniel, 2000a, " Pour une
approche proféministe non homophobe des hommes et du masculin "
in D. Welzer-Lang (sous la dir) Nouvelles approches des hommes
et du masculin, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail,
pp 109-138.]
(4) Je n'insiste pas ici sur l'ineptie du discours qui tend à prouver
que les mères sont responsables des violences commises par leurs
enfants mâles sous prétexte qu'elles les auraient éduqués ainsi.
Ce ne sont pas les femmes qui contrôlent la maison-des-hommes, mais
bel et bien les hommes eux-mêmes. Ce qui n'empêchent pas certaines
mères de cautionner ce système, quand d'autres font tout pour protéger
leurs mâles de ce type de pratiques.
(5) Au Québec, en 1984, un comité sur les infractions sexuelles
à l'égard des enfants et des jeunes [la commission Badgley] signalait
qu'à côté du nombre extrêmement limité de plaintes pour viols d'hommes,
une étude canadienne montrait qu'une femme sur 2 et un homme sur
3 reconnaissent avoir été victimes d'actes sexuels non désirés.
(42,1 % des personnes au Canada et 40,2 au Québec). La plupart des
personnes ont été agressées pendant leur enfance ou leur adolescence.
Pour une discussion sur les données françaises, non contradictoires
avec l'étude québécoise, on se référera à mon texte sur l'homophobie
(1994). [Welzer-Lang Daniel, 1994, L'homophobie, la face cachée
du masculin, in Welzer-Lang D., Dutey P-J., Dorais M. : La
peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie, Paris, Montréal,
V.L.B, pp 13-92]
(6) Ou, plus exactement, pour un temps plus ou moins long dépendant
de la capacité à les écouter et à leur rendre justice. Tout homme
abusé est culpabilisé et se responsabilise de ce qu'il a vécu. Il
a été incapable de se défendre. Il a échoué face à la règle première
des hommes qui commande de ne pas se faire mettre, ou se faire avoir.
Outre les traumatismes physiques, la honte est grande d'avoir été
piégé, d'avoir été pris "comme une femme".
(7) Il faudrait plus exactement parler d'abus sexués. C'est-à-dire
d'abus qui réfèrent à la domination des sexes et à leurs constructions
sociales. Pour les victimes de viols, l'agression est rarement sexuelle.
Même si j'ai entendu quelques hommes me dire que le premier abus
vécu leur a révélé leur homosexualité, les mêmes sont unanimes à
dire qu'ils auraient préféré être initiés autrement. Bien plus,
à cause de l'abus, certains s'interdisent pendant un laps de temps
plus ou moins long, d'accepter leurs désirs sexuels pour d'autres
hommes.
(8) Idéellement, dans l'idéologie masculine, on doit pouvoir s'approprier
des femmes en respectant l'injonction qui dit qu' " on ne doit pas
battre une femme, même avec une rose ". Le charme et la séduction
naturelle du mâle supérieur devrait suffire. Même si cette " séduction
" peut elle-même être de l'ordre du harcèlement, plus ou moins poussé.
(9) Voir à ce propos l' article de Chistine Delphy de 1991. Delphy
Christine, 1991, " Penser le genre ", in Hurtig Marie-Claude, Kail
Michèle, Rouch Hélène (Dir), Sexe et genre, de la hiérarchie
entre les sexes, Paris, éd. CNRS, pp. 89-107. Cet article est
reproduit dans ses excellents livres Delphy Christine, 1998, 2001,
L'ennemi principal, t.1 : Economie politique du patriarcat,
t.2 Penser le genre, Paris, Syllepse (recueil d'articles)..
(10) Cette analyse sur la performativité du modèle hétérosexuel
est à moduler pour les femmes. Le cadre hétérosexuel qui leur est
aussi imposé se conjugue à une attirance masculine pour les amours
saphiques sous contrôle. Voir ainsi le nombre de vidéos pornographiques
mettant en scènes - pour les hommes spectateurs - des lesbiennes.
Celles-ci - homophobie oblige - sont conformes aux critères masculins
et homophobes d'érotisme.
dwl, édité pour les Diversités d'été (indien) des Motivé-e-s, 27
août 2001. Contacts : D. W-L, 7 rue Lakanal, 31000 - Toulouse
/ +33/ (0)562309108.
mail : dwl at univ-tlse2.fr
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