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Déviriliser la vie politique, le politique, et la politique
Daniel WELZER-LANG
Août 2001

Origine : http://www.traboules.org/index.html

Les Traboules, association de recherches sociologiques et ethnologiques


Je serais artiste, je chanterais le monde : la vie d'ici, les humiliations subies et celles imposées à mes proches, connu-e-s ou inconnu-e-s, mais aussi le souffle de révolte qui donne l'énergie de penser demain… Je suis homme, sociologue et Motivé-e, personne n'est parfait. Dans l'esprit qui a animé la Commission Pour Une Société Non Sexiste, et pour alimenter les débats d'après campagne, dans le cadre de la Diversité d'Eté ou ailleurs, il m'a semblé intéressant de jeter quelques idées sur le papier. Essayer de mettre en relation les luttes contre la domination masculine, contre le machisme et la virilité obligatoire, les recherches que nous menons sur les situations des femmes et des hommes avec le/la politique. Bref, alimenter, à ma manière nos débats. Ces mêmes débats qui nous permettent de penser un monde différent, ici et là-bas, maintenant et plus tard… Daniel Welzer-Lang Août 2001.

Penser la politique autrement…

en intégrant les rapports hommes/femmes, les femmes mais aussi les hommes, ce que l’on appelle le genre

L'objectif de ce texte est d'essayer d'aider à réfléchir ce que pourrait être la politique "Autrement ". En particulier de mettre des mots sur des idées communes que nous avons agitées ensemble. Notre démarche collective à Motivé-e-s a, lors de la campagne et après, d'accepter nos différences, nos histoires particulières, de ne laisser personne hors de l'analyse. Ainsi, il n'a jamais été question de ne pas écouter et intégrer dans nos analyses et propositions les jeunes de quartiers, y compris les sœurs (moins visibles) des garçons, les immigré-e-s sans papier, les artistes… Or, lors de la fureur électorale, nous avons bien souvent été obligé-e-s de courir entre deux rencontres, entre deux diffusions ou fêtes, sans toujours avoir le temps d'écrire nos idées, d'expliciter ce qui sous-tendait nos analyses et nos prises de position. Souvent, de manière très pragmatique, face à un événement, un discours, nous avons réagi au plus vite, proposé autre chose… D'une manière générale, nous avons fait l'économie des textes.


Aujourd'hui une réflexion me semble urgente. Pourquoi ?
- D'une part pour briser les résistances masculines aux changements, ce qui contribue à freiner les aspirations des femmes à vivre autrement et, en même temps, pour aider les hommes à changer, les accompagner. En particulier ceux qui manifestent des difficultés à vivre les changements.
- D'autre part, pour faire évoluer la politique, le politique en lui offrant un cadre au plus proche de la vie quotidienne des hommes et des femmes ; ce qui contribue à accompagner la révolution mise en place par le mouvement féministe. Notamment en balayant les obstacles qui limitent l'entrée des femmes, comme citoyennes à part entière dans le politique, y compris dans la mouvance Motivé-e-s.

L’histoire d’une commission

Souvenons-nous : à la première Assemblée Générale, quelques personnes (5, si je me souviens bien) proposent d'ajouter à la liste des commissions proposées par ceux et celles qui avaient préparé cette rencontre, une commission de plus : sur le sexisme. De suite, nous précisions qu'il n'était pas question de faire une nouvelle " Commission Femmes ", que pour nous, celles et ceux qui voulions intégrer cette question dans la campagne, la lutte contre le sexisme ne concernait pas que les femmes, mais aussi les autres : les hommes.

Pourquoi une commission contre le sexisme et non pas une commission Femmes ?

Cette réaction visait à refuser le consensus qui semble aujourd'hui exister sans même qu'il n'y ait eu un débat quelconque à ce propos. La parité hommes/femmes, l'amélioration du mode de vie des femmes, leur participation citoyenne, les revendications salariales égalitaristes… seraient le problème des femmes, et des quelques " amis-hommes " qu'elles ont su se faire au cours de plus de trente années de luttes. Mais ce n'est jamais le problème " des " hommes, encore moins celui des rapports entre ces hommes et la virilité. Or, au delà des différences biologiques - le fait d'avoir ou pas quelques centaines de grammes de chair entre les jambes ou entre les épaules - la question est d'abord sociale. C'est bel et bien parce que des femmes s'occupent du domestique que des hommes peuvent faire de la politique, et sans conteste parce que les hommes raptent les postes de pouvoir que les femmes ont tant de difficulté à y accéder… Bref la question est celle de la distribution des pouvoirs et de la lutte (conjointe) contre la domination masculine.

Inégalité/domination

Quand il y a une (bonne et belle) tarte, que les hommes prennent huit part et distribuent une part aux femmes, il faut que les hommes apprennent à en prendre moins, à partager…A nous de leur faire comprendre qu'on vit mieux sans diabète, sans cholestérol… Bref que partager la tarte n'est pas sans bénéfice secondaire… Surtout pour ceux, celles qui aiment manger en altérité…

Beaucoup de texte aujourd'hui nous parlent d'inégalités persistantes, d'accès inégal… Crions le bien fort, il ne s'agit pas uniquement d'une question d'inégalité entre les sexes. Si inégalité il y a, c'est parce que, encore aujourd'hui, un groupe (les hommes) s'attribuent la majorité des hauts salaires, des postes politiques (le droit de légiférer), des postes dans la police et l'armée (le droit de réprimer), " exploitent " le travail domestique gratuit de leur conjointe (pour ceux vivant en couple) utilisent les violences comme formes de contraintes de leurs proches, etc. Nous sommes bel et bien dans un système où perdure la domination masculine. Et c'est bien cette domination des hommes qui est aujourd'hui vacillante.

Précisons de suite qu'être dominant, comme homme, ne signifie pas être " un salaud ", un " monstre ". Qu'en plus, l'âge, l'origine ethnique, la classe sociale sont des facteurs qui interfèrent sur le pouvoir dont chaque homme peut disposer.

Cette base était implicite et évidente
- pour les femmes du Mouvement des Femmes de Toulouse qui ont adhéré collectivement à Motivé-e-s, les mêmes qui, autour de l'APIAF, du Collectif pour le Droit des Femmes, etc. se battent depuis plusieurs années contre les violences faites aux femmes, le sexisme…
- les quelques hommes qui, dès le début ont travaillé avec elles.

Souvent nos positions, communes et discutées à la commission ont été incomprises. Le temps limité, l'ampleur du travail à réaliser ne nous ont pas toujours donné l'énergie d'expliquer. Expliquer comment l'analyse globale, la lutte contre la domination masculine et les critiques sur les " manières de faire " étaient liées. Notamment dans la critique de la virilité.

J'aimerais reprendre cette discussion à partir de 5 événements que l'on a vécus à Motivé-e-s. Montrer que la critique de la virilité obligatoire est, et doit être, quotidienne dans nos pratiques. Pour le bien de toutes, de tous et la marche conjointe vers une " Autre" société : une société non-raciste, non-sexiste, non- homophobe où chacun-e puisse vivre sans être opprimé-e ou discriminé-e pour quelque raison que ce soit.

La virilité en question

D'abord, rassurons ceux qui pourraient être inquiets. Et, il y en a… En critiquant la virilité obligatoire, il n'est bien évidemment pas question de castrer les hommes, ni les hommes motivé-e-s, ni les autres. Le fait de bander, de désirer des femmes, des hommes, ou les deux (voir plus loin) n'est pas en cause. La manière de le faire, oui !

Qu'est-ce que la virilité ? Dans le Dictionnaire critique du féminisme, paru aux PUF en novembre 2000, avec Pascale Molinier (CNAM/Paris), nous la définissions ainsi :

La virilité revêt un double sens : 1) les attributs sociaux associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage, la capacité à se battre, le " droit " à la violence et aux privilèges associés à la domination de celles, et ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent pas être, virils : femmes, enfants… 2) la forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine. La virilité, dans les deux acceptions du terme, est apprise et imposée aux garçons par le groupe des hommes au cours de leur socialisation pour qu'ils se distinguent hiérarchiquement des femmes. La virilité est l'expression collective et individualisée de la domination masculine.

Avons-nous été, sommes nous en dehors de ce débat ?

Non. J'utiliserai 4 exemples commentés, tirés de notre expérience commune, pour le montrer et avancer dans nos réflexions.

PREMIER EXEMPLE : IMPOSER SON POINT DE VUE PAR LA FORCE, LA VIOLENCE DES INTERVENTIONS

Rappelons-nous : la première Assemblée Générale, la même où Rachida juste sortie d'un café du centre ville est venue dire de manière si émouvante combien la démarche Motivé-e- s était nécessaire, importante… Tayeb distribuait le micro… Les débats se menaient… Dans les faits, il s'agissait de la première rencontre publique de ceux et celles qui allaient devenir les Motivé-e-s. Beaucoup de monde : des jeunes, des moins jeunes, des hommes, des femmes, des gens aux couleurs différentes, dans tous les sens du terme. Certain-e-s venaient des luttes contre la mondialisation, d'autres des luttes liées à l'immigration et au post-colonialisme, des squats et mouvement d'artistes, du monde syndical, des associations féministes toulousaines, de l'extrême gauche officielle... … Et le débat s'engagea. Avec très vite, de ma part, un double étonnement : la Diversité des gens présents, et la volonté commune de faire autrement de la politique, de dire Ouste à Baudis et sa clique… la violence de certaines interventions. Plusieurs militant-e-s d'une organisation d'extrême gauche présente au début de Motivé-e- s voulaient (déjà) débattre des places sur la liste, du second tour. Ce qui était leur droit légitime. La manière fut étonnante. Nous avons eu droit à des interventions " en rafale " où, ce n'était pas tant les idées développées qui étaient importantes, que le rappel incessant par l'ensemble des intervenant-e-s de cette organisation : de leur appartenance organisationnelle (" Moi aussi je suis membre de la XXX…" ) qu'ils/elles étaient d'accord avec les positions de leur porte parole… (Moi aussi, je suis d'accord avec XXXX… "). J'étais médusé, scotché à mon siège, ne sachant pas trop s'il fallait rire, rire d'une telle dérision de la démocratie, ou pleurer, pleurer d'une Énième tentative de putsch gauchiste visant à faire passer en force UNE position, sans débats possibles, sans écoute de l'Autre. La suite, on la connaît. L'organisation en question est partie sous sa propre bannière. Cette manière de débattre, de s'affronter, de faire passer son point de vue est " traditionnel " en politique. Qu'elle soit aujourd'hui, pour une partie congrue, effectuée par des femmes ne change rien. Elle rappelle la guerre entre hommes, que chacun doit s'efforcer de mener, sous peine de ne pas être considéré comme un homme. Un vrai…

La guerre entre hommes

Dis-moi quel est ton coq de référence, je te dirai ton parti politique…

Etendons un peu le propos. Combien de discours, d'interventions faites par les hommes n'ont comme unique objectif de montrer qu'ils sont présents et qu'ils ont raison ?

Sur la virilité en Politique

La politique, le politique sont encore masculins. Les hommes ont le pouvoir, les postes… et ont du mal à lâcher les privilèges associés à ces fonctions. Le politique est un concentré de pouvoirs masculins. Les hommes, même ceux qui s'autoproclament " progressistes", quelle que soit leur couleur (verts, rouges, roses…) les copient, jouent aux jeunes coqs en guerre permanente, en luttes viriles pour être les premiers, les meilleurs, les plus forts, bref reproduisent ce que leur apprend la socialisation masculine… Affirmons ensemble, de suite, que nous sommes pour une autre manière de débattre, d'échanger. Que la discussion représente une forme d'échange où JE peux apprendre quelque chose de l'Autre. Nos points de vue, nos idées sont largement conditionnées par nos statuts, nos places sociales et notre appartenance de genre (être un homme, une femme). De tous temps, les riches ont dit qu'ils avaient raison parce qu'ils avaient la connaissance, le savoir. Le fait qu'ils avaient connaissances et savoirs parce qu'ils étaient riches, qu'ils détenaient le pouvoir et que par conséquent, ils pouvaient décider eux-mêmes, entre-eux, ce qui était réellement la. connaissance et le savoir ne les a pas effleuré. Ce sont les catégories en lutte, les opprimé-e- s, les ouvrié-e-s, employé-e-s, les immigré-e-s, etc. qui ont contesté le pouvoir des riches, et les savoirs eux-mêmes. De tous temps les hommes, riches ou non, ont pensé qu'ils avaient raison, qu'ils savaient comment conduire le monde, parce qu'ils étaient hommes. Un homme, un vrai homme, sait, fonce, dirige (le monde, mais aussi SA femme et SES enfants). Chaque homme, même celui qui n'appartient pas aux classes supérieures, reçoit les dividendes individuels de la domination masculine sous forme de droits qu'il exerce au dépend des non-hommes, des non-dominants : femmes, enfants…

La domination masculine a laissé de grandes traces dans nos débats. Apprenons à rompre avec ces pratiques :

Ce n'est pas parce que je suis un homme que j'ai raison

Ce n'est pas parce que je suis un homme que je dois me mettre en valeur plus que les femmes

Ce n'est pas parce que je parle le plus fort que j'ai raison

Ce n'est pas parce que je monopolise la parole que mes propos sont plus justes…


DEUXIEME EXEMPLE : L’ENCULE DU LOCAL…

Avant d'aller à une réunion - je ne me souviens plus laquelle - je passe au local de la rue des quêteurs. Vous savez notre local où nos camarades-filles tenaient, plus fréquemment que les garçons, les permanences. Comme souvent, en ces temps là, cela grouille de monde et chacun-e de commenter le dernier sondage, les rumeurs sur telle ou telle liste. Avec, cette ambiance si particulière qui constitua Motivé-e, qui fait que des gens qui ne connaissaient pas quelques semaines auparavant sont devenus amie-s, confident-e-s. Akim n'avait pas encore posé son affiche pour la création d'une commission sur le " parlé gras non sexiste", mais les murs montraient déjà les diffusions de tracts, les réunions à animer… Bref, un jour ordinaire pour la campagne électorale des Motivé-e-s. Et on se passait à tour de rôle un article où figurait une interview de Salah, notre tête de liste bien aimée que chacun-e commentait… La discussion a légèrement dévié et un garçon, membre de Motivé-e, a voulu résumer la position d'un de nos adversaire politique en disant : " Lui, c'est un enculé… ". Je me retourne rapidement, et lui dit très affectueusement qu'être enculé est une chose parfois agréable, en tous cas quand c'est fait avec douceur… Silence dans le local ! Il me dit qu'il n'a rien contre les homosexuel-le-s, mais qu'il n'a pas fait d'études… Comme si la connaissance de la sodomie avait un rapport avec le niveau scolaire. Nous discutons et j'essaie de lui expliquer en quoi le fait de traiter des hommes d'" enculé " a rapport avec l'hétérosexisme, mais aussi avec la virilité, la même qui dévalorise les femmes…
 
La virilité, l’homophobie et les enculés

Bien sûr qu'à Motivé-e et dans toutes les listes qui se réclament du progressisme on soutient les luttes des homosexuel-le-s, des bisexuel-le-s, des transgenres. Nous pensons tous et toutes que la sexualité devrait être une affaire privée, que l'Etat, les Eglises ne devraient pas interférer dans les choix et les goûts sexuels qui sont, ou devraient, être des choses privées. On reprendra cette question plus loin (voir exemple n° 5)

En quoi " enculé " est une insulte ?

Un homme, un vrai, un qui a des couilles, comme ont dit en langage populaire, est une mec actif. Un mec qui se bat, qui affirme haut et fort son honneur d'homme, sa parole, ses idées. Si être traité d'" enculé " est une insulte, c'est que la menace permanente qui pèse sur les hommes est d'être vu, traité, pensé, considéré comme… une femme. Ce sont les femmes qui sont pénétrées, voire enculées. Dans ce cas, dans la mesure où notre imaginaire viril nous pousse à associer la sodomie à la douleur, l'acceptation d'être pénétrée ainsi est sensé représenté un gage d'amour et/ou de soumission. De toutes façons, amour (des femmes) et soumission (aux hommes) sont liés dans notre imaginaire masculin.

Mais la peur pour un homme d'être pris comme une femme est une métaphore. Personne n'est dupe, un homme n'est pas une femme, on ne déplace pas si facilement quelques centaines de grammes de chair entre les jambes pour les placer entre les épaules. De plus, la création d'un vagin n'est pas chose aisée. Surtout dans notre société transphobe, où les transsexuel-le-s ont tant de mal à faire admettre leurs droits.

Donc, un homme n'est jamais une femme… Là se cache l'homophobie.

L'homophobie est la discrimination des qualités ou des défauts attribués à l'autre genre. La stigmatisation des hommes dits efféminés, ou des femmes qui veulent ressembler à des hommes. Notre société associe les hommes efféminés à des homosexuels et à des femmes. Les homosexuels mâles, eux-mêmes sont assimilés à des femmes, des folles, des tapioles…

Dans l'éducation masculine ce que j'appelle dans mes textes théoriques la Maison-des-hommes en référence aux travaux anthropologiques, les garçons sont socialisés dans le groupe des pairs, c'est-à-dire avec les autres garçons de leur âge. Dans ces groupes, qui se réunissent dans les cours d'école, dans les équipes de sports, au café, en bas des immeubles, les hommes pour prouver qu'ils sont des hommes, doivent prouver sans cesse qu'ils ne sont pas des femmes, qu'il en ont… Non seulement on apprend aux hommes à être en guerre permanente pour être le meilleur, le premier, le plus fort, mais on va associer ces valeurs dites viriles au fétichisme phallique. Le sexe, et ses accessoires (les testicules) deviennent les emblèmes de la virilité. Et chaque homme de s'interroger (en général) sur la taille de son engin à prouver sa virilité.

Voilà un extrait d'un texte déjà écrit sur cette question en 1994.

La maison-des-hommes

Dans nos sociétés, quand les enfants-mâles quittent le monde des femmes 1 , qu'ils commencent à se regrouper avec d'autres garçons de leur âge, en général cela commence à l'école, ils traversent une phase d'homosocialité 2 lors de laquelle émergent de fortes tendances et/ou de grandes pressions pour y vivre des moments d'homosexualité. Compétitions de zizis, marathons de branlettes (masturbation), jouer à qui pisse (urine) le plus loin, excitations sexuelles collectives à partir de pornographie feuilletée en groupe, voire même maintenant devant des strip-poker électroniques où l'enjeu consiste à déshabiller les femmes… à l'abri du regard des femmes et des hommes des autres générations, les petits hommes s'initient entre eux aux jeux de l'érotisme. Ils utilisent pour ce faire, les stratagèmes, les questions (la taille du sexe, les capacités sexuelles) léguées par les générations précédentes. Ils apprennent et reproduisent alors les mêmes modèles sexuels quant à l'approche et à l'expression du désir (3) . Dans cette maison-des-hommes, à chaque âge de la vie, à chaque étape de la construction du masculin, est affecté une pièce, une chambre, un café ou un stade. Bref, un lieu propre où l'homosocialité peut se vivre et s'expérimenter dans le groupe de pairs. Dans ces groupes, les plus vieux, ceux qui sont déjà initiés par les aînés, montrent, corrigent et modélisent les accédants à la virilité. Une fois quitté la première pièce, chaque homme devient tout à la fois initiateur et initié.

Apprendre à souffrir pour être un homme. A accepter la loi des plus grands

Apprendre à être avec des hommes, ou ici dans les premiers apprentissages sportifs à l'entrée de la maison-des-hommes, à être avec des postulants au statut d'homme, contraint le garçon à accepter la loi des plus grands, des anciens. Ceux qui lui apprennent et lui enseignent les règles et le savoir-faire, le savoir-être homme. La manière dont certains hommes se rappellent cette époque et l'émotion qui transparaît alors, semblent indiquer que ces périodes constituent une forme de rite de passage.

Apprendre à jouer au hockey, au football, au base-ball, c'est d'abord une façon de dire : je veux être comme les autres gars. Je veux être un homme et donc je veux me distinguer de son opposé (être une femme). Je veux me dissocier du monde des femmes et des enfants. C'est aussi apprendre à respecter les codes, les rites qui deviennent alors des opérateurs hiérarchiques. Intégrer codes et rites, en sport on dit les règles, oblige à intégrer corporellement (incorporer) les non-dits. Un de ces non-dits, que relatent quelques années plus tard les garçons devenus hommes, est que l'apprentissage doit se faire dans la souffrance. Souffrances psychiques de ne pas arriver à jouer aussi bien que les autres. Souffrances des corps qui doivent se blinder pour pouvoir jouer correctement. Les pieds, les mains, les muscles… se forment, se modèlent, se rigidifient par une espèce de jeu sado-maso avec la douleur. P'tit homme doit apprendre à accepter la souffrance - sans rien dire - pour intégrer le cercle restreint des hommes. Dans ces groupes monosexués s'incorporent les gestes, les mouvements, les réactions masculines, tout le capital d'attitudes qui serviront à être un homme.

Dans les tous premiers groupes de garçons, on "entre" en lutte dite amicale (pas si amicale que cela si l'on en croit le taux de pleurs, de déceptions, de chagrins enfouis que l'on y associe) pour être au même niveau que les autres, puis pour être le meilleur. Pour gagner le droit d'être avec les hommes ou d'être comme les autres hommes. Pour les hommes, comme pour les femmes, l'éducation se fait par mimétisme. Or le mimétisme des hommes est un mimétisme de violences. De violence d'abord envers soi, contre soi. La guerre qu'apprennent les hommes dans leurs corps est d'abord une guerre contre eux-mêmes. Puis, dans une seconde étape, c'est une guerre avec les autres (4).

Articulant plaisirs, plaisirs d'être entre hommes (ou hommes en devenir) et se distinguer des femmes, plaisirs de pouvoir légitimement faire "comme les autres hommes" (mimétisme) et douleurs du corps qui se modélise, chaque homme va, individuellement et collectivement, faire son initiation. Par cette initiation s'apprend la sexualité. Le message dominant : être homme, c'est être différent de l'autre, différent d'une femme.

De plus j'ai montré dans mes enquêtes sur le viol comment l'analyse de " la première pièce " de la maison-des-hommes, ce que j'ai nommée le vestibule de la " cage à virilité " est un lieu à haut risque d'abus. Elle fonctionne, semble-t-il, comme un lieu de passage obligé qui est fortement fréquenté. Un couloir où circulent tout à la fois de jeunes recrues de la masculinité, les petits hommes qui viennent juste de quitter les jupons de leurs mères [ou plus rarement de leurs pères], à côté d'autres p'tits hommes fraîchement initiés qui viennent - ainsi en convient la coutume de cette maison - transmettre une partie de leur savoirs et de leurs gestes. Mais l'antichambre de la maison-des-hommes est aussi un lieu, un sas fréquenté périodiquement par des hommes plus âgés. Des hommes qui font tout à la fois figures de grands frères, de modèle masculin à conquérir par p'tit homme, d'agents chargés de contrôler la transmission des valeurs. Certains s'appellent pédagogues, d'autres moniteurs de sports, ou encore prêtres, responsables scouts… Certains sont présents physiquement. D'autres agissent par le biais de leurs messages sonores, de leurs images qui se manifestent dans le lieu. Ceux-là sont dénommés artistes, chanteurs, poètes. En fait, parler de "la première pièce" de la maison-des-hommes constitue une forme d'abus de langage. Il faudrait dire : les premières pièces, tant est changeante la géographie des maisons des hommes. A chaque culture ou chaque micro-culture, parfois à chaque ville ou village, à chaque classe sociale, correspond une forme de maison-des-hommes. Le thème de l'initiation des hommes se conjugue de manière extrêmement variable. Le concept est constant mais les formes labiles.

Le masculin est tout à la fois soumission au modèle et obtention des privilèges du modèle. Certains aînés profitent de la crédulité des nouvelles recrues, et cette première pièce de la maison est vécue par de nombreux garçons comme l'antichambre de l'abus. Et cela dans une proportion qui, à première vue, peut surprendre 5 . Non seulement, je l'ai dit, p'tit homme commence à découvrir que pour être viril, il faut souffrir, mais dans cette pièce (ou dans les autres, il ne s'agit ici que d'une métaphore), le jeune garçon est quelquefois initié sexuellement par un grand. Initié sexuellement, cela peut aussi vouloir dire violé. être obligé - sous la contrainte ou la menace - de caresser, de sucer ou être pénétré de manière anale par un sexe ou un objet quelconque. Masturber l'autre. Se faire caresser… On comprend que les hommes à qui une telle initiation est imposée en gardent souvent des marques indélébiles.

Tout semble indiquer dans les interviews réalisées dans l'étude sur l'homophobie, puis dans celle sur la prison (cf. mon livre violences et sexualités en Prison édité par l'Observatoire International des Prisons) que beaucoup d'hommes qui ont été appropriés par un autre homme plus âgé n'ont de cesse que de reproduire cette forme particulière d'abus. Comme s'ils se répétaient : " Puisque j'y suis passé, qu'il y passe lui aussi ". Et l'abus, outre les bénéfices qu'il procure, revêt alors aussi une forme d'exorcisme, une conjuration du malheur vécu antérieurement. Puis, au fil des ans, quand le souvenir de la douleur et de la honte s'estompe enfin quelque peu, l'abus initial fonctionnerait comme élément de compensation, un peu comme l'ouverture imposée d'un compte bancaire ; les autres abus perpétrés représentant les intérêts que vient réclamer l'ex-homme abusé. Cela vaut tant pour les abus réalisés à l'encontre des hommes que dans d'autres lieux à l'encontre des femmes.

D'autres se blindent. Ils intègrent une fois pour toutes (6) que la compétition entre hommes est une jungle dangereuse où il faut savoir se cacher, se débattre et où in fine la meilleure défense est l'attaque.

J'évoque ici les abus (dits) sexuels (7) . Ils sont bien réels et en nombre très important. Les recherches futures nous en révéleront les formes, la fréquence et les effets à courts, moyens et longs terme. Avouons pour l'instant notre partielle incurie sur ce thème. D'autres formes d'abus sont quotidiennes, complémentaires ou parallèles par rapport aux abus sexuels. Elles en constituent d'ailleurs souvent les prémices. Des abus individuels, mais aussi des abus collectifs. Qu'on pense aux différents coups : les coups de poing, les coups de pieds, les "poussades". Les pseudo-bagarres où, dans les faits, le plus grand montre une nouvelle fois sa supériorité physique pour imposer ses désirs. Les insultes, le vol, le racket, la raillerie, la moquerie, le contrôle, la pression psychologique pour que p'tit homme obéisse et cède aux injonctions et aux désirs des autres, … Il y a donc un ensemble multiforme d'abus de confiance violents, d'appropriation du territoire personnel, de stigmatisation de tout écart au modèle masculin dit convenable. Toutes formes de violences et d'abus que chaque homme va connaître, tant comme agresseur que comme victime. Petit, faible, le jeune garçon est une victime désignée. Protégé par ses collègues, il peut maintenant faire subir aux autres ce qu'il a encore peur de subir lui-même. Conjurer la peur en agressant l'autre, et jouir alors des bénéfices du pouvoir sur l'autre, voilà la maxime qui semble inscrite au fronton de toutes ces pièces.

Ne nous y trompons pas. Cette union qui fait la force, cet apprentissage du collectif, de la solidarité, de la fraternité - les hommes d'un même groupe peuvent être assimilés à des frères - ne revêt pas que des côtés négatifs. Bien que dans la maison-des-hommes, la solidarité masculine intervienne pour éviter la douleur d'être soi-même victime, cette maison est le lieu de transmission de valeurs qui, si elles n'étaient pas au service de la domination, sont des valeurs positives. Prendre du plaisir ensemble, découvrir l'intérêt du collectif sur l'individuel, voilà bien des valeurs humanistes qui fondent la solidarité humaine.

Toujours est-il que dans la socialisation masculine, il faut pour être un homme, ne pas pouvoir être assimilé à une femme. Le féminin devient même le pôle repoussoir central, l'ennemi intérieur à combattre sous peine d'être soi-même assimilé à une femme et d'être (mal)traité comme tel.

Et on aurait tort de limiter l'analyse de la maison-des-hommesà la socialisation enfantine ou juvénile. Une fois en couple, l'homme tout en " assumant " sa place d'homme pourvoyeur, de père qui dirige la famille, de mari qui sait ce qui estbon, et bien, pour femme et enfants, continue à fréquenter des pièces de la maison-)des-hommes : les cafés, les clubs, voire parfois même la prison, où il faut toujours se distinguer des faibles, femmelettes, des " pédés", bref de ceux qui l'ont peut considérer comme des non-hommes.

Le masculin, les rapports entre hommes sont structurés à l'image hiérarchisée des rapports hommes/femmes. Ceux qui ne peuvent pas prouver qu'ils " en ont ", sont alors menacés d'être déclassés et considérés comme les dominées, comme les femmes. " Ils en sont " dira-t-on à leurs propos ". Et ils vont être traités comme des femmes, servir de boucs émissaires, être violenté par les autres hommes.

Le fait d'être pris comme une femme, y compris abusé parfois sexuellement, est une menace qui s'exerce sur tous les hommes qui ne veulent pas, ou n'arrivent pas à faire croire à leur virilité.

C'est ainsi qu'en prison, un segment particulier de la maison-des-hommes, les jeunes hommes, les hommes repérés ou désignés comme homosexuels (hommes dits efféminés, travestis…), hommes qui refusent de se battre, voire ceux qui se sont fait prendre à violer des dominées 8 , sont traités comme des femmes, appropriés sexuellement par les " grands hommes " que sont les caïds, rackettés, violentés. Souvent même, ils sont tout simplement sont mis en position de " femme à tout faire " et doivent assumer le service de ceux qui les contrôlent notamment le travail domestique (nettoyage de la cellule, du linge…) et les services sexuels.

Les rapports sociaux de sexe sont transversaux à l'ensemble de la société et hommes et femmes en sont traversé-e-s.

Dans cette perspective j'ai proposé alors de définir l'homophobie comme la discrimination envers les personnes qui montrent, ou à qui l'on prête, certaines qualités (ou défauts) attribuées à l'autre genre. L'homophobie bétonne les frontières de genre. Lorsque dans une enquête, nous avons demandé à quelques 500 personnes à quoi elles reconnaissaient des personnes homosexuelles dans la rue, celles-ci, à une écrasante majorité, ne parlent que des hommes homosexuels (le lesbianisme est invisible). Et qui plus est, elles assimilent aux homosexuels les hommes qui présentent des signes de féminité (voix, vêtements, postures corporelle). Les hommes qui ne montrent pas des signes répétitifs de virilité sont assimilés aux femmes et/ou à leurs équivalents symboliques : les homosexuels.

La domination masculine divise hommes et femmes en groupes hiérarchisés, donne des privilèges aux hommes au détriment des femmes, et face aux hommes tentés, pour une raison ou une autre, de ne pas reproduire cette division (ou qui, pire, la refuseraient pour eux-mêmes), la domination masculine produit de l'homophobie pour que, menaces à l'appui, les hommes se calquent sur les schèmes dits alors normaux de la virilité.

Les " Grands hommes "

Je viens d'invoquer les caïds en prison, et d'évoquer à leur propos les " Grands-Hommes ". Il se peut que la prégnance de l'analyse marxiste qui a privilégié les classes sociales, ou celle féministe post-marxiste qui nous a fait adopter une analyse analogue pour étudier la domination masculine, doublé du peu d'études sur les hommes et le masculin, ait occulté ce que chaque homme sait. On a beau être un homme, un dominant, chaque homme est lui même soumis aux hiérarchies masculines. Tous les hommes n'ont pas le même pouvoir ou les mêmes privilèges. Certains, que je qualifie de Grands-Hommes ont des privilèges qui s'exercent aux dépens des femmes (comme tous les hommes), mais aussi aux dépens des hommes.

Qui sont les Grands-Hommes ? Comment leur statut est-il rétribué ? En argent, honneur (confortant la virilité) et en statuts de pouvoir.

Empiriquement (cf. mes étude sur l'échangisme et le commerce du sexe), on sait que pour un homme, le fait d'être vu avec des " belles " femmes fait classer cet homme dans les Grands-Hommes ; au même titre que celui qui a de l'argent et/ou du pouvoir manifeste sur les hommes et les femmes. Chaque homme a ou peut avoir, s'il accepte les codes de virilité, du pouvoir sur les femmes (qu'il reste d'ailleurs à quantifier) ; certains (chefs, Grands-Hommes divers) ont en plus du pouvoir sur les hommes. C'est bel et bien dans ce double pouvoir que se structurent les hiérarchies masculines.

On peut, on doit, aussi articuler ces divisions avec les classes sociales. Un-e cadre, un-e patron-n-e a - de fait - du pouvoir dans l'espace professionnel sur d'autres hommes et d'autres femmes. Sans doute il n'est pas indifférent d'être à ce moment-là un homme ou une femme. Il faut encore travailler les liens entre pouvoirs professionnels et pouvoirs (et privilèges) domestiques. Mais tout cela reste encore à faire.

Cette question est importante dans l'étude des changements masculins. Certains hommes RMIstes, tout en restant des hommes dans leurs rapports aux femmes suivent une mobilité sociale qui les fait se rapprocher sérieusement de la situation d'exclusion, de précarité de certaines femmes, quand d'autres femmes, en mobilité ascendante tendent à calquer les schèmes de concurrence virile des hommes.

Ce que cache, in fine, l'analyse sur la pseudo naturalité de la division sociale en genres, c'est l'historicité de cette division. Qu'il est probable que suite aux luttes féministes et à l'évolution égalitariste de nos sociétés, elle devienne obsolète (9) , quitte à être remplacée par d'autres formes de domination entre humain-e-s.

Toujours est-il que la menace pour un homme est d'être pris, considéré et traité COMME une femme.

Quand on insulte quelqu'un en le traitant d'enculé, on le menace EN FAIT de ne pas être considéré comme un homme viril et d'être puni comme une femme.

L'insulte homophobe renforce de ce fait la domination masculine, et le culte de la virilité.


Je suis persuadé qu'à Motivé-e on devrait être capable de construire d'autres système de valeur qui ne doit pas péjoratif, ni dévalorisant ni pour les femmes, ni pour les homosexuels.

Maintenant, oui beaucoup d'hommes ont été abusés, enculés contre leur gré. Mais ceci est une autre histoire. Nous en saurons sans doute beaucoup plus sur cette question quand les hommes commenceront à parler d'eux, au lieu de fantasmer ensemble sur les exploits imaginaires qu'ils exerceraient sur (contre ?) les femmes.

TROISIEME EXEMPLE : LES DEBATS LORS D’UNE COORDINATION

C'était en mai. Après la rédaction du texte d'appel national par un groupe de travail, et juste avant notre Assemblée Générale, différentes délégations venues d'autres villes se sont retrouvées au premier étage du Puerto pour débattre de la rencontre de juin.

Averti par Paul, j'arrive en retard. En discussion, un projet de plate forme qui commence par ces mots : Liberté, Egalité, Fraternité…

Très vite j'explique notre difficulté à Motivé-e-s à accepter le terme Fraternité (tous les hommes sont frères) comme seul chapeau d'une plate-forme commune, notre volonté d'intégrer les femmes… Stupeur de certain (là-haut, ce jour là, il n'y a que des hommes…). Pour un mot, vous exagérez dit un de nos amis extérieur à Toulouse. Salah, Paul expliquent comment l'intégration des femmes, des idées féministes a été constitutive de Motivé-e-s… Deux minutes plus tard, un autre ami, en parlant d'autres courants politiques dit " On ne va pas se faire mettre par eux…". A nouveau, je demande pourquoi le fait de se faire mettre est désagréable et insultant…

Re-stupeur… Oui nous devons discuter.

L'antisexisme n'est pas qu'un mot… C'est d'abord une posture, un regard, une idée égalitaire…

Un exemple : l’insécurité

Quid des débats sur l'insécurité ?

Quand on sait que le lieu le plus dangereux pour une femme, n'est pas la rue, mais son domicile. Une femme sur 10 est victime de violences de son conjoint… Un viol sur deux est commis par un proche des victimes…

Qui parle ? et à qui ?

Bien sûr, pour l'instant l'Etat, LE pouvoir met en exergue l'insécurité de ses groupes dominants : les hommes. L'insécurité est calculée, prévenue en fonction du risque d'insécurité que vivent les hommes : vols dans leurs voitures, agressions dans la rue des hommes et de LEURS femmes et de LEURS enfants…

Et pour prévenir cette insécurité, nous voyons mis en place des (hommes) vigiles aux allures viriles utilisant, eux-aussi, la même violence (la violence masculine) pour imposer le calme aux autres hommes.

Que se passe-t-il alors ? Au lieu de lutter contre l'insécurité des femmes confrontées à des hommes qui pensent normal d'utiliser la force et la violence pour affirmer leur virilité, l'utilisation dite préventive d'hommes aux méthodes viriles renforce l'insécurité des femmes, des enfants et de toute personne qui refuse (ou ne peux pas) utiliser la même force. Pensons l'insécurité en intégrant aussi les femmes, et le terme FRATERNITE ne sera pas qu'un mot, mais montrera clairement comment la Révolution Française a exclu les femmes de la citoyenneté !

De plus - ainsi fonctionnent toutes les dominations - les dominants n'ont souvent pas idée de ce que vivent les dominé-e-s. Souvent même, ils ne les écoutent même pas, pensant qu'il s'agit de bruits…

Pour ce qui concerne les rapports entre hommes et femmes, entre hommes et minorités stigmatisées et maltraitées, c'est pareil !

Apprenons à écouter les dominé-e-s,
- celles et ceux qui subissent la domination masculine, y compris celle que nous, hommes, mettons en place, et reproduisons…
- celles et ceux qui ont contesté la domination masculine

Parfois, la non-écoute, la dévalorisation des paroles de femmes, la non prise en compte de leurs préoccupations, s'apparente à une véritable cécité.

Ce que font les hommes, les dominants, ou ce que le système patriarcal les oblige à faire : travailler à l'extérieur pour faire vivre les familles, être obligé de se battre entre eux, devoir lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail… sont des faits considérés comme importants. Les femmes sont alors les bien-venues sur ce type de luttes et de problématiques.

Le reste, en particulier le privé, les violences faites aux femmes, les relations avec l'école, l'élevage des enfants, bref ce à quoi sont cantonnées les femmes, sont des trucs privés donc secondaires, des trucs " de bonnes femmes ",. sans rapport avec la politique elle-même. Et le regard qu'en porte le politique est alors un regard qui doit être porté par les femmes, dans le cadre de l'Action Sociale. Les femmes sont éduquées dans la valorisation que porte le regard de l'Autre, et non pour ce qu'elle font. Jeunes, on valorise leur beauté en les obligeant à se calquer sur les schèmes érotiques masculins, et quand leur corps ne ressemble pas ou plus aux jeunes femmes anorexiques disponibles dans les catalogues (ou à tout autre modèle), on (= nous les hommes et les femmes qui se conforment aux codes masculins) les valorise parce qu'elles s'occupent bien des autres : maris, enfants, parents… La politique reproduit cette division. Le regard porté sur les " activités de bonnes femmes " est un regard différent de celui porté aux activités masculines.

Déviriliser la politique implique qu'hommes et femmes s'ouvrent au monde. Bien entendu, il est hors de question de dire que ce que font (traditionnellement) les hommes ou les femmes est chargé de moins ou de plus de valeurs.

Le système patriarcal divise hommes et femmes en privilégiant des activités qu'il nomme masculines ou féminines. Mais l'ensemble de ces activités sont nécessaires, et doivent être repensées politiquement.

Pourquoi dévaloriser systématiquement ce que font les femmes ? Pourquoi ne pas partager le travail ? Tout le travail. Celui invisible fait à la maison, et celui visible et rétribué fait à l'extérieur.

Avouons pour l'instant que nous sommes à un tournant. Les changements qui vivent femmes et hommes depuis une cinquantaine d'années (Droits de vote des femmes, droit à la contraception et à l'avortement, politiques d'égalité…) n'ont pas d'équivalent en 20 siècles d'histoire. En cela, nous devons innover.
Penser Autrement…

QUATRIEME EXEMPLE : COMMENT DEBATTRE ?

Deux illustrations sur cette question :

- la première concerne la maison des homosexualités (MDH), ou — le titre exact n'est pas encore défini — ce qui devrait exister à Toulouse sur ce thème. Dans un premier temps, Douste Blasy, ou des gens de son cabinet, négocient en sous-main avec une association d'étudiant-e-s, puis avec une autre. Suite à notre réaction, une réunion avec une grande partie des associations gaies, lesbiennes, bi et les associations de luttes contre le sida aboutit à ce que la délégation qui rencontre Le Maire soit composée de plusieurs associations et que le projet de MDH devienne un « vrai » projet : un lieu central, visible, ouvert, etc. Il est prévu que les gens qui rencontrent le samedi matin le maire soient ceux, celles présent-e-s à la dernière réunion. Act-up et Prochoix informent les autres association par mail qu'ils/elles ont décidé que leur représentante sera Marie, qui n'était pas présente (pour cause de travail).

A ce moment là, un des jeunes gai lié à l'association étudiante envoie ce mail… « Je vais être grossier, et je m'en excuse. La liste des participants n'est pas modifiée puisqu' elle a été décidée en réunion inter-associative. Sauf si nous n'avons pas les couilles de nous opposer à ce que quiconque, eut-il les meilleures raisons du monde, nous impose sa présence de manière autoritaire et fasciste. Et je pèse mes mots. »

La rencontre s'est très bien passée. Douste — avec la touche de démagogie qui le caractérise — a fait savoir que naturellement il soutenait le projet, qu'il était heureux de voir Act-up avec qui il avait travaillé lors de son passage au Ministère de la Santé… Et alors que nous ne nous étions jamais rencontrés, il m'a demandé « si je m'étais bien remis de la campagne électorale ». Comme quoi… Quant au garçon qui a si peur d'être grossier, nous n'avons pas vu ses couilles… Dommage, peut-être…

- la seconde illustration est plus près de nous, de notre grand et beau mouvement. Sur la liste Motv'net, on a reçu cet échange de mails suivants : C'est à propos du logo Motivé-e-s : A dit : Mais pourquoi donc avez vous changé le Logo motivé-e-s ? Est-ce bien raisonnable, alors que…[…]les motivé-e-s sont-ils des flèches ou plus simplement des êtres sensibles

B répond :on l'a pas changé puisqu'on n'a pas encore récupéré le bon.

Que répond A ? juste un mot : connard

et quelques mails plus loin, après avoir évoqué Fabien, C reprend le "débat" C'est une des première fois que je vois un e-mail avec pour seul mot "connard", et c'est tout ! Celui qui embête Fab, il a intérêt a savoir courir sinon, c'est pas une chataigne virtuelle qu'il va se prendre... Moi aussi je peux faire dans le léger ! Mais je préfèrerai des arguments...

Je sais même pas si Fabien, notre célèbre collaborateur de groupe a été au courant des projets guerriers qu'on lui prête, mais…

De ces deux exemples pris dans des origines différentes, nous avons une belle illustration de comment, homosexuel ou non, les garçons discutent et débattent, y compris des garçons proches de Motivé-e-s. .

 
A propos des homosexualités

J'ai eu parfois l'impression dans la campagne électorale qu'évoquer la présence d'homosexuel-le-s dans une communauté particulière : un quartier, un groupe, une famille laissait mes interlocuteurs ou interlocutrices mal-à-l'aise. L'image, encore valorisante de la virilité, tend à nous faire penser que les pédés, les gouines, les bi… ce sont les autres, qu'il n'en existe pas chez nous. Comme si, les homosexuel-le-s, hommes ou femmes, les bi, n'étaient pas des gens comme les autres. En tous cas, n'étaient pas, pour les garçons hétérosexuels, des hommes normaux. L'hétérosexisme - je m'excuse pour ce gros mot, c'est ainsi que l'on appelle la stigmatisation de l'homosexualité, la promotion incessante de l'hétérosexualité par les institutions, les individu-e-s - tend à nous faire admettre que seul-e-s les hétéros sont normaux.

L'analyse est différente pour les filles et les garçons. Pour les hommes, du moins la majorité d'entre-eux, le lesbianisme n'existe pas. Les lesbiennes [on dit lesbiennes pour les femmes qui revendiquent leur homosexualité] seraient des femmes qui n'ont pas encore trouvé de garçon capable de les faire jouir, homme que chacun, dans son for intérieur pense pouvoir être. C'est ainsi que toutes les vidéos pornos, des femmes " se gouinent " comme disent les hommes entre-eux. Elles ne font pas l'amour m'a dit un jour un homme à propos des femmes homosexuelles, elles se font guili guili.

Les gais [on dit gai pour les hommes qui revendiquent leur homosexualité], du fait de l'assimilation aux femmes (voir exemple n°1) sont présentés comme des passifs, des hommes " qui se font baiser ". Ce n'est pas vraiment des hommes ! Prétendre le contraire reviendrait à accepter que l'on peut être homme et excité, sans pour autant bander, que l'on peut même jouir sans bander… On imagine aisément le trouble de virilité que cela représente.

(Une petite parenthèse pour ne pas mourir idiot-e )

Rappelons que c'est un des apports majeurs de Michel Foucault - un philosophe connu qui s'est battu contre l'Asile, les prisons et pour les Droits des homosexuel-le-s - qui montre que la sexualité comme telle est une invention récente. Avant le XVIIIème siècle, il n'y a pas de sexualité. Bien sûr, un tel énoncé a de quoi faire bondir. Il y a eu, de tout temps, des coïts, et même des coïts hétérosexuels, sans quoi nous ne serions pas ici pour en parler. Cela, Michel Foucault le savait ! Mais ce qu'il nous montre, ce sont deux choses : il montre, d'une part, qu'il est illusoire de chercher une quelconque transhistoricité dans la manière de problématiser la reproduction biologique. Ainsi, nous dit Michel Foucault dans l'Usage des Plaisirs : " On aurait bien du mal à trouver chez les Grecs (...) une notion semblable à celle de "sexualité" et de "chair". Je veux dire : une notion qui se réfère à une entité unique et qui permet de regrouper, comme étant de même nature, dérivant d'une même origine, ou faisant jouer le même type de causalité, des phénomènes divers et apparemment éloignés les uns des autres : comportements, mais aussi sensations, images, désirs, instincts, passions " (p43).

Michel Foucault expose ensuite la manière dont cette catégorie en vient à se structurer, au fil d'un ensemble de maturations très lentes. Il identifie au moins trois facteurs. l'apparition d'une subjectivité singulière, qui amènera le sujet à se reconnaître comme sujet désirant ; et ceci dans le cadre (toujours actuel) de la pastorale chrétienne de la chair. Ah la religion ! l'apparition d'une morale, c'est à dire comme Foucault l'a montré, d'infiniment plus de choses qu'un simple ensemble de normes qui viendrait réguler les modalités de l'agir individuel et inter-individuel. le troisième ingrédient, c'est l'institution, environ au XVIIème siècle, d'un nouveau, et toujours actuel, rapport au monde dont la science est le véhicule cardinal. Le monde, alors relégué au statut d'extériorité devient objet de pure connaissance instrumentale et expérimentable. L'impérialisme scientifique prétendra dès lors ne rien laisser hors champ. Le XIXème siècle finissant nous livre ainsi une biologie de la reproduction et une " théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science " : la psychanalyse. De la rencontre de ces trois ingrédients, le désir, la morale, la science, naîtra donc la catégorie de " sexualité ", attestée dans le lexique à partir du XIXème siècle. Emergent dans le lexique, autour des années 1870, les termes d'homosexuels et d'homosexualité. Ces créations ne proviennent pas de n'importe qui : elle reviennent en propre à des médecins qui oeuvrent dans le champ de la psychopathologie. Et, si ces savants sont alors occupés à dire le vrai, ils sont surtout occupés à dire le bon. Ils veulent surtout connaître et reconnaître le normal. Retenons donc que c'est la médecine au XIXème siècle qui se charge de définir de manière normative ce qu'est la sexualité normale. La catégorie " homosexuelle " [pas la pratique désignée sous cette catégorie] est récente. Et c'est parce que les sciences médicales désignent une catégorie déviante, que l'on peut, par la suite, créer son corollaire : l'hétérosexualité. Homo/hétéro, comme homme/femme sont des couples d'opposition qui n'ont de sens que pris ensemble. Apparaît alors la science de la sexualité (scientia sexualis pour les érudit-e-s). La définition des individus non plus à travers une donnée physiologique (l'appareil génital), mais au travers d'une catégorie psychologique qu'est leur désir sexuel, a contribué à imposer chez les hommes 10 un cadre hétérosexuel présenté, lui-aussi, comme une forme naturelle de sexualité. Assimilant la sexualité, et son lot de jeux, de...désirs, de plaisirs à la reproduction humaine, le modèle hétérosexuel s'est imposé comme ligne de conduite pour les hommes et les femmes. C'est ce qui fonde aujourd'hui l'hétérosexisme. (fin de la parenthèse) (11).

Retenons que la catégorie homosexualité date du 19e siècle ; que ce sont les médecins qui tout en se constituant comme Ordre de pouvoir, se sont proposés pour repérer et normaliser ces insoumis à l'Ordre " normal".

Toujours est-il, et l'exemple du premier mail est éloquent, que l'on peut être stigmatisé comme homosexuel, transsexuel (j'en parlerai une prochaine fois) et vouloir se présenter comme un homme viril, donc avoir des couilles pour prouver qu'on est un mec ! L'imagerie gai (ces mecs à crâne rasé et petite moustache) en sont une autre illustration. Comme souvent chez les hommes, il faut, là-aussi se démarquer des femmes, ou des " folles " (c'est ainsi que l'on nomme les hommes effémines).

Et je ne confonds pas cela avec les travaux, pour l'instant avortés, de la célèbre commission pour un parler gras non sexiste proposé par Akim, notre artiste chéri. Le parler gras, le fait de dire : bites, couilles, gonzesses, enculés… est souvent une manière de réagir, de provoquer, un exutoire… Souvent ce parler gras est associé à des images et des formes sexistes. Souvent aussi, le parler gras est associé à un langage populaire. Je ne pense pas que le langage fasse tout. Que les étudiant-e-s, ceux et celles qui savent manier le verbe soient moins sexistes parce qu'ils/elles savent les codes de langage à ne pas utiliser. Comme peut être aussi dominant qu'un autre homme, un garçon frêle, pas costaud qui ne montre pas des signes extérieurs de virilité. Longtemps une partie des ouvriers n'ont eu que leur force de travail à vendre. Là où des techniciens, ou d'autres cadres sup pouvaient faire l'économie du développement de leur système musculaire. L'informatique en est un bel exemple. Bref, ce n'est ni le langage, ni la carrure qui font d'un homme un individu sexiste… Encore faut-il pouvoir remettre en cause des images, des discours qui expriment des relations de pouvoirs entre hommes et femmes, ou entre hommes. L'évocation de femmes toujours soumises à la volonté masculine (" elle est bonne, celle-là, je vais me la faire… " , la menace d'être pénétré violemment (" j'vais t'enculer…" ) sont des propos sexistes au sens où ils reproduisent les rapports de pouvoirs hommes/femmes et hommes/hommes qui sous-tendent la domination masculine. Comme je l'ai proposé, il y a un énorme travail à faire pour détourner ces images, en montrer le sens oppressif. " Attention, si tu m'emmerdes, je ne t'enculerai pas… " est un exemple de détournement.

Mais, malheureusement, pas de détournements dans ces échanges de mail… Mais de la violence masculine à l'état brut ! Et puisque l'on parle de violence masculine, pourquoi ne développerait-on pas une réflexion critique sur ce thème.

Comment nous, moi, hommes élevés en hommes, donc en dominants avec les femmes, reproduisons cette violence ? avec des femmes et avec des hommes ?

Pourquoi toujours penser travailler pour les autres ? S'occuper des Autres ?

Le deuxième exemple de mail montre à l'évidence qu'à Motivé-e, on dérape aussi vite qu'ailleurs. Quelques mots malheureux et on insulte, et/ou menace de casser la gueule physiquement son interlocuteur tout autant motivé-e.

Dans la transformation actuelle des rapports hommes/femmes, tout est fait, pensé, pour nous faire croire que le seul problème sont les femmes.

A ma connaissance, seul 1% des personnes violentes en couple sont des femmes (Sur des hommes), 99% sont des hommes avec les femmes ! Jusqu'à preuve du contraire, sur les mails reçus depuis plusieurs années, seuls les hommes insultent, menacent… Nous avons tous une culture de violence.

Trouver d'autres formes de débats passe par en discuter, proposer des alternatives à la violence masculine, accueillir les hommes violents pour leur permettre de changer, accompagner les hommes dans leurs questions face aux séparations… Sans, bien entendu à nouveau rendre les femmes responsables des malheurs de ces garçons.

Je l'ai souvent dit : pourquoi ne pas revendiquer à tous les niveaux (municipal, régional, national…) des services d'accompagnement des hommes, des bureaux de la condition masculine ? Des délégué-e-s chargé-e-s de l'égalité pour les hommes ? Le tout en concertation avec le mouvement féministe !

Mais avant tout, pour nous, ici et maintenant :

Pourquoi ne pas lancer un appel à déviriliser La politique, Le politique ?

Notes :

(1) Ou des quelques hommes qui s'occupent des enfants en bas âges.

(2) Que l'on peut définir comme les relations sociales entre les personnes de même sexe, à savoir les relations entre hommes ou les relations entre femmes.

(3) Dès la prime enfance, à travers les revues pornographiques, les jeunes mâles apprennent que l'on peut fantasmer, s'exciter seul ou en groupe devant des figures de femmes, et que ces figures, ces représentations de personnes réelles (payées pour cela, mais les jeunes n'en ont pas toujours conscience) sont disponibles à leurs scripts sexuels. Ces images, de par leurs poses, les propos ou scenarii sexuels qu'on leur prête, aident à structurer un imaginaire sexuel où en achetant ces revues, les hommes achètent aussi le droit d'imaginer leur possession sexuelle. Les jeunes garçons apprennent alors à être " clients ". La question du type d'imaginaire ne nous intéresse pas ici. Mais on retiendra qu'à travers cette socialisation pornographique les mâles apprennent à dissocier affects (produits de la rencontre entre deux personnes et des liens sociaux créés) et excitation sexuelle. On peut, et dans la maison-des-homme, on doit, être excité par les figures représentant des femmes disponibles à la sexualité du consommateur. Et cette sollicitation à la dissociation est renforcée par l'ensemble de nos mass-médias qui, à longueur de temps, nous signalent la "beauté" des femmes présentes sur les plateaux de TV, dans les films, les pubs… Remarquons qu'en même temps que les mâles sont socialisés en clients, ils le sont dans un paradigme hétéronormatif où l'objet de désir est centré sur les femmes, leur pénétration ; ce qui dans l'idéel masculin signifie possession et soumission. Hétéronormativité intégrée au sein d'un fort vécu homosocial. Jean-Jean (2000) explique les difficultés qu'ont, par la suite, les hommes qui aiment les hommes à investir toute leur sexualité ; comment les homosexuels ou les bisexuels doivent se débrouiller seuls pour traduire la socialisation masculine hétérocentrée dans leurs goûts sexuels. [Jean-Jean, 2000, " La cave des tantes " in D. Welzer-Lang (sous la dir) Nouvelles approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, pp 187-192.] Plus tard, tout mâle sait qu'il peut, pour une somme modique, louer ou acheter les services sexuels d'une femme, d'un homme, ou d'un transgenre. Quand on observe les mâles en bandes qui rodent autour des personnes prostituées, on retrouve au sein de leur groupe cette ambiance homosociale particulière :ils chassent ! Seulement le secret qui lie les dominants entre eux (Godelier, 1982, Mathieu, 1985, Welzer-Lang, 2000) leur demande le silence. Dans un système viriarcal, à domination masculine, la sexualité extraconjugale de l'homme n'est aucunement contradictoire avec le contrat de fidélité du mariage. [Godelier Maurice, 1982, La production des Grands Hommes, Paris, Fayard, réédition en 1996. Mathieu Nicole-Claude, 1985, "Quand céder n'est pas consentir, des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie" in L'Arraisonnement des Femmes, essais en anthropologie des sexes, Paris, E.H.E.S.S, pp. 169-245. Cer article est reproduit dans son excellent livre : Mathieu Nicole-Claude, 1991, L'anatomie politique, catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Côté-femmes (recueil des principaux articles).] Welzer-Lang Daniel, 2000a, " Pour une approche proféministe non homophobe des hommes et du masculin " in D. Welzer-Lang (sous la dir) Nouvelles approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, pp 109-138.]

(4) Je n'insiste pas ici sur l'ineptie du discours qui tend à prouver que les mères sont responsables des violences commises par leurs enfants mâles sous prétexte qu'elles les auraient éduqués ainsi. Ce ne sont pas les femmes qui contrôlent la maison-des-hommes, mais bel et bien les hommes eux-mêmes. Ce qui n'empêchent pas certaines mères de cautionner ce système, quand d'autres font tout pour protéger leurs mâles de ce type de pratiques.

(5) Au Québec, en 1984, un comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes [la commission Badgley] signalait qu'à côté du nombre extrêmement limité de plaintes pour viols d'hommes, une étude canadienne montrait qu'une femme sur 2 et un homme sur 3 reconnaissent avoir été victimes d'actes sexuels non désirés. (42,1 % des personnes au Canada et 40,2 au Québec). La plupart des personnes ont été agressées pendant leur enfance ou leur adolescence. Pour une discussion sur les données françaises, non contradictoires avec l'étude québécoise, on se référera à mon texte sur l'homophobie (1994). [Welzer-Lang Daniel, 1994, L'homophobie, la face cachée du masculin, in Welzer-Lang D., Dutey P-J., Dorais M. : La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie, Paris, Montréal, V.L.B, pp 13-92]

(6) Ou, plus exactement, pour un temps plus ou moins long dépendant de la capacité à les écouter et à leur rendre justice. Tout homme abusé est culpabilisé et se responsabilise de ce qu'il a vécu. Il a été incapable de se défendre. Il a échoué face à la règle première des hommes qui commande de ne pas se faire mettre, ou se faire avoir. Outre les traumatismes physiques, la honte est grande d'avoir été piégé, d'avoir été pris "comme une femme".

(7) Il faudrait plus exactement parler d'abus sexués. C'est-à-dire d'abus qui réfèrent à la domination des sexes et à leurs constructions sociales. Pour les victimes de viols, l'agression est rarement sexuelle. Même si j'ai entendu quelques hommes me dire que le premier abus vécu leur a révélé leur homosexualité, les mêmes sont unanimes à dire qu'ils auraient préféré être initiés autrement. Bien plus, à cause de l'abus, certains s'interdisent pendant un laps de temps plus ou moins long, d'accepter leurs désirs sexuels pour d'autres hommes.

(8) Idéellement, dans l'idéologie masculine, on doit pouvoir s'approprier des femmes en respectant l'injonction qui dit qu' " on ne doit pas battre une femme, même avec une rose ". Le charme et la séduction naturelle du mâle supérieur devrait suffire. Même si cette " séduction " peut elle-même être de l'ordre du harcèlement, plus ou moins poussé.

(9) Voir à ce propos l' article de Chistine Delphy de 1991. Delphy Christine, 1991, " Penser le genre ", in Hurtig Marie-Claude, Kail Michèle, Rouch Hélène (Dir), Sexe et genre, de la hiérarchie entre les sexes, Paris, éd. CNRS, pp. 89-107. Cet article est reproduit dans ses excellents livres Delphy Christine, 1998, 2001, L'ennemi principal, t.1 : Economie politique du patriarcat, t.2 Penser le genre, Paris, Syllepse (recueil d'articles)..

(10) Cette analyse sur la performativité du modèle hétérosexuel est à moduler pour les femmes. Le cadre hétérosexuel qui leur est aussi imposé se conjugue à une attirance masculine pour les amours saphiques sous contrôle. Voir ainsi le nombre de vidéos pornographiques mettant en scènes - pour les hommes spectateurs - des lesbiennes. Celles-ci - homophobie oblige - sont conformes aux critères masculins et homophobes d'érotisme.


dwl, édité pour les Diversités d'été (indien) des Motivé-e-s, 27 août 2001. Contacts : D. W-L, 7 rue Lakanal, 31000 - Toulouse / +33/ (0)562309108.

mail : dwl at univ-tlse2.fr