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Origne : http://www.europrofem.org/02.info/22contri/2.07.fr/livr_dwl/peur/dwlpeur1.htm
Réseau proféministe européen
L'homophobie
Daniel WELZER-LANG
à Alain Vertadier
Pourquoi parle-t-on de plus en plus de l'homophobie ? Et pourquoi
-de mon point de vue- n'a-t-on pas fini d'en parler ? Comment la
définir ? Pourquoi ne pas limiter l'homophobie à la discrimination
envers les homosexuel-le-s ? En quoi l'homophobie nous concerne
tous et toutes, tant ceux et celles qu'on appelle homosexuel-le-s
que ceux et celles qu'on appelle hétérosexuel-le-s ? Quels sont
les rapports entre l'homophobie et la sexualité ? L'homophobie et
le féminisme ? Comment lire, à travers son analyse, la construction
du masculin ? Pourquoi "oblige"-t-on les hommes à être homophobes
? Hors les effets de mode, quel est l'intérêt de ce thème ?
Voici quelques-unes des questions abordées dans ce texte.
Mais j'aimerais d'abord vous faire partager ma surprise. J'essaie
de comprendre et de décrire les modes de vie masculins depuis de
nombreuses années. D'abord au sein de groupes d'hommes, puis par
le biais de la recherche universitaire, j'étudie comment nos sociétés
"nous font homme". C'est ainsi que j'ai décliné de nombreux thèmes
qui concernent les hommes : viols et violences, manières d'habiter,
sexualité, prostitution_ En étudiant l'homophobie, je n'ai jamais
eu autant l'impression d'approcher ce qui constitue l'essence même
de nos différences entre hommes et femmes. Du moins de ces différences
qu'on nous a "déposées dans la tête". Je suis maintenant persuadé
que la compréhension des rapports entre hommes et femmes, des relations
entre hommes et des relations entre femmes, passe inéluctablement
par la compréhension de l'homophobie.
L'état actuel de nos relations hommes/femmes paraît être, d'une
façon ou d'une autre, le produit de nos représentations collectives,
et de l'incidence qu'ont ces représentations sur :
- la pseudo nature supérieure des hommes qui renvoie au sexisme
- les frontières rigides entre les genres qui renvoient à ce
que l'on appellera ici l'homophobie.
En d'autres termes, la domination exercée par les hommes sur
les femmes reposerait sur deux grands types de représentations,
celles qui tout à la fois organisent et le contrôle social des femmes
et le contrôle social des hommes.
Dans de précédents ouvrages, j'ai tenté d'analyser les effets
de cette pseudo "nature" supérieure que l'on rapporte aux hommes,
à savoir les abus sexués ou sexuels et les violences domestiques
(Welzer-Lang 1988, 1991, 1992b).
L'homophobie est une autre forme de violence.
On commence tout juste à l'identifier. Plus insidieuse, parce
que moins révélée que les premières, elle apparaît ou se laisse
entrevoir dès que l'on regarde certains groupes d'hommes.
Dans ce chapitre, je vais tenter d'expliquer les rapports qui
existent entre l'homophobie et la construction sociale du masculin.
Pour ce faire, après avoir abordé des questions liées à la définition
ou plus exactement aux définitions de l'homophobie masculine, nous
détaillerons les manières par lesquelles se construit le genre masculin.
Comment, de façon paradoxale et à l'abri du regard des femmes, nos
sociétés "façonnent" les hommes. Nous le verrons, nos civilisations
dites évoluées ne sont, de ce point de vue, peut-être pas très différentes
des sociétés dites exotiques qu'étudient certain-e-s ethnologues.
Puis nous regarderons les rapports entre l'homophobie et l'homosexualité
masculine. J'essaierai ensuite de formuler quelques hypothèses sur
l'homophobie et les femmes. Enfin, après avoir discuté des relations
entre homophobie et hétérosexisme, nous examinerons comment l'homophobie
est aujourd'hui contestée par certains hommes, sous des formes et
des fortunes diverses.
Une réalité difficile
à définir
Qu'est-ce que l'homophobie ? La définition n'est pas simple.
Le phénomène n'a pas été abordée souvent par les sciences sociales.
On pourrait même supposer l'existence d'un interdit ou d'un tabou
sur le thème, du moins de menaces tant implicites qu'explicites.
Ainsi, quand nous avons, mon ami et collègue Pierre Dutey et moi,
annoncé ce thème la réaction de plusieurs collègues fut des plus
claire : "Attention, c'est mauvais pour la carrière !".
Dans l'état actuel de notre méconnaissance sur le sujet, l'homophobie
est associée exclusivement à l'homosexualité. Le fait de vouloir
l'étudier laisse supposer -c'est du moins ainsi que mes collègues
de l'université l'entendaient- que l'on s'apprête à faire du prosélytisme
sur la sexualité que vivent les hommes entre eux. Bien évidemment,
là n'est pas mon propos. Chacun-e est libre -du moins devrait pouvoir
l'être- de vivre les amours de son choix. La question de l'homophobie
dépasse largement cette réaction initiale de sens commun.
Comment définir l'homophobie
?
La littérature scientifique de langue française est pauvre sur
ce thème. Il en va tout autrement des écrits nord-américains. Après
Churchill qui en 1967 utilise le terme d'homoérotophobie , on s'accorde
généralement pour attribuer à Weinberg (1972) les premières définitions
du terme. Pour lui, l'homophobie est la peur de l'homosexualité
et la peur des contacts avec les homosexuels. Or, nous le verrons,
l'homophobie ne peut se réduire à cela ; pourtant par la suite,
la plupart des auteur-e-s ont accepté cette définition sans la questionner.
Un premier détour par l'étymologie, cette science qui s'intéresse
à la filiation des mots, contribue à brouiller les visions du phénomène.
Avec Pierre Dutey, dont on lira dans ce même ouvrage les méandres
des recherches lexicographiques, nous avons montré les incohérences
du terme. Par exemple, suivant que l'on choisit l'étymologie grecque
ou latine, homo veut dire, tour à tour, l'identique, le même, ou
l'homme (l'humain, étymologiquement, mais en fait le mâle). L'adjonction
de phobie inciterait à définir l'homophobie comme la peur du même.
Toutefois, notamment si l'on intègre l'acception populaire du terme,
l'homophobie se situe entre la peur du même chez l'homme, et la
peur de l'homme chez l'homme. Avouez qu'il y a de quoi s'y perdre.
Et en perdre son latin.
Sexisme et homophobie
Nous allons tenter de circonscrire l'homophobie, de la définir,
et notamment de la situer par rapport à d'autres formes de rejet
de l'autre. Que cet autre soit un homme ou une femme.
Il est admis aujourd'hui que le sexisme est la discrimination
envers les personnes de l'autre sexe ; ou plus exactement la discrimination
envers les personnes de l'autre genre social (gender en anglais).
Le sexisme, comme idéologie, légitime par exemple la violence des
hommes contre les femmes, les discriminations à l'embauche, les
différences de salaires entre hommes et femmes, la garde des enfants
attribuée presque systématiquement aux mères en cas de divorce_
Le sexisme repose sur le fait que les hommes se croient supérieurs
aux femmes et, dans une moindre mesure, que les femmes se croient
uniques et irremplaçables dans les capacités à s'occuper des enfants
et de l'espace domestique. Bref, on considère normal et naturel
que le masculin et le féminin soient deux genres sociaux bien différents
et hiérarchisés. Le sexisme est entretenu par une pensée essentialiste
: il attribue des qualités et des défauts qui seraient spécifiques
et inhérent-e-s à chaque groupe de sexe. Dans une pensée sexiste,
le sexe biologique détermine l'appartenance à un genre social. Et
à chaque genre correspond des attributions que l'on pense "naturelles".
Une pensée antisexiste affirme le droit aux différences individuelles,
différences entre garçons et filles, mais aussi différences entre
garçons et différences entre filles ; que ces différences soient
biologiques ou d'un autre ordre. Mais accepter les différences biologiques,
ne signifie pas que l'on accepte nécessairement les fonctions et
les qualités attribuées exclusivement à chaque genre. Une pensée
égalitaire ou antisexiste conteste, non pas les différences, mais
la hiérarchisation des différences. L'antisexisme questionne la
construction sociale de chaque genre. Comment se crée socialement
une femme et comment se crée socialement un homme.
L'homophobie est fortement liée au sexisme. L'homophobie est
l'intériorisation, pour chaque individu, du sexisme dans ses rapports
aux autres. L'homophobie est la discrimination envers les personnes
qui montrent, ou à qui l'on prête, certaines qualités (ou défauts)
attribuées à l'autre genre.
Sexisme et homophobie vont de pair, mais peuvent aussi se présenter
comme contradictoires. Ainsi, le fait de stigmatiser une femme dite
masculine intègre le sexisme ordinaire des hommes envers les femmes,
qu'elles soient ou non masculines. Mais on rencontre également des
hommes qui apprécient les qualités extraordinairement féminines
d'une femme : sa beauté, sa sensibilité, ses capacités à séduire
et à plaire. Et pourtant ce même homme va haïr un homme qui montre
les mêmes signes. Sexisme et homophobie érigent des frontières distinctes
et étanches entre les genres. Sexisme et homophobie organisent la
discrimination envers les personnes, hommes ou femmes, qui ne se
conforment pas aux images stéréotypées des genres. Sexisme et homophobie
sont des "essentialismes".
Homophobie des hommes et homophobie des femmes
Puisque l'on prête des qualités naturelles différentes à chaque
sexe (genre), et que l'appartenance à un groupe de sexe détermine
des attributions et des privilèges sociaux différents, l'homophobie
prend donc des formes différentes chez les hommes et chez les femmes.
Dans nos sociétés où les hommes, tant collectivement qu'individuellement,
dominent les femmes, le sexisme organise la domination des femmes
et l'homophobie vient sceller la cohésion entre dominants. Sexisme
et homophobie nous disent : "tout est pour le mieux dans le meilleur
des mondes puisque les différences sont naturelles". Sexisme et
homophobie structurent la peur de quitter les attributions de son
groupe de genre. Je vais tenter de le démontrer, du moins pour les
hommes.
L'homophobie : une peur
? Ou une discrimination ?
Pour les scientifiques, l'homophobie est un concept gênant.
Utilisée de plus en plus dans la presse militante, l'homophobie
paraît pouvoir se passer de définitions. Tout le monde saurait semble-t-il
à quoi réfère le terme. Et pourtant !
Dans notre étude, nous avons défini l'homophobie comme la peur
de l'autre en soi. La formule est élégante et assez agréable à l'oreille.
Dans le prêt-à-porter des communications modernes, elle passe bien.
La preuve : nous en avons fait le titre de l'ouvrage. Et pourtant,
elle est fausse, du moins en partie.
Comprendre l'homophobie nécessite de dépasser la simple analyse
sémantique du terme. La phobie, en grec ancien, est la peur, le
dégoût, la répulsion. L'homophobie moderne va bien plus loin. Dans
la vie actuelle nous avons tous et toutes différentes peurs : peur
du vide, peur de la solitude, peur des araignées, peur de l'étranger_
Certaines peurs organisent la haine. Pensons aux propos que tiennent
certains personnages politiques sur les étrangers et les immigrés
en France et en Europe. Mais, peurs et haines provoquent évitements,
fuites, désirs de se cacher, volonté de ne pas être confronté-e-s
directement à la cause de nos peurs.
L'homophobie, comme le racisme, ne se limitent pas à cela. L'homophobie
n'est pas un sentiment, mais une attitude. L'homophobie est un acte
de pouvoir ; elle utilise le social, les rapports sociaux entre
les personnes pour provoquer et justifier une discrimination active
ou passive de l'autre que l'on rejette. Pour reprendre les exemples
de peurs cités plus haut, face à l'araignée, on peut fuir et crier
au secours. On peut aussi, comme le fait mon fils, l'approcher et
l'écraser. C'est-à-dire utiliser nos sentiments de supériorité pour
détruire l'autre. De même face aux immigrés et aux étrangers, la
peur de l'inconnu peut provoquer la rencontre. Essayer de comprendre
l'autre, comprendre la part de moi qui se sent agressée par l'autre
alors que cet autre n'en est pas responsable. On peut aussi, en
tous cas certain-e-s le font, se réfugier dans des citadelles protégées.
Eviter certains quartiers populaires, fuir les contacts ou la vue
des étrangers. Et, dernière possibilité, la peur de l'étranger peut
provoquer le rejet violent : l'insulte, l'agression, la ratonnade_
Ces trois attitudes sont produites par le même sentiment : la peur
de l'autre. Mais, on ne peut pas les amalgamer. Dans les deux premiers
cas l'individu assume seul sa peur, dans le troisième cas, il utilise
ou il tente d'utiliser le racisme, les armes de la domination pour
conjurer sa peur.
On pourrait alors, comme le fait Michaël Borrow dans ce même
livre dire que l'homophobie n'est pas un concept scientifique. Il
a en partie raison, mais en partie seulement. L'homophobie est un
terme largement utilisé car il correspond à une réalité sociale.
Sans prendre le temps de le définir, les auteur-e-s qui s'expriment
sur ce thème nous en décrivent des segments, notamment les exclusions
et les agressions que subissent certaines personnes accusées d'être
homosexuelles. Le travail de l'anthropologue est alors d'en comprendre
et d'en expliciter le sens.
L'homophobie est le produit de la peur de l'autre en soi ; c'est
la réaction agressive de rejet qu'entraîne cette peur. Loin d'être
une conduite d'évitement, de fuite, l'homophobie est agression,
stigmatisation et discrimination. L'homophobie est une forme de
domination.
Et nous allons le voir au cours du voyage que je vous propose
au pays de l'homophobie, l'Autre peut être multiple, revêtir les
habits du masculin et/ou du féminin.
On peut être homme et discriminer, stigmatiser, les hommes qui
donnent à voir des attitudes ou des pensées que l'on attribue généralement
aux femmes ; en tous cas les hommes qui s'écartent des chemins de
la virilité traditionnelle dite normale et naturelle. C'est à cette
réalité là que nous nous consacrerons principalement ici. Mais on
peut aussi être homme et homophobe avec les femmes qui donnent à
voir des caractéristiques dites masculines, notamment dans le paraître
ou le rapport au pouvoir. De la même façon, les femmes peuvent reprendre
à leur propre compte les diatribes homophobes envers les hommes
qui expriment une virilité non conventionnelle, souvent assimilée
à une non-virilité ; ou bien être homophobes envers des femmes dites
masculines. En fait, l'Autre c'est toute personne "autre que soi"
dans le sens de différente de soi. Toute personne qui se distingue
de soi dans sa manière d'être sexuée -tout individu dans lequel
je ne reconnais pas ma sexualité, mon genre, ou mon genre de sexualité,
mon orientation sexuelle-.
En conséquence quand l'Autre transgresse les frontières de genre,
qu'il/elle donne à voir ou à entendre des qualités (ou des défauts)
que l'on considère comme appartenant à l'autre genre, surgit l'homophobie.
L'homophobie au masculin
Notre hypothèse : l'homophobie est une réaction provoquée par
la peur de l'autre en soi. L'homophobie au masculin est une attitude
suscitée par la peur (hantise) qu'ont les hommes de retrouver en
eux tout ce qui peut ressembler à l'autre, c'est-à-dire les femmes.
De là la définition suivante : l'homophobie au masculin est la stigmatisation
par désignation, relégation ou violence, des rapports sensibles
-sexuels ou non- entre hommes, particulièrement quand ces hommes
sont désignés comme homosexuels, ou quand ils s'en réclament. L'homophobie
au masculin c'est aussi la stigmatisation et/ou la négation des
rapports entre femmes qui ne correspondent pas à la féminité dite
traditionnelle.
J'aimerais montrer comment, contrairement aux définitions de
sens commun, l'homophobie n'est pas limitée à une attitude restrictive
face aux orientations sexuelles, mais s'intègre à la construction
de nos catégories de pensée concernant les genres, les rapports
intergenre (entre hommes et femmes, ou entre femmes et hommes) et
intragenre (entre hommes ou entre femmes).
Dans ce sens, ce que nous avons l'habitude de définir comme
homophobie, le rejet des homosexuel-le-s et/ou de l'homosexualité,
que l'on peut qualifier d'homophobie de sens commun, sera appelée
"homophobie particulière". L'homophobie particulière repérée et
dénoncée par les mouvements gais, est une forme réduite et restrictive
d'homophobie, une synecdoque. Et l'objet de ce texte, et plus globalement
de ce livre, est d'avancer dans la définition de cet objet aux contours
mouvants.
Pour comprendre l'homophobie au masculin, il nous faut faire
un long détour du côté des hommes et du masculin, à savoir le genre
assigné aux hommes.
Un masculin paradoxal
Comment se manifeste l'homophobie chez les hommes ? Quels sens
prend-elle ? Comment s'ancre-t-elle dans l'imaginaire masculin ?
En d'autres termes : pourquoi et comment les hommes sont-ils homophobes
? Pour répondre à ces questions précises, il nous faut décrire comment
on éduque les hommes. Quelles valeurs on leur inculque.
Le genre masculin est aujourd'hui "construit" de manière paradoxale.
Tout se passe comme si les messages éducationnels disaient à chaque
mâle, et de manière contradictoire : tu dois être comme ceci et
en même temps tu ne dois pas être comme ceci, sinon_. Prenons un
exemple. On dit aux hommes : "tu dois être le maître chez toi" "tu
dois porter la culotte", autrement dit tu dois être L'homme et en
même temps "Tu ne dois pas frapper une femme, même avec une rose.".
Le produit direct de cette double contrainte ? La violence masculine
domestique et le silence/honte/culpabilité des hommes (violents)
incapables de diriger la relation sans se sentir obligés d'utiliser
des violences physiques.
Mais, on aurait tort de limiter l'analyse de ces messages aux
seules modalités qui organisent l'oppression et la domination des
femmes par les hommes. Les injonctions paradoxales, c'est ainsi
que l'on appelle ce système de doubles messages contradictoires,
concernent l'ensemble de l'univers masculin.
Autre exemple : on trouve aussi "homme, tu dois savoir boire
de l'alcool " et en même temps tu ne dois pas conduire en état d'ivresse_
Ainsi au Québec, toutes les rues sont fleuries de pancartes dénonçant
"L'alcool au volant, c'est criminel !". J'aimerais bien qu'on m'explique
un jour comment on peut tout à la fois, prendre sa voiture pour
rejoindre un bar situé à l'extérieur de la ville, boire par plaisir
et/ou pour montrer sa virilité, et en même temps, ne pas être égayé
par l'alcool. D'ailleurs la problématique routière regorge de telles
contradictions.
Ainsi dans la publicité française on trouve souvent des messages
qui disent : -Homme, tu dois monter ta force virile au volant !
Vitesse et puissance de la voiture en sont les signes extérieurs.
Et en même temps, homme tu dois respecter les limitations de vitesse
! Comment voulez-vous qu'un homme, inondé de messages éducationnels
qui assimilent vitesse-puissance-virilité et conquêtes (ou possessions)
de femmes, s'y retrouve ? Les sociétés viriarcales participent de
ce paradoxe. Il n'y a qu'à voir le nombre de voitures pouvant dépasser
la vitesse limitée (toutes routes confondues) qui sont mises en
vente sur le marché, et ce, tout à fait légalement.
Et on pourrait multiplier les exemples d'injonctions paradoxales
:
- "Homme, tu sauras draguer les femmes, être celui qui est actif,
qui décide, qui propose !" Et en même temps : "Homme, tu respecteras
les femmes, futures mères de tes enfants !"
- "Homme, tu ne montreras pas tes faiblesses, tu ne pleureras
pas, tu seras dur avec toi-même, tes proches et tes ennemis !" et
"Homme, tu seras tendre avec les femmes et les enfants ! "
Certains de ces paradoxes ne sont pas nouveaux, certaines contradictions
sont là depuis très longtemps. Ces injonctions sont traditionnelles
du masculin. D'autres apparaissent depuis peu. Les injonctions paradoxales
constitutives du masculin reflètent, comme bon nombre de messages
éducationnels, les contradictions inhérentes aux systèmes sociaux.
Elles traduisent à leur manière les luttes sociales qui se mènent
entre hommes, et entre hommes et femmes, les transformations des
rapports sociaux que génèrent les luttes entre genre masculin et
féminin, en tant que genres différenciés et hiérarchisés.
Les transformations récentes de ces injonctions ont mis à contribution
divers mouvements sociaux. Le féminisme radical, à savoir le mouvement
féministe militant qui dénonce explicitement la domination des hommes,
et le féminisme diffus caractérisé par la promotion très large des
idées sur l'égalité des sexes, ont bien évidemment joué un rôle
déterminant dans l'évolution des rapports sociaux de sexe entre
hommes et femmes. A un autre niveau, les luttes des mouvements gais
et/ou l'homosexualisation du sida ont contribué à débusquer les
premiers éléments de l'homophobie particulière. Les groupes d'hommes
antisexistes ont essayé de dissocier masculinité et virilité obligatoire_Ce
sont là les plus marquants. Il en est de même pour tous les mouvements
sociaux, les courants de pensée qui, à des degrés et avec des fortunes
diverses, incitent à lutter contre l'uniformisation des genres :
les handicapés physiques, les mouvements antimilitaristes, les groupes
religieux égalitaristes_
Mais ces injonctions paradoxales reflètent aussi très bien l'ensemble
des contradictions sociales qui traversent nos sociétés. Hommes
et femmes, dominants comme dominées les subissent :"Homme, tu seras
le pourvoyeur de ta famille, tu seras leur sécurité matérielle et
affective !" et "Homme, tu es condamné au chômage comme perspective
de créativité !"
Sinon ...
Nous n'avons jusqu'ici examiné que les deux premiers termes
de cette figure rhétorique qu'est l'injonction paradoxale. J'ai
indiqué que la suite logique se trouve toute résumée par la conjonction
"sinon".
Sinon montre la double nature répressive des messages éducationnels
transmis aux hommes. D'une part, la première proposition de l'"être
homme" sous entend implicitement le fait de bénéficier de l'ensemble
des privilèges accordés socialement aux êtres définis comme masculins,
et d'autre part, sinon soulève la menace. Privilèges/menaces et
injonctions paradoxales sont intimement mêlé-e-s et enchevêtré-e-s.
Dans de nombreux cas, "l'honneur", la "virilité" sont les bénéfices
symboliques de cette double injonction. Dans la publicité, dans
les conseils aux hommes, dans les proverbes, c'est-à-dire dans les
différentes épitaphes qui paraphent la construction de l'identité
masculine, honneur et virilité sont associé-e-s à pouvoir, femmes
dépendantes et soumises, honneurs (au pluriel). Leur pendant négatif
est la honte, le "déshonneur". On a souvent sous-estimé les effets
que peuvent produire honneur/honte ou, honneur/déshonneur sur les
hommes. La remise en cause de la virilité ou de l'honneur des hommes,
représente souvent une véritable dégradation. Un peu comme dans
l'armée, masculinité et virilité sont souvent évocateurs de grades
successifs. Quant au terme "viril", sa contrepartie négative, son
antonyme social s'apparente au fait d'être assimilé à une femme.
En d'autres termes, même si certaines injonctions paradoxales
semblent simplement référer au fait que l'homme, le vrai homme doit
être différent des femmes (donc ne pas pleurer, donc se battre_),
l'ensemble de ces injonctions, de manière implicite, se situent
dans une problématique de distinction hiérarchisée. Etre homme -nous
le verrons de suite- c'est être supérieur aux femmes ou à leurs
équivalents symboliques, c'est-à-dire les hommes qui ne parviennent
pas à prouver qu'ils en sont vraiment.
Car selon la formulation de l'injonction, les deux termes ne
sont nullement équivalents. Le premier terme qui spécifie l'appartenance
de genre, l'"être homme", l'emporte toujours sur le second. Le premier
terme connote la "nature" profonde que les hommes sont censés intégrer,
ou mimétiser. Quant au second terme de l'injonction, en contradiction
apparente avec le premier, il représente un ensemble de dispositifs
sociaux qui transmettent une autre image du masculin. Sa fonction
principale consiste bien souvent à venir minimiser les effets du
premier.
La maison-des-hommes
Intéressons-nous maintenant aux lieux et places où sont éduqués
les hommes en tant que tels ; les lieux et places où sont distillées
les injonctions paradoxales menant entre autre à l'homophobie. Dans
ce système de codes masculins, facilement repérables dans les proverbes,
les incitations, les récits, les légendes, les mythes_, la construction
du masculin, l'éducation des hommes, semble se faire dans une maison-des-hommes
imaginaire. Bien sûr, le mode de vie actuel fait place de plus en
plus à la mixité, garçons et filles étudient ensemble, ils et elles
jouent et rient ensemble dans les cours d'écoles. En tous cas, et
là réside peut-être l'innovation, personne ne questionne plus, semble-t-il
la capacité des êtres féminins à penser par elles-mêmes.
Pourtant, lors de la séparation avec le monde des femmes, au
cours des premières expériences où les hommes se confrontent à la
structuration de leur virilité, tout semble se passer comme dans
un monde unisexué. Je m'explique.
Quand les enfants-mâles quittent le monde des femmes, qu'ils
commencent à se regrouper avec d'autres garçons de leur âge, on
voit apparaître une phase d'homosocialité où émergent de fortes
tendances et/ou de grandes pressions pour y vivre des moments d'homosexualité.
Compétitions de zizis, marathons de branlettes (masturbation), jouer
à qui pisse (urine) le plus loin dans certains cas, excitations
sexuelles collectives à partir de pornographie feuilletée en groupe,
voire même maintenant devant des strip-poker-vidéos où l'enjeu consiste
à déshabiller les femmes_ à l'abri du regard des femmes et des hommes
des autres générations, les petits hommes s'initient entre eux aux
jeux de l'érotisme. Ils utilisent pour ce faire, les stratagèmes,
les questions (la taille du sexe, les capacités sexuelles) légués
par les générations précédentes. Ils apprennent et reproduisent
alors les mêmes modèles sexuels quant à l'approche et à l'expression
du désir.
Dans cette maison-des-hommes, à chaque âge de la vie, à chaque
étape de la construction du masculin, est affecté une pièce, une
chambre, un café ou un stade. Bref, un lieu propre où l'homosocialité
peut se vivre et s'expérimenter dans le groupe de pairs. Dans ces
groupes, les plus vieux, ceux qui sont déjà initiés par les aînés,
montrent, corrigent et modélisent les accédants à la virilité. Une
fois quitté la première pièce, chaque homme devient tout à la fois
initiateur et initié.
Sur ce thème, Godelier, l'anthropologue, a étudié les Baruyas
en Nouvelle Guinée (Godelier, 1982). Chez eux "le sperme est la
vie, la force, la nourriture qui donne la force à la vie". Il montre
comment, dans le secret de la maison des hommes, les jeunes hommes
non encore mariés d'une part et les initiés d'autre part se transmettent
par une ingestion buccale de sperme (fellation) les rudiments de
la domination des femmes. Toute violation de ce secret est punie
très sévèrement et ceux qui résistent à l'initiation y sont contraints
par la force, dit le chercheur .
Apprendre
à souffrir pour être un homme. A accepter la loi des plus grands
Je me suis souvent demandé le sens que prennent dans nos sociétés
dites évoluées, les apprentissages du sport pour les hommes. Lors
de la présentation publique à Lyon du numéro spécial du BIEF, une
revue féministe que nous avions consacrée aux hommes et au masculin
(Welzer-Lang D., Filiod J.P., 1992a), une longue discussion a vu
les hommes présents expliciter, avec fortes émotions, les premiers
apprentissages du football. Les hommes décrivaient avec force détails
les premiers échanges de balles (de football) qui rassemblent dans
un quartier résidentiel ou dans l'espace public, quelques enfants-mâles
du même âge.
Certains de ces hommes sont revenus par la suite sur cette discussion
lors de conversations privées. "ça a été un déclic, dira l'un d'eux,
une période que j'avais complètement oubliée. Quant aux femmes,
par la suite, beaucoup d'amies m'ont demandé l'intérêt de cette
discussion qu'elles assimilaient à de l'exhibitionnisme sans en
comprendre d'autres sens. Et pourtant_
Apprendre à être avec des hommes, ou ici dans les premiers apprentissages
sportifs à l'entrée de la maison-des-hommes, à être avec des postulants
au statut d'homme, contraint le garçon à accepter la loi des plus
grands, des anciens. Ceux qui lui apprennent et lui enseignent les
règles et le savoir-faire, le savoir-être homme. La manière dont
certains hommes se rappellent cette époque et l'émotion qui transparaît
alors, semblent indiquer que ces périodes constituent une forme
de rite de passage.
On pourra toujours objecter que dans ce type de groupes d'hommes,
la différence d'âge est ténue. Eh bien justement, quand il n'existe
pas encore de différentiation sociale ou de hiérarchie de savoirs
et d'appartenance sociale, plus exactement quand ces différences
ne sont pas encore discriminantes, p'tit homme apprend à respecter
une hiérarchie -entre hommes- où la moindre différence d'âge est
tout de même opérante.
Apprendre à jouer au hockey, au football, au base-ball, c'est
d'abord une façon de dire : je veux être comme les autres gars.
Je veux être un homme et donc je veux me distinguer de son opposé
(être une femme). Je veux me dissocier du monde des femmes et des
enfants.
C'est aussi apprendre à respecter les codes, les rites qui deviennent
alors des opérateurs hiérarchiques. Intégrer codes et rites, en
sport on dit les règles, oblige à intégrer corporellement (incorporer)
les non-dits. Un de ces non-dits, que relatent quelques années plus
tard les garçons devenus hommes, est que l'apprentissage doit se
faire dans la souffrance. Souffrances psychiques de ne pas arriver
à jouer aussi bien que les autres. Souffrances des corps qui doivent
se blinder pour pouvoir jouer correctement. Les pieds, les mains,
les muscles_ se forment, se modèlent, se rigidifient par une espèce
de jeu sado-maso avec la douleur. P'tit homme doit apprendre à accepter
la souffrance -sans mots dire et sans "maudire"- pour intégrer le
cercle restreint des hommes. Dans ces groupes monosexués s'incorporent
les gestes, les attitudes, les réactions masculines, tout le capital
de mouvements et de gestes qui serviront à être un homme.
On a beaucoup parlé -en France comme dans les autres pays où
la conscription est obligatoire- de l'armée. Il est souvent dit
que le service militaire, rite de passage entre l'adolescence et
l'âge adulte, correspond en quelque sorte à une école masculine
de la guerre, un apprentissage de la lutte pour être le meilleur,
et en même temps, une espèce d'antichambre du sexisme, de l'alcoolisme_et
de l'homophobie. Malheureusement une telle hypothèse ne perd rien
de son actualité, du moins en France. A moins que l'armée ne soit
qu'un facteur complémentaire, une suite logique dans le continuum
de l'éducation des hommes. Une forme plus visible, simplement.
Dans les tous premiers groupes de garçons, on "entre" en lutte
dite amicale (pas si amicale que cela si l'on en croit le taux de
pleurs, de déceptions, de chagrins enfouis que l'on y associe) pour
être au même niveau que les autres, puis pour être le meilleur.
Pour gagner le droit d'être avec les hommes ou d'être comme les
autres hommes. Pour les hommes, comme pour les femmes, l'éducation
se fait par mimétisme,. Or le mimétisme des hommes est un mimétisme
de violences. De violence d'abord envers soi, contre soi. La guerre
qu'apprennent les hommes dans leurs corps est d'abord une guerre
avec soi-même. Puis, dans une seconde étape, c'est une guerre avec
les autres.
On peut toujours tenter d'aller observer in situ ces moments
ou ces tranches d'éducation masculine, j'en ai eu l'intention, mais
ces formes d'homosocialités se vivent souvent à l'abri du regard
des autres. Les autres, qu'ils/elles soient des filles ou des garçons,
extérieur-e-s "au milieu" sont exclu-e-s. Timidité, honte, tout
ça dessine les murs de cette mini-maison-des-hommes. Ce lieu privilégié
où chaque groupe d'hommes va reprendre à son compte les règles d'initiation
à l'homosocialité.
Articulant plaisirs, plaisirs d'être entre hommes (ou hommes
en devenir), plaisirs de pouvoir légitimement faire "comme les autres
hommes" (mimétisme) et douleurs du corps qui se modélisent, chaque
homme va, individuellement et collectivement, faire son initiation.
Par cette initiation s'apprend la sexualité. Le message dominant
: être homme, c'est être différent de l'autre, différent d'une femme.
Etre homme, c'est être plus qu'une femme. Les souffrances d'une
telle éducation en sont alors le prix à payer.
Mais que se passe-t-il dans "la première pièce" de la maison-des-hommes,
dans ce vestibule de la "cage à virilité" ?
L'antichambre de la maison-des-hommes fonctionne, semble-t-il,
comme un lieu de passage obligé qui est fortement fréquenté. Un
couloir où circulent tout à la fois de jeunes recrues de la masculinité
(les petits hommes qui viennent juste de quitter les jupons de leurs
mères), à côté d'autres p'tits hommes fraîchement initiés qui viennent
-ainsi en convient la coutume de cette maison- transmettre une partie
de leur savoirs et de leurs gestes.
Mais l'antichambre de la maison-des-hommes est aussi un lieu,
un sas fréquenté périodiquement par des hommes plus âgés. Des hommes
qui font tout à la fois figures de grands frères, de modèle masculin
à conquérir par p'tit homme, des agents chargés de contrôler la
transmission des valeurs. Certains s'appellent pédagogues, d'autres
moniteurs de sports, ou encore prêtres, responsables scouts_ Certains
sont présents physiquement. D'autres agissent par le biais de leurs
messages sonores, de leurs images qui se manifestent dans le lieu.
Ceux-là sont dénommés artistes, chanteurs, poètes. En fait, parler
de "la première pièce" de la maison-des-hommes constitue une forme
d'abus de langage. Il faudrait dire : les premières pièces, tant
est changeante la géographie des maisons des hommes. A chaque culture
ou chaque micro-culture, parfois à chaque ville ou village, à chaque
classe sociale, correspond une forme de maison-des-hommes. Le thème
de l'initiation des hommes se conjugue de manière extrêmement variable.
Le concept est constant mais les formes labiles.
Parmi ces hommes plus âgés, ou à coté d'eux (quelquefois ce
sont les mêmes), d'autres aînés déambulent. Le masculin est tout
à la fois soumission au modèle et privilèges du modèle. Certains
aînés profitent de la crédulité des nouvelles recrues, et cette
première pièce de la maison est vécue par de nombreux garçons comme
l'antichambre de l'abus. Et cela dans une proportion qui, à première
vue, peut surprendre. Non seulement, je l'ai dit, p'tit homme commence
à découvrir que pour être viril, il faut souffrir, mais dans cette
pièce (ou dans les autres, il ne s'agit ici que d'une métaphore),
le jeune garçon est quelquefois initié sexuellement par un grand.
Initié sexuellement, cela peut aussi vouloir dire violé. être obligé
-sous la contrainte ou la menace- de caresser, de sucer ou être
pénétré de manière anale par un sexe ou un objet quelconque. Masturber
l'autre. Se faire caresser_ On comprend que les hommes à qui une
telle initiation est imposée en gardent souvent des marques indélébiles.
Tout semble indiquer dans les interviews réalisées dans l'étude
sur l'homophobie ou auparavant (Welzer-Lang, 1988) que beaucoup
d'hommes qui ont été appropriés par un autre homme plus âgé n'ont
de cesse que de reproduire cette forme particulière d'abus. Comme
s'ils se répétaient : "Puisque j'y suis passé, qu'il y passe lui
aussi". Et l'abus revêt alors une forme d'exorcisme, une conjuration
du malheur vécu antérieurement. Puis, au fil des ans, quand le souvenir
de la douleur et de la honte s'estompe enfin quelque peu, l'abus
initial fonctionnerait comme élément de compensation, un peu comme
l'ouverture imposée d'un compte bancaire ; les autres abus perpétrés
représentant les intérêts que vient réclamer l'ex-homme abusé. Cela
vaut tant pour les abus réalisés à l'encontre des hommes que dans
d'autres lieux à l'encontre des femmes.
D'autres se blindent. Ils intègrent une fois pour toutes que
la compétition entre hommes est une jungle dangereuse où il faut
savoir se cacher, se débattre et où in fine la meilleure défense
est l'attaque.
J'ai parlé d'abus sexuels. Ils sont bien réels et en nombre
très important. Les recherches futures nous en révéleront les formes,
la fréquence et les effets à courts, moyens et longs termes. Avouons
pour l'instant notre partielle incurie sur ce thème. D'autres formes
d'abus sont quotidiennes, complémentaires ou parallèles par rapport
aux abus sexuels. Elles en constituent d'ailleurs souvent les prémices.
Des abus individuels, mais aussi des abus collectifs. Qu'on pense
aux différents coups : les coups de poing, les coups de pieds, les
"poussades". Les pseudo-bagarres où, dans les faits, le plus grand
montre une nouvelle fois sa supériorité physique pour imposer ses
désirs. Les insultes, le vol, le racket, la raillerie, la moquerie,
le contrôle, la pression psychologique pour que p'tit homme obéisse
et cède aux injonctions et aux désirs des autres, _ Il y a donc
un ensemble multiforme d'abus de confiance violents, d'appropriation
du territoire personnel, de stigmatisation de tout écart au modèle
masculin dit convenable. Toutes formes de violences et d'abus, que
chaque homme va connaître, tant comme agresseur que comme victime.
Petit, faible, le jeune garçon est une victime désignée. Protégé
par ses collègues, il peut maintenant faire subir aux autres ce
qu'il a encore peur de subir lui-même. Conjurer la peur en agressant
l'autre, voilà la maxime qui semble inscrite au fronton de toutes
ces pièces.
Ne nous y trompons pas. Cette union qui fait la force, cet apprentissage
du collectif, de la solidarité, de la fraternité -les hommes d'un
même groupe peuvent être assimilés à des frères- ne revêt pas que
des côtés négatifs. Nonobstant que la maison-des-hommes, la solidarité
masculine intervient pour éviter la douleur d'être soi-même victime,
cette maison est le lieu de transmission de valeurs qui, si elles
n'étaient pas au service de la domination, sont des valeurs positives.
Prendre du plaisir ensemble, ce que je détaillerai plus loin, découvrir
l'intérêt du collectif sur l'individuel, voilà bien des valeurs
humanistes qui fondent la solidarité humaine.
A l'intérieur de la maison-des-hommes, et dans l'apprentissage
de la masculinité, il ne semble pas exister de point neutre, de
position de relâche. On est actif ou passif, agressé ou agresseur.
C'est ainsi que p'tit homme apprend le rapport de force permanent.
Quiconque oublie cette règle, devient victime désignée. Tout écart
dû à la sensiblerie est perçu comme une survivance du monde de l'enfance,
une réminiscence ou une (ré)apparition chez l'homme du monde des
femmes. Tout écart de sensiblerie doit donc être combattu, voire
puni. "Si tu veux être comme une femme, on va te traiter comme une
femme !" semble dire les hommes entre eux.
Le féminin devient le pôle repoussoir central, l'ennemi intérieur
à combattre.
Quels sont les effets d'une telle éducation ? Ils sont bien
sûr multiples et variés. Deux conséquences peuvent apparaître comme
majeures.
La peau de l'enfant doit se recouvrir d'un oxyde qui fasse frontière
entre deux mondes : le monde intérieur : la pensée, les rêves, le
jardin secret_ et le monde extérieur, celui du social, des contacts
quotidiens : les groupes de copains, l'école, la rue_ Non pas que
les hommes ne soient pas sensibles, émotifs, vulnérables, et ce
pour l'ensemble de leur vie. Mais ils doivent "simplement" le cacher,
le dissimuler sous une cuirasse de guerrier. Certains arrivent presque
à oublier ces traits de personnalité, d'autres l'investissent dans
la création. Mais la majorité des futurs accédants à la virilité
transforment leurs besoins de contacts sensibles, leurs nécessaires
contacts -y compris physiques -avec les hommes et par suite avec
les femmes, en violences.
Car l'éducation masculine et les apprentissages de p'tit homme
autorisent le toucher, même physique, entre hommes. Mais l'impérieuse
nécessité de se distinguer des femmes transforme le besoin de contacts
en contacts violents. Observez les matchs de hockey, de football,
de rugby_, les hommes n'arrêtent pas de se toucher, que ce soit
entre partenaires ou avec les membres de l'équipe adverse (on aurait
envie d'écrire ennemie). Les caresses se sont transformées en coups.
Une autre conséquence pourtant importante est demeurée inexplorée.
Il s'agit de cette capacité particulière qu'ont les hommes de mesurer
a priori la dangerosité d'un individu. Que ce soit dans les groupes
qu'ils fréquentent, dans la rue c'est-à-dire dans l'espace public
ou dans les bars, au travail_ P'tit homme devenu homme a acquis
et inscrit dans son corps une méfiance généralisée. Il sait que
toute personne étrangère ou inconnue, en particulier s'il s'agit
d'un homme, peut se transformer en agresseur potentiel. Il observe
alors les gestes, la démarche, la voix, l'habillement_ l'ensemble
de ces signes extérieurs qui sont facilement repérables. Lui -même
doit montrer, et ceci sans cesse, qu'il est ou serait capable de
se défendre. Tout homme sait bien que de laisser apparaître des
signes de vulnérabilité constitue une situation à hauts risques.
J'en donnerai deux exemples. Le premier se passe dans un bar
de mon quartier à Lyon. Un soir, alors qu'avec une amie de l'université
nous étions sorti-e-s boire un verre, une bagarre éclate. Mais une
drôle de bagarre. Un client manifestement un peu alcoolisé jetait
ça et là invectives verbales, bouteilles, cendriers, le tout accompagné
de grands cris. A un moment donné, dans un grand geste très lent,
il prend un siège et le lance dans l'énorme miroir qui tapissait
le fond du bar. Celui-ci se brisa alors dans un vacarme assourdissant.
On imagine aisément les cris, la panique qui commence à s'emparer
des personnes présentes dans ce bar. Mon amie est partie immédiatement
se réfugier au 2ème étage, alors que je me suis approché de cet
homme. Et je n'étais pas le seul homme à le regarder de près. Je
n'avais pas peur. J'ai observé les visages des autres garçons qui
entouraient l'intrus, beaucoup souriaient et paraissaient détendus.
Les hommes présents n'avaient pas peur, car ils savaient que la
situation ne comportait aucun danger. L'observation de la scène
était claire : cette volonté -pareille à celle des films- de montrer
sa capacité virile, de mettre le trouble n'était nullement dirigée
contre les personnes présentes.
Tout se passe comme si l'un des effets immédiat de l'éducation
masculine était de pouvoir mesurer les signes extérieurs du danger.
Comme si notre "mémoire corporelle" pouvait, à la manière d'un ordinateur
très rapide, décoder les gestes d'une tierce personne pour nous
dire si oui ou non, nous pourrions être en danger. Les réactions
de mon amie ? Ou celle des autres femmes parties se réfugier elles
aussi loin du bar ? Comme femmes, elles ne disposaient pas des mêmes
informations. Elles ne savaient pas mesurer le danger et interprétaient
tout écart aux attitudes et apparences normales (Goffman, 1975))
comme une agression virtuelle. Bien plus, cette scène renforçait
-selon elles- le message distribué aux femmes sur la dangerosité
des hommes et leur besoin (sic) d'être protégées.
Pourtant cette mémoire corporelle, cette capacité masculine
à mesurer le danger, ne sont pas inscrites dans nos gènes. Nous
l'avons apprise. A notre corps défendant, il est vrai. Après des
centaines d'agressions, de mini-conflits vécus dans la maison-des-hommes,
le regard masculin se fait plus observateur et scrutateur. L'éducation
à la violence crée des automatismes de défense.
On retrouve cette même attitude dans l'espace public. Les lecteurs/trices
québécois-e-s auront peut-être du mal à comprendre. Je m'explique.
En France la rue est dangereuse, pour les femmes et pour les hommes.
L'alcool, la pauvreté, la virilité sont autant de prétextes pour
que des hommes -jeunes et moins jeunes- tentent de se mesurer et
de se confronter à leurs congénères. Sans qu'on cherche forcément
à vous voler, dans certaines rues, à certaines heures, vous risquez
de vous faire agresser. Et pas uniquement verbalement. L'éducation
des hommes a fait en sorte qu'ils ont développé des stratégies de
défense qui préparent à cette éventualité. S'il se trouve dans la
rue le soir, chacun va observer les attitudes des personnes étrangères
qu'il rencontre. Et s'il le faut, il va changer de trottoir.
Mais les femmes aussi, me direz-vous. Oui, sauf qu'on n'a pas
appris aux femmes à relativiser le danger. Certaines, suite à des
agressions, ont peur de tous les hommes qu'elles rencontrent, d'autres
n'ont peur de personne. De nombreux témoignages semblent démontrer
que certaines femmes ne sont méfiantes qu'après une première agression.
L'autre différence, et elle est de taille, tient à ceci : même
si hommes et femmes ont peur des mêmes personnes, à savoir les hommes,
les risques ne sont pas les mêmes dans une nette majorité des cas.
Violences physiques pour les garçons, violences sexuées ou sexuelles
pour les femmes.
De fait, comme dans les différentes pièces de la maison-des-hommes,
tout garçon qui donne des signes extérieurs qui pourraient le faire
assimiler à un homosexuel risque, comme une femme, de subir agressions
physiques et sexuelles. En ce sens, en tous cas certains aimeraient
nous l'imposer, la rue est un territoire masculin, une excroissance
de la maison-des-hommes.
Puis vient la mise
en couple...
A l'adolescence et après, les garçons ne quittent pas totalement
la maison-des-hommes. L'entrée dans la vie amoureuse, les contacts
avec les femmes, l'installation en conjugalité (la mise en couple
avec une femme), toutes ces étapes ne sont pas dépourvues de contacts
avec le monde mâle. Tout homme va généralement continuer à passer
certaines "périodes" régulières à la maison-des-hommes, des stages
de (re)sensibilisation aux comportements masculins. L'éducation
masculine est ainsi sans cesse réactivée.
Les excroissances de la maison-des-hommes, on les retrouve dans
les espaces de travail, dans les cafés, dans les stades, dans les
clubs_. Bref, tous les endroits où les hommes s'attribuent -menaces
à la clef- l'exclusivité d'un lieu ou d'un espace-temps. Maintenant
certaines femmes osent y pénétrer. Certaines ont bravé les menaces
de viol ou d'agression. On reconnaît bien là aussi l'évolution des
rapports sociaux de sexe, la remise en cause du masculin hégémonique
et prévalent. Ce ne sont d'ailleurs pas ces femmes là qui sont les
plus agressées. J'ai montré en effet, dans mes études sur les hommes
violeurs qu'ils agressent prioritairement, non pas -comme nous dit
le mythe- les "belles femmes qui poussent les hommes à assumer leurs
pulsions irrépressibles", mais bel et bien des femmes que le violeur
estime faibles et fragiles, des femmes qui sont en situation de
vulnérabilité. On retrouve ici un autre effet de cette éducation
de l'homme à repérer la fragilité des personnes, hommes et femmes,
qu'il rencontre.
D'autres métastases de la maison-des-hommes ont été peu explorées.
Certaines féministes ont, avec raison, dénoncé le sexisme des publicités
et de certains messages médiatiques qui polluent notre esthétisme
et notre environnement. Elles en ont décrit les contours : comment
les femmes sont assimilées à des animaux. Comment elles deviennent
des faire-valoir de voitures, de bières_, quand elles ne sont pas
-comme on a vu en France récemment- métaphorisées en serpillières.
Une autre fonction est donc dévolue à la publicité : servir de réassurance
à la virilité. "Soyez forts et vous aurez de la bière_ et des femmes"
; "Soyez violents, car non seulement ce comportement est parfaitement
normal mais en plus les femmes aiment ça". La publicité, mais aussi
une bonne partie de la production cinématographique ou télévisuelle
viennent réactiver sans cesse les injonctions apprises aux hommes.
Elles font de ces arts une véritable excroissance de la maison-des-hommes.
Et ceci reste vrai, même si les représentations masculines évoluent.
Pourtant l'apparition de l'homme-objet, l'androgynisation du corps
masculin voire son homosexualisation, sont autant de phénomènes
récents qu'on croirait en opposition avec l'éducation masculine
traditionnelle. Peut-être faut-il les comprendre comme des traces
tangibles de l'évolution de nos perceptions collectives face au
machisme et à l'homophobie.
Les femmes : pivot central du discours
masculin et intermédiaires entre les hommes.
Si l'on s'arrête un instant sur les messages éducationnels livrés
aux hommes, par des hommes, ce qui est appris aux novices par les
aînés, les litanies récitées à longueur de temps par les hommes
qui veulent s'affirmer "comme les autres" c'est-à-dire normaux,
on voit d'abord que les femmes sont le pivot central du discours
masculin, puis qu'elles représentent bien souvent l'intermédiaire
privilégie, le média entre les hommes.
Que ce soit ou non de façon explicite, une grande partie des
messages éducationnels apprend aux hommes comment "être avec" les
femmes et/ou comment "faire avec" les filles. Ils établissent une
"carte du tendre" très particulière. Ces messages somment les hommes
de savoir "tenir" une femme. Ils leur enseignent "comment" les désirer
(pornographie), les parties du corps à aimer, les formes de corps
à observer. C'est ainsi que l'on apprend aux hommes l'art du désir
et de l'amour.
Le désir et l'amour affirment et confirment la distinction.
Ils réitèrent les messages sur la différence. Etre homme, le montrer
(par la virilité), l'affirmer (par la drague), le vivre, c'est montrer
de manière tautologique la différence. Et, notamment c'est savoir
exclure la sensibilité.
L'appris masculin intègre une vision très fonctionnelle de l'amour.
L'éducation féminine étant parallèle à celle des hommes, la coutume
veut que certaines femmes soient "faites" ou construites pour l'érotisme
: les maîtresses, les prostituées, les danseuses nues, les mannequins_.
Elles existent pour alimenter de manière permanente le désir des
hommes. D'autres femmes sont réservées à la maternité, éduquées
pour élever les enfants (garçons et filles). On leur enseigne à
préparer les bonnes conditions qui font que les petits hommes seront
dirigés vers la maison-des-hommes. Certaines d'entre elles ne connaissent
même pas ce qui a trait à leur propre désir sexuel. On voit que
les éducations masculines et féminines sont complémentaires des
mêmes rapports sociaux de sexe.
Et les femmes, dans l'éducation masculine, signent la différence
et servent de récompense. Je passe rapidement sur cette image du
Tour de France, ou de n'importe quelle autre compétition sportive
masculine : la belle femme qui remet les fleurs et les bises au
gagnant. Elle est devenue si caricaturale de cette éducation sexiste
et homophobe qu'elle passe presque inaperçue. Pourtant, bien avant
d'espérer gagner le tour de France ou n'importe quelle compétition
sportive pour adultes, p'tit homme apprend dans le regard des femmes
les vertus de l'homophobie. Il peut y déceler toute la fascination
que les garçons dits virils, ceux conformes à l'image du guerrier
protecteur, éveillent chez les adolescentes. C'est du moins ce que
semblent suggérer de nombreux hommes en interviews. A l'époque où
une grande partie des activités fantasmatiques et personnelles de
p'tit homme est consacrée à la recherche de ses premières partenaires
féminines, il apprendrait, par les femmes, la différence. Et un
homme rencontré, devant le trouble que provoquait cette proposition,
de rajouter : "Qu'on le regrette ou pas, il suffit de se promener
dans les fêtes foraines, ces lieux à drague et sensations fortes,
pour s'apercevoir que le macho a toujours la cote auprès de la gente
féminine". Ailleurs, un adolescent disait : "T'as l'impression que
plus t'es un salaud, plus ça marche". Ce discours possède sa propre
logique ; comment pourrait-il en être autrement au vu des héros
de films, de séries américaines ou des romans Harlequin ? Mais ce
discours est incomplet.
La fête foraine, les cafés, la rue, le bal ou la salle de danse
sont pour la jeunesse des espaces de trafic, des lieux de confrontations
entre hommes et femmes, ou plus exactement entre apprentis hommes
et apprenties femmes. L'observation de ces lieux, l'écoute de témoignages
d'hommes et de femmes obligent à nuancer les assertions masculines
sur cette période. D'un côté, à la frontière de la maison-des-hommes,
comme s'il s'agissait d'un exercice pratique, les accédants à la
virilité chassent, draguent, assiègent, traquent, en cherchant à
conquérir des femmes. Portant et affichant haut et fort les valeurs
dites masculines, ils miment leurs héros. De l'autre, des femmes
imprégnées d'un discours sur l'homme idéal, le preux chevalier qu'elles
ont à séduire_ On imagine très bien les effets de cette double construction
: des relations inégalitaires où les femmes apprennent - si ce n'était
déjà fait- la violence des hommes, et des hommes qui se voient confirmer
l'intérêt de jouer aux mâles.
Bien évidemment, toutes les femmes ne fréquentent pas ces espaces
de trafic. Certaines se réfugient dans leurs études et n'en sortent
pas, d'autres sont recluses dans les cuisines de leurs mères. Des
fractions minoritaires de la bourgeoisie sont même "gardées" par
des congrégations religieuses. On comprend alors que l'évocation
de ces scènes puisse laisser dubitatives ou béates [sans jeux de
mots] certaines femmes. Dans certains milieux, on traitera même
de "filles faciles", de dépravées, les femmes qui fréquentent les
bars et les discothèques.
Mais, à la différence des filles, la quasi-totalité des hommes
se doivent de fréquenter très tôt de tels espaces de trafic. Chaque
milieu social organise ses propres zones de rencontres pour adolescents
et adolescentes, ces territoires de chasse pour mâles qui expérimentent
leurs ruts. Peu de rapport a priori entre les rallyes lyonnais,
ces soirées pour les enfants de la bourgeoisie lyonnaise, chaperonnés
par des adultes et une boum dans les caves d'une HLM de banlieue.
Peu de rapports si ce n'est que chaque milieu social oblige les
hommes à faire les preuves de leur virilité, à conquérir des filles.
Et le nombre de femmes tombées dans les filets des hommes sont
autant de médailles à mettre en exergue dans les discours. Que les
conquêtes soient réelles ou pas, le message véhiculé dans les espaces
de trafics est clair : pour être un homme, il faut draguer. Et la
liste des femmes séduites constitue la preuve qu'on est bien un
homme. Mais qu'advient-il des autres, ceux qui n'entrent pas dans
le moule : les p'tits hommes qui ne sont pas capables d'être aussi
machos que leurs aînés, les garçons encore impubères, les moins-beaux,
les poètes et les gars sensibles ? En s'excluant de ces rituels
collectifs, en ne tenant pas leur place d'homme, en n'affichant
pas un tableau de chasse glorieux, ils signent leur différence.
Ils sont alors mûrs pour la culpabilité et la honte. En tous cas,
ils doivent dorénavant se taire. Les femmes représentent l'intermédiaire,
le média, entre hommes.
Il n'en va pas autrement pour les belles femmes qui se produisent
dans les clubs de danseuses nues, ou les jeunes épouses des hommes
célèbres (comédiens, intellectuels, hommes politiques, artistes_).
En dehors de tout débat sur la sincérité des sentiments -tel n'est
pas mon propos- elles démontrent qu'avoir du pouvoir, de l'argent,
être arrivé parmi les premiers dans les courses du masculin, tout
cela offre des privilèges certains. Notamment dans la gestion de
son érotique personnelle.
L'homosocialité ou du plaisir d'être entre hommes
Il ne faut pas non plus avoir une image caricaturale de l'éducation
masculine. Le passage dans la maison-des-hommes, les périodes successives
entre hommes, forgent la solidarité des hommes, développent l'habitude
d'être entre gars et de s'y trouver bien.
Et les souffrances me direz-vous? Les douleurs entrevues plus
haut, dans la majorité des cas, ne sont pas permanentes. Un peu
comme les violences masculines domestiques elles sont des bornes
régulières, mais non permanentes. Seuls les effets sont rémanents.
Intégrées dans la mémoire corporelle des futurs mâles, elles sont,
par un processus d'occultation commun à de nombreux phénomènes sociaux,
vite oubliées au profit des "bons" souvenirs. Les souffrances sont
comparables à des paliers du rituel d'initiation, du rite de passage
que constitue le vécu au sein de la maison-des-hommes. En regard
des promesses d'un avenir meilleur que constitue l'éducation masculine,
et sur une échelle coûts/bénéfices, elles sont minorées et enfouies
dans l'armoire de l'inconscient. Observez attentivement des anciens
élèves d'une école pourtant stricte et éminemment répressive parlant
de leur internat, des hommes qui se racontent les souvenirs du service
militaire. Les rires, les blagues, les bons souvenirs_ ont l'air
de largement dominer. Qui parle des pleurs, des humiliations, des
abus vécus ? Personne ou presque. La mémoire est sélective.
Quant à ceux qui n'ont pas du tout pu ou voulu vivre ces rituels,
les réfractaires, ceux qui ont servi sans cesse de bouc émissaire
aux autres hommes, ceux qui ont refusé de se battre ou d'agresser
les autres, on n'en sait, bien sûr, que peu de choses. L'histoire
de l'Homme n'est bien souvent que celle des hommes qui gagnent,
de ceux qui savent se battre. Sans doute, de nombreux réfractaires
ont été exclus symboliquement de la communauté masculine "normale".
Un peu comme dans la logique sacrificielle de l'inceste que vivent
les femmes, ils sont affectés à des tâches périphériques du masculin.
On les retrouve vraisemblablement chez les violeurs pour certains,
parmi les hommes prostitués pour d'autres, que la prostitution ait
lieu en homme ou en femme. On peut aussi sans doute les rechercher
parmi les mannequins, les danseurs nus ou dans les métiers de création
où leur sensibilité conservée, voire exacerbée, peut être mise en
valeur.
Des hommes quittent aussi la maison-des-hommes convaincus que
leur orientation sexuelle est différentes des orientations hétérosexuelles
inculquées. Ils savent désormais que pour vivre facilement leur
homosexualité, ils doivent en délaisser les signes de repérabilité,
du moins ceux qui sont stigmatisés (Goffman, 1983) par la communauté
masculine dite hétérosexuelle.
Mais revenons pour l'instant à notre idée de départ : les hommes
prennent du plaisir à être ensemble. Et si ce n'était lié à des
rapports de domination, qui s'en plaindrait ? A notre époque, où
nous vivons une marche sans précèdent vers l'égalité des genres,
la question est peut-être la nature, ou la structure, de l'injonction
paradoxale inhérente à "être entre hommes". Que dit-elle ? Le premier
terme de l'injonction clame : Soyez ensemble et prenez du plaisir.
Le second, forcément opposé au premier (cf. le début du texte) stipule
: Prendre du plaisir entre hommes est interdit, il faut se battre
pour être le meilleur. Et l'unité de mesure de cette lutte (et son
bénéfice) en est le nombre de femmes conquises. Autrement dit, les
relations entre hommes sont toujours médiatisées à travers les femmes.
Ne prennent du plaisir, entre hommes, sans autre finalité, que les
pédés, les tapettes, les fifis, les "tantes", les homosexuels_ Cette
injonction paradoxale structure d'une part les rapports entre homosocialités
et plaisirs d'être entre hommes, et d'autre part l'homophobie qui
illustre le paradoxe de l'identité masculine exaltée dans ces injonctions
ou maximes. Les liens entre les deux sont évidents.
Dans cette perspective, l'homophobie n'a rien à voir avec le
sexe ou la sexualité. Mais ce qui sous-tend cette violence faite
aux hommes est parallèle et alimentée par nos constructions hiérarchisées
actuelles des genres. Telles qu'on les vit actuellement, homophobie
et domination des femmes sont les deux faces du même modèle viriarcal.
Alors quels rapports entre l'homophobie et l'homosexualité ?
Pourquoi associer les deux ? Nous allons le voir, l'homophobie constitue
une sorte de garde-fou pour sauvegarder les apparences viriles,
un préservatif psychique comme le dit Gentaz dans ce même ouvrage,
mais aussi social de la virilité.
Homophobie et repérabilité
désignation des homosexuel-le-s
Une partie de la recherche sur l'homophobie menée à Lyon en
1992 est surprenante. Des quelques 500 personnes que nous avons
interrogées avec Pierre Dutey par questionnaire , plus de 95% peuvent
dire qu'elles ont identifié des homosexuel-le-s dans la rue et en
décrire les critères de repérabilité. Parmi ceux-ci : le vêtement,
les gestes, le ton du langage, qui chacun à leur manière décrivent
des formes de féminisation. Alors que la question restait ouverte
à la possibilité d'avoir rencontré aussi bien des femmes homosexuelles
que des hommes, plus de 90% répondent à la question en ne signalant
que les hommes homosexuels. Les personnes interrogées, hommes et
femmes, appartiennent à tous les milieux (étudiant-e-s, employé-e-s,
travailleurs/euses sociaux/ales, médecins, infirmières, ouvrier-e-s,
cadres supérieur-e-s, intellectuel-le-s_). Certain-e-s affirment
leurs idéologies de droite, d'autres de gauche ou se déclarent non
concerné-e-s par les partitions politiques ; quelques un-e-s sont
même militant-e-s d'associations contre le sida (Aides), alors que
d'autres sont des responsables féministes (Mouvement Français pour
le Planning Familial) ou des cadres d'associations humanitaires
(Croix Rouge Française). Les répondant-e-s ont entre 20 et_ 65 ans.
On retrouve également des personnes vivant dans des milieux urbains,
alors que d'autres habitent les zones rurales. Que faut-il en déduire
? Que les critères de repérabilité qui servent à désigner l'homosexualité
sont éminemment partagés au sein de la culture française actuelle.
C'est bien de cela dont il est question. Peu de personnes ont pu
donner comme traits identificatoires le fait que les hommes se tenaient
par la main, qu'ils s'embrassaient ou se qu'ils se caressaient dans
l'espace public. Ce sont pourtant autant de signes qui pourraient
légitimer davantage l'identification.
Bien sûr, les médias reproduisent la symbolique dominante, c'est-à-dire
ici masculine et hétérosexuelle : télévision, cinéma, radios présentent
à profusion des plaisanteries et des attitudes sexistes décrivant
les critères de repérabilité connus et admis de l'homosexualité.
Les exemples de mise en scène des tantes, des tapette, des folles
sont nombreux. La follitude fait recette et maintient l'homosexualité
parmi les déviances et les excentricités. On comprend alors aisément
le message distillé aux personnes homosexuel-le-s, tant hommes que
femmes : pour vivre heureux/euses, vivez caché-e-s ! Et de nombreux
hommes, de nombreuses femmes, se cachent effectivement. Voilà à
quoi aboutit l'homophobie particulière.
Avant l'apparition du sida, l'homophobie particulière légitimait
et organisait la sanction à la repérabilité, et ceci de manière
curieuse. En voici un exemple qui témoigne de notre myopie collective,
en tous cas de la mienne. Durant les années 1975, j'ai été éducateur
de rue à Paris pendant plusieurs années. Mon travail éducatif consistait
à m'occuper de manière plus ou moins informelle de "jeunes de la
rue", éviter autant que faire se peut leur exclusion et permettre
à ceux/celles qui en avaient le désir de "s'en sortir" (le tout
dit entre guillemets aux vues des conditions que nos sociétés réservent
aux jeunes démuni-e-s de capital scolaire). Territorialisé, je travaillais
à l'époque "sur" la Porte d'Asnières et le quartier des Batignolles
avec des bandes de délinquants ; des "zonards" en blouson de cuir
et grosses motos qui, outre un certain nombre d'activités illégales,
pratiquaient régulièrement "la chasse aux pédés" au square des Batignolles
et sur les lieux de drague utilisés par les homosexuels. Je passe
rapidement ici sur la nature profondément homosociale de ce type
de regroupements masculins : un groupe d'hommes, en cuir et moto,
fortement hiérarchisé. "La chasse aux pédés" consistait, du moins
nous le croyions à l'époque, à les repérer et les dépouiller : leur
voler vêtements, argents et objets de valeurs.
Ce n'est que beaucoup plus tard, lors de mes travaux sur le
viol, lors d'une entrevue avec un homosexuel qui avait été agressé
à cette époque par les jeunes "des Batignolles", que j'ai réalisé
que "la chasse au pédés" consistait aussi, parfois, pour une part
de la bande, au viol collectif de ces derniers. Avouez qu'il y a
de quoi s'y perdre. Des jeunes qui agressent des homosexuels et
qui, pour les punir de leur homosexualité, les violent.
L'homophobie particulière s'intéresse aux homosexuels repérés,
ceux qui sont assimilés à des pédés, à des passifs, donc à des femmes.
Dans le code homophobe, la sanction est logique : les traiter comme
des femmes et se les approprier sexuellement. Bien plus, le viol
collectif des homos, phénomène appartenant au secret collectif qui
pour partie fonde la bande comme mini-société masculine, permet
de vivre son homosexualité de manière dégagée de culpabilité.
De la même manière, j'ai pu approcher le dossier d'instruction
de cours d'assises d'un homme détenu, violeur et meurtrier d'un
jeune de 17 ans qui auparavant lui avait servi de main d'_uvre domestique
(l'adolescent était obligé sous la menace de coups, de laver son
linge et de nettoyer la cellule) et de main d'_uvre sexuelle. L'adolescent
est mort des suites d'une nuit d'horreur où il fut sodomisé par
son codétenu avec différents objets. Quelles ont été les premières
déclarations du meurtrier ? Je ne suis pas un homosexuel. Pour un
homme dit hétérosexuel et actif, "un trou c'est un trou". Ce qu'on
retrouve dans une maxime lancée régulièrement par un groupe d'adolescents
que j'avais rencontré : "Pourvu qu'il y ait un trou, des poils et
que ça pue ! "
L' homophobie et les
femmes
Bien que la question des rapports entre l'homophobie et les
femmes n'ait pas été centrale au sein dans nos recherches sur le
thème, nous pouvons nous permettre quelques réflexions. Plusieurs
éléments se dégagent à travers le corpus d'interviews réalisées
pendant plusieurs années auprès de différentes femmes.
J'aimerais commencer par une confidence. J'en sais la possible
incongruité, mais elle me semble significative, en tous cas elle
m'a permis d'élaborer plusieurs hypothèses sur les rapports entre
l'homophobie et la virilité.
Alors que je dirigeais le tout jeune centre d'accueil pour hommes
violents de Lyon, nous avions à affronter le regard critique de
femmes. Notamment celles qui s'étaient battues pour obtenir des
centres d'accueil pour les femmes violentées. "Quoi ! des hommes
qui osent parler de la violence masculine ?" semblaient dire certaines.
J'ai décrit par ailleurs ce que je pense des critiques, tout à fait
légitimes, des féministes, la question n'est pas là (Welzer-Lang,
1992b : 209-211). Dans l'éventail politique, on pourrait dire le
marché, des professionnelles accueillant les victimes de violences
masculines domestiques, toutes -et de loin- ne sont pas féministes,
ni même s'en réclament. Une association sise dans la région Rhône-Alpes
ne cache pas ses options antiféministes. Au cours d'une conférence
de presse, une journaliste demande aux responsables de la structure
d'accueil si elles collaborent, ou pas, avec le centre pour hommes
violents. La responsable du centre s'est alors laissé aller à une
somme de diatribes verbales contre moi, à l'époque figure emblématique
du centre, sur la base : "Vous l'avez vu ? Il n'est pas très viril.
Comment voulez-vous que l'on travaille avec lui !". L'invective
paraissait tellement déplacée et grossière qu'une autre journaliste,
présente ce jour là, s'est sentie obligée de lui rappeler les effets
de la virilité manifestée par des hommes sur les femmes qu'elle
était chargée d'accueillir. En particulier la violence domestique,
thème de la conférence de presse.
Tout homme qui ne manifeste pas son homophobie, notamment en
insultant les homosexuels-qui-ressemblent-à-des-femmes, peut être
suspecté d'appartenir au clan honni. Tout homme qui comme une femme,
aime (ce qui est mon cas) jouer avec le vêtement, la chevelure et
le maquillage est aussi assimilable à "un pédé". Il faut, ou il
faudrait dans cette logique, montrer et remontrer sans cesse qu'on
en a, bref qu'on n'en est pas. Cet exemple montre que certaines
femmes reprennent à leur compte l'homophobie des hommes contre les
hommes. Peut-on dire qu'elles sont homophobes ?
Une homophobie symétrique
chez les hommes et chez les femmes ?
Ce dernier exemple peut choquer, du moins surprendre. Après
avoir disserté de longues pages sur les rapports entre homophobie
et construction du masculin, le premier exemple que je donne est
encore par rapport aux hommes. Pourtant, il ne s'agit nullement
d'une erreur, au plus d'une légère provocation.
Actuellement quand on aborde l'étude et la description des rapports
sociaux de sexe, tout se passe comme si les sexes et les variables
de genre (le fait d'être né et considéré comme un homme ou née et
considérée comme une femme) étaient choses égales et symétriques.
On ne peut parler des hommes violents sans être aussitôt assailli
de questions sur les femmes violentes. On décrit, comme on a pu
le faire avec mon ami Jean Paul Filiod (Welzer-Lang, Filiod, 1993)
le propre et le rangé dans la maison, et immédiatement, on nous
dit que les hommes en font moins ou le font mal (mâle). Et on pourrait
multiplier les exemples où sexes et genres sont considérés comme
homologues par nature. Or, nous savons fort bien -et pour les sceptiques
je l'ai largement montré dans ce qui précède- que sexe et genre
sont des constructions sociales qui traduisent les rapports de domination
en _uvre dans le patriarcat et le viriarcat. Pourquoi en serait-il
différemment pour l'homophobie ?
Pour comprendre les rapports entre les femmes et l'homophobie,
il faut faire un court détour par des analyses théoriques. Actuellement,
diverses représentations sous-tendent nos conceptions des rapports
entre sexe biologique et genre social. Certain-e-s assimilent purement
et simplement sexe et genre. Dans une vision naturaliste, on est
homme ou femme et le sexe biologique détermine le genre. D'autres
représentations nous montrent que les différences entre genres correspondent
aux constructions culturelles que chaque société créée à propos
des garçons et des filles. Enfin une troisième représentation décrit
les rapports entre masculin et féminin (entre genres) comme des
rapports politiques qui marquent des relations de pouvoir et de
domination et non des interactions dues aux différences anatomiques.
"Le genre est l'opérateur de pouvoir" dit Mathieu.
L'homophobie, sa perception et ses différentes manifestations
suivent ces trois représentations. Certaines agressions contre les
hommes qui ressemblent aux femmes, ou qui sont considérés comme
tels, sont rationalisées sous le drapeau de la nature. Etre homme,
c'est être viril. Les hommes non virils, les homosexuels désignés
comme tels, sont des êtres qui sont "contre la nature". Dans les
deux autres conceptions, les hommes non-virils sont des insoumis
aux constructions culturelles, ou aux rapports politiques qui se
donnent à voir comme naturels. Leur présence démontre la non naturalité
des rapports hommes/femmes, ils sont donc à combattre et à punir.
Et les femmes ? Nicole Claude Mathieu nous dit que dans la représentation
naturaliste de la différence des sexes : "Le sexe de la femme est
surtout un non-sexe masculin. En fait la femme n'a pas de sexe,
elle est non-mâle." Et prenant le cas des transsexuel-le-s en exemple,
l'auteure ajoute : "Un homme sans pénis est donc forcément une femme,
bien que le sexe artificiel qu'on lui fabrique n'ait aucun rapport
avec un sexe féminin. Une femme sans vulve ni vagin ne peut être
un homme parce que le pénis artificiel n'a aucun rapport avec un
sexe masculin". Dans l'homophobie, nous retrouvons cette asymétrie
: un homme qui ne donne pas tous les gages de la virilité est considéré
et traité comme une femme. Mais en aucun cas, une femme ne sera
un homme même, si elle veut ressembler à un homme ou si on pense
qu'elle ressemble aux hommes.
Nos divisions sociales, nos rapports politiques entre masculin
et féminin édifient deux groupes : d'une part, les hommes qui adhèrent
aux schèmes masculins, notamment après leur apprentissage dans la
maison-des-hommes, et d'autre part, les autres, en général appelé
le groupe des femmes. Mais dans le "groupe des femmes", celles-ci
ne sont pas les seules. Sont aussi rejetés dans le groupe des femmes,
les hommes qui n'acceptent pas les règles de la virilité, les enfants_Autrement
dit, ce qui est appelé "groupe des femmes" est souvent (pour les
hommes) le groupe des dominées/és. La question centrale de l'homophobie
au masculin me semble être l'appartenance et l'adhésion au groupe
des dominants et par conséquence l'exclusion des dominants qui n'adhéreraient
pas à l'ensemble du modèle mâle. En aucun cas pour les dominants,
une femme ne saurait être admise dans ce cénacle qui ouvre sur les
privilèges réservés aux hommes, aux dominants.
On peut maintenant regarder l'homophobie des femmes, qu'elle
s'exerce contre les femmes ou contre les hommes. Quand on considère
l'ensemble des matériaux recueillis dans nos différentes recherches,
on retrouve plusieurs illustrations des principes énoncés plus haut.
Je m'explique.
L'homophobie
des femmes contre les hommes
Tout parait indiquer que le modèle du Prince Charmant intègre
la recherche pour les femmes d'un homme protecteur et pourvoyeur,
bon père de famille, bon mari et bon amant (un tout-en-un en quelque
sorte), et que cet homme doive être viril. Bien plus, que la virilité
soit le gage de toutes ces qualités recherchées. "Pour être protégées
(sic), trouvons un homme, un vrai" semblent dire certaines. On sait
les résultats : les foyers pour femmes battues sont plein de femmes
qui ont adhéré à ce modèle.
Chez les femmes rencontrées au cours de mes différentes recherches,
même parmi celles qui adhèrent au mythe du Prince Charmant, on ne
trouve pas d'attitudes unilatérales contre les hommes entrevus comme
pas ou peu virils, voire contre les homosexuels masculins. Les explications
généralement entendues à ce propos sont diverses : la mère contente
de garder pour elle le fils homosexuel, de ne pas se le faire ravir
par une femme, la certitude qu'un tel homme ne sera pas agressif
contre elle (et contre les femmes en général) du moins dans l'espace
public, la possibilité de débattre avec ceux-ci de phénomènes appartenant
au monde sensible, en général exclu du discours masculin, l'habitude
enfin d'en côtoyer certains dans le monde des femmes (coiffeurs,
manucures, couturiers_).
De manière empirique, et l'étude sur les représentations féminines
serait à systématiser pour en savoir l'étendue exacte, on entend
des discours agressifs et homophobes contre les hommes chez des
femmes qui travaillent ou "appartiennent" de manière minoritaire
à un monde d'hommes : des policières, des sportives, des loubardes,
des prostituées. Donc dans des mondes à forte symbolique masculine.
L'homophobie prend alors des formes diverses, de la critique du
peu de virilité sociale ou physique : '"Ca, c'est pas un mec, il
ne sait pas se défendre", "Celui-là, regarde le, il n'en a pas,
_" à un sexisme ouvertement anti-homosexuel. D'ailleurs, le discours
homophobe se jouxte, quelquefois de récriminations contre les femmes
qui acceptent d'être opprimées. "Les femmes battues ? Des connes,
est-ce que je me fais battre moi ?" me disait une policière française
il y a quelques années. Comme si, pour entrer dans certains mondes
d'hommes, les femmes devaient faire allégeance aux valeurs masculines
et homophobes.
Mais une nouvelle tendance paraît imprégner de plus en plus
les discours féminins. Elle constitue une critique plus ou moins
radicale de la violence masculine, de la domination, du sexisme,
et partant des modèles virilisants enseignés aux hommes. D'où, au
contraire de l'homophobie, une nouvelle valorisation des hommes
qui ne s'affichent pas hypervirils, machos et dominateurs. Mais,
méfions-nous, les modèles, les stéréotypes voire les archétypes
sexués (ou gendrés) sont tenaces. Comment se défaire définitivement
de plusieurs décennies d'oppression ? De représentations qui la
légitiment et l'organisent, dans un monde qui reste très largement
dominé par les modèles virils et homophobes ?
L'homophobie
des femmes contre les femmes
Une autre forme d'homophobie est présente dans certains discours
féminins. Je pense par exemple à la critique que font souvent certaines
femmes de leurs pairs qui, en France ou au Québec, tiennent à garder
intact leur système pileux. Poils sur les jambes, douces moustaches,
poils sous les bras, autant de détails qui horrifient certaines
femmes (d'autant plus quand certains hommes les apprécient). La
guerre entre pairs n'est pas une particularité masculine, les femmes
la reproduisent aussi entre-elles.
Quand le dimorphisme sexuel [les distinctions physiologiques
entre hommes et femmes] ne s'avèrent pas suffisantes, le social
se charge de rajouter de la différence "naturelle". Le message devient
: nous sommes différent-e-s. Les femmes paient en séances d'épilation,
en soins esthétiques le prix de la différence. Pour avoir vu certaines
de mes amies pratiquer ce type d'entretiens corporels, on peut sans
exagérer dire que la souffrance -voire la torture- authentifient
la différence des sexes. Il devient alors insupportable aux yeux
de certaines femmes de constater que certaines "femmes à poils"
séduisent des hommes. Et la critique n'est pas des plus tendre.
De la même façon, on entend critiquer ça et là des femmes qui
n'adoptent pas les critères esthétiques, vestimentaires ou verbaux
de la féminité. Ces femmes remettent en cause les modèles sexués,
poils ou esthétique vestimentaire, verbale, elles manifestent des
signes d'indépendance ou de révolte par rapport à leur assignation
sociale, elles sont alors perçues comme une véritable menace. Les
quolibets, les agressions verbales, les exclusions, sont des formes
d'homophobie manifestées contre ces insoumises. Homophobie qui vise
à imposer l'adhésion aux modèles de féminité définis par les hommes
et généralement adoptés par des femmes.
Pour ce qui est des attitudes des femmes à l'égard des amours
entre femmes, l'homosexualité féminine, elles seront abordées plus
loin.
L'homophobie
des hommes contre les femmes
Terminons cet étrange catalogue des rapports entre l'homophobie
et les femmes par l'homophobie des hommes contre les femmes.
On peut aborder ce thème de deux manières.
La première méthode consiste à interroger les rapports qu'entretiennent
les hommes envers les femmes qui veulent échapper aux critères traditionnels
de féminité. Cette façon de questionner l'homophobie revient, on
en conviendra facilement, à mettre en parallèle l'homophobie contre
les hommes et l'homophobie contre les femmes. Ce fut, je dois le
dire, ma première démarche.
On peut alors poser la question suivante : avons-nous effectivement
affaire à de l'homophobie ? Ou plus exactement : les discriminations
sexistes dont sont victimes toutes les femmes ne se compliquent-elles
pas pour certaines d'entres elles de spécificités liées à l'homophobie
?
Souvent, les réactions des hommes varient suivant la manière
dont les femmes contestent ou sont supposées contester les places
qui leur sont assignées. J'aborderai successivement deux formes
de contestations qui, nous allons le voir, produisent des réactions
masculines différentes. Toutes deux nous apportent aussi des éléments
pour comprendre l'homophobie. Nous aborderons tour à tour le paraître
et le pouvoir.
Le paraître
Dans la maison-des-hommes, p'tit homme apprend qu'il a des droits.
Du moins, il apprend que celui qui rejoint le groupe des hommes
et passe avec succès les épreuves de virilité acquiert par le fait
même certains droits. Notamment, à propos des femmes, le droit d'exprimer
et de faire aboutir ses désirs sexuels. L'érotisation de son regard,
qu'on lui appris à exercer de manière permanente considère que toute
femme est, virtuellement, un objet sexuel à séduire et/ou à prendre.
Selon les critères que dans la tradition on apprend à p'tit homme,
la force d'érotisation maximale réside chez l'autre. Et l'autre
c'est "la" femme. La femme souvent réduite à ses attributs physiques
: seins, fesses, bouche, chevelure_ Plusieurs publications ont montré
comment dans les discours masculins, la femme est réduite à son
sexe. La femme est sexe en elle-même.
L'esthétique masculine, au sens où Michel Maffesoli la définit,
à savoir le fait d'éprouver des passions, des émotions communes
(Maffesoli, 1990), nous montre les critères de désirs des hommes
; du moins, ceux considérés comme légitimes et normaux. Selon ce
code, les femmes considérées comme les plus désirables sont celles
qui ressemblent le moins aux hommes. Celles qui ressemblent le plus
à l'autre. Cet autre dont les discours masculins sont remplis.
Ne nous y trompons pas, l'autre, la femme, est plurielle selon
les désirs masculins. Pour s'en rendre compte, il suffit de fréquenter
les salles de pornographies animées ou les trottoirs de la prostitution,
de pianoter sur le minitel rose ou de regarder dans la littérature
les figures qui apparaissaient dans les bordels : petite fille en
jupe plissée, belle femme en jupe et hauts talons, femmes aux seins
siliconés bouches ouvertes, entre-jambes disponibles, femmes tout
en cuir, un fouet à la main, femmes opulentes et fortes_Toutes les
figures sont possibles. La seule et unique condition : que ce soit
des figures de femmes, jeunes ou moins jeunes, qui en rajoutent
sur les aspects extérieurs de la féminité. Autrement dit, les femmes
les plus désirables pour les mâles sont celles qui montrent le plus
les critères de féminisation honnis et bannis chez les hommes. Les
désirs masculins dessinent en creux, en plein et en déliés, les
critères de l'homophobie masculine.
Que dire de celles qui échappent aux critères du paraître féminin
? Celles que p'tit homme traite de "cageot" de "grosse" de "pas
belles" de "boudins", de "laiderons" ? Ou celles qui, comme on vient
de le décrire, refusent les critères de la féminité ? Elles subissent,
par les comparaisons aux modèles, une pression permanente pour être
conforme à l'image de la femme. Il s'agit à n'en point douter d'une
forme d'homophobie. Une sorte de peur qu'ont les hommes que soit
remise en cause leur esthétique du désir ; ou du moins la hiérarchie
de pouvoir que structure leur esthétique du désir. Elles mettent
en évidence la transgression facile de la pseudo-naturalité des
genres.
Pourtant, malgré les insultes que leur lancent les p'tits hommes
en bandes, elles restent envers et contre tout des objets sexuels
disponibles . "Quant il n'y a rien d'autre à se mettre" m'a dit
dernièrement un usager du minitel rose. Elles représentent une forme
du principe de réalité des hommes. Il y a les belles femmes, les
très belles, et les autres. Et, hors le rêve ou le fantasme, tout
homme sait qu'il n'est pas forcément Casanova, Alain Delon ou Patrick
Bruel. Les femmes qui, consciemment ou pas, pensent échapper aux
critères du paraître féminin définis par les hommes, n'échappent
pas pour autant à leurs désirs et/ou à leurs agressions. Bien au
contraire, certains violeurs m'ont expliqué que "Moche comme elle
était, elle aurait dû considérer cela comme une chance inouïe".
Pour la majorité des hommes qui appartiennent au groupe des dominants,
une femme reste une femme, i.e. un sexe. Le sexisme ordinaire se
contente de stratifier le groupe des femmes entre les plus désirables
et les moins désirables, entre les plus accessibles et les moins
accessibles.
Le pouvoir
D'autres femmes subissent une forme de sexisme qui n'est pas
sans rapport avec l'homophobie. Je pense ici à toutes les femmes
qui dans les structures de pouvoir, universitaire, culturel, scientifique
ou politique, veulent faire "comme" les hommes. Autrement dit, celles
qui refusent le sexisme quotidien et se situent comme sujets parlant
et pensant. Comme des personnes à part entière.
Là, le prix à payer pour l'insoumission est élevé. Pour preuve
le nombre restreint de femmes députées, ministres, responsables
de recherche_Là se conjugue le sexisme ordinaire, la pseudo nature
supérieure des hommes et l'homophobie qui fait qu'une femme restera
envers et contre tout une femme. Du moins qu'elle ne sera jamais
comme un homme. Les hommes, quelles que soient les promesses avant
les élections (repensons au quorum minimum de femmes du Parti Socialiste,
ou à la parité hommes/femmes des Verts, les écologistes) s'entre-déchirent
entre eux. Les femmes n'ont pas droit aux places de choix. Et quand
par hasard ou par calcul électoral, elles ont un poste de responsabilité,
elles doivent manifester bien vite leur adhésion aux valeurs homophobes.
Repensons aux propos sexistes et homophobes d'Edith Cresson, alors
première ministre en France, sur les Anglais.
Dans les sphères de pouvoir, les hommes sont homophobes avec
celles qui osent se comparer à eux. Et ce, toutes tendances politiques
confondues.
Mais toutes ne contestent pas le pouvoir masculin de la même
manière. Parmi les insoumises aux normes masculines du pouvoir,
on trouve aussi celles qui déclarent préférer les amours au féminin
: les homosexuelles, les lesbiennes.
Les hommes et les lesbiennes
Les rapports entre femmes et homophobie concernent aussi l'homophobie
particulière. Les rapports à l'homosexualité des femmes que celle-ci
soit revendiquée ou repérée.
Constatons d'abord, comme je l'ai indiqué plus haut, que les
critères de repérabilité des homosexuels ne s'appliquent pas aux
femmes homosexuelles. D'autres auteures ont montré à juste titre
l'invisibilisation de l'homosexualité féminine. Celle-ci est sans
conteste une forme majeure de l'homophobie masculine qui tend à
dénier l'existence de formes autres que la sexualité hétérosexuelle
(Vincinus, 1989). Comme si, hors des rapports hétérosexuels, n'existait
aucun espace social pour les femmes. La femme est "sexe pour l'homme"
ou n'existe pas.
Cette forme de déni n'est pas seulement historique. A partir
de mes recherches précédentes j'ai acquis la certitude que pour
de nombreux hommes, l'homosexualité féminine n'existe pas. Il n'y
a pas de sexualité, car il n'y a pas pénétration masculine, "Elles
se font guili-guili" me disait un homme violeur en 1987 (Welzer-Lang,
1988). Ceci explique sans doute que les soupçons d'homosexualité
soient beaucoup moins forts chez les femmes que chez les hommes.
Deux femmes qui vivent ensemble ne sont pas, en général, vues comme
lesbiennes. Alors que deux hommes...
Comment les hommes entrevoient-ils les amours entre femmes ?
On en lira un exemple en annexe. Il s'agit du résumé d'un livre
de salle de gare que, lors d'une conférence, j'avais trouvé par
hasard dans une école d'éducateurs et d'éducatrices Ecrit par Gérard
de Villiers, un auteur français d'extrême droite, la collection
Brigade Mondaine, comme les autres productions de cet auteur (notamment
SAS), met en scène du sexe, en général des viols commis par d'autres
hommes et des descriptions des amours sexuels du Héros ; du sang,
des meurtres décrits avec force détails ; un Héros, beau, guerrier,
félin_ et des femmes prêtes à lui succomber. Le tout enrobé d'une
vague intrigue policière dans un cas et d'espionnage dans l'autre.
Le succès est garanti. La vente se fait à des millions d'exemplaires
(un million d'exemplaires annuel environ pour Brigades Mondaines
et dans les quinze millions annuels pour SAS). Ce n'est donc ni
de la grande littérature, ni des _uvres marginales. Tous les livres
présentent des mises en scènes sexistes souvent "fascisantes" de
la différence des sexes. Si le but premier est l'excitation sexuelle
du lecteur, il ne fait aucun doute que ces livres sont aussi des
messages de réassurances produits par la maison-des-hommes.
Ce livre, et le résumé en donne plusieurs exemples, est en fait
un livre très politique. Il prouve bien aux hommes que l'homosexualité
féminine n'existe pas. Résistantes à la domination des hommes, les
homosexuelles attendent les sauveurs et les rédempteurs. Qu'on se
le tienne pour dit. En gros, les femmes lesbiennes sont, pour la
majorité des hommes, des femmes qui n'ont pas encore eu "la chance"
de rencontrer leur maître. A savoir, un homme, un vrai, qui sache
les éveiller aux joies de la sexualité (entendre de l'hétérosexualité).
Mâle, tel que tout homme pense pouvoir être. Les lesbiennes, comme
les célibataires sans enfants, sont symboliquement des vierges à
conquérir, des membres d'une réserve disponible pour qui sait y
accéder. A écouter les hommes ou à lire la pornographie, le défi
les intéresse vivement !
Quant aux attitudes homophobes des femmes face aux autres femmes...
Je n'en dirai rien, ou presque, le sujet reste à traiter dans
toute sa complexité.
Les témoignages des femmes sur les amours saphiques semblent
hétéroclites et diversifiés. Certaines femmes ne manifestent aucun
sentiment particulier vis à vis des homosexuelles. Elles ne sont
pas inquiètes de l'homosexualité féminine, elles ne se sentent pas
menacées. Pour d'autres, la vue -ou plutôt la connaissance- de femmes
homosexuelles pose question dans un autre ordre d'idées. Le fait
que ces femmes manifestent indépendance et autonomie par rapport
aux hommes semble inquiéter. Qu'elles soient physiquement la preuve
qu'il est possible de vivre des relations humaines en dehors du
cadre du mariage ou de l'union hétérosexuelle, d'être libres d'une
domination quotidienne par un homme, dérange. Et cela est d'autant
plus vrai, quand elles n'ont pas d'enfant, qu'elles n'en veulent
pas ou qu'elles semblent suggérer que la maternité n'est pas le
seul objectif des femmes. Ou pire, quand elles veulent des enfants
sans mari, quand elles ont la prétention de pouvoir, notamment par
insémination, se libérer du joug conjugal et en même temps profiter
des avantages de la maternité.
Les lesbiennes remettent en cause les certitudes que confère
aux femmes l'adhésion aux normes dominantes. En cela les modèles
féminins apparaissent aussi totalitaires et prégnants que les modèles
masculins.
Et l'homophobie des femmes contre les femmes n'est pas limitée
aux milieux de femmes réactionnaires ou antiféministes. A partir
de mes seules expériences personnelles, j'ai pu voir à plusieurs
occasions des femmes féministes demander à des lesbiennes d'invisibiliser
leur présence lors d'actions militantes, leur demander de cacher
leur appartenance à un groupe lesbien. Comme si leur orientation
sexuelle discréditait le discours féministe auprès_ des hommes ou
des médias. Les réactions semblaient suggérer qu'une lesbienne -et
d'autant plus une lesbienne féministe- représente une menace permanente
pour les autres femmes. Y compris pour les féministes dites hétérosexuelles
ou affichées comme telles.
Le fait de montrer que l'on peut vivre sans homme, sans être
une femme appropriée ou appropriable par des hommes, représente
sans conteste, une peur et une menace. Refuser que des femmes s'affirment
libres de certaines contraintes réservées aux dominées est une forme
d'homophobie. La recherche sur cet aspect de l'homophobie, comme
sur les aspects plus généraux de l'homophobie contre les femmes,
sont à poursuivre.
Homophobie et hétérosexisme
L'homophobie est un mode de gestion des rapports entre hommes,
et dans une mesure différente entre femmes. Partant, puisque les
personnes homosexuelles sont des hommes ou des femmes, c'est aussi
un mode de gestion de l'homosexualité masculine ou féminine. L'homophobie
particulière n'est donc qu'une conséquence de l'homophobie générale
apprise à tous les hommes et à toutes les femmes, indépendamment
de leur orientation sexuelle.
Les gais et les lesbiennes subissent pourtant une discrimination
spécifique. Au vu des témoignages recueillis, on serait même tenté
de dire des discriminations. Refus d'embauche, de baux de location,
rejet par les ami-e-s ou la famille, agressions_ Bref les exemples
ne manquent pas. Dès qu'une personne est repérée ou désignée comme
homosexuelle, dès qu'elle le revendique, elle est menacée. Et cette
violence, qu'elle soit physique (agressions), psychologique, verbale
ou sexuelle (viols) est partout omniprésente. Elles obligent les
gais et les lesbiennes à d'astucieuses stratégies de défense. Bien
entendu, cette violence s'exerce à l'égard de toutes les personnes
homosexuelles, désignées ou pas, repérées ou non.
Cette oppression peut-être qualifiée d'homophobie. "L'homophobie
décrit toute attitude ou tout comportement négatif face à l'homosexualité"
explicite un superbe document pédagogique publié par la Société
Canadienne du sida intitulé L'homophobie, l'hétérosexisme et le
sida. J'espère avoir montré comment cette définition est erronée
car incomplète. Elle représente, je l'ai dit, une synecdoque. Cette
définition s'applique à l'homophobie particulière et ne concerne
que les homosexuel-le-s repérés ou revendiqués. D'ailleurs la brochure
canadienne en donne elle-même deux exemples flagrants. S'adressant
à ceux et celles qui pourraient être sceptiques devant l'oppression
anti-homosexuelle, elle explique :"Lorsque vous vous servirez du
guide, pourquoi ne pas essayer certains choses qui rendraient cette
analyse plus réelle ? Par exemple, si vous n'êtes pas lesbienne
ou gai, essayez de vivre pendant une semaine comme une personne
reconnue comme lesbienne ou gaie : vous comprendrez mieux l'oppression
que ressentent les gais et les lesbiennes. " (p. 9). Plus loin,
elle explique que l'homophobie s'adresse "autant aux gaies et lesbiennes,
qu'à celles perçues comme telles" (p. 48).
Alors, me direz-vous comment définir l'oppression spécifique
que vivent les personnes homosexuelles ? Qu'elles soient connues
comme telles ou pas ? Qu'elles aient décidé de se cacher ou non
? Peut-être même que certain-e-s vont penser que les explications
précédentes sur l'homophobie brouillent les cartes. Au lieu de simplifier
un concept, je serais en train de l'embrouiller. Après tout, puisque
la plupart des autres textes ont défini l'homophobie par rapport
à l'homosexualité, pourquoi veut-on changer tout ça?
Quand il s'est agi d'oppression contre des personnes d'autres
races, on a nommé le racisme. Les racistes sont ceux et celles qui
pensent d'abord en races, qui les classent et qui ensuite sont persuadé-e-s
que leur race à eux/elles est supérieure. Quand, d'autre part nous
avons affaire à des oppressions qui stigmatisent le sexe biologique
d'une personne, on utilise le terme de sexisme. Sexistes sont les
personnes qui pensent d'abord en fonction du sexe biologique ou
social et qui estiment que le leur est supérieur. Dans le cas qui
nous préoccupe ici, l'oppression des personnes homosexuel-le-s découle
de la certitude qu'ont leurs détracteurs et leurs détractrices,
que l'hétérosexualité est supérieure. Ce phénomène est l'hétérosexisme.
On ne fait, me direz-vous, que rajouter un "isme" de plus à
la liste déjà fourni des néologismes. A qui la faute ? Certainement
pas aux personnes homosexuelles qui elles vivent cette oppression
comme étant très spécifique. L'hétérosexisme -et ici, nous adopterons
les définitions américaines- est la discrimination et l'oppression
basées sur une distinction faite à propos de l'orientation sexuelle.
L'hétérosexisme est donc aussi la "promotion incessante, par les
institutions et/ou les individus, de la supériorité de l'hétérosexualité
et de la subordination simultanée de l'homosexualité. L'hétérosexisme
prend comme acquis que tout le monde est hétérosexuel, sauf avis
contraire".
Bien que cet essai s'intéresse prioritairement à l'homophobie,
il apparaît utile de poursuivre un peu dans la description de l'hétérosexisme.
L'objectif est de montrer brièvement les différences qu'il y a entre
l'homophobie et l'hétérosexisme, montrer qu'ils sont deux paradigmes
de pensée imbriqués mais différents. Bref au lieu de brouiller les
cartes, les définitions fournies par la sociologie et l'anthropologie
des sexualités permettent d'interroger nos systèmes de penser et
de vivre le monde et ceci, bien au-delà de la sexualité elle-même.
Si on accepte la définition la plus courante de l'hétérosexisme,
on constate que ce terme peut caractériser ainsi toute attitude,
ou tout raisonnement, qui fait de l'orientation sexuelle un discriminant
central. En d'autres termes, le fait de distinguer dans la pensée
les homosexuel-le-s des autres, en faire une catégorie particulière,
voilà qui est hétérosexiste. Ne pas intégrer dans nos représentations
courantes les gais et les lesbiennes, les hommes qui font l'amour
avec d'autres hommes, les femmes qui font l'amour avec d'autres
femmes, constitue aussi une forme d'hétérosexisme.
Arrêtons-nous deux minutes : combien de nos manuels scolaires
présentent les amours entre hommes et/ou entre femmes ? Combien
de discours d'hommes ou de femmes politiques incluent les couples
où les partenaires sont du même sexe ? Où sont les lois qui donnent
aux conjoint-e-s homosexuel-le-s les mêmes droits que les conjoint-e-s
hétérosexuel-le-s ? Quels sont les hôpitaux qui offrent un lit à
côté du/de la malade quand le conjoint ou la conjointe est homosexuel-le
comme on le fait parfois pour les couples hétérosexuels ? Mais allons
plus loin. Peut-on aujourd'hui faire un reportage sur l'Afrique
du Sud sans parler de l'apartheid ? Expliquer la misère des pays
du tiers-monde sans parler du colonialisme qui les a épuisés, spoliés,
ruinés ? Parler des noirs américains, de leurs luttes pour l'égalité
des droits, sans parler de racisme ? Bien sûr que non. Dans nos
sociétés démocratiques, une fois un problème comme l'apartheid ou
le racisme identifié, ne pas le mentionner revient à en être complice.
Les homosexuel-le-s vivent pourtant des formes quotidiennes d'oppression.
Comment les aider et nous aider à vivre mieux ? A dépasser ces caricatures
de catégorisation sociale ? Ne pas mentionner les discriminations
vécues par les homosexuel-le-s revient à les cautionner. Faire comme
si le problème n'existait pas. Continuer à faire de l'hétérosexualité
la norme dominante ; c'est de l'hétérosexisme.
J'imagine déjà les réactions, les insultes, voire la menace.
Certain-e-s vont penser que le fait de parler librement de l'homosexualité
constitue une forme de prosélytisme, une sorte de publicité gratuite.
Il faut alors se poser deux questions :
- L'hétérosexualité est-elle si fragile que la mention d'autres
sexualités la fasse vaciller ?
- Pensons-nous sérieusement que rendre publique l'homosexualité
d'une partie de nos concitoyen-ne-s va venir changer le nombre d'hommes
et de femmes qui préféreront les relations avec des personnes du
même sexe ?
Pour l'instant il y a problème : justement parce que l'attirance
pour une personne de son sexe n'est ni une maladie, ni un quelconque
problème, mais bien un choix personnel, permanent ou non, un désir
non répressible mais qui doit pourtant être vécu dans le secret,
Si la société force les gens à vivre une telle attirance dans le
secret, bien des hommes et des femmes, vont se croire obligés de
tout faire pour mimer l'hétérosexualité, y compris se marier, faire
des enfants, les élever en famille nucléaire. Quand ils/elles découvrent
leur véritable attirance sexuelle, c'est souvent la catastrophe
pour eux/elles et leurs proches. Qui a intérêt à voir une sexualité
bafouée, une sensibilité cachée ?
A l'époque des droits de la personne, le modèle hétérosexiste
-relativement récent, structuré sur l'oppression d'une partie de
la population paraît bien dépassé. Non seulement il constitue un
frein à la prévention du sida, une véritable atteinte à nos libertés
collectives, mais le modèle hétérosexiste est une survivance d'un
régime de terreur et d'ordre moral où tout pouvait se faire (y compris
les abus multiples) à condition que ce soit bien enrobé dans le
secret.
Tant que l'homosexualité sera réprimée, ne pas avoir d'attitudes
hétérosexistes passe par faire de la sensibilisation aux formes
d'oppressions que vivent les hommes et les femmes qui choisissent
de vivre leur sexualité avec des partenaires du même sexe.
L'homophobie masculine
contestée
Cette dernière partie examine comment se modifient nos représentations
collectives actuelles de l'homophobie masculine. Je laisse à d'autres
le soin d'expliquer les transformations de l'homophobie au féminin.
J'aimerais inscrire cette question au sein des débats auxquels je
participe depuis plusieurs années sur l'évolution des hommes reconnus
comme antisexistes ou proféministes.
Les luttes menées par les mouvements gais, l'apparition du sida,
le brouillage des codes provoqués par la modernité et la diffusion
du féminisme, voilà autant de facteurs qui bouleversent quelque
peu les cartes de cette homophobie collective. Tout se passe comme
si plusieurs processus venaient agir en superposition. D'un côté,
on assiste depuis près d'un quart de siècle à des luttes égalitaristes
d'hommes et de femmes qui, à l'instar d'autres "minorités" (les
noirs, les beurs_) réclament des droits. Les gais s'organisent en
lobbies pour les obtenir. Mais on voit aussi plus récemment apparaître
de nouvelles tendances modernistes au sein des états industrialisés
; tendances qui prônent certaines formes de gratitude envers les
mouvements homosexuels pour l'efficacité de leur lutte contre le
sida. "Ils ont payé à la maladie un tribut si élevé" entend-on quelquefois.
De plus, compte tenu de la forme majoritaire de contamination au
sein des sociétés industrialisées, ainsi que la nécessaire collaboration
des homosexuels (qu'ils soient ou non désignés, repérés ou revendiqués),
les pressions sont fortes pour que les Etats modernes facilitent
l'intégration normative de ce mode de vie. On en mesurera sans doute
les effets dans quelques années.
De l'autre côté, on ne peut nier qu'on subit les effets du féminisme
et de la post-modernité. Non seulement les catégories usuelles pour
penser le monde, du moins celles héritées de l'époque moderne, commencent-elles
à perdre leurs sens, mais le modèle de l'homme viril et homophobe
est de plus en plus dénoncé en tant qu'expression du machisme et
de la domination masculine à l'égard les femmes.
L'homophobie, qu'elle soit ou non particulière, devient donc
un obstacle à l'évolution des hommes. Et partant, à l'évolution
des rapports hommes/femmes. Elle représente un anachronisme dans
la marche vers l'égalité des sexes voulu par les féministes et les
hommes antisexistes, qu'ils soient gais ou non.
On voit alors se développer différents discours qui transforment
l'homophobie.
L'homophobie libérale :
L'homophobie libérale a à voir avec l'acceptation croissante
de l'homosexualité. A condition qu'elle soit enrobée d'un discours
-on pourrait dire une sauce- sur la différence. C'est un peu le
même genre de discours que l'on retrouve dans l'ensemble des propos
racistes, antisémites ou xénophobes_ D'une part, souvent, on affirme
en connaître, avoir de très bon-ne-s ami-e-s homosexuel-le-s, ou
"ne pas être géné-e-s" par l'homosexualité ; de l'autre l'accent
est mis sur la différence. D'autre part, la différence d'orientation
sexuelle est érigée en différence ontologique et téléologique. Elle
résume tout. Elle explique et justifie tout. Le "monde" homosexuel
est alors décrit comme une partie "différente" du social, un monde
composé de personnes qui par essence sont différentes du locuteur
ou de la locutrice. Ce style de propos tenus sur la différence d'orientation
sexuelle, ne relève ni de l'indifférence, ni de la déférence, mais
consiste plutôt en une classification normative où le modèle du
locuteur ou de la locutrice est considéré comme normal/général/ordinaire.
Les pratiques homosexuelles apparaissent alors comme un sous-produit
minoritaire de ce monde-là. Les personnes homosexuelles sont acceptées
à la condition qu'elles aussi acceptent d'entrer dans la partition
du social que propose le discours homophobe sur la différence.
Bien évidemment l'homophobie libérale, parce qu'elle est construite
sur la différence, ne propose aucun lien entre homosexualité et
construction hiérarchisée des genres. Aucune articulation entre
homophobie et domination des femmes. Aucune passerelle entre virilité
obligatoire et homophobie particulière. Bien au contraire, l'homophobie
libérale affirme dans ses prémisses que l'homophobie est une question
limitée à la sexualité et que la nature demeure tout de même fondamentalement
hétérosexuelle.
Réduire l'homophobie à la sexualité des gais et des homosexuelles,
quelles que soient les positions idéologiques sur le patriarcat
et la domination des femmes (cette homophobie libérale se retrouve
souvent dans le discours antisexiste) ne permet pas de déconstruire
la hiérarchisation des genres. Au contraire cela limite la prise
de conscience et les changements des hommes et des femmes.
Homophobie et
domination masculine
Nous avons vu jusqu'à quel point homophobie et domination des
hommes envers les femmes sont intimement liées. L'homophobie est
le garant, chez les hommes, de la domination sur les femmes en structurant
les rapports homme-s/homme-s à l'image hiérarchisée des rapports
homme-s/femme-s. On a pu entrevoir dans cet article, le prix que
doivent payer les hommes pour obtenir les privilèges inhérents aux
rapports sociaux de sexe actuels.
Déconstruire les rapports de domination hommes/femmes, supprimer
les prisons du genre (Hurtig, Pichevin, 1986) passe par dévoiler
l'ensemble de ses composantes, y compris l'homophobie. Mais encore
faut-il pour ce faire, que les hommes et notamment les hommes-chercheurs
que nous sommes, acceptent de rompre avec l'androcentrisme. Et faut-il
aussi, collectivement tant hommes que femmes, dépasser l'éternel
débat sur l'aliénation des hommes, débat qui traîne comme un vieux
serpent de mer dans la littérature féministe et proféministe. Que
celle-ci soit produite par les femmes ou par les hommes.
Nous allons reprendre ces questions une à une.
L'androcentrisme
Je sais qu'à la lecture de ce qui précède de nombreuses femmes
seront étonnées. La plupart d'entre-elles n'ont jamais eu connaissance
des mécanismes de construction du masculin. Elles n'ont jamais imaginé
que les agressions fréquentes qu'elles subissent de la part de certains
hommes ont d'abord été vécues et expérimentées au sein même de la
communauté masculine, et ce, par les hommes eux-mêmes. Car même
de nature différente, les violences homophobes et les violences
contre les femmes sont complémentaires. Quant aux hommes, plusieurs
découvrent également avec stupéfaction, qu'ils ne furent pas les
seuls à subir les abus liés à l'éducation masculine.
Les rapports de domination sont fondés sur l'existence d'un
secret collectif que partagent à des degrés divers les dominants.
Secret dont la révélation dans nos contrées, contrairement à d'autres
ethnies (Godelier, 82), n'entraîne pas de mise à mort, mais une
somme de représailles diverses. Dans L'Arraisonnement des Femmes
(1985 : 212), Nicole-Claude Mathieu note avec raison que, dans bon
nombre de sociétés, la connaissance des faits et des idées sur la
domination n'est pas partagée : "hommes et femmes ne reçoivent en
partage [_] ni la même quantité, ni la même qualité d'informations
sur les connaissances, les représentations et les valeurs [_] De
plus, l'information serait-elle théoriquement "la même", l'expérience
vécue n'en est pas la même de part et d'autre de la barrière."
Qui donc, à part les hommes et les hommes-chercheurs en particulier
(qui composent la majorité de la communauté scientifique), peut
permettre de rompre ce secret collectif et d'en approfondir les
termes ? Encore faut-il, pour ce faire, quitter l'androcentrisme.
L'androcentrisme, a été partiellement défini par Molineux en
1985 comme "la tendance à exclure les femmes des études historiques
et à accorder une attention inadéquate aux rapports sociaux dans
lesquels elles sont insérées". En 1992, dans l'introduction au numéro
spécial du Bulletin d'information et d'Etudes Féminines consacré
aux hommes et au masculin, nous étendions avec Marie France Pichevin
cette définition :" L'autre face de l'androcentrisme est la tendance
qui consiste à participer d'une mystification collective visant
pour les hommes à se centrer sur les activités extérieures, les
luttes de pouvoir, la concurrence, les lieux, places et activités
où ils sont en interaction (réelle, virtuelle ou imaginaire) avec
des femmes, en minorant, ou en cachant, les modes de construction
du masculin entre hommes."
Or, effets de l'androcentrisme, antisexisme et dénonciation
de l'homophobie ne sont pas encore forcément lié-e-s. J'en donnerai
un exemple pour essayer ensuite de comprendre les effets que produit
cette dissociation.
Des hommes
antisexistes et homophobes
Les luttes féministes ont permis que des hommes commencent à
prendre leurs distances face aux idées et préjugés sexistes qui
forment le corpus des informations reçues dans la maison-des-hommes.
Et ceci, tant dans leurs réflexions intellectuelles, dans les interventions
sociales, que dans leur vie quotidienne.
Certains, dès 1975 en France et 1979 au Québec, ont forgé parallèlement
aux groupes de conscience féministes, des "groupes d'hommes" pour
réfléchir "avec leurs mots à eux" aux effets de la domination masculine
sur eux-mêmes et sur leurs proches. Si quelques-uns ont expérimenté
des contraceptions masculines, d'autres -la plupart- ont approfondi
ce que pouvaient être de nouveaux rapports entre hommes, entre hommes
et femmes. Des relations où ils ont découvert tout à la fois la
tendresse entre hommes et des rapports qui leur montraient qu'il
est possible, en dehors des luttes permanentes pour être le meilleur,
de vivre autre chose entre hommes, comme entre hommes et femmes.
J'ai qualifié, après d'autres, ce mouvement de masculinisme, (Pierre,
1980 : 8 ; Welzer-Lang, 1986 ; Dorais, 1988, 1991) en refusant de
laisser la primeur de ce terme aux groupes d'hommes réactionnaires
et sexistes, aux pères divorcés revanchards qui étendent un conflit
non résolu avec leur ex-conjointe à l'ensemble des femmes.
Par la suite, délaissant un peu l'intimité des groupes d'hommes,
quelques pionniers ont ouvert des centres pour hommes violents.
"Puisque nous, hommes ordinaires, nous avons pu grâce à des ruptures
de modèles, changer et vivre un questionnement féministe et masculiniste,
pourquoi d'autres hommes ne le pourraient-il pas ?" semblaient dire
ces intervenants. A la même époque ou un peu avant, mais dans des
lieux distincts, des hommes et des femmes, revendiquaient leur homosexualité
et créaient le "mouvement gai". Dès 1970, en France, le Front Homosexuel
d'Action Révolutionnaire essayait de sensibiliser les hommes et
les femmes sur l'hétérosexisme.
Par la suite, mais sans en déployer l'intégralité du sens que
je développe ici, témoignages et écrits ont dénoncé ce que l'on
peut qualifier d'homophobie particulière. Mais l'analyse critique
de l'homophobie et de la domination des hommes ont rarement été
liées dans les analyses produites par les hommes qui se réclamaient
de l'antisexisme. Au mieux, devant la pression que représentait
le mouvement gai, l'homophobie libérale a pu voir le jour. Comme
je l'ai décrit précédemment, on soutenait les revendications des
homosexuels, mais en s'arrangeant pour montrer qu'on n'était pas
concerné. Qu'on n'en est pas. L'homophobie est le problème des gais.
Point. Fermez le ban.
Par exemple, dans certains groupes d'accueil pour hommes violents,
ou bien on refuse d'accueillir des hommes homosexuels qui ont des
problèmes à régler avec leurs violences sous prétexte de spécificité,
ou bien on les isole. "Tu comprends, les hommes violents ne comprendraient
pas" ai-je pu entendre. Et dans tous les cas, on semble limiter
l'intervention sur les hommes violents à la reprise des thèmes féministes.
En aucun cas, on ne lie homophobie et domination masculine. Pire,
il arrive qu'on (re)joue la "guerre des hommes" entre intervenants
en s'invectivant publiquement -entre hommes- à propos des positions
"correctes" ou "incorrectes" vis à vis des femmes.
Certaines questions doivent être posées clairement. Qu'en est-il
dans les programmes pour hommes violents, et pour les intervenants
de manière personnelle, des positions, des attitudes, des comportements
vis à vis des hommes ? Des attitudes homophobes dont la première
semble être de (se) prouver qu'on est le meilleur, le plus proféministe
? On n'en parle pas. On a même l'impression que les hommes ont trouvé
une nouvelle manière de continuer à parler -entre eux- des femmes
sans jamais s'impliquer personnellement dans le discours. Loin de
moi, j'espère qu'on l'a compris, un quelconque procès d'intention
ou l'idée d'opposer aliénation des hommes et oppression des femmes.
Ce sont les deux faces de la même médaille, celle où un genre domine
l'autre. Quel crédit peut-on en effet accorder à des hommes qui
changent, ou prétendent changer, uniquement par rapport aux femmes
? Dans la mesure où la construction du masculin n'est pas remise
en cause de manière fondamentale, je serais tenté d'y voir des changements
cosmétiques, des variations discursives. Des discours qui alimentent
des luttes de pouvoir. "Chassez le naturel, il revient au galop"
écrivait Destouches.
Pour en comprendre le sens, il faut établir un parallèle avec
le féminisme. Le discours sur la domination des femmes tel que produit
par le mouvement féministe, contrairement à une vision simpliste
et réductrice, a souvent été difficile à accepter par de nombreuses
femmes. En mettant parfois en exergue des éléments centraux qui
structurent et constituent le quotidien des femmes, des féministes
ont pu même paraître menaçantes aux yeux de certaines femmes. N'oublions
pas que chaque rapport de domination consent des bénéfices secondaires
aux personnes dominées. Remettre en cause leur propre situation
de personne dominée a nécessité, pour bien des femmes, de perdre
leurs illusions sur leur pouvoir dans la maison, d'abandonner les
"bénéfices" de la protection des hommes, d'accepter de se vivre
comme êtres autonomes. Du côté des hommes, tout semble se passer
aujourd'hui comme si certains d'entre eux acceptaient -sous la pression-
de "perdre" pour partie leurs privilèges par rapport aux femmes,
et donc de gagner d'autres modes de relations possibles. Mais en
même temps, tout se passe comme si certains voulaient quand même
garder les privilèges conférés par l'homophobie. Les discours de
déférence ou d'allégeance aux femmes et/ou au féminisme ne suffisent
pas pour changer le rapport au monde.
Aliénation
des hommes et oppression des femmes
Certains débats paraissent tenaces. Je lisais encore dernièrement
un article américain, écrit par un homme, qui essayait de prouver
que les hommes ne sont pas dominés. D'autres vont rechercher désespérément
des extraits de textes liés à la petite histoire des groupes d'hommes
antisexistes pour nous montrer que les hommes incriminés (accusés
?) ont -un jour- parlé de domination des hommes. La cause est entendue,
les hommes dominent les femmes et ceux-ci sont aliénés par les effets
de leur propre domination. La sociologie académique commence même,
très timidement il est vrai, à reprendre ces thèmes (Bourdieu, 1990).
Nous l'avons vu, la maison-des-hommes enseigne une logique de
gestionnaire, une échelle coûts/bénéfices pour visionner et appréhender
le social. La domination des femmes accorde au groupe des hommes
des privilèges collectifs, et le groupe rétrocède à chaque homme
des privilèges individuels : être servi et avoir une compagne soumise,
avoir pour ses enfants une mère qui veille à leur éducation, bénéficier
des emplois les mieux payés, pouvoir disposer sexuellement des femmes
à sa guise -les culpabilisant même parfois individuellement pour
chaque situation d'abus qu'elles subissent-, utiliser à son service
les hommes considérés comme plus faibles. Bref, dominer et contrôler
le monde, femmes et enfants compris.
Une telle situation possède sa propre contrepartie. Rien n'est
gratuit en ce bas monde, tout se paye et interagit. Pour être détenteur
des privilèges masculins, l'homme doit prouver et réaffirmer sans
cesse son appartenance au groupe. Il doit montrer qu'il est capable
de veiller sur les intérêts masculins, de les capitaliser et de
les faire fructifier. Cela passe, en grande partie, par l'homophobie
que l'on peut alors comparer au rejet des hommes-traîtres.
L'évolution des hommes
Les processus par lesquels les hommes évoluent méritent un temps
d'analyse. Certains le font par obligation. Quand par exemple un
tribunal les oblige à suivre une thérapie dans un centre pour hommes
violents, ou quant ils sont envoyé en prison ; lors d'une période
de chômage, quand l'homme perd son statut de pourvoyeur, lors d'une
longue maladie_ Dans ces moments, les relations conjugales doivent
s'adapter aux nouvelles réalités sociales vécues par l'homme et
la femme. Lorsque la menace cesse (peut-on mettre un-e policier-e
derrière chaque homme ?), quand les conditions économiques redonnent
à l'homme son statut central dans la famille, si les ruptures de
modèles sexués ne sont que superficiels, il y a de fortes chances
que les changements s'estompent.
On mesure ici les limites des interventions répressives.
D'autres hommes changent parce qu'ils sentent que les conditions
sociales et journalières de la domination deviennent dépassées.
Quand les femmes qu'ils aiment sont autonomes, affirmatives et revendicatrices
-et c'est souvent parce qu'elles sont ainsi qu'ils les aiment- il
devient alors difficile d'exiger les privilèges de la domination
domestique. Cela paraît antagonique avec la relation. Dans d'autres
cas, les hommes décident de vivre seul, d'assumer entièrement leur
autonomie.
Certains de ces hommes, en critiquant une partie du modèle masculin
appris dans la maison-des-hommes, ont -homophobie oblige- réalisés
qu'ils sont amenés à remettre en cause l'entièreté du modèle dominant.
Tout porte à croire, dans l'état actuel des travaux effectués dans
par notre groupe de recherche à Lyon, que le masculin apparaît comme
un genre totalitaire. Qu'un début de remise en cause des injonctions
sociales, dans les répercussions négatives qu'elle produit, pousse
les hommes concernés à étendre leurs remises en causes à d'autres
prescriptions de genre , ce que certain-e-s appellent rôles. Parmi
les hommes que j'ai rencontrés, il en est ainsi pour ceux qui ont
critiqué le militarisme (notamment en France), le sexisme de l'église,
également pour ces hommes qui ont voulu vivre leur homosexualité_
Comment faut-il comprendre ces évolutions ? Pourquoi surgissent-elles
précisément aujourd'hui ? Quand on perd en partie les privilèges
liés à la domination des femmes, on a tendance à en comptabiliser
les coûts, d'abord pour soi, ensuite pour les autres. Face à l'évolution
des femmes, face aussi aux remises en cause des modèles masculins
homophobes par les gais, les hommes s'adaptent. Une nouvelle esthétique
du masculin semble alors se faire jour. Et dans cette dynamique,
certains traits caractéristiques du masculin deviennent autant d'obstacles
qu'il faut franchir pour vivre selon sa nouvelle éthique. Pensons
à la solitude des hommes : le fait de ne pas parler de soi et de
ses émotions alors qu'on vit avec ses proches une relation basée
sur l'échange interpersonnel permanent. Le fait d'avoir une sexualité
limitée à un axe "tête-queue", quand on découvre que toutes les
parties du corps peuvent devenir sources de plaisirs. Etre obligé
de faire un travail ennuyant et harassant pour des bénéfices mineurs
; de ne pas pouvoir passer suffisamment de temps avec ses enfants_
D'ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux les hommes qui
se rendent compte aujourd'hui de l'intérêt qu'il y a à changer.
Devant l'évolution des rapports sociaux de sexe, les hommes adultes
sensibles, fins et délicats sont recherchés par une frange croissante
de personnes. Des femmes qui veulent vivre différemment et des hommes
qui ont vécu des ruptures de modèles. Bien sûr, dans un système
patriarcal et viriarcal, tant que la domination masculine perdure,
l'homme reste un dominant -et ce n'est pas un jugement moral- .
Le genre masculin demeure qu'on le veuille ou non, celui qui bénéficie
des privilèges. Preuve en est l'écart permanent qui demeure entre
les salaires. Qu'on pense aussi au risque d'être agressé-e dans
la rue, qu'on soit ou non maquillé-e, ou habillé-e de manière classique.
La question n'est pas là. Mon propos n'est pas ici de vouloir symétriser
entre hommes et femmes une situation qui est structurellement différente.
Mais tous les hommes ne changent pas de cette façon. Il en reste
encore beaucoup qui n'ont pas -encore- eu la chance d'être confrontés
à une rupture de modèles. Ceux-là ne semblent pas avoir remarqué
l'intérêt personnel et collectif qu'il y a à changer leurs perceptions
du sensible. Ce sont précisément ceux que mon ami Michel Dorais
qualifie d'hommes désemparés (1989). D'autres ne veulent tout simplement
pas perdre les privilèges conférés au masculin. Sexistes et homophobes,
ils s'en portent très bien. Certains d'entre-eux, arguent sur le
parallèle hommes/femmes. Ils prennent à témoin les taux de mortalité
masculine (âge moyen de la vie), les taux de suicide masculins,
les accidents de travail_ pour prétendre une pseudo-symétrie entre
la situation des hommes et celle des femmes. Certains vont même
jusqu'à en déduire qu'entre hommes et femmes, ce sont les hommes
qui sont les plus malmenés. Ils opposent oppression des femmes et
aliénation des hommes. Comme si les premières étaient responsables
de l'état des seconds.
Autrement dit, les hommes changent. Ne pas l'admettre relève
de la myopie sociale, Toutefois les analyses des changements masculins
ne sont pas aussi simplistes que ne le pensent certain-e-s auteur-e-s.
Notamment, j'espère l'avoir montré, nous devons aujourd'hui intégrer
la critique de l'homophobie dans la déconstruction du masculin.
L'homophobie, un gisement pour penser les rapports sociaux de
sexe du côté des hommes
J'aimerais conclure par une métaphore. Du côté des hommes, l'homophobie,
sa compréhension, sa critique, représente certainement un lieu très
privilégié, un gisement sans précédent pour comprendre et penser
notre état et nos changements.
En effet, la plupart du temps il y a un cloisonnement étanche,
une barrière, entre les réflexions sur les rapports hommes/femmes
et les réflexions sur les rapports hommes/hommes. D'un côté, les
hommes ne se situent que par rapport aux revendications et aux aspirations
des femmes et/ou des féministes ; de l'autre, le questionnement
face à l'homophobie est souvent limité à se positionner par rapport
à l'homosexualité. Produits par des mouvements sociaux différents,
les groupes antisexistes et les groupes gais, les critiques des
attitudes oppressives des hommes ne sont pas articulées autour de
l'identité masculine ou de la construction du masculin. Elles sont
plutôt centrées sur un segment des représentations et des pratiques
masculines. L'analyse de l'homophobie ouvre des nouvelles perspectives.
Par exemple, il est remarquable de voir les différences d'attitudes
qu'adoptent les hommes dans les conférences sur le masculin. Tant
que celles-ci traitent de la violence domestique, de l'analyse anthropologique
du masculin, des rapports hommes/femmes, les hommes viennent et
posent des questions, mais leur attitude demeure souvent centrée
sur des préoccupations qui semblent extérieures à eux-mêmes. Bien
évidemment, les hommes modernes et progressistes sont contre les
violences faites aux femmes, contre le sexisme. Mais ces thèmes
ne vont pas "chercher les hommes" dans leur intimité. La plupart
du temps les hommes adoptent à leur égard des attitudes défensives.
Ils se définissent par la négative : "Je ne suis pas un macho_Je
ne suis pas sexiste_" peut-on entendre entre les phrases. Le discours
des hommes, même entre eux, paraît encore médiatisé à travers le
discours sur les femmes.
Quand on intègre l'homophobie et les questions que je viens
de développer, les réactions sont alors bien différentes. Les hommes
se sentent touchés. Les exemples leur rappellent à tous des souvenirs
douloureux, des formes enfouies, oubliées par lesquelles ils sont
passés. La critique de l'homophobie leur donne des clefs pour comprendre
comment on a fait d'eux des hommes. Pour leur faire réaliser le
prix des renoncements auxquels il a fallu s'habituer. Pour saisir
comment nos sociétés structurent les rapports hommes/hommes à l'image
hiérarchisée des rapports hommes/femmes.
Il nous reste donc à exploiter ce gisement, à étayer les planches
et les galeries qui nous permettront d'approfondir notre compréhension
de la construction du masculin et des changements qui sont en cours
du côté des femmes, et du côté des hommes. Les recherches empiriques
doivent se poursuivre.
Ainsi, il faut maintenant analyser comment fonctionne l'homophobie
dans les institutions masculines, affiner de manière ethnographique
les connaissances sur les structures de la maison-des-hommes_ Nous
n'en sommes encore qu'à l'aube des recherches sur le masculin.
Les hommes ne parlent pas. Ou si peu. Nos études sont encore
exploratoires. Il faut connaître davantage les rapports qu'il y
a entre les abus vécus par les hommes au sein de la maison-des-hommes
et la reproduction de ces abus sur les femmes et les hommes. Il
faut situer les places de l'homosexualité et de l'homosocialité
dans l'homophobie. Quelles sont les articulations précises entre
ces trois réalités ? Le moment est venu de commencer à faire l'histoire
des hommes, pour abandonner l'histoire de l'Homme où sont effacé-e-s
le genre des personnes et les remises en cause des assignations
de rôles. De la même façon, comment faire l'économie de l'étude
de l'homophobie politique et de l'homophobie en politique. On le
voit, la route est longue et le gisement est riche de sens à approfondir.
Ensuite il faudra penser à l'intervention sociale. Que faire
contre l'homophobie ? Quelles politiques mettre en place ? Quelles
interventions sociales produire ?
Difficile pour un chercheur de se faire conseiller. Je ne cesse
de le répéter à travers les différents thèmes que j'ai pu aborder
dans mes travaux. J'ai déjà maintes fois décrit les difficultés
de la tâche. Au mieux pouvons-nous essayer de tirer quelques pistes
que d'autres spécialistes, intervenant-e-s de terrain ou militant-e-s
pourront approfondir.
L'homophobie est un problème politique. Au sens le plus profond
que peut prendre ce terme. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour
éradiquer la domination des femmes et l'aliénation des hommes ?
On comprend l'étendue de la question. A moins qu'on doive la formuler
autrement : quelles devront être les luttes sociales des femmes,
des hommes, homosexuel-le-s ou non, qui nous obligeront à changer
profondément dans les décennies à venir ?
Annexe : un exemple de littérature masculine
sur le lesbianisme
ou
Comment les Mâles -les vrais- guérissent les lesbiennes
Dans le numéro 41 de la série brigades mondaines, écrite par
Gérard de Villiers, intitulé La princesse des catacombes,
l'inspecteur Boris Corentin mène l'enquête sur le meurtre particulièrement
sadique perpétré contre deux jeunes et jolies femmes dont l'auteur
nous avait décrit auparavant les ébats sexuels. En compagnie de
l'amie (fidèle) de l'une des deux, il cherche à identifier les assassins.
Après divers détours et contours dans les catacombes de Paris, il
les trouve, en tue certain-e-s et envoie les autres en prison. On
le voit, l'intrigue est des plus classique. Merci la police !
Au départ, on vous offre une description du héros idéal : "Deux
yeux très noirs, brûlants d'intelligence, de force, de bonté [_]
une mâchoire virile aux maxillaires parfaitement symétriques qui
aurait pu paraître dure si l'ensemble du visage n'avait pas été
baigné, en fait, par une intense expression de bonté et de tendresse.
[_] Un athlète qui avait passé depuis longtemps le cap des 35 ans
[_] Un parfait sosie d'Alain Delon. [_] quatre-vingt-cinq kilos
de muscles, un mètre quatre-vingt-cinq. Un grand fauve toujours
en chasse_(pp 55-56) Un physique de Dieu grec (p.86) ."
En chemin, vous avez droit à une dizaine de descriptions de scènes
de viols de femmes réalisés par les "méchants" (pp 50, 115, 121,
135, 147, 196) à l'aide d'objets contondants et énormes (pp. 48,
49, 120, 135), voire réalisé par une femme (pp 119, 135). Le tout
agrémenté de scènes de tortures sur les femmes (pp 49, 135).
Les rapports au lesbianisme ? C'est que l'amie de la victime
est lesbienne. Nous avons donc droit au départ de "l'_uvre" à une
description d'amours lesbiens (pp 28-29) et par la suite l'ensemble
du livre porte sur la "rédemption" de ce "garçon manqué" (p.88)
qu'est Marianne. Après qu'elle eût avoué (p. 89) son lesbianisme,
l'auteur nous en explique les raisons. Si elle est homosexuelle,
c'est qu'elle n'a jamais rencontré d'homme comme le héros : "Vous
n'êtes pas comme les autres, dit Marianne d'une voix lourde de regrets.
Pourquoi les autres hommes ne vous ressemblent pas ? Pourquoi n'ai-je
jamais rencontré que des_ que des_" (p.92). L'inspecteur principal
Boris Corentin comprend. Il comprend tout et la prend sous sa protection,
chez lui. D'ailleurs ça tombe très bien, lui vieux célibataire endurci,
correct, différent des images mythiques des violeurs ["Les femmes
ne sont pas un problème pour moi. Autrement dit, je ne suis pas
en manque [_] je ne vais pas me transformer, sur les douze coups
de minuit, en violeur_ " p. 93]. Il manque seulement de femme
d'intérieur. Elle, comme toutes les femmes, aime ça : "Je me
sens brusquement une vocation de femme d'intérieur, laissa-t-elle
tomber rêveusement" (p.94). Vingt pages plus tard, et quelques
attouchements en plus, elle commence à guérir :
- "Tu n'es pas trop déçu ? murmura-t-elle. C'est tout ce
que je peux faire pour le moment, tu sais. Peut-être que je finirai
par <<guérir>> avec toi. Qui sait ?
-"Boris repensa à la fellation merveilleuse qu'elle venait
de pratiquer. Toute en virtuosité. Pour une novice de l'hétérosexualité,
elle était douée_" (p.112).
Après des efforts désespérés ("Il comprit tout de suite les
efforts désespérés qu'elle faisait pour se rapprocher de lui. Pour
le désirer autant qu'elle avait pu désirer des femmes, jusqu'à présent_"
p.134), elle arrive à dépasser ce qui créait son homosexualité,
à savoir la haine des hommes ("Sa vieille méfiance, sa sourde
haine pour les hommes s'en allaient lentement jour après jour, grâce
à Boris" p. 136). Et alors, à son tour, elle comprend. Elle
comprend tout. La sexualité et les hommes et les rapports qui les
lient ("Elle ne comprenait pas qu'une femme puisse <<s'abaisser>>
à des caresses qui, à ses yeux, représentaient le comble de l'humiliation.
Maintenant elle comprenait. Et même, elle comprenait qu'elle avait
perdu énormément de temps à considérer tous les hommes comme d'abominables
brutes, des ennemis héréditaires" p. 137).
Et la guérison progresse. Au même rythme que la soumission de
Marianne à ce beau mâle : "Mon corps est à toi _ [_] Tu sais,
dit-elle, je sens que je suis presque complètement guérie. Bientôt,
tu pourras faire de moi ce que tu veux" (p. 138). La Rédemption
arrive avec la première pénétration :
" Viens dit-elle, tout de suite. N'aie pas peur. J'ai besoin
que tu me_
Elle prononça le mot. Un mot qui lui avait fait longtemps
horreur, qui lui semblait être le signe éclatant et scandaleux de
la domination de l'homme sur la femme. Mais qui lui apparaissait
plus, à présent, comme le symbole d'une merveilleuse soumission
voulue et consentie" (p. 170).
Une fois "convertie" ("convertie lentement à la sexualité
de la majorité des hommes et des femmes" p. 178), à l'aide du
Super-Professeur-Héros, elle progresse très vite ("Elle refaisait
toute son éducation sexuelle en accéléré" p. 187). A travers
le danger, les scènes de tortures, de viol (qu'elle subit elle aussi),
il/elle profitent de leurs quelques moments de liberté pour faire
l'amour.
Puis vient le temps de la séparation, des bilans, cet homme
de qui "elle avait peu à peu appris l'amour' (p.216), avec
qui elle avait vécu "le bonheur, le vrai, le normal" (p.217),
cet homme, elle devait le quitter.
"Tu vas me dire si j'ai été une bonne élève" murmura-t-elle
à la dernière page du livre avant de faire une dernière fois l'amour.
Je dis "faire l'amour", mais les descriptions feraient plutôt
penser à l'installation d'un chapiteau de cirque, quand il faut
cogner, frapper les pics pour monter et tendre la toile. Jugez-en
par vous même : "un épieu de chair se cabrait en forçant l'anneau
brûlant et étroit qu'elle lui offrait", "du bélier qui la
perforait" (p.62). "Les coups de boutoir _qui la transperçait"
(p.83) ; "En le sentant entrer, gonflé à éclater comme un bélier"
(p.104)_
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