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Origine :
http://www.cndp.fr/archivage/valid/72765/72765-11336-14412.pdf
Pour s’orienter dans les questions d’éducation,
nous sommes tenus de partir d’une donnée apparemment
triviale, mais néanmoins capitale : si l’homme naissait
aussi achevé que les autres animaux, il n’aurait nul
besoin d’éducation puisqu’il trouverait en lui-même
(dans ses instincts) les moyens de faire face au monde.
Il vivrait alors comme vivent les autres animaux, quasiment prêt
à la naissance, après un maternage minimal, à
affronter le monde. Or ce n’est pas le cas de L’homme.
L’homme naît notoirement inachevé. On peut mentionner
à l’appui de ce constat une série non exhaustive
de traits significatifs: il vient au monde avec des cloisons cardiaques
non fermées, il se caractérise par l’immaturité
post-natale de son système nerveux pyramidal, par l’insuffisance
de ses alvéoles pulmonaires, par sa boîte crânienne
non fermée, par ses circonvolutions cérébrales
à peine développées, par son absence de pouce
postérieur opposable, par son absence de système pileux,
par son absence de dentition de lait à la naissance, par
son développement sexuel en deux temps marqué par
une longue période de latence et par son long maternage…
Je dirais sans ambages qu’il me semblerait difficile de philosopher
sur l’éducation sans partir de cette condition matérielle
déterminante, puisqu’elle commande deux conséquences
décisives.
La première est d’une grande portée anthropologique:
c’est parce que l’homme naît inachevé qu’il
lui faut adjoindre à cette nature incomplète un bout
de culture.
La seconde a trait à l’histoire: ce bout de culture,
qui doit nécessairement être ajouté à
la nature incomplète de l’homme, varie selon l’histoire.
LA NÉOTÉNIE, L’ÉDUCATION, LE
SOUVERAIN
Aujourd’hui, cette condition organique de l’homme qui
détermine des nécessités spirituelles nous
a été rendue concevable grâce à la théorie
de la prématuration spécifique de l’homme qui
s’est progressivement constituée au cours du xxe siècle,
de l’anatomiste hollandais Louis Bolk1, son inventeur, au
grand biologiste et paléontologue américain récemment
disparu, Stephen Jay Gould, bien connu en France par ses travaux
de grande diffusion2. Cette théorie qui pose que l’homme
naît incomplet, prématuré, est connue sous le
nom de néoténie – du grec néo, nouveau,
et du verbe tenein, qui réfère à ce qui se
prolonge. La néoténie, ce serait donc du nouveau,
du pas fini qui se prolonge. D’où l’idée
qu’il faut bien achever dans la culture ce qui n’est
pas achevé dans la nature.
Cette théorie a été mise à profit par
toute une série de penseurs au cours du xxe siècle:
Freud (qui construit toute sa théorie sur ce développement
sexuel en deux temps), Wallon, Lacan (qui, dès son fameux
stade du
miroir et tout au long de son enseignement, fera référence
à la prématuration spécifique de l’homme),
sans oublier des penseurs aussi différents que Gehlen, Agamben,
Lapassade, Lyotard et plus récemment Sloterdijk. On comprend
pourquoi: cette théorie de la néoténie permet
de penser les rapports entre la nature inachevée de l’homme
et la nécessité de la culture et de l’éducation,
lesquelles viennent, en quelque sorte, suppléer symboliquement
à ce manque originaire.
Cependant, toutes les conséquences de la néoténie
de l’homme n’ont pas encore été tirées.
J’ai cru pouvoir montrer dans On achève bien les hommes3
que l’on pouvait utiliser cette théorie issue de l’histoire
naturelle pour penser l’obligation où se trouve l’homme
de placer, au centre de la culture qu’il doit bien se donner
pour survivre, des êtres surnaturels auxquels ce sujet en
manque de lui-même doit croire comme s’ils étaient
vrais.
C’est là la fonction des récits qui accompagnent
l’homme depuis la nuit des temps. L’homme, inaccompli
dans sa première nature, ne peut, en effet, pas vivre sans
une seconde nature constituée de ces récits qui tiennent
par l’institution en leur centre d’une figure divine
requérant sa dévotion.
On pourrait même dire que les hommes, ces petits sujets,
ont essentiellement passé leur temps à cela: construire
tout au long de l’histoire des grands Sujets leur permettant
de vivre. Ce qu’en langue lacanienne on appellerait des figures
de l’Autre. Il fallait donc construire des grands Sujets pour
que le petit sujet en manque de lui-même puisse s’en
réclamer. Ce grand Sujet, c’est le souverain. Un souverain
qui peut prendre des figures multiples. Par exemple, celle du dieu
des monothéismes, celle du souverain des religions politiques,
celles du principe des religions séculières. Voilà
pourquoi la formation et l’éducation du petit sujet
sont nécessairement liées à la religion, entendue
au sens des techniques représentationnelles (narratives,
picturales, sculpturales, poétiques, musicales…) qui
permettent d’élire et d’ériger des grands
Sujets.
Si l’on devait faire très cavalièrement le
bilan, on pourrait dire que l’histoire apparaît comme
une suite de soumissions à des grandes figures placées
au centre de configurations symbolico-politiques. On pourrait assez
aisément en dresser la liste: le sujet, le subjectum (en
latin, celui qui «est soumis à», «subordonné
à»), fut, dans les sociétés archaïques,
soumis au Totem, puis soumis dans le monde grec aux forces de la
Physis chantée par le mythos, avant que de l’être
à la Cité et à la puissance de la Raison promise
par le
logos. Il fut soumis au Cosmos ou aux Esprits dans d’autres
mondes. Il fut soumis au Dieu unique dans les monothéismes,
sous des modalités concurrentes du fait du christianisme,
de l’idée juive de la Loi et de la norme coranique.
Il fut soumis au Roi dans la monarchie.
Il fut soumis au Peuple dans la République. Il fut soumis
à la Race dans les idéologies raciales, nombreuses,
dont le nazisme, promouvant le sujet de la race aryenne, fut une
forme particulièrement virulente.
Il fut soumis à la Nation dans les nationalismes.
Il fut soumis au Prolétariat dans le communisme. Soit des
fictions différentes, qu’il fallut chaque fois édifier
à grand renfort de constructions, de réalisations,
voire de mises en scène très exigeantes.
À noter que certaines de ces fictions différentes
furent parfois agglutinées en idiosyncrasies locales. Par
exemple, certains cultes païens ont été syncrétisés
dans les monothéismes (que l’on songe au christianisme
de l’Empire romain qui a intégré les anciens
saints païens, que l’on songe également au christianisme
syncrétique des ex-pays colonisés4).
Quant à la République, d’abord liée
à l’émergence des cités républicaines
dans l’Europe de la Renaissance, elle a pris la suite et souvent
la place des monarchies, et elle a fini par fusionner avec la Nation
dans l’édification des États-nations européens.
La Race, elle, a souvent rencontré la Nation, comme dans
le cas du nazisme, mais pas toujours, comme dans le cas des diasporas.
Le Prolétariat a également rencontré la Nation,
comme en témoigne la notion soviétique de «Patrie
du socialisme».
Il y a donc partout soumission au grand Sujet, mais cela ne veut
nullement dire que tous les ensembles que j’ai évoqués
soient équivalents.
Bien au contraire: selon la figure de l’Autre élue
au centre des systèmes politico-symboliques, toute la vie
économique, politique, intellectuelle, artistique, technique
change. Toutes les contraintes, les rapports sociaux et l’être-ensemble
changent; ce qui reste constant, c’est le commun rapport à
la soumission.
L’important à cet égard est que, partout, des
textes, des dogmes, des grammaires et tout un champ de savoirs ont
dû être mis au point pour soumettre le sujet, c’est-à-dire
pour le produire comme tel, pour régir ses manières
– éminemment différentes ici et là –
de travailler, de parler, de croire, de penser, d’habiter,
de manger, de chanter, de conter, d’aimer, de mourir, etc.5.
Il apparaît ainsi que ce que nous nommons «éducation»
n’est jamais que ce qui fut institutionnellement mis en place
au regard du type de soumission à induire pour produire des
sujets. C’est pourquoi l’éducation est toujours
politique, dans la mesure où elle vise la soumission religieuse
au grand Sujet de l’heure et où elle se produit toujours
au point décisif où l’histoire naturelle, relayée
par une histoire surnaturelle, se convertit en histoire, laquelle
constitue le destin spécifique de l’homme. Il est bien
évident que cette histoire laisse des marques sur l’éducation:
ce qui s’enseigne à un moment renverra aussi, d’une
façon critique ou d’une façon laudative, aux
périodes passées.
C’est ainsi que des références anciennes (par
exemple au logos, à l’État-nation ou à
tout autre référence) seront agglutinées aux
références en cours, pour constituer le fonds référentiel
sur lequel repose, à un moment donné, l’éducation.
L’éducation au Moyen Âge, par exemple, tout entière
tournée vers le Salut, a largement intégré
des éléments de philosophie et de logique rémanents
venus de l’Antiquité grecque6.
L’ÉDUCATION À L’HEURE DE LA MODERNITÉ…
On pourrait dire, dans cette mesure, que l’éducation
n’est jamais sortie de la religion. Ou mieux: qu’elle
n’est jamais sortie d’une religion que pour entrer dans
une autre. Cet autre étant, dans le cas de notre histoire
récente, celle de la République qui a édifié
ses temples (chambres législatives, palais de l’exécutif,
écoles, palais de justice…) en marquant à leur
fronton sa devise (« Liberté, Égalité,
Fraternité»). Temples dans lesquels les lois, le pouvoir,
l’éducation, la justice étaient rendues au nom
d’un grand Sujet collectif abstrait appelé le Peuple.
Le Peuple étant le nouveau souverain – c’est
d’ailleurs ainsi qu’il est nommé dans les textes
philosophiques de l’époque, le Contrat social de Rousseau
par exemple.
Si cette forme républicaine a longtemps triomphé
dans l’éducation, c’est qu’elle a présenté
une supériorité par rapport aux autres formes en permettant
un dépassement décisif, une sortie hors des référentiels
strictement religieux. Cette supériorité est due à
ce que cette forme n’a plus fonctionné en se référant
à une origine transcendante qui faisait autorité,
mais à un principe transcendantal mis au point à l’époque
des Lumières. Je fais très précisément
référence ici à la refondation kantienne de
la métaphysique impliquant le passage de la transcendance
au transcendantal.
Ce passage est décisif: ce n’est plus au nom de la
foi ou du roi que l’on a enseigné, mais au nom de la
Raison.
Autrement dit, avec les Lumières, l’espace et le temps
de la pensée sont sortis des déterminations locales,
c’est-àdire du temps immémorial du mythe, du
temps chronique et rural des travaux et des jours, du temps référentiel
de la manifestation de Dieu aux hommes, du temps historique de la
succession des règnes.Avec les Lumières, nous sommes
entrés dans tous les temps à la fois7.
C’est bien sûr avec Kant qu’est advenue cette
sortie de la pensée hors de son conditionnement par les temporalités
locales. Ce qui se marque par le fait que, chez Kant, l’accès
à l’universel passe par un cosmopolitisme généralisé.
Au point que, pour Kant, cette façon de philosopher devait
mener à «un État cosmopolite universel où
toutes les dispositions originaires de l’espèce humaine
seraient développées ». Kant voyait même
dans l’établissement de cet «État cosmopolite
universel» un «plan caché de la nature»
à l’égard de l’homme8. La Raison, chez
Kant, est donc une arène indéfiniment scandée
de temps successifs. C’est fondamentalement cet
affrontement de ce que l’on a bientôt appelé
des «idéologies » distinctes (cf. Destutt de
Tracy au tout début du XIXe siècle) qui a caractérisé
la modernité et qui a laissé la raison sans repos
tout en l’instituant, ainsi que l’établit Kant,
comme «loi pratique universelle», loi morale qui pousse
le sujet à l’obligation de l’imagination transcendantale,
c’est-à-dire à l’obligation de la critique.
Le pas décisif et génial des Lumières fut en
somme de jouer de toutes les anciennes soumissions pour les transformer
en liberté critique.
La forme discursive critique vient de ce que toutes les définitions
du grand Sujet peuvent se trouver dans la modernité qui,
dès lors, ne peut plus fonctionner que comme un espace ouvert
à des références multiples, voire contradictoires,
où les repères sont en constant déplacement.
Plus même, cette circulation dans les références
a créé en son centre un vide, un appel d’air
pourrait-on dire, où le Je transcendantal a été
appelé à se constituer par-delà le point où
il était requis dans les métaphysiques classiques.
Ce qui est apparu, c’est donc un lieu vide, non rempli a
priori par des vérités religieuses. La raison a été
dès lors définissable comme ce qui ne s’atteignait
jamais vraiment, puisqu’elle n’avait pour seule loi
que de se quitter dès l’instant qu’elle croyait
se saisir: «dans ce qu’on appelle l’âme,
écrit Kant dans la Critique de la Raison pure, tout est dans
un perpétuel écoulement, excepté peut-être,
si l’on y tient absolument, le Ich qui n’est si simple
que parce que cette représentation est vide de contenu9».
Il s’agit donc, pour Kant, non seulement de sortir des anciennes
assignations métaphysiques du Je, mais aussi de la conception,
chère à Descartes, du Je comme substance pensante,
pour en faire une pure fonction logique appelée à
révolutionner le monde.
La modernité correspond donc à la fin de l’unité
des esprits assemblés autour d’un seul grand Sujet.
Elle a impliqué la coexistence, non pacifique, de plusieurs
grands Sujets – telle est l’idée capitale du
cosmopolitisme kantien. Seule cette lutte incessante dans les références
fut susceptible de créer le terrain favorable au dépassement
des métaphysiques classiques.
Cette dynamique n’a pas été sans effets sur
l’organisation du monde, puisqu’elle a fini par déterminer
la recherche d’un mode de vie articulant le changement permanent
dans tous les domaines: philosophique, esthétique, scientifique,
technique, politique… Et, de fait, depuis lors, rien n’a
résisté à ce mode de vie
conquérant, promis à détruire toutes les anciennes
valeurs fixes, les anciens rites et habitus sociaux des sociétés
unicentrées, fûtce au prix de laisser place à
un sentiment d’instabilité, de crise permanente, de
tensions dans la subjectivité, de récurrent «malaise
dans la civilisation».
…PUIS DE LA POST-MODERNITÉ
Certes, cette forme républicaine de l’éducation
a été marquée par d’incessantes luttes
sociales pour son appropriation et n’a certainement jamais
été entièrement démocratique. Mais elle
a néanmoins fonctionné au nom du Peuple souverain
en se fondant sur le principe de raison.Or c’est cette forme
qui est aujourd’hui entrée en crise. Une crise dont
on ne saurait rendre compte en s’en tenant aux problématiques
sociologiques qui ont longtemps prévalu dans le champ de
l’éducation. Celles-ci ont eu en effet trop tendance
à croire que, si les objectifs démocratiques d’accès
de tous au savoir n’étaient pas entièrement
satisfaits, alors le système devait être condamné
dans ses finalités et ses valeurs.
Cette impasse sur une véritable étude des finalités
et des valeurs de la forme républicaine a alors fini par
générer une très dommageable erreur de perspective:
les sociologies de la reproduction en sont venues à dénoncer
la forme républicaine au nom de la démocratie.
On commence à prendre, en sociologie même, la mesure
de ce fourvoiement: ces sociologies de la reproduction et ses dérivés
n’ont tout simplement pas vu qu’elles fourbissaient
des armes que d’autres forces, très intéressées
à détruire les finalités et les valeurs de
l’école républicaine, allaient bientôt
utiliser10.
De là découle la nécessité de sortir
des problématiques étroitement sociologiques et de
reprendre l’analyse sur de nouvelles bases, en l’occurrence
philosophiques.
Tout d’abord, il faut noter que cette crise résulte,
sinon entièrement du moins en partie, du fait que la modernité
a fini par s’attaquer à ses propres fondements –
ce qui a commandé le passage à une nouvelle période
que l’on pourrait qualifier de surmoderne (si l’on pense
que nous vivons une prolongation inédite et « renversante»
de la modernité) ou de post-moderne (si l’on pense
qu’une rupture avec la modernité a eu lieu).
L’ÉCOLE DANS LA TOURMENTE
Cette mutation, que je dirais post-moderne pour simplifier, affecte
profondément toutes les institutions, et particulièrement
l’école. Ce qui y est mis en question, c’est
la supériorité du modèle de l’école
laïque et républicaine sur les autres types d’école.
Longtemps on a pu considérer que ce qui subsistait en guise
d’interrogations religieuses relevait de phénomènes
hors du champ de compétence de l’école laïque
qui ne pouvait s’engager que sur la transmission de principes
rationnels, en laissant à d’autres le soin d’ajouter
à ces principes l’éventuel supplément
d’âme dont ils pouvaient manquer. Ce qui déterminait
un partage du travail entre l’éducation à la
raison donnée par l’école républicaine
et l’éducation religieuse que les communautés
concernées étaient seules susceptibles d’assurer
lorsqu’elles le désiraient.
La fin des grands récits Or ce qui caractérise la
post-modernité, c’est, selon Lyotard, inventeur de
cette notion à la fin des années 1970, la fin de grands
récits11, de toutes les formes de sotériologies (visant
le salut), qu’elles se présentent comme récits
de rachat religieux ou d’émancipation politique, sociétale
ou individuelle… Bien sûr, ce serait une double chute
qu’il faudrait ici entendre.
En effet, la fin de chacun des grands récits transcendants
(par exemple celui de l’Église catholique et celui
de la téléologie marxiste) ne peut qu’entraîner
la fin de la concurrence organisée entre les grands récits
qui avait précisément permis de faire surgir la raison.
Cette fin de grands récits s’explique en grande partie
par ce que d’autres auteurs ont appelé la «sortie
de la religion».
Je fais référence ici à un fait construit
par une théorie puissante, qui n’a cessé de
s’affermir au cours du xxe siècle.
J’en marque, à des fins de repérage, les deux
temps principaux.
À l’origine, on trouve les travaux pionniers de Max
Weber qui renvoient au constat du «désenchantement
du monde [Entzauberung]», c’est-à-dire à
«l’élimination (progressive) de la magie en tant
que technique de salut12». À l’arrivée,
on trouve les travaux de Marcel Gauchet qui établissent «l’épuisement
[historique] du règne de l’invisible13 », autrement
dit la sortie progressive de la religion, notamment depuis l’avènement
du christianisme, qui s’est révélé, de
par son dynamisme même, comme «la religion de la sortie
de la religion».
Je ne développerai pas ici davantage cette thèse
à laquelle je souscris. Pour l’énoncer à
ma façon en des termes qui scandent clairement les grands
moments de sortie de la religion depuis le début de la période
moderne qui nous intéresse ici, c’est-à-dire
depuis la Renaissance, je dirai que, depuis Machiavel, nous n’avons
plus besoin de Dieu pour faire de la politique, c’est-à-dire
pour faire fonctionner nos sociétés. Depuis Newton,
nous n’avons plus besoin de postuler Dieu pour que l’univers
physique tienne. Depuis Kant, nous n’avons plus besoin de
poser Dieu pour disposer d’une métaphysique.Depuis
Darwin, nous n’avons plus besoin de Dieu pour expliquer l’apparition
de l’homme.
Depuis Freud, nous n’avons plus besoin de Dieu pour rendre
compte de nos rêves et de nos passions. Depuis Nietzsche,
nous n’avons plus besoin de Dieu, tout court.
Le marché, aussi puissant que Dieu En fait, il s’est
agi à tous ces moments d’une sortie relative de la
religion, car s’ils ont bien scandé la sortie de la
religion monothéiste, ils n’ont pas évité,
bien au contraire, des temps d’entrée dans les religions
politiques et séculières qui s’y sont substituées.
Et c’était heureux puisque, dans cette mesure, l’arène
de la raison, comme lieu d’affrontement d’idéologies
distinctes, pouvait être maintenue.
Or, si l’on peut effectivement affirmer que l’on sort
aujourd’hui de toutes les religions
(transcendantes, politiques, séculières…),
c’est surtout parce qu’il existe un autre principe qui
ruine tous les autres.
Son surgissement, se produisant dans le sillage du libéralisme
politique d’un John Locke, est exactement contemporain de
la découverte des Lumières ayant réussi le
tour de force de transfigurer les anciennes soumissions en possible
autonomie de la raison. Il renvoie à la découverte,
faite par l’utilitarisme en général et par Adam
Smith en particulier, d’un processus qui permet de se passer
de toutes les formes de la providence indexée sur le divin.
Cette théorie dit que chacun doit être libre de poursuivre
ses intérêts égoïstes afin que, de la sorte,
l’intérêt collectif de la société
soit servi ; le «miracle» se produisant grâce
à la «main invisible» du marché qui, régulant
tout, remplace ainsi la divine Providence dans ses oeuvres14. À
cet «esprit caché» (autre métaphore à
valeur religieuse d’Adam Smith), présent comme tel
toujours et partout, régulant tout, transformant les vices
privés en vertu publique et transfigurant la pauvreté
en richesse, il serait vain et présomptueux, voire dangereux,
de vouloir échapper. On voit bien le fond religieux qui inspire
cette providence: s’il faut s’y accorder, c’est
parce qu’elle peut conférer la richesse infinie! C’est
cette idée que l’on retrouve, portée à
de nouvelles conséquences, dans l’actuel dogme ultralibéral.
On assiste depuis deux siècles à la montée
en puissance de cette forme de providence, à la fois totalement
immanente et déterminant une nouvelle transcendance, qui
défait les unes après les autres les anciennes figures
du divin qui s’y confrontent.
Il suffirait, en somme, pour que tout aille bien, que l’on
accepte enfin de se soumettre à cette force qui, pour être
incoercible, représente un degré supérieur
de régulation, une forme ultime et enfin vraie de rationalité.
Bref, le Marché serait puissant comme Dieu, mais il aurait
l’avantage sur lui d’être vrai – ce serait
même la seule réalité dans le monde de fiction
et de surnature du néotène. Il faudrait donc laisser
libre cours au Marché et à ses lois, étant
entendu par là que sa loi principale, c’est de n’en
suivre aucune, sinon celle de la maximisation des gains visés
par des joueurs spontanément calculateurs et rationnels produisant,
à leur insu, ou par surcroît, un accroissement général
de la Richesse.
L’émergence du « réseau » Ce triomphe
du marché s’est considérablement développé
depuis les années 1980 (il vaut de rappeler la concomitance
de l’apparition du concept de post-modernité et du
développement de l’ultralibéralisme) et n’est
pas sans conséquences sur l’éducation. En effet,
lorsque nous étions encore dans un idéal critique,
l’autonomie tant convoitée ne pouvait apparaître
que comme un horizon lointain impliquant d’en passer par les
nombreux après-coups des processus ascétiques et propédeutiques
de formation par des maîtres enseignant cette dialectique
contraignante de l’imagination transcendantale.
Dès lors que nous sommes passés sous la juridiction
absolue du marché, ce n’est plus le mode ascétique
et propédeutique qui prévaut, c’est la recherche
du coup gagnant dans l’échange. Chaque joueur étant
alors considéré comme un sujet d’emblée
autonome (un acteur) cherchant une maximisation de son gain, comme
s’il suivait spontanément un calcul rationnel. Le maître,
en forçant à réfléchir à long
terme, est ainsi apparu comme celui qui peut empêcher la réalisation
immédiate du gain. Le mode ascétique et propédeutique
est alors remplacé par le mode communicationnel, informationnel
et connexionniste.
Ce n’est pas un hasard que le concept de réseau ait
émergé à cette époque: le réseau
se caractérisant par sa seule horizontalité.
Deleuze, à cette époque, a été l’un
des premiers à repérer (de façon enthousiaste)
le fonctionnement du réseau – pour lui le «rhizome15
». Dans le réseau-rhizome, tout se
passe en temps réel et en positivités. Rien ne manque,
il suffit seulement pour un individu normalement pourvu de machines
productives et/ou désirantes d’en brancher certaines
dans le réseau pour que le «miracle» se produise,
c’est-à-dire que «ça marche16».
Ce qui disparaît dans le réseau-rhizome, c’est
l’idée même de tiers tel qu’il fonctionnait
dans les ensembles symboliques, c’est-à-dire l’un
qui permettait qu’un ensemble homogène se constitue.
Tout, dans le réseau, se trouve au même plan, il n’existe
que des interrelations mettant en rapport des acteurs. Il n’y
a plus d’extériorité, que de l’intériorité.
Plus de transcendance, que de l’immanence. Le ternaire a cédé
la place à la relation duelle. Plus aucun acteur n’a
de comptes à rendre à un tiers, le savoir, chacun
est pris dans un ensemble de relations purement duelles ouvrant
vers une psychologisation générale des rapports (déjà,
dans l’entreprise, on ne parle plus de conflits du travail,
mais de «harcèlement»; de même que, dans
la société, chacun est appelé à se penser
comme une «victime» en puissance, appelée à
être soutenue psychologiquement).
Le maître escamoté ? Ce changement de paradigme est
porteur d’effets considérables dans tous les domaines
de la société et notamment dans l’éducation.
En cela notamment: celui qui est prié de sortir de la relation
éducative, c’est tout simplement le maître, désormais
dénoncé dans sa prétention à produire
de l’après-coup chez un élève.
Désormais, les deux de la relation éducative doivent
jouer à parfaite égalité. Le maître est
donc sommé de rengainer «son» savoir, celui à
l’aide duquel il cherchait à instituer l’enfant
en élève, il est prié de «se mettre au
service» de l’enfant ou de l’adolescent qui est
d’emblée reconnu comme autonome.
Ce changement se marque dans la langue même, puisque l’on
parlera de moins en moins de «maître» ou d’«instituteur
» (celui qui institue), et de plus en plus d’«animateur»,
d’«accompagnateur de savoir», voire de «coach».
De même, on parlera de moins en moins d’«élève»
et de plus en plus d’«enfant» ou d’«adolescent».
Le dénivelé entre le maître et l’élève
qui, faut-il le rappeler, n’était institué que
pour être appelé à disparaître, est désormais
dénoncé comme relation de pouvoir insupportable entre
deux égaux, c’est-à-dire entre deux égos.
Ce qui est remarquable ici, c’est que le marché a
parfaitement su utiliser la «critique libertaire17»
des années 60 pour parvenir à ses fins. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard que ce «changement d’esprit»
soit apparu en même temps et dans les mêmes termes dans
l’entreprise et dans l’école18. Comme les hommes
politiques dénonçant le «trop d’État»
et annonçant leur sabordage, le seul maître tolérable
est désormais celui qui en appelle ouvertement à sa
propre disparition et à la promotion de l’animation,
de l’autoformation, de l’autodidaxie, de l’enseignement
à distance, du grappillage «autonome» des «informations»
(sur le Net par exemple), de la «validation de l’expérience19».On
ne saurait contester la valeur d’adjuvants à la formation
de ces pratiques, mais on est en droit de s’interroger sur
ce qui reste de l’institution éducative lorsque ces
adjuvants en viennent à remplacer la formation elle-même.
Il est bien évident que cette disparition de tout tiers
et cette duellisation des rapports ne vont pas sans poser de nouveaux
problèmes. C’est là où, avec le recul,
il conviendrait peut-être de tempérer l’optimisme
de Deleuze pour le réseau-rhizome. Il se réjouissait
en effet de ce que, dans le rhizome, les questions «où
allez-vous? d’où partez-vous? où voulez-vous
en venir?» soient devenues «inutiles». Or il semblerait
bien en effet que priver l’homme des questions de l’origine,
du fondement, de l’élément premier, loin d’amener
un allégement ontologique, puisse porter gravement atteinte
au souci très hégélien du désir d’infini
en l’homme et conduire chaque individu à se confronter
aux affres (qui ne vont certainement pas sans nouvelles jouissances)
de l’autofondation. C’est là, sans doute,
où se repère la limite fondamentale de l’économie
de marché dans sa prétention à prendre en charge
la formation des sujets.
Le Marché et… la religion Mais, comme le dit l’adage
aristotélicien, la nature (ici humaine) a horreur du vide.
Les questions d’origine et de fins que le Marché laisse
béantes sont appelées à se trouver combler
par ce qui peut le mieux y satisfaire. Par des valeurs sûres,
la meilleure étant encore Dieu, dans tous ses états.
La remontée du religieux sous des formes apparemment traditionnelles,
observée depuis vingt ans, correspond à la nécessité
de contrebalancer ce vide symbolique laissé béant
dans la formation des hommes. C’est déjà ce
qui s’observe aux États-Unis, où les Églises
les plus activistes cherchent (souvent victorieusement) à
intervenir directement dans les programmes scolaires20. Cela est
cohérent avec des phénomènes récents
de nouvelle religiosité observés dans différents
endroits du monde. Que l’on pense aux récentes lamentations
de masse et au regain de ferveur provoqués par la mort du
pape Jean- Paul II, ou aux manifestations enfiévrées
de croyance vues dans le pays le plus puissant du monde, l’Amérique,
à l’occasion de la dernière élection
présidentielle; ou encore aux multiples formes du fondamentalisme
et de l’intégrisme religieux (partout dans le monde,
chez les musulmans, les chrétiens, les juifs, les hindous…).
Le vide symbolique laissé par le Marché est appelé
à se remplir avec des valeurs certifiées par la tradition
– et s’il n’existe plus de communautés
traditionnelles pouvant donner cette certification, on se contentera
de l’apparence d’authentique, du «faux authentique»
en somme, comme s’emploient à le fournir le New Age
bouddhico-zen, les néoévangélismes, les intégrismes
ou les fondamentalismes.
De sorte qu’il n’est pas impossible que nous allions,
dans cette phase de la mondialisation, vers une formule du type
«le marché + la religion» qui aurait bien sûr
de grands effets sur l’éducation, puisque ce serait,
après la chute de la raison critique, la nouvelle recette
gagnante qu’il s’agirait de mettre en oeuvre pour former
les individus.
C’est d’ailleurs cette formule qui fut dernièrement
inaugurée aux États-Unis, lors de la dernière
élection présidentielle.
Elle est probablement appelée à se décliner
diversement dans le monde – avec des formes de droite et des
formes de gauche.
VERS UNE NOUVELLE FORME D’ÉMANCIPATION ?
Si cette formule venait à triompher, il y aurait sûrement
quelques soucis à se faire quant à la suite de l’aventure
historique dans laquelle est lancé l’homme. Déjà
au xxe siècle, l’abîme fut frôlé
lorsque les religions politiques qui se sont déchaînées
– notamment, le stalinisme agissant au nom du Prolétariat
et le nazisme agissant au nom de la Race – ont visé
à la fabrication d’un homme nouveau.Aujourd’hui,
on ne sait pas encore assez que l’ultralibéralisme,
agissant au nom de cette nouvelle providence, le Marché,
pourrait lui aussi ne rien vouloir d’autre que la fabrication
d’un nouvel homme nouveau. Ce qui implique rien de moins que
de détruire méthodiquement le système d’éducation
mis en place par les Lumières et d’en mettre un autre
en place – ce qui me semble déjà en cours sous
deux modes différents: le minage incessant de l’ancienne
institution, sous des modalités que j’ai déjà
mentionnées, et la mise place d’alternatives à
l’éducation s’appuyant sur la vidéo, la
télévision et la publicité qui ne procèdent
plus, comme dans les idéologies précédentes,
par de rédhibitoires programmes de rééducation
et de coercition, mais se présentent sous l’air avenant
d’une série d’entertainments, comme si tout cela
était doux, voulu, désiré. J’ai essayé
de montrer ailleurs quelle violence se cachait en fait derrière
ce paravent soft, car ce sont les modalités de subjectivation
et de socialisation des individus qui se trouvent profondément
transformées – même (et surtout) si l’on
ajoute à cela, en guise de supplément d’âme,
une pincée de religion dûment relookée21.
Mais rien n’est jamais définitivement perdu. Si la
période ouvre à de nouveaux dangers, elle ouvre aussi
à un espoir, peut-être mince mais raisonnable, que
certains sauront à coup sûr saisir. On pourrait imaginer
que soit mise à profit ce qu’en termes nietzschéens
on appellerait la chute des idoles – certes, cette dernière
est davantage provoquée par la déterritorialisation
opérée par la marchandise que par un programme d’émancipation
cohérent, mais l’opportunité existe néanmoins.
Ce serait l’occasion de chercher une nouvelle forme de souveraineté
à la mesure de ce monde globalisé.
Une souveraineté fondée sur des valeurs communes
et sur un véritable programme d’autonomie – à
noter que «valeurs communes » et «autonomie»
ne sont nullement des termes incompatibles, puisque, dans autonomie,
il y a le nomos, la loi, qu’il s’agirait d’intégrer
sous des modalités nouvelles.
Je ne parle pas ici de la caricature d’autonomie proclamée
par l’ultralibéralisme qui démantèle
aujourd’hui toutes les institutions, dont l’école,
et qui ne vise qu’à laisser chacun isolé face
à la marchandise, en proie à de nouveaux symptômes22.
Je parle d’un véritable projet d’autonomie tel
qu’il est porté depuis les origines par la philosophie.
Certes, il s’agit là d’un programme extraordinairement
exigeant, puisque sa visée est d’essayer enfin de penser
par soi-même, mais il reste à espérer que nous
saurons saisir cette ténue mais formidable chance historique..
DANY-ROBERT DUFOUR est professeur en sciences de l’éducation
à l’université de Paris VIII (équipe
Paidéia) et directeur de programme au Collège international
de philosophie.
******************
Notes :
1 Louis Bolk,Das Problem der Menschwerdung [1926], «La genèse
de l’homme», in Arguments, 1960, trad. J.-C. Keppy (avec
une présentation de Louis Bolk par Georges Lapassade); et
«Le problème de la genèse humaine»,Revue
française de psychanalyse, mars-avril 1961, trad. nouvelle
de F. Gantheret et G. Lapassade.
2 Stephen Jay Gould, Darwin et les grandes énigmes de la
vie, Paris, Pygmalion, 1979; et Le Pouce du Panda, Paris, Grasset,
1982.
D.-R. Dufour, On achève bien les hommes, Paris, Denoël,
2005.
4 Cf. R. Bastide, Religions africaines du Brésil, Paris,
PUF, 1960.
5 Il faut évoquer ici les travaux de Claude Lefort, qui
portent à la fois sur ce qui particularise les sociétés
et sur ce qui permet la transformation d’une signification
sociale en une autre. Cf. C. Lefort, Les Formes de l’histoire,
essai d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, 1978.
6 Sur ces effets de rémanence d’une époque
à l’autre, voir par exemple l’excellent Raison
et Éducation de B. Jolibert, Paris, Klicksieck, 1987.
7 Sur ce point, voir les leçons sur Kant de Deleuze dans
Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1993 (et ma critique dans L’Art
de réduire les têtes, Paris, Denoël, 2003, p.
60).
8 Cf. Kant, Idée d’une histoire universelle au point
de vue cosmopolitique [1784], « Huitième proposition
».
9 KANT, Critique de la Raison pure, Paris, PUF, 1965, trad. Tremesaygues
et Pacaud, p. 308.
10 Sur l’intégration des schémas hyper-critiques
des années 60 dans de nouvelles logiques d’asservissement,
voir l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le
Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
11 J.-F. Lyotard, La Condition post-moderne, Paris, Minuit, 1979.
12 Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit
du capitalisme [1905], Paris, Plon, 1964, p. 134.
13 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard,
1985, p. II.
14 « [L’individu] ne pense qu’à se donner
personnellement une plus grande sûreté; et en dirigeant
cette industrie de manière que son produit ait le plus de
valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain;
en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit
par une main invisible à remplir une fin qui n’entre
nullement dans ses intentions; et ce n’est pas toujours ce
qu’il y a de plus mal pour la société, que cette
fin n’entre pour rien dans ses intentions.
Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il
travaille souvent d’une manière bien plus efficace
pour l’intérêt de la société que
s’il avait réellement pour but d’y travailler
» (souligné par nous), in Adam Smith,Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations (1776), IV, 2.
15 «Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est
toujours au milieu, entre les choses, inter-être […].
Le rhizome est alliance, uniquement alliance.» On trouvera
un véritable traité du «rhizome» dans
Deleuze et Guattari,Mille Plateaux.
Capitalisme et schizophrénie, «Introduction: rhizome»,
Paris, Minuit, 1980, p. 9-37.
16 Les principes du réseau sont fort simples, mais profondément
subversifs dans leur utilitarisme et leur immanentisme mêmes.
Je les présente dans mon livre L’Art de réduire
les têtes, op. cit.,p. 100 et sq.
17 Je reprends le mot utilisé par Boltanski et Chiapello
dans Le Nouvel Esprit du capitalisme, op. cit.
18 Cf. l’excellente analyse de Jean-Pierre Le Goff dans La
Barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école,
Paris, La Découverte, 1999.
19 Je fais allusion à la mise en place dans les universités
de la «VAE» (validation des acquis de l’expérience)
qui, moyennant un service payant, permet de valider sous conditions
une expérience en évitant ainsi le passage par les
filières universitaires en vue d’obtenir un diplôme,
ce qui laisse supposer qu’une expérience (si riche
soit-elle) peut valoir une formation.
Et vice-versa : qu’une formation peut valoir une expérience.
20 Par exemple au Kansas, dans cet État de l’Amérique
profonde, les dix membres du Kansas State Board of Education ont
décidé le mercredi 11 août 1999, par six voix
contre quatre, de supprimer toute référence à
la théorie darwinienne de l’évolution des espèces
dans les programmes des examens scolaires des écoles publiques
à la suite de la victoire des églises conservatrices,
puissantes et organisées dans la région, défendant
la thèse du créationnisme contre celle de l’évolutionnisme.
À noter que, depuis 1999, de nombreux autres États
ont suivi le Kansas.
21 D.-R. DUFOUR, « Le rôle de la télévision
dans les nouvelles formes de socialisation et de subjectivation
», numéro spécial du Débat consacré
à «L’enfant problème», Paris, Gallimard,
2004.
22 Je me permets de renvoyer sur ce point à l’un de
mes livres récents (Dany-Robert Dufour, L’Art de réduire
les têtes, op. cit., p. 107 et sq).
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