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Didier Fassin : « L’effet dissuasif de la prison ne fonctionne pas »
24 janvier 2015

Origine : http://danactu-resistance.over-blog.com/2015/01/desintox-l-effet-dissuasif-de-la-prison-ne-fonctionne-pas.html

À l’heure où l’on condamne à de la prison ferme des ivrognes pour « apologie du terrorisme » tout en s’inquiétant des effets de radicalisation liés à l’enfermement, le sociologue Didier Fassin propose une éclairante ethnographie de la « condition carcérale » et des effets délétères des logiques strictement punitives.

Didier Fassin, sociologue, directeur d'études à l'EHESS et professeur à Princeton, auteur notamment de La Force de l’ordre et de Juger, réprimer, accompagner, poursuit son travail de fond sur le gouvernement de la précarité et les transformations de l’État, en s’intéressant à son ombre : la prison.

Avec L’Ombre du monde, Didier Fassin livre une étude ethnographique qui ne parle pas seulement des logiques pénales, mais aussi et surtout de la condition carcérale et de ce que la prison fait à ceux qui y sont détenus et à ceux qui y travaillent. En effet, selon lui, « la prison donne à lire le monde contemporain, autant par la manière dont on la remplit que par la manière dont on traite ceux qui s’y trouvent ».

Le livre rappelle des données nécessaires, comme le fait que le taux de suicide dans les prisons françaises est le plus élevé de tous les grands pays occidentaux, que l’inflation carcérale que nous connaissons actuellement est inédite dans l’histoire du pays, ou que les crimes ne représentent que 2 % de condamnations à de la prison ferme.

Mais il tente surtout de répondre aux nombreux paradoxes qui entourent la prison. Pourquoi cette institution destinée à protéger la société s’avère-t-elle souvent contre-productive ? Comment, en dépit d’idéologies pénales différentes, les effets et les logiques de l’incarcération convergent-ils sous les gouvernements de gauche comme de droite ? Pourquoi la critique des effets délétères de la prison est-elle aussi partagée, y compris par les personnels qui y travaillent, sans qu’une véritable réforme apparaisse vraiment possible ?

Jugeant que « l’ultime vérité de la condition carcérale réside en ceci que la prison est un lieu vide de sens et que ceux qui y sont enfermés font progressivement et indéfiniment l’expérience de cette vacuité », Didier Fassin déplie les dispositifs et les pratiques d’un lieu qui se révèle être un « rappel à l’ordre social plus encore qu’un rappel à l’ordre moral ».

Vous commencez votre livre avec le portrait d’un homme enfermé quelques mois pour défaut de permis de conduire et qui prononce une phrase qu’on lit aujourd’hui avec un certain vertige : « Des fois, on rentre calmes en prison, et on ressort, on est plus fous. En quatre séjours, moi, on m’a proposé plein de trucs. On a carrément voulu m’associer sur des braquages. Même, y a des islamistes, ils essaient de te recruter… » La prison est-elle avant tout une école du crime, comme le formulait aussi Amedy Coulibaly ?
Ce n’est évidemment pas toujours le cas. La prison “école du crime” fait partie d’une rhétorique qu’on trouve aussi bien chez les détenus qui veulent ainsi en dénoncer les dangers, que chez des analystes du monde carcéral qui cherchent à en montrer les effets néfastes. Même si on ne doit pas négliger le fait que la prison puisse permettre d’entrer en contact avec des réseaux criminels ou terroristes, son principal effet délétère me paraît être la désinsertion sociale et familiale qu’elle provoque, notamment pour les courtes peines qui constituent la grande majorité des détenus. Passer par la prison implique moins souvent de devenir un criminel endurci que d’être incapable de revenir dans la société lorsqu’on est libéré, et de retomber rapidement dans la petite délinquance.

Comment s’est produite la banalisation de la prison ferme comme sanction d’actes dont on n’aurait pas vu les auteurs dans une maison d’arrêt 25 ans plus tôt, notamment les délits routiers qui sont très représentés derrière les barreaux ? Et que signifie cette « extension du domaine carcéral » ?
L’extension du domaine carcéral résulte de deux phénomènes : l’incarcération d’un plus grand nombre de gens et l’allongement de la durée d’incarcération. Le premier s’explique par la « délictualisation » d’actes qui relevaient autrefois de la contravention, et par l’alourdissement des peines prononcées pour ces délits. Le second s’est rapidement aggravé avec la mise en place des peines plancher en 2007, qui a provoqué un doublement de la durée des nouvelles peines, qui passent alors en moyenne de 9 à 16 mois.

On emprisonne aussi de plus en plus souvent des gens qui ont commis de petites infractions il y a cinq ou dix ans et dont les peines n’ont pas été exécutées pour une raison ou une autre. On les incarcère alors à 25 ou 27 ans, alors qu’ils ont un travail et une famille, pour une infraction commise lorsqu’ils avaient 20 ans. Il faut d’ailleurs rappeler que l’immense majorité des détenus ne sont pas des grands criminels, des trafiquants de drogues ou des serial killers, mais des gens qui ont commis des délits souvent considérés comme mineurs.

Comment expliquer cette évolution ?
Il y a probablement une combinaison d’éléments anthropologiques, avec le développement, en France comme dans beaucoup de pays, d’une société de la peur et de l’anxiété, la seconde étant plus diffuse que la première, et de logiques politiques, avec l’instrumentalisation de ces émotions négatives qui a commencé à l’extrême droite, s’est étendue à la droite et touche aujourd’hui une partie de la gauche.

Du reste, la « société punitive », comme la nomme Michel Foucault, ne se manifeste pas seulement dans l’accroissement de la population carcérale : il existe parallèlement une augmentation plus importante encore de personnes ayant des peines de prison aménagées, sous la forme notamment d’un bracelet électronique, et surtout de personnes dites sous main de justice, et donc suivies en milieu ouvert par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Au cours des deux derniers siècles, la France n’avait jamais connu une telle frénésie de punir, et ce alors même que les crimes les plus graves ne cessent de diminuer depuis plusieurs décennies.

Du reste, la question des bénéfices que l’on peut attendre de la prison pour des délits mineurs se pose vraiment, si l’on reprend les deux justifications proposées par John Rawls : la prison sert-elle à punir des coupables – ou présumés tels, pour ce qui est de la préventive – ou bien à protéger la société ? Toutes les études internationales montrent que, sauf à neutraliser complètement les délinquants par des peines de prison à vie, comme on le voit aux États-Unis, l’effet potentiellement dissuasif ne fonctionne pas. Bien au contraire : pour des délits comparables, les personnes qui sont condamnées à de la prison ferme récidivent plus que celles qui ont des peines alternatives. Aujourd’hui la surpénalisation punit mais ne protège pas.

Les lourdes peines de prison ferme prononcées ces derniers jours pour réprimer l’apologie du terrorisme s’inscrivent-elles dans cette logique ?
Face à des actes qui relèvent davantage de la provocation et de l’outrage, voire de l’humour très déplacé, il faut se demander si les peines de prison prononcées ne représentent pas une réponse, non seulement inadaptée et disproportionnée, mais également contre-productive. Au moment même où on nous explique que la prison est un lieu de radicalisation, on enferme donc des gens qui sont dans des comportements de rébellion, mal armés intellectuellement ou politiquement, au risque de les mettre dans des circuits où ils peuvent trouver une forme d’exutoire par rapport à leur révolte.

Il est remarquable que les consignes données au parquet par le ministère de la justice soient aussi contradictoires avec l’esprit de la loi impulsée par le même ministère qui propose la contrainte pénale comme alternative à la prison. Une fois encore, l’incarcération apparaît comme la seule solution possible.

Doit-on continuer de développer les peines alternatives à l’emprisonnement alors que, d’ores et déjà, seules 25 % des personnes « sous main de justice » sont effectivement détenues, les autres étant pour l’essentiel des condamnés suivis en milieu ouvert ? Et par quoi remplacer la prison, si elle n’est satisfaisante ni pour les détenus, ni pour les surveillants, ni même pour Nicolas Sarkozy qui a été jusqu’à la désigner comme la « honte de la République » ?
La question n’est pas de savoir s’il faut fermer les prisons, mais de savoir si toutes les personnes qui s’y trouvent y ont leur place. La majorité des analystes mais aussi beaucoup de surveillants et de directeurs de prison sont convaincus que tel n’est pas le cas.

L’exécutif comme le législateur et in fine les magistrats considèrent toujours l’emprisonnement comme la peine de référence. La conférence nationale de consensus sur la prévention de la récidive avait pourtant demandé qu’elle ne le soit plus, mais la formule n’a finalement pas été retenue dans la loi.

Et beaucoup de procureurs et de juges pensent encore que le choc de l’incarcération peut s’avérer bénéfique, alors que la majorité des gens qui travaillent en prison savent qu’il peut être dramatique, par la déstabilisation d’une vie, voire tragique, en aboutissant au suicide.

Une injustice rarement évoquée consiste en ce que l’image très négative que l’on a de la prison contamine en quelque sorte les personnels, depuis les directeurs et les surveillants jusqu’aux conseillers de probation et d’insertion, comme s’ils pouvaient être tenus pour responsables de conditions dont ils sont aussi des victimes, quand la surpopulation carcérale produit à la fois une charge de travail croissante et des tensions plus grandes.

Cette extension de l’État pénal a-t-elle pour corollaire, ou conséquence, le rétrécissement de l’État social ?
On peut repérer trois rationalités dominantes de l’État en matière de gouvernement de la précarité.

D’abord, l’État social vise à protéger l’ensemble de la population, et notamment les plus fragiles, des aléas de la vie. Il est aujourd’hui en déclin au moment même où les inégalités augmentent, même si la France n’est pas dans l’évolution la plus désastreuse par rapport à d’autres pays occidentaux. Du reste, pour rendre cette évolution acceptable, on délégitime les bénéficiaires en les soupçonnant de toujours abuser et tricher.

Ensuite, l’État pénal s’est quant à lui étendu de manière spectaculaire avec une augmentation de plus de 50 % de la population écrouée entre 2002 et 2012, ce qui est sans précédent en France, hormis pendant le court moment de l’après-Seconde Guerre mondiale où l’on a enfermé beaucoup de collaborateurs. Or, cet emprisonnement concerne d’abord les populations qui souffrent le plus du désengagement de l’État social. Donc, entre les deux, il y a un lien qui n’est pas mécanique, mais logique.

À ces deux rationalités s’ajoute une troisième, celle de l’État libéral, non pas au sens des économistes, mais au sens politique classique. Il se caractérise à la fois par une extension du droit formel et une attente plus forte de responsabilité individuelle. Le droit formel se manifeste ainsi par la présence d’avocats, généralement commis d’office, dans les commissions de discipline ou les débats contradictoires au cours desquels se décident les aménagements de peine. Parallèlement, on ne cesse d’invoquer la responsabilisation des détenus, par exemple à travers le travail ou l’école, alors même qu’il n’existe pas de place dans l’un ou l’autre pour la majorité des détenus.

Cette rationalité libérale s’articule avec les deux autres : avec l’État social déclinant, car on considère que c’est aux individus de se prendre en charge ; avec l’État pénal pléthorique, dont il garantit le respect de certaines formes juridiques.

À quoi tient la surreprésentation des Noirs et des Arabes dans les prisons françaises ?
C’est un sujet délicat sur un plan politique, et complexe sur un plan sociologique. En effet, une mauvaise interprétation pourrait laisser penser que cette surreprésentation n’est que la conséquence d’une délinquance plus grande, et donc contribuer à aggraver la stigmatisation. Mais c’est une réalité tellement omniprésente et la plupart des détenus soulignent avec une telle force l’injustice d’un système qui conduit à ce que deux tiers des incarcérés dans une prison d’arrêt sont noirs ou arabes, que je crois nécessaire de la prendre en compte.

Mais on touche alors à la complexité sociologique du phénomène, difficile à étudier, d’autant qu’en France on dispose de très peu d’enquêtes incluant ces variables. On peut tout de même indiquer une série d’éléments.

D’abord, les délits qui ont été ajoutés dans le code pénal ou dont les sanctions ont été aggravées au cours des décennies récentes visent plus particulièrement les milieux populaires, et notamment ceux qu’on appelle les jeunes des cités. On pénalise ainsi davantage les outrages et les rébellions envers les représentants de l’autorité publique que les délits en matière financière ou fiscale.

Ensuite, pour un délit donné, on concentre l’application de la loi davantage sur ces populations. C’est particulièrement vrai de l’usage, de la détention ou de la revente de petites quantités de cannabis. On assiste à une véritable explosion de ces condamnations, qui représentent 14 % des entrées en détention, alors que les trafiquants eux-mêmes ne représentent que 0,25 % des détenus. Or, alors que les pratiques de consommation chez les jeunes sont réparties de façon équivalente dans toutes les classes sociales, la quasi-totalité des contrôles, des fouilles et surtout des interpellations portent sur les jeunes résidant dans les quartiers populaires, qui correspondent à des catégories défavorisées et des minorités ethnoraciales. Ce sont eux que l’on retrouve en prison pour ces infractions.

Enfin, au niveau de l’appareil judiciaire, le jugement en comparution immédiate, deux fois plus sévère à délit équivalent que les procédures normales, le recours presque systématique à des avocats commis d’office qui n’ont que quelques minutes pour prendre connaissance des dossiers, et la distance sociale des magistrats par rapport à ces publics populaires, ajoutent encore un facteur défavorable, qui est statistiquement établi.

C’est ainsi toute une chaîne pénale qui pénalise, si l’on peut dire, les minorités ethnoraciales des quartiers populaires, à quoi il faut bien sûr ajouter le fait que la grande précarité que connaissent beaucoup parmi elles encourage certains à commettre des larcins, ou à être impliqués dans la revente de cannabis, infractions qui touchent évidemment moins les classes moyennes et supérieures.

Pourquoi accepte-t-on une institution non seulement injuste à maints égards, mais aussi inefficace par l’endurcissement qu’elle permet, la désinsertion qu’elle provoque et la récidive qu’elle n’évite pas ? Et ces critiques adressées à la prison ne sont-elles pas déjà anciennes ?
C’est là en effet un double paradoxe étonnant déjà relevé par Michel Foucault il y a quarante ans. Depuis les débuts de la prison, il y a un peu plus de deux siècles, on n’a jamais cessé de la critiquer et de questionner son efficacité. Comment, dans ces conditions, comprendre que cette institution résiste aussi bien à sa critique et à la démonstration de son inefficacité ? La seule explication raisonnable est qu’on attend d’elle autre chose que ce qui en constitue la justification officielle.

Elle n’est assurément pas un instrument de punition juste, puisqu’elle sanctionne, certes, mais de manière inéquitable. Mais elle n’est même pas la meilleure solution pour protéger la société de la délinquance, puisqu’elle tend à favoriser la désinsertion et la récidive. Elle est donc probablement avant tout un mode de gestion des populations les plus modestes et, il faut bien le dire aussi, considérées comme les plus indésirables. Du reste, aux États-Unis, lorsqu’on débat de la prison et qu’on réduit même, dans certains cas comme en Californie, la population carcérale, ce n’est pas au nom de l’injustice de la punition ou de l’inefficacité de l’institution, mais du coût prohibitif pour la société.

Quels enseignements tirez-vous de la comparaison entre la situation des prisons en France et aux États-Unis, où vous vivez et enseignez ? Comment expliquez-vous notamment que le taux de suicide dans les prisons françaises soit douze fois plus élevé que dans les prisons américaines où, pourtant, les conditions sont plus dures ?
Il existe d’abord une différence quantitative. Aux États-Unis, le taux d’incarcération est 7 fois plus élevé qu’en France, autour de 700 pour 100 000 habitants, avec une surreprésentation considérable des Noirs qui sont 7 fois plus incarcérés que les Blancs. Il y a ensuite une différence qualitative, avec une extraordinaire dureté de la condition carcérale aux États-Unis, comme on le voit avec ces milliers de personnes qui y sont enfermées à vie de manière incompressible pour des infractions qui ne sont pas des crimes de sang et ces dizaines de milliers d’autres qui sont en isolement pendant des années, voire des décennies.

En France, les condamnations sont moins sévères et de telles mesures d’isolement, dont on sait qu’elles sont psychologiquement destructrices, sont très limitées, à 30 jours extensibles à 45 jours dans certains cas. Dans le quotidien même de la prison, la violence à la fois entre les détenus et de la part du personnel est bien plus grande aux États-Unis, avec dans ce dernier cas une impunité quasi totale dénoncée par les associations. En Europe, à l’inverse, prévaut l’idée que les détenus demeurent des êtres humains qui reviendront un jour dans la société.

La fréquence des suicides dans les prisons françaises, qui est une préoccupation de l’administration pénitentiaire, est donc étonnante et n’a pas d’explication simple. Parmi les grands pays occidentaux, la France est en effet le pays où le taux de suicide est le plus élevé, et du reste il y a été multiplié par 5 en 50 ans. On se suicide plus qu’ailleurs et plus qu’avant.

Il est possible qu’aux États-Unis, la baisse de la mortalité par suicide soit liée aux programmes agressifs de surveillance des détenus en isolement 24 h/24. En France, les dispositifs sont plus légers mais contraignants pourtant, puisqu’ils consistent à visiter les personnes considérées comme à risque toutes les deux heures, y compris la nuit, donc à les réveiller toutes les deux heures pour voir s’ils vont bien… Il y a eu du reste une certaine baisse de la fréquence des suicides depuis dix ans.

Les raisons de cette singularité française sont de divers ordres. D’abord, la France est un pays où l’on se suicide plus qu’ailleurs en Europe. Ensuite, les conditions particulières de l’emprisonnement ajoutent un risque supplémentaire. D’une part, la période où on se suicide le plus est le premier mois d’incarcération, ce qui doit encore faire réfléchir à la facilité avec laquelle les peines d’emprisonnement ferme sont prononcées pour de petits délits. D’autre part, on se suicide sept fois plus dans les cellules disciplinaires que dans les cellules normales, ce qui invite là aussi à s’interroger sur l’aisance avec laquelle on donne cette sanction, car l’usage du quartier disciplinaire au sein de la prison est comparable à l’usage de la prison dans la société : c’est la peine de référence.

La prison est un lieu plus ouvert qu’on ne le croit souvent. Quels rapports entretient-elle avec le monde extérieur ? Et reste-t-il quelque espoir d’avoir un jour une prison humaine, juste et égalitaire, ou bien cela n’est-il envisageable que dans un monde humain, juste et égalitaire, dont on peut imaginer qu’il ne contienne pas de prison ?
La prison est, sinon ouverte, du moins perméable au monde extérieur. Elle laisse entrer de nombreux intervenants, des aumôniers, des associations, des visiteurs et même des chercheurs… Et c’est un phénomène remarquable à porter à son crédit, parce que ce n’est pas vrai pour toutes les institutions et dans tous les pays.

Elle est aussi poreuse avec l’introduction de toutes sortes d’objets, notamment les téléphones et la drogue. Mais on laisse aussi entrer derrière les barreaux des informations et des idées… La télévision est toujours allumée et les détenus discutent aussi bien des matches de football que des affaires judiciaires. Quant à l’administration pénitentiaire dans son ensemble, elle est aussi traversée par les modifications de la législation, par exemple sur la suppression de la fouille intégrale systématique, et par les débats publics et médiatiques, dont leurs conversations se font l’écho.

Pourtant, du point de vue de ceux qui y sont enfermés et de ceux qui y travaillent, la prison a quelque chose d’irréductible. Je ne pense pas, comme le suggère Michel Foucault, qu’il existe un archipel carcéral s’étendant progressivement à toute la société, même s’il existe en effet tout un dispositif de surveillance et de discipline de plus en plus envahissant.

Il reste en effet une spécificité indépassable de la prison et de son expérience qui se matérialise à travers des murs, des miradors, des filets, des règles, des contraintes, des punitions, etc. Elle n’est pas seulement, comme le disent souvent les surveillants, une privation de liberté : elle est aussi privation de relations affectives et sexuelles, de droits comme celui de travailler ou de se soigner comme on le veut, et même de choses toutes simples comme pouvoir se mettre en colère quand on va mal et qu’on est frustré, ainsi que me le confiait un détenu…

Comment donc rendre la prison plus juste et plus humaine ? En réalité, elle est à la fois le miroir et le reflet de la société. Plus la société est inégalitaire, plus sa prison sera inégalitaire. Plus la société est intolérante, plus la sévérité y sera grande. Réformer la prison suppose de changer la société…

SOURCE / MEDIAPART

http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/240115/didier-fassin-l-effet-dissuasif-de-la-prison-ne-fonctionne-pas

http://danactu-resistance.over-blog.com/2015/01/desintox-l-effet-dissuasif-de-la-prison-ne-fonctionne-pas.html