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Il n’y a pas de fatalité au racisme
Didier Fassin
10 Février 2011
Reportage Débat : la France est-elle un pays raciste ?

Origine : http://temoignagechretien.fr/articles/societe/il-ny-pas-de-fatalite-au-racisme

Une société, en soi, n’est pas raciste. Elle peut cependant le devenir, au gré de circonstances historiques et sous l’effet de pratiques politiques. En France, au cours des années récentes, deux phénomènes se sont conjugués.

D’une part, la question immigrée a été placée au centre du débat public par l’extrême droite d’abord, par la droite ensuite, l’une puis l’autre entrevoyant les bénéfices électoraux de leurs discours xénophobes.

Le fait est d’autant plus remarquable qu’il s’est produit dans une période où les flux migratoires étaient stabilisés, où la proportion d’étrangers diminuait, où surtout les experts soulignaient l’importance de maintenir un certain niveau d’immigration pour le dynamisme de l’économie et de la démographie de notre pays. Le jeu politique s’est donc fait à contresens de l’intérêt national.

D’autre part, la question minoritaire s’est cristallisée autour de la découverte des discriminations raciales. Certes, cette inégalité de traitement liée à l’origine ou la couleur, voire la religion, n’est pas nouvelle, mais sous la pression conjointe d’associations, de chercheurs et de la réglementation européenne, il n’a plus été possible de la nier.

Et ce, d’autant que les victimes de ces discriminations dans le logement, l’emploi ou les loisirs n’étaient plus seulement, comme à la génération précédente, des immigrés étrangers souvent prêts à supporter leur condition dans l’espoir qu’elle serait meil‑leure pour leurs enfants, mais étaient jus‑tement de plus en plus ces enfants, c’est-à-dire fréquem‑ment des jeunes Français nés en France.

Une double frontière divise ainsi notre société : l’une, extérieure, rejetant les immigrés ou leur rendant la vie de plus en plus difficile ; l’autre, intérieure, distinguant les citoyens nationaux en fonction de leur généalogie ou de leur apparence.

Les deux sont liées : les discours xénophobes produisent ou légitiment les discriminations raciales ; la stigmatisation des immigrés nourrit l’hostilité à l’encontre de leurs enfants ; à l’inverse, l’association entre minorités et délinquance alimente le ressentiment à l’égard des étrangers.

Cette confusion entre frontières externe et interne fut à son comble lors des émeutes de l’automne 2005, quand le ministre de l’Intérieur, découvrant que beaucoup des adolescents et des jeunes impliqués dans les événements étaient noirs ou arabes, déclara, inflexible, qu’on les renverrait dans leur pays. Il oubliait que c’était la France.

Quel que soit le cynisme de ses gouvernants, une société n’est cependant pas manipulable à l’envi. Certes, la xénophobie et le racisme sont des ressorts puissants du nationalisme et du populisme partout dans le monde, ce dont certains partis et responsables politiques tirent profit.

Après plusieurs années au cours desquelles les chiffres des reconduites à la frontière ont été présentés à la population comme des trophées de chasse, après un débat sur l’identité nationale qui aura servi d’exutoire à l’animosité contre les étrangers et dont les seules propositions concrètes visaient à durcir les conditions d’immigration et de naturalisation, après l’annonce enfin de l’expulsion massive des Roms au prétexte d’occupation illégale de terrains (qui résultait en fait du refus de l’État de faire appliquer la loi obligeant les collectivités à prévoir des aires de stationnement pour les gens du voyage), le gouvernement et sa majorité pensaient avoir gagné en quelque sorte la bataille de l’opinion.

Ils se sont trompés. Trop, c’est trop, semblent se dire un nom‑bre croissant de Français.

On aurait tort, bien sûr, de se rassurer à bon compte. Au moins cette évolution doit-elle rappeler que le rejet de l’autre ne paie pas toujours en politique.

Une société démocratique n’est pas seulement ce que prétendent en faire ses gouvernants, elle est avant tout ce qu’en font ses citoyens.