Depuis le temps qu'on nous l'annonçait, la religion est
bien de retour !
Elle est réapparue sur la scène publique tant au
sein des sociétés nationales qu'à l'échelle
mondiale à la faveur de la montée d'une insécurité
réelle ou supposée. Dieu dont on avait annoncé
prématurément la mort fait de nouveau recette. Des
intellectuels en mal de repères et des masses en quête
de réconfort se retournent vers leur passé religieux.
Le présent est fait d' incertitudes et l'avenir est gros
de menaces. L'homme blanc occidental, après avoir pillé
impunément les richesses de la planète durant plus
d'un siècle se découvre être un colosse aux
pieds d'argile. Au nom d'Allah, quelques individus déterminés
sinon manipulés, font trembler « l'Occident chrétien
».Une lutte à mort est engagée entre le Bien
et les puissances du Mal, le mal de l'un étant le bien de
l'autre.
Face à cette irruption de l'irrationnel dans la lutte sans
merci que s' apprête à se livrer le Sud contre le Nord,
on aurait pu penser que tout serait fait au Nord pour analyser les
vraies raisons d'un conflit planétaire annoncé. On
aurait pu penser que les politiques et les intellectuels du Nord
se refusent absolument de les analyser en termes de culture, de
civilisation et a fortiori de religion, mais bien en termes économiques
: l' exploitation et l'humiliation des peuples colonisés
par l'Occident pour assurer sa prospérité sont du
même ordre que celles des individus issus de l'immigration
au sein des nations occidentales colonisatrices. Les mêmes
causes ont produit les mêmes effets. Ici et là, ce
sont bien des raisons économiques et sociales qui conduisent
les uns et les autres à s'insurger contre « l'homme
blanc ». Oubliant qu'ils sont « fils des Lumières
», les nouveaux réactionnaires occidentaux renieraient-ils
cette universalité des Droits de l'Homme, chèrement
conquise sur l'idéologie religieuse au profit d 'un retour
à une identité communautaire particulière destinée
à faire pièce à la montée d'une autre
religion d'autant plus redoutable qu'il affiche lui-même des
prétentions universelles ?
Il faut le dire haut et fort : le véritable contre feu de
l'Islamisme n'est pas le retour à la « religion de
nos pères ». C'est la claire affirmation que toute
religion, et très particulièrement toute religion
monothéiste est porteuse de germes totalitaires et que non
seulement elle ne saurait se présenter comme un ultime recours,
ou une ultime réponse aux angoisses, aux peurs et aux frustrations
des hommes, mais qu'elle doit être analysée pour ce
qu'elle est devenue aujourd'hui : un facteur de régression
pour l' humanité.
Il est grand temps de faire redescendre sur la terre la transcendance
évanescente de ce grand invertébré gazeux appelé
Dieu, Allah ou Jéhovah, avant que le ciel ne nous tombe sur
la tête. Ce ne sont plus dans des églises, dans des
temples ou dans des mosquées que se trouve aujourd'hui la
vérité de l'homme, c'est au sein des rapports d'altérité
que chaque homme saura établir avec son semblable..
La seule réponse à l'angoisse et à la misère
de plusieurs centaines de millions d'hommes, au Sud comme au Nord
victimes du capitalisme mondialisé ne réside pas dans
la foi en un dieu transcendant mais dans la foi en l' homme. La
seule réponse à l'insécurité née
d'un terrorisme protestataire n' est pas dans l'affirmation incantatoire
de la supériorité de la civilisation occidentale en
termes de démocratie ou de droits de l'homme. Elle est à
chercher dans la mise en ouvre d'une alternative à un capitalisme
ultra-libéral qui soumet à la seule loi du profit
l'humanité entière et écrase des milliards
d'être humains.
Il est étrange et consternant que les héritiers des
« Lumières » fassent l' impasse sur les siècles
d'obscurantisme et de dogmatisme qui a fait d'un Christianisme ayant
conquis et soumis à ses dogmes les trois quart de l' humanité
la religion la plus sanglante et la moins tolérante de l'Histoire.
L'homme est aujourd'hui le seul maître et le seul responsable
de son destin. Et il le sait. Il n'est soumis à aucun diktat
divin. Les « lois divines » qu 'il a lui-même
jadis inventé pour aménagé son existence sociale,
ont cédé la place aux lois qu'il découvre peu
à peu à partir de son expérience de vie en
société et de sa recherche scientifique. L'homme,
devenu autonome n'a rien à attendre d'un dieu extérieur
au monde ni d'un paradis extra temporel. C'est ici et maintenant
et nul part ailleurs, qu'il peut trouver son bonheur ou qu'il fait
son malheur. C'est en lui-même qu'il doit trouver ses propres
lois, celles qui lui permettront de vivre mieux, de faire régner
la paix et la prospérité qui sont à sa portée
pour peu qu'il le veuille.
Un tel discours est-il accessible aux fidèles et aux croyants
des religions ? Evidemment non ! Est-ce une raison pour ne pas le
tenir haut et fort à tous les hommes de bonne volonté,
tout en usant d'un maximum de tolérance et de respect envers
les personnes ? Car s'il a fallu plusieurs siècles pour que
l'Occident se défasse peu à peu de l'emprise religieuse,
n'est-il pas normal que d'autre peuples découvrent pour et
par eux-mêmes et progressivement la nécessité
d'une telle libération.
Il est grand temps que l'ère des religions cède la
place à l'ère de l'Homme, que la foi en Dieu cède
la place en une foi en l'Homme, sous peine de voir les peuples se
déchirer de nouveau sur la prééminence de leurs
héritages respectifs et de leurs vocations à dominer
le monde, à définir le Bien et le Mal pour tous les
hommes de tous les lieux et de tous les temps ?
Mais pourquoi une telle foi, pourquoi une telle "croyance"
en l'homme est-elle nécessaire ? La science ne suffit-elle
pas à permettre à l'homme de se connaître et
d'évoluer vers un monde plus solidaire, d'apporter à
tous les hommes le "pain" nécessaire à son
développement et à son épanouissement ?
Produire et consommer autrement . la science et la raison ne suffisent-elle
pas à en établir l'impérative obligation sous
peine de suicide collectif ? La croyance n'implique-t-elle pas toujours
quelque régression dans un irrationnel suspect ? C'est que
précisément "l'homme ne vit pas seulement de
pain", mais aussi (surtout ?) de ces "valeurs" sprituelles
qu'aucun raisonnement scientifique ne peut à lui seul fonder
mais qui sont nées au fil des siècles dans le "cour"
de l'homme.
C'est peu dire qu'aujourd'hui l'homme, esclave d'un matérialisme
désséchant, est assoiffé de "spirituel".
La fuite dans les sectes les plus échevelées ou dans
le fondamentalisme religieux le plus sectaire en sont hélas
les conséquences les plus visibles et les plus négatives.
Ce que l'on a pu appeler le "retour du religieux" est
gros d'un retour à l'obscurantisme, à l'Ordre moral,
et à l'oppression politique. Il est liberticide.
L'homme a besoin de "croire" et non pas seulement de
"savoir". Pour donner un sens à sa vie, à
son histoire individuelle comme à son histoire collective.
Qu'est-ce que l'amour sinon la foi en l'autre ? Qu'est-ce qu'aimer
sinon croire en l'autre ? Qu'est-ce que croire qu' "un autre
monde est possible" sinon vouloir mettre en ouvre "politiquement"
ces "valeurs" supra-rationnelles, d'aucuns diront "irrationnelles",
que sont la fraternité, la solidarité, l'égalité,
la liberté qu'aucun impératif scientifique n'a jamais
exigé et n'exigera jamais de développer parcequ'elles
prennent leur origine dans le cour de l'homme et non dans sa seule
raison, parce qu'elles relèvent de l'esprit de finesse et
non de l'esprit de géométrie, parce qu'elles fondent
la spécificité humaine sans quoi la vie ne vaut pas
la peine d'être vécue.
Les religions surnaturalistes, et très particulièrement
les religions monothéistes, ont sans doute constitué
des étapes nécessaires de l'histoire de l'humanité
vers l'âge adulte, l'âge de la rencontre et du don.
Elles ont fondé la Loi morale dans la transcendance d'un
Tout Autre indiscutable. Elles sont devenues aujourd'hui des obstacles
infranchissables à l'édification d'une humanité
plus responsable et plus solidaire.
Février 2004
andre.monjardet at wanadoo.fr
http://www.monjardet.fr.st
André Monjardet, auteur d'une « Autobiographie de
Jésus de Nazareth » (Editions Berg International Paris
1996), lecture post-religieuse et blasphématoire de la naissance
du christianisme, ouvrage occulté autant par ceux qui n'imaginaient
pas un instant le « retour du religieux » dans les sociétés
contemporaines que par les bien pensants qui l'appelaient de leurs
voeux !
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