"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
CHRONIQUE PARUE DANS LE MONDE LIBERTAIRE DU 13 AU 19 DECEMBRE 2001
NOTE DE LECTURE SUR LE
PETIT LEXIQUE PHILOSOPHIQUE DE L’ANARCHISME DE DANIEL COLSON
décembre 2001

Origine : http://lagryffe.net/spip.php?article32

Jubilatoire ! Péremptoire ! Sidérant !

Les apostrophes ne manqueront pas pour qualifier le Petit Lexique Philosophique de l’Anarchisme de Daniel Colson. Louons d’abord la manière proprement libertaire dont il est bâti : quoique le ton ne soit guère moins comminatoire que dans tout autre dictionnaire, l’auteur ne manque pas de se moquer de sa propre autorité, ni d’appeler à la controverse. En outre, le rappel constant dans chaque entrée des autres entrées traitées, permet une étrange lecture, à saute-mouton de l’ordre alphabétique. Elle a des détours, des portes dérobées, des escaliers qui se terminent dans le vide et des greniers à trésors. Enfin, l’âcreté et l’humour (on me pardonnera d’avoir ignoré jusque-là que Daniel Colson en avait beaucoup. En témoigne par exemple cette entrée, fort brève : Commissaire politique : voir aumônier) abondent, comme ils devraient le faire plus souvent dans les textes anarchistes. Un autre exemple, un peu plus long : Droite (gauche) : voir classification. Vague distinction politique, issue de la disposition géographique des représentants du peuple dans les 500 m2 des premières assemblées représentatives de la Révolution Française. Inscrite dans les limites étroites de l’ordre social et économique existant, cette disposition sert surtout à assujettir les « citoyens » à cet ordre en leur donnant l’illusion qu’ils décident librement de ses orientations, généralement tous les cinq ans, au moment du dépouillement et du traitement informatique des bulletins de vote.

Mais, bien entendu, le meilleur, ou le pire, est ailleurs, dans l’impressionnante élaboration par Coson d’un substrat philosophique à l’anarchisme, plus fouillé, plus profond, mais aussi plus risqué que ce soit qu’on ait pu lire depuis… depuis très longtemps. Nombreux auront été les libertaires surpris de trouver Nietzsche sur la couverture. Quant au porteur de lunettes en bas à gauche, qui d’ailleurs ressemble à Colson, il s’agit d’un sociologue du XIXe siècle, inconnu à la plupart d’entre nous, Gabriel Tarde. Colson en fait l’un des anneaux d’une chaîne qui passe par Spinoza, Leibniz, Nietzsche, Proudhon, Bakounine, et se prolonge par Simondon, Deleuze, etc. Les concepts de « force », de « puissance », et d’ « immanentisme » y sont essentiels. Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de la force de Benito ou de la puissance d’Adolf, mais il est hors de doute que ces vocables vont susciter de violentes polémiques, certainement pas toutes méritées, à un approfondissement théorique d’une cohérence et d’une ampleur étourdissantes. Deux fils rouges (quoique l’un d’eux soit plutôt noir) : « multiple », « intériorité », « force », « monade », « autonomie », d’un côté, « hétéronomie », « extériorité », « dualisme », « dépendance », « domination », « médiation », de l’autre. Comment ils s’affrontent, comment chacun est tissé et noué, sur quelle trame Colson les a brodés, sont choses trop longues à expliquer : il faut lire le livre. Notons enfin que nombre d’entrées, sur un mode mi-ironique, mi-profond, justifient avec bonheur bien des caractéristiques du mouvement libertaire, d’ordinaire attaquées par ses ennemis comme par ses militants. Ô blanchis sous le harnois, lisez idéomaniaques, direction de conscience, caractériel, esprit de contradiction, et si vous ne souriez pas soudain à vos vieux ennemis, c’est que vous êtes ossifiés sans retour. Un dernier pour la route ?Voici objectif, typique du vocabulaire et de la méthode colsonienne :

Objectif : l’objectif est doublement refusé par l’anarchisme, dans sa dimension spatiale, lorsqu’on parle de fait « objectif », dans sa dimension temporelle, lorsqu’on parle d’objectif à atteindre. Dans les deux cas, il s’agit de revenir à la vieille distinction entre « objets », et « sujets », où, sous couvert de distinguer deux classes hiérarchisées d’êtres, (les objets et les sujets), on tend sans cesse à soumettre tout ce qui est à la seule qualité d’objets, impitoyablement soumis à un ordre transcendant et extérieur où le seul sujet toléré s’identifie à Dieu et à l’État. Pour l’anarchisme, il n’existe que des sujets ou plutôt des subjectivités (voir ce mot) aussi variables dans ce qui les constitue (en taille, en qualité, et en nature des êtres associés) que l’infinité des êtres collectifs dont le réel est porteur.

Nestor Potkine

(Paru dans le Monde Libertaire du 13 au 19 décembre 2001)