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Origine : http://raforum.info/spip.php?article2881
Notion pratique et théorique inventée par le syndicalisme
révolutionnaire et l’anarchosyndicalisme, et qui s’inscrit
en continuité de la propagande par le fait anarchiste des
années précédentes, l’action directe,
dans son acception libertaire, embrasse la totalité des activités
de l’être humain et de ses rapports au monde. De façon
circonstanciée (mais pour l’anarchisme il n’existe
que des circonstances), la notion d’action directe fournit
ainsi une clé essentielle pour saisir la nature du projet
libertaire. Émile Pouget, un des leaders de la CGT française
d’avant 1914, en donne la définition suivante :
« L’action directe, manifestation de la force et de
la volonté ouvrière, se matérialise, suivant
les circonstances et le milieu, par des actes qui peuvent être
très anodins, comme aussi ils peuvent être très
violents. C’est une question de nécessité, simplement.
Il n’y a donc pas de forme spécifique à l’action
directe. » [1]
Ouverte sur l’infini des possibles, « force plastique
» et, de ce point de vue, très proche de l’activité
générique de Nietzsche ou de l’être univoque
de Deleuze [2], l’expérience qui a donné corps
à l’idée d’action directe est étroitement
liée à la pratique « syndicale » telle
que l’anarchosyndicalisme pouvait la concevoir ; ceci à
travers deux grandes opérations successives ou simultanées
:
1. Une opération fondatrice tout d’abord. Le syndicat
révolutionnaire doit impérativement se libérer,
par le conflit et la rupture, des pièges symboliques de la
loi, de la représentation et de la négociation. Il
doit refuser d’être l’« intermédiaire
», le « chargé d’affaire des intérêts
ouvriers ». [3] Sur le double plan de réalité
du mouvement ouvrier et de ses relations avec les autres forces
sociales, il doit refuser d’être la « personne
interposée » qui, par son statut de « représentant
», sépare ce qu’elle prétend unir, transforme
le lien qu’elle propose en chaînes et en entraves, interdit
toute association directe et toute combinaison effective des «
forces physiques, intellectuelles et naturelles » de la classe
ouvrière. [4] Refusant de se déployer sur la scène
faussement rationnelle, transparente et ordonnée du droit
et de la représentation, le syndicat doit non seulement se
retirer dans l’« irrégularité »,
la « diversité » et l’apparente «
incohérence » de la « vie ouvrière »,
mais, pli dans plis, s’inclure et s’impliquer dans sa
seule intimité de « groupement autonome ». [5]
C’est à cette condition, en raison de l’autonomie
de son intimité préservée et de la concentration
qu’elle suppose, que le syndicat est à même d’une
part de percevoir et de focaliser, sous un certain point de vue,
une « vie ouvrière trop complexe dans ses manifestations
de détail pour se prêter aux inepties des dirigeants
» [6], d’autre part « d’exprimer »
cette « vie ouvrière », de devenir la «
tribune » et l’« écho » des «
préoccupations intimes du travailleur ». [7]
2. « Laboratoire des luttes économiques », selon
la formule de Pelloutier [8], agglomérat vivant et vibrant,
disposant de la « vitalité » et de l’«
influence » correspondant à son « organisme »
pour Pouget [9], nouveau creuset alchimique de la révolution
sociale pour Griffuelhes [10], le syndicat peut alors, et à
cette condition, s’unir et se confronter à d’autres,
élargir son intimité singulière à celle
de l’ensemble des organisations ouvrières (autres syndicats,
coopératives, groupements divers, Bourses du travail, fédérations
de métiers ou d’industrie, confédérations,
internationales). Grâce à cette union et à cette
confrontation, chaque syndicat augmente sa propre force, augmente
l’intensité de sa perception de la vie ouvrière,
élargit l’acuité et la richesse de son point
de vue, pour enfin « faire jour » à la puissance
de vie ainsi créée et accumulée, la «
développer » au-dehors, jusqu’à la «
lutte suprême qui sera la grève générale
révolutionnaire ». [11]
Daniel Colson
[1] Émile Pouget, L’Action directe (1910), éditions
CNT-AIT, s. d., p. 23.
[2] Gilles Deleuze, Différence et répétition,
PUF, 1968, pp. 52 et suivantes.
[3] Fernand Pelloutier, « Du rôle des Bourses du travail
» dans Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines
du syndicalisme d’action directe, Seuil, 1971, p. 41 ; et
émile Pouget, op. cit., p. 23.
[4] Ibid.
[5] Victor Griffuelhes, Le Syndicalisme révolutionnaire
(1909), éditions Espoir, s. d., p. 14.
[6] Victor Griffuelhes, L’Action syndicaliste (1908), Éditions
syndicalistes., s. d., pp. 15 et 16.
[7] Ibid., Le Syndicalisme révolutionnaire, op. cit., pp.
29-30.
[8] Op. cit., p. 404.
[9] Op. cit., pp. 8 et 4.
[10] Le Syndicalisme révolutionnaire, op. cit., p. 10.
[11] Victor Griffuelhes, ibid., p. 30 ; et Georges Yvetot, A.B.C.
syndicaliste (1908), Éditions CNT-AIT, s.d., pp. 39-40.
Article, paru dans Réfractions n° 7
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