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CHRONIQUE PARUE DANS DISSIDENCES N°11
Peti lexique philosophique de l'anarchisme de D Colson
mai 2003 La Gryffe


Origine : http://lagryffe.net/spip.php?article132


l C’est une idée originale qu’a eu Daniel Colson, auteur de plusieurs textes sur l’anarcho-syndicalisme [1], d’établir un dictionnaire philosophique de l’anarchisme. 369 notices constituent ce livre étonnant. Un dictionnaire par définition est une invitation aux chemins détournés, en l’absence de toute balise. L’exercice n’est pas sans danger et nul doute que des militants qui parcourront cette somme ne s’y retrouveront pas [2]. Mais l’auteur s’en est expliqué par avance dans sa préface : " Le ton péremptoire ou pédagogique adopté ici, celui des dictionnaires et des manuels, est évidemment une parodie ". Il finit en précisant : " le subjectivisme absolu affirmé dans ce lexique (…) est seulement, si l’on peut dire, la condition intérieure et subjective de la définition de l’anarchie proposée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, "cette étrange unité qui ne se dit que du multiple" " (p. 13 & 14).

Le projet de l’auteur est de mobiliser des notions et des termes spécifiques à la philosophie pour se livrer à un exposé de sa conception de l’anarchisme. Pour se faire il va s’appuyer sur de nombreux philosophes. Certains de ces auteurs sont attendus, voire incontournables. C’est le cas bien sûr de Bakounine, l’auteur avec Proudhon le plus cité, Alain Pessin n’écrivait-il pas à ce propos que " s’il faut désigner une figure qui sera, en ce domaine du mythe, celle de l’ancêtre fondateur, ce sera indiscutablement celle de Bakounine " [3] ? Mais force est de constater que Daniel Colson a fort peu fait appel aux auteurs anarchistes : Malatesta et Stirner sont quelquefois mentionnés... Par contre Deleuze et Nietzsche se taillent la part du lion.

Cette dernière référence peut paraître surprenante mais s’éclaire quand on lit par exemple cette phrase tirée de la notice " maître/esclave " : " avec Nietzsche, et au sens que ce dernier donne à ses mot, l’anarchisme est toujours et sans hésitation du côté des maîtres et non des esclaves. Le point de vue émancipateur n’est pas un point de vue d’esclave mais un point de vue de maître, lorsque le dominé (…) devient son propre maître ". (p.177). La lutte de classe dans cette optique est relativisée et dépouillée de tous les oripeaux dialectiques dont le marxisme [4] l’avait ornée. Elle n’est plus qu’" un acte fondateur sans cesse répété, (…) une rupture qui, à travers la multiplication des conflits partiels et son mouvement même, contribue de façon décisive à transformer l’être même de l’ouvrier " (p.179). La notion d’"éternel retour" de Nietzsche encore est revendiquée pour signifier la volonté de dominer voire de modifier le passé, coupable d’emprisonner le champ des possibles par la détermination.

Pour Daniel Colson, l’anarchie se définit comme " l’affirmation du multiple, de la capacité illimitée des êtres et de leur capacité à composer un monde sans hiérarchie, sans domination (…) " (p.27). Le but de l’anarchie se confond avec ses moyens et se confond finalement avec le désir considéré comme l’" équivalent de la volonté de puissance nietzschéenne " (p.73), bref l’affirmation de soi. Affichant un " monisme radical " - significativement le mot "conscience" renvoie à "personne, moi et corps" - L’anarchisme de D. Colson se trouve une proximité avec le taoïsme chinois. D’ailleurs " pour la pensée libertaire tout se passe à l’intérieur des choses, des êtres et de leurs rencontres. Rien ne vient de l’extérieur, (…) tout est à l’intérieur " (p. 155, "immanence").

De lecture ardue, ce livre qui confronte plusieurs philosophies avec l’anarchisme les réconcilie en une pensée cohérente de l’émancipation personnelle. A sa manière, il contribue au renouveau de la pensée anarchiste.

Stéphane Moulain

P.-S. Dissidences : http://www.dissidences.net/

NOTES

[1] Il s’agit d’un livre, Anarcho-syndicalisme et communisme, Saint-Etienne, 1920-1925, ACL, 1986 et d’une contribution à un ouvrage collectif, Anarcho-syndicalisme & anarchisme, ACL, 1994. Par ailleurs, D. Colson a donné en 1996 une contribution au colloque de Grenoble sur la culture libertaire dont les actes ont été publiés par ACL en 1997.

[2] Il faut dire que ce livre semble bénéficier d’une audience inespérée puisqu’il est lu jusque dans l’émission télévisée "Loft Story" !

[3] In La rêverie anarchiste, ACL, 1999, p.63.

[4] On ne peut que regretter que l’auteur qui pourtant connaît ses classiques a tendance à réduire le marxisme à sa caricature déterministe.