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LES CULTURES AMOUREUSES à la Villette

Date: 2004/09/08

Subject: [n-e-u-f] Projet d'expo LES CULTURES AMOUREUSES à la Villette

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CULTURES AMOUREUSES

Arlette Farge – Rose-Marie Lagrave

L’intention générale de l’exposition

Depuis trente ans, l'ordre des sexes a été bouleversé, réinterprété, réfléchi, et s'est organisé un combat majeur pour l'égalité entre hommes et femmes. Toutes les avancées qui en ont résulté ont apporté, dans le domaine des sensibilités et des intériorités masculines et féminines, des bouleversements considérables : les prises de parole, les formes du désir, la reconstruction des rôles sociaux ont peu ou prou modelé d'autres figures, d'autres visions du couple, du travail et de la conjugalité.

Aujourd’hui, si l'individualisme triomphant impose que l'on invente des formes collectives du comment vivre ensemble, car nos sociétés ont renoncé aux ambitions collectives, toutes les femmes et tous les hommes n'ont pas les mêmes chances de faire un travail d'insoumission aux normes, et n'ont pas les mêmes chances d'aimer en toute liberté. Au demeurant, nul n'a la possibilité de faire ce travail une fois pour toutes, d'autant que se brouillent dans l'indistinction la sexualité et l'amour.

Or, l’amour ne subvertit pas toujours les sexualités, il peut subvertir le monde, si cette énergie là, tout occupée à s'assurer des fidélités, sexuelles par le biais de la jalousie, pouvait se reconvertir en énergie sociale et collective.

Comment alors constituer l'amour en levier politique et non en message sympathique ou messianique ?

L’amour peut être une des matrices de ce qu’on pourrait appeler « la sororité fraternelle », et, de ce fait, il renoue avec le sens du collectif. C’est retrouver une des valeurs de la République passée par pertes et profits, car si Liberté et Égalité sont revendiquées, qui ose à présent parler de Fraternité autrement que comme un gadget commode pour en appeler à une solidarité défaite ?

Les usages politiques de la fraternité impliquent que l'on rompe avec le vocabulaire ambiant et les stéréotypes pour que soit mieux signifié le désaccord avec leurs usages.

Séquence I - Les avatars du désir : « il pleut des pierres »

Un Contexte politique et social : Fractures, fissures, bouleversements sociaux et politiques …

Voici que, depuis la fin des années 1980, des réalités très dures, très nouvelles, surviennent avec rapidité. Des ruptures s'opèrent, des certitudes vacillent, d'autres, sûres d'elles mêmes, viennent envahir le champ de la pensée pour l'anesthésier. Des perplexités et de grandes inquiétudes naissent, et quelque chose d'un futur imaginé s'effrite face aux brutalités du présent. Chaque événement et peu de gens veulent le croire entraîne des conséquences dans la façon que trouve le désir à s’exprimer, que ce soit dans la rencontre, les conjugalités, mais aussi dans les résistances et le luttes.

- C'est d'abord la chute du mur de Berlin en 1989. Avec cette chute, se défont les illusions mais aussi se forge l'idée d'avenirs qui ne se choisissent pas, qui ne se choissent plus.

- C'est l'apparition d'une nouvelle génération : les mères ont été plus ou moins féministes, les années sont dites « fric », l'éphémère tient lieu de jouissance et d'avenir. C’est le triomphe du libéralisme.

- Le chômage augmente, asservissant lourdement les ménages et frappant de façon très difficile la façon d'assumer les rôles sociaux, sexuels et parentaux.

- La classe ouvrière est effacée de la carte mentale des affairistes et des intellectuels. Ils sont 7 millions en France, les plans sociaux et les restructurations cachent des réalités sociales très graves et des problèmes affectifs importants. Or, à l'intérieur de ce monde au temps volé, au corps abîmé, les rôles masculin et féminin sont détériorés par l'absence d'emploi.

Ce qui frappe avec certitude, c'est l'absence de mots venant caractériser l'ensemble de ces situations, et la façon dont les hommes et les femmes qui souffrent n'ont plus le vocabulaire de la revendication, ni même des espérances futures.

- Les grands conflits européens au Rwanda comme en ex Yougoslavie renvoient à la cruauté qu'on croyait avoir déserté le monde depuis la deuxième guerre mondiale. Hommes et femmes vivent avec cette nouvelle donne, sans qu'aucune réflexion ni politique, ni éthique, ni métaphysique ne vienne donner de réponse.

Notre modernité est celle de la précarisation, du chômage, de la captation du désir dans des injonctions contradictoires (dont le recyclage du désir à des fins marchandes). L’identité et la solidarité se sont brisés ; morcelés et brouillés, ils se perdent et ne peuvent plus servir de point d’appui.

Des mondes du travail au corps bafoué

Ainsi, une multitude d’expériences, de contraintes, de dominations, de formes sociales et politiques viennent contrarier, affadir le désir (au sens large : sexuel, amoureux, égalitaire), le rendant possible ou impossible.

A partir de trois sphères du monde du travail qui semblent particulièrement investies par ces phénomènes,

- les mondes ouvriers,

- les mondes paysans,

- les métiers de service et du compassionnel,

nous explorerons les contraintes, les formes de domination qui perturbent la circulation du désir. Autant d’expériences où la souffrance de l’exploitation collective joue sur l’intime.

Et, dans nos sociétés occidentales qui se présentent comme la scène d’une jouissance généralisée, le dévoiement, la déhérence du désir malmènent les corps.

La publicité, l’injonction du jeunisme, mais aussi la prostitution et les violences en seront des exemples.

Les mondes du travail

Le monde du travail génère moins le désir que l'aliénation, en quelque sorte une dépossession de soi.

Mais, il y a une différence entre les hommes et les femmes dans cette confiscation du désir : les hommes s'investissent dans le travail et ses valeurs, tandis que les femmes, de par la multiplicité des tâches qu'elles assument (profession, gestion du quotidien familial, charge des enfants...) sont «fatiguées d'être».

A) Les mondes ouvriers, les mondes industriels

Une menace majeure, le chômage

- La perte des prérogatives masculines et l’atteinte à la féminité des femmes

Un homme au chômage perd son honneur et sa virilité, alors que le chômage n’est pas perçu comme atteinte à la féminité.

- Les renoncements

Dépression, alcoolisme, suicide,… il peut se produire avec ces délires dérivés, davantage de cruauté, de l’anti-compassionnel à l’intérieur d’une même classe sociale.

Dans le même temps, dans ce monde du travail menacé, du désir peut s’insinuer, se produire.

- Les échappées belles

Le désir ressurgit comme une force vitale, une énergie où l’on est encore capable de se révolter, d’agir… Par exemple, avec

- Les rôles et luttes des femmes à l’intérieur des syndicats,

- Les résistances collectives.

B) Les mondes paysans

La France a pris congé du travail extractif et des métiers y afférant (travail dans les mines, travail de la terre...). Se marquent une évolution des métiers et l'émergence de mondes d'entrepreneurs industriels et agricoles.

Si le monde ouvrier reste un monde de salariat, le monde paysan est considéré comme composé de travailleurs indépendants.

Ce monde d'entrepreneurs agricoles va induire, dans la distribution des tâches, moins une répartition de rôles entre les genres, qu'une dévalorisation de soi dans le rapport au métier (tâches segmentées et répétitives), et ce quel que soit le genre, même si certaines agricultrices s’organisent pour une reconnaissance de leur statut.

C) Des métiers de service

A travers l'évolution de la société vers un monde de services, il y a transformation des rapports de genre où, traditionnellement certaines tâches étaient censées être destinées aux femmes.

- Les métiers de secrétaire, de comptable, comme ceux de vendeuse ou de télévendeuses, seraient liés à la compétence particulière supposée des femmes à utiliser des machines ou à apporter un « talent de service particulier ».

Et l’emploi des femmes demeure généralement moins rémunéré que celui des hommes et peu valorisé (ségrégation horizontale).

- Les « métiers du compassionnel »

Ce sont des métiers centrés sur la prise en charge d'enfants, de vieillards, de personnes dépendantes et qui sont généralement pensés comme dévolus aux femmes, parce qu'ils s'exercent précisément dans la sphère du compassionnel.

- Le monde hospitalier

- Les relations soignants/malades, les relations soignants/soignants

- Les hiérarchies et le pouvoir de l’institution

Le personnel se soumet le plus souvent au pouvoir coercitif de l’institution (cf. M. Foucault). Par exemple, en milieu hospitalier, on ne répond pas au désir des personnes en fin de vie, s’il ne correspond pas au fonctionnement de l’institution.

Formes évolutives et ambiguïtés du compassionnel

Les exemples choisis (de la prise en charge de personnes dépendantes aux « soins d’amour ») montrent une compassion partagée, de l’ordre du politique et non une compassion charitable.

Le corps, la jouissance

Le procès de transformation du désir en marchandise sous la forme d’un produit cher et dont on paye le prix, s'opère par une série de réductions et de reconfigurations du désir qui défigurent les possibilités du vivre ensemble.

La jouissance a été expatriée du désir alors qu'elle en était une des composantes, en sorte que sa relative autonomie la constitue en objet d'échanges publicitaires et marchands. La jouissance aujourd’hui n'est pas autre chose qu'une sorte de fast food du désir.

A) Le rêve trompé, bafoué

Le corps, maltraité, souffrant dans le monde du travail est confronté aux images d’un corps « fabriqué », pensé comme idéal. On fait commerce de ces images, générant des leurres (publicité,...) et des ostracismes (vieillesse…).

- La publicité

Surenchères de virilisation, de féminisation, brouillage des genres, la publicité présente des encodages multiples des notions de genre.

- Le jeunisme, un diktat

Pratiques alimentaires, soins du corps, ... de la santé au jeunisme

B) Le corps violenté

- Le corps vendu, le commerce de la prostitution

- Corps battu, corps violé : des violences (ordinaires ?) dans l’espace public et dans l’espace privé

C) En contrepoint, le corps sportif

Essayer de se construire, de construire son identité en s’en donnant les moyens par une compétence sportive.

Séquence II – Il y a peu… s’inventaient des désirs collectifs

Contexte

Durant les années soixante, avec un gouvernement de droite et des valeurs conservatrices, la société française, dans un contexte de croissance, conçoit le bonheur à l’aune de la consommation. Cette société repue, qui s’ennuie, connaît alors des remises en cause majeures : la fin de la France coloniale (indépendance de la guerre d’Algérie) et l’émergence d’une jeunesse tiers-mondiste -qui s’ennuie pareillement- mais sensible à la décolonisation comme à la guerre du Vietnam. Un contexte où sont occultées les différences, voire les séparations entre les hommes et les femmes.

Le mouvement de 1968 va revisiter des valeurs conservatrices, contribuer à la démocratisation de la scolarisation, mais cet élan contestataire ne remet pas véritablement en question les inégalités entre hommes et femmes. Tout se vit dans une certaine exaltation de l’énergie sexuelle (cf. W. Reich), mais l’objectif essentiel des actions étant alors la lutte des classes, le statut des femmes reste « une contradiction secondaire ».

C’est après ce moment de lutte et de contestation -déjà annoncé dans les années 60- qu’apparaîtra un mouvement féministe issu d’une prise de parole des femmes, parole longtemps contenue ou refusée, particulièrement dans les structures des partis politiques ou les syndicats.

féminismes, sororité

Une temporalité nouvelle s’empare des femmes : communiquant entre elles, élaborant une culture de combat, organisant leurs espaces, elles connaissant le plaisir du partage et conquièrent leur égalité de haute lutte.

Deux féminismes s'opposent qui, pour être historiques et sans doute dépassés, ont beaucoup d'influence : le corps nature s'oppose au corps culture.

Pour les adeptes d'un corps nature, le féminin est à retrouver dans ce qui fonde son essence : le lait, le sang, les règles, les humeurs (cf. Annie Leclerc, « Paroles de femmes », Emma Santos « Il est rouge ce sang »).

Pour les autres (autour de Simone de Beauvoir essentiellement), le corps féminin est de l'ordre de la construction culturelle : « on ne naît pas femme, on le devient ».

Cette césure entre les deux perceptions (essentialistes/égalitaristes) est fondamentale parce qu'elle sera aussi le lieu de prises de positions très différentes.

Nouveau concept, la sororité doit se comprendre comme un moment d’invention d’un lien politique et affectif entre femmes mobilisées.

Le plaisir d'être entre femmes, de parler, d'inventer se double d'une notion forte (et ambiguë) : la solidarité au delà des inégalités entre femmes. Pour qu’advienne la sororité, il fallait en passer par l’amour de soi, l’amour entre soi, entre femmes mobilisées à un titre ou à un autre, moments nécessaires de réassurance pour aimer son prochain que sont les hommes et les femmes. C'est en fonction de cette sororité que s'organisent les luttes, sans apercevoir que ce concept exclut le masculin et suppose une égalité entre femmes qui, de fait, n'existe pas.

Dans cette séquence, nous mettrons l’accent sur plusieurs points qui rendent compte

- de l’expression collective du désir par les femmes, revendiquant aussi l’égalité avec les hommes et la jouissance d’un corps libéré,

- des importantes mutations sociales qui ont découlé de leurs luttes,

Mais aussi sur

- des résistances et réactions machistes auxquelles elles se sont heurtées,

- de leur oubli des différences de classes.

C’est une nouvelle histoire des femmes que les femmes construisent et dont les effets se poursuivent aujourd’hui.

L’expression collective du désir

L'atmosphère dans laquelle se déroulent les actions, manifestations, prises de conscience par les femmes est celle d'une joie vécue en commun, d'une effervescence qui se transmet de femme à femme avec la conscience plus ou moins floue que le bonheur est au bout de la lutte, que l'égalité entre hommes et femmes permettra une plus grande liberté des uns et des autres, que l'identité féminine, depuis si longtemps reléguée au silence, se déploiera dans un univers harmonieux où jouissance et rapport à l'autre s'organiseront sans rapport de forces.

Le corps libéré est éminemment visible et fait spectacle. Deux types de beauté vont peu à peu s'ancrer : une beauté « naturelle » et l'autre sophistiquée, homologues à la tension entre nature et culture.

Cette ambivalence beauté/non beauté est un des fils rouges de ces moments du combat et va jusqu'à aujourd'hui.

Des mutations sociales

La contraception (le MLAC), l'avortement (procès de Bobigny avec Gisèle Halimi, puis Simone Veil au Parlement), plus tard la criminalisation du viol (1980) sont des conquêtes très importantes. Les conséquences en sont considérables, avec des appréhensions nouvelles des corps masculin et féminin. A partir de ces conquêtes, un champ de maîtrise du corps ouvre une ère culturelle nouvelle qui peut déplacer les formes même de l’amour, du désir et de la suprématie masculine.

C'est le moment où les femmes se réapproprient la décision quant à la fécondité et à leur statut éventuel de mère. On n'est plus mère naturellement, on le choisit.

L'homosexualité féminine et les sexualités deviennent des domaines légitimes. Le FHAR, dans la mouvance des revendications homosexuelles féministes, se constitue en opposition à la société machiste.

Les résistances : réactions machistes

Des hommes, et cela de façon faussement globale, semblent accepter ces avancées. Mais l'acceptation est de l'ordre de la sidération. Comment, pour eux, repenser une masculinité mise à mal, une virilité vilipendée, une domination que certains pensent n’avoir jamais pratiquée ?

Mais beaucoup, par une sorte de repli sécuritaire, développent un anti-féminisme sourd et tentaculaire, bientôt rejoints par une fraction de femmes, « les femmes à cœur d’homme », pour lesquelles seuls les jugements et les consécrations masculines sont légitimes.

L’oubli des différences de classes

La femme s'inscrit dans des contextes sociaux, politiques et religieux forts qui en font des femmes et non une femme.

Mais les différences sociales et culturelles n'ont guère été envisagées par les féministes. Le monde paysan reste silencieux. Il faut dire que les perspectives offertes par la libération des corps se décline plus facilement dans les milieux favorisés. Et le désir réel du monde ouvrier de ne pas se fracturer pour lutter de façon unitaire l'empêche d'entrevoir la libération féminine comme un fer de lance de la lutte ouvrière.

Entre le surcodage moraliste de la haute bourgeoisie, l’oubli des conditions de vie des classes populaires qui l’empêchent, le désir exalté par le mouvement féministe des années 70 est le fait des classes moyennes.

Une histoire des femmes se met en place par les femmes ; une sociologie au féminin s'ouvre.

1967: Loi Neuwirth

1970 : L'autorité parentale remplace l'autorité paternelle Création du MLF

1971 : 343 femmes signent un manifeste pour déclarer qu'elles ont subi un avortement

1972 : Procès de Bobigny

1973: Création du MLAC

1974: Secrétariat d'état à la condition féminine (Françoise Giroud)

1975 : Loi Veil Divorce par consentement mutuel

Abrogation de l'article du Code civil napoléonien, autorisant le mari à battre son épouse

1980 : Le viol est criminalisé

1981 : Ministère du droit de la femme (Yvette Roudy)

1986 : Allocation parentale d'éducation pour les familles de trois enfants et plus

1992 : Loi sur les violences conjugales et le harcèlement sexuel

1993 : Lancement du débat sur la parité en politique

2000 : Loi sur la parité

2002 : Loi sur le PACS

2003 : Mouvement de filles de banlieue, marche de « Ni putes ni soumises »

2004 : Revendication du mariage homosexuel (rien dans les termes du Code civil ne l'interdit)

SEQUENCE III – Figures du désir : de l’amour à la subversion

CONTEXTE

Que se passe-t-il dans la vie quotidienne et dans le long déroulement des jours et des événements tandis que se réfléchissent et se vivent les liens amoureux, bousculés par l’actualité, les luttes de toutes sortes et les désirs brisés ?

Conformisme et consensus

On pourrait dire que la société européenne a fait des arrangements sociaux et culturels dans sa manière de concevoir le côtoiement entre les sexes. En un sens, la réunion fusionnelle entre les sexes n'est supportable que s'il existe des échappées : rencontres spécifiques entre femmes, camaraderie de travail, besoin pour les hommes de se retrouver ensemble avec leur langage, leurs expressions corporelles et leur silence. Ainsi égalité et ressemblance ont par moments besoin d’être fuis, oubliés, abandonnés.

La République est elle-même un espace de mixité et travailler sur sa consolidation donne de la force à l’entente entre les sexes. D’elle découle l’enseignement, l’hôpital, l’harmonie urbaine, etc… où la mixité se révèle performante.

La vie politique en démocratie crée normalement de l'égalité, si bien que toute accentuation des clivages sociaux réaccentue les oppositions entre sexes.

De fait, ce conformisme et ce consensus établissent des interdictions, un glacis sur les comportements sexuels : l'avortement devient de plus en plus difficile à obtenir, tandis que les jeunes filles sont sous informées sur la contraception.

Les jeunes générations des classes moyennes subissent une double influence : les acquis du féminisme sont présents, mais aussi l'envie de retrouver certains schémas abandonnés par leurs aînés.

Le SIDA fait peur aux corps masculin et féminin. Les précautions à prendre donnent à la fois une immense appréhension de la relation sexuelle et entraînent sur un chemin du soupçon (es tu contaminé ?) qui se diffuse lentement.

Ainsi, les relations entre le masculin et le féminin comme les rapports homosexuels appartiennent au monde privé et public, mais elles sont tellement inscrites à l'intérieur de niveaux sociaux et de contextes politiques et économiques qui influencent les options personnelles, qu'il est impossible de les séparer du monde politique, des lois, des influences médiatiques et intellectuelles, des pouvoirs légitimés.

Dans cette séquence, nous souhaitons montrer, à partir de ce qui se passe aujourd’hui et dans les interstices de la décomposition, comment retrouver des fragments espérants de maillage et de tissage de l’intime et du collectif :

- malgré le poids de normes traditionnelles dans les structures privées de la famille, du couple, le vivre ensemble ne subit-il pas de profondes mutations ?

- l’amour, même s’il est indicible, n’abolit-il pas des ancrages sociaux comme la domination masculine ?

- le désir comme l’amour s’ils détiennent un potentiel subversif nourrissant les modes de rapport aux autres, peuvent-ils devenir levier politique concernant le collectif ?

Aujourd’hui : des sexes qui se côtoient, des brouillages…

Des cadres anciens des formes du vivre ensemble et leurs transformations

- L’amour normé

Sans vouloir chercher « les origines » de l’amour, peut-on parvenir à appréhender le ou les moments où l’accrochage de la sexualité et de l’amour se sont noués ? Tout laisse à penser que l’Eglise a consenti à enserrer la sexualité et la procréation dans un sentiment amoureux formel pour discipliner ce qui risquait d’échapper à son contrôle. Corrélativement, si l’on parvient à comprendre le sens de l’ajustement entre sexualité et amour, ne peut-on pas avancer que les règles présidant au mariage préférentiel, à l’interdit de l’inceste et à la valence différentielle des sexes (les trois piliers du social) n’y suffisant plus, elles devraient être légitimées et doublées d’un imaginaire de l’amour les rendant plus effectives, plus sensibles, moins brutales ?

- La famille

La famille irrigue nos sociétés. Elle impose sa domination dans tous les domaines, aussi bien dans la vie professionnelle que sociale et politique.

Comment fonctionne alors le désir dans un tel contexte ?

La famille serait le lieu du désir ?

L’évidence métaphorique de la famille a été incorporée et guide la plupart de nos conduites. En fait, elle est un instrument de contrôle social. Le discours qu’elle induit représente une généalogie de contraintes. Elle capte et canalise le désir, l’empêche de sortir de la norme. Ce verrou maintient les identités, les construit de l’extérieur. Mais face à cette puissance injonctive, des déliaisons sont possibles.

- Subversion et affranchissement

Une nouvelle économie des relations se met en place : familles monoparentales, homoparentales, cohabitation, concubinage, PACS. Les familles se recomposent, homosexualités et transexualité s’affirment, comme s’affirme leur demande d’indifférenciation.

Se rejouent des sexualités mouvantes, tout cela dans la plus grande des mises en danger. Le sida fait son œuvre, hante les esprits, et se perd la beauté du geste.

Qu’en est-il de l’amour ?

L’amour, objet non identifiable, a été peu « travaillé » ; on a davantage étudié ce qui divise, sépare les hommes et les femmes que ce qui les unit.

Mais, paradoxe, on peut remarquer le déferlement d’images de l’amour (cf. Les kiosques et les innombrables magazines évoquant le sujet sans jamais répondre à la question de sa nature même). L'amour serait le non dicible. Ilest dévié vers d'autres figures comme la passion, alors qu’il serait de l'ordre du trouble.

L’obscénité aujourd’hui serait non pas la sexualité, mais l’amour (comment le dire, le parler ?)

Impliquant des hospitalités, l'amour est accueil d'altérités multiples dans une temporalité spécifique (notamment dans le suspens de la domination masculine).

Et il file entre les mailles du carcan, subvertit la norme, creuse les lois, bouscule les symboles cimentés à des imaginaires socioculturels, vide les théories trop bien construites, s’incarnant dans les situations contemporaines fort diverses des parcours amoureux…

Une figure exacerbée du désir amoureux, la passion

La passion est accomplissement, voire accentuation de chaque genre et la dépossession de soi y est à son paroxysme.

Il en est de même pour la passion spirituelle, mais avec des traits exacerbés, parce que le corps devient là un obstacle à la passion.

Recréer du désir collectif

De l’amour et du désir

L'amour, en tant qu'irruption de l'autre reconnu en soi, dessinerait des zones d'insurrection et pourrait être subversion. Sa temporalité n'impliquerait pas seulement suspens de la domination masculine, mais suspens de toute domination.

A l’identique, le désir, cette énergie se donnant lucidité, reconnaît la part du masculin et du féminin en chacun. De là, il peut jouer le jeu des identités de genre et contribuer à une forme d’altérité absolue comme le propose Marie-Hélène Bourcier « L’une des solutions queers [n’est-ellepas] la prolifération d’identités dont les identités de genres non naturalisées… de manière à rendre le couple homme – femme suffisamment problématique pour entraver les modes de reproduction de l’identité occidentale. » ?

Je / Tu / Vous / aime

L'amour comme le désir peuvent-ils être émancipateurs, empathiques, créer du collectif ? Toutes les insurrections collectives par exemple n’ont-elles pas été de forts moments d'échanges, mais éphémères ?

A partir des expériences que nous avons en héritage (la Commune, la Guerre d'Espagne, le Front populaire...) pouvons-nous trouver l'énergie (le désir) et imaginer la création d'autres formes du vivre et du vouloir ensemble dans le présent et pour l'avenir ?

Il s’agit de retrouver le bien commun donné par cette historicité et dont nous a privés l'Histoire.

Mais sans oublier la souffrance individuelle liée au désir d’échanges collectifs.

Car, bien sûr, il y a des fêtes, des festivals et tant d’autres choses… et tant de monde pour y être.Tout cela se vit, parfois s’acclame, sur fond d’une intense solitude, d’une souffrance qui osent à peine se dire parce que culpabilisées. Quelque chose d’un sens commun donné à cette souffrance de chacun n’est jamais énoncé par quiconque et elle manque de personnes sachant la recueillir comme étant le produit de nos manques collectifs, et pour la redistribuer à chacun. Alors, comment lui expliquer que sa douleur est en fait le produit de notre histoire ? Ici, quelque chose « du souffrant » se dit trop individuellement pour être signifiant d’un manque de vie collective et le produit de notre histoire en Europe, en 2004.

La question centrale, inhérente au désir collectif, reste celle de la mobilisation, de la préservation et de la perpétuation de ces énergies collectives. Si divers mouvements sociaux, différentes associations, ont improvisé leur sens, et par les expériences en font mémoire, il s'agit de voir désormais comment ces formes d'action, de même que des formes du vivre collectif moins visibles, plus ténues, sont agissantes.

Elles vont de la rencontre, de l'hospitalité des moments festifs qui ne se referment jamais sur la tribu mais restent ouverts jusque dans leur apparente évanescence, aux mouvements fugitifs mais répétables de lutte.

Elles sont capillarités, constellations de possibles, incarnées notamment par le tissage de ces réseaux mouvants, polymorphes de groupes en lutte contre cette souffrance du mal être…