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La culture du gratuit
Bertrand Le Gendre


Message Internet
Subject: La culture du gratuit, dans le Monde
Date: 24 Octobre 2003
Title: La culture du gratuit, dans le Monde

Un texte qui va un peu plus loin que les raccourcis habituels sur le "vilain gratuit" qui va tout casser.
[FL]
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_article/0,1-0@2-3232,36-339311,0.html


Ils sont jeunes et fans d'Internet. C'est là qu'ils téléchargent leurs chansons favorites et prennent le pouls de la planète. Sans débourser un centime.
Peut-être préfigurent-ils le rapport que les générations futures entretiendront avec l'information et la culture. Prêtes à payer pour des contenus à réelle plus-value, répondant à leurs besoins, mais intimement convaincues que le Web doit rester un réseau d'échanges libre de droits.

Cette culture, sinon ce culte, du gratuit explique la panique qui s'est emparée des majors du disque lorsque le piratage est devenu un phénomène de masse. A l'inverse des cassettes audio ou vidéo enregistrées, il suffit aujourd'hui d'un clic pour transmettre un morceau de musique, un film ou un texte que l'on vient de télécharger. Internet facilite non seulement la copie mais réduit à presque rien les coûts de distribution.

L'internaute a depuis longtemps intégré cette révolution numérique qui interpelle tous les créateurs de contenu. Avec un ordinateur disposant d'une connexion haut débit, il suffit de quelques heures pour télécharger un long métrage. Tous les usagers du Web ne bénéficient pas d'une telle connexion, la qualité de l'image est loin d'être parfaite et le téléchargement parfois interrompu. Mais il ne s'agit là que d'obstacles techniques qui seront surmontés sous peu. Déjà "600 000 films sont téléchargés chaque jour sur Internet", si l'on en croit la Motion Picture Association of America.

Pour l'édition, la menace peut paraître lointaine. La lecture d'un roman sur l'écran d'un ordinateur portable ou de bureau est fastidieuse, et les procédés alternatifs, comme l'e-book n'ont pas encore percé. Mais, dans ce secteur aussi, les signes avant-coureurs d'une prochaine révolution se multiplient. Paru cet été en langue anglaise, le cinquième Harry Potter a aussitôt été piraté. Interrogé par le New York Times, un jeune Américain, étudiant à Tokyo, affirmait l'avoir téléchargé sur une plate-forme d'échange de fichiers (peer to peer) en "moins de trois minutes".

En République tchèque, une traduction de dix-neuf des trente-huit chapitres était déjà disponible sur le Web début juillet, fruit du travail d'une communauté d'internautes impatients de connaître les nouvelles aventures de leur héros.

Du coup, l'édition, tout comme Hollywood, observe de près la riposte de l'industrie du disque. Dans ce secteur, le piratage a pris de telles proportions qu'il sape les fondements d'une économie qui se croyait invulnérable. Le marché mondial du disque a régressé de 7 % en valeur l'année dernière, tandis qu'en France les ventes de CD audio pourraient reculer de 10 % en 2003. C'est devenu un petit jeu très prisé des teen-agers que de repérer avant sa sortie un album de Robbie Williams ou de Christina Aguilera sur le Net et de le "forwarder" aussitôt par le même truchement.

Si nombre d'internautes n'ont guère de scrupules à pirater des films, des chansons ou des romans, c'est qu'Internet, à force, a modifié leurs habitudes de consommation. Ils savent que l'on trouve tout ou presque sur le Web sans avoir à mettre la main à la poche : jeux, logiciels, informations économiques ou culturelles et données de toutes sortes.

Si "gratuit" n'est pas synonyme de piratage, "gratuit" n'est pas non plus synonyme d'Internet. Le Web est concomitant au phénomène, il l'entretient mais ne le résume pas, comme en témoigne la multiplication des journaux gratuits, Métro, 20 minutes et quelques autres, déjà installés (Marseille Plus) ou en gestation (Sport). Autrefois marginale, cette presse-là ne l'est plus dans certaines villes. Dans la région parisienne, en 2002, la diffusion moyenne des quotidiens dits généralistes était au total de 953 000 exemplaires par jour (Le Monde, Le Parisien, Le Figaro, Libération, France Soir, ...). La diffusion de Métro, ajoutée à celle de 20 minutes, représentait, elle, 750 000 exemplaires, lus par des Franciliens qui pour la plupart n'achetaient pas de quotidien.

UTOPIE CONTRE MARCHANDISATION

Ces quotidiens gratuits sont destinés au même public que celui d'Internet, où dominent les jeunes urbains actifs dont ils renforcent la conviction qu'il n'est pas toujours nécessaire de payer pour s'informer ou accéder à la culture de masse. En France, l'extension du gratuit progresse à la même allure que la révolution numérique.

Selon une enquête récente de Médiamétrie, 85 % des 11- 19 ans se sont déjà connectés à Internet. Parmi ce public déjà familiarisé avec le Web, 84 % sont des internautes réguliers et, parmi ces derniers, 37 % ont téléchargé de la musique et 29 % de la vidéo.

Cette culture du gratuit est enracinée dans la préhistoire d'Internet, que ses inventeurs ont conçu comme un système d'échange ouvert où chacun met son savoir à la disposition de tous. Cette culture du partage, nourrie des utopies des années 1960, a survécu à la marchandisation du Web. Elle ne domine plus celui-ci, mais, parce qu'elle est dans ses gènes, il faut compter avec, les multinationales du disque l'ont appris à leurs dépens. Si les pirates du Web se sentent parfois coupables de priver de leurs droits d'auteur compositeurs et interprètes, ils savent aussi que sur un CD audio vendu au prix, prohibitif pour un étudiant, de 20 euros, seuls 1,5 à 5 euros reviennent à l'artiste selon qu'il a ou non produit l'album.

Ce nouveau rapport à la culture et à l'information modifie les liens que les internautes entretiennent avec elles. L'usager d'Internet navigue d'un site à l'autre sans contrainte. Il picore. Il butine. Il ne veut plus du menu. Il exige la carte. Sur tel CD, il n'aime qu'un ou deux morceaux. Pourquoi acheter l'album tout entier ? Dans tel média, il préfère le sport, dans un autre les critiques de cinéma. Il clique, il zappe, s'en va et parfois revient. Pour les entreprises de ce secteur, il devient de plus en plus difficile d'attirer à soi (pull) ces nouveaux consommateurs. Il faut pousser les contenus (push) vers eux. C'est le monde à l'envers. Les quotidiens gratuits l'ont compris. Ils préfèrent distribuer leur journal de la main à la main tandis que les quotidiens traditionnels doivent drainer leurs lecteurs jusqu'à un kiosque.

Que se passerait-il si ces nouveaux comportements se généralisaient ? Les entreprises qui ont commencé à réagir ne le font pas toujours de façon appropriée.

D'abord le bâton : des poursuites judiciaires ont été engagées aux Etats-Unis contre des pirates qui avaient multiplié les téléchargements. Ces poursuites ont eu sur le coup un effet dissuasif, mais elles n'ont pas amélioré l'image des majors du disque. Surtout elles ont relancé un petit jeu auquel l'internaute a toujours un coup d'avance, qui consiste à faire sauter les verrous qu'on lui oppose. Déjà il est possible, grâce à des logiciels pointus, de télécharger de la musique dans un complet anonymat, donc d'échapper aux poursuites. Ces logiciels ont un bel avenir devant eux.

DÉMATÉRIALISATION

Ensuite la carotte : Universal Music a annoncé la baisse des prix de ses CD aux Etats-Unis. L'Europe devrait suivre.
Enfin l'alternative : proposer, moyennant finance, le téléchargement de films, de disques ou des romans. C'est ce qu'ont commencé à faire DigiFnac en France et Movielink et iTunes Music Store (Apple) aux Etats-Unis. Ces solutions anticipent l'inéluctable dématérialisation de ces biens culturels. Mais elles laissent en jachère la réflexion sur les changements de comportement qu'elle induit.

Bertrand Le Gendre


 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU Journal Le Monde du 25.10.03

Le lien sur le site du Monde : http://www.lemonde.fr/web/imprimer_article/0,1-0@2-3232,36-339311,0.html

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