Origine : http://www.ratiatum.com/p2p.php?id_dossier=1524
Avant-propos : Ce dossier a été écrit pour Ratiatum
par Benjamin Thominet du site barbones.com. Il est à la fois
un complément et une mise à jour de son précédent
article sur le sujet, intitulé Piratage Sur Internet : Etat
des Lieux
Depuis cet article, de nombreuses choses se sont passées. Les
réflexions construites et intelligentes sur le sujet fleurissent
enfin. J'ai moi-même beaucoup évolué dans ma réflexion.
Une nouvelle synthèse s'impose donc.
Pour les pressés, je rappelle les principaux aspects de
l'article original en introduction et tout au long de cet article,
mais cela ne remplace pas la lecture complète de l'article
précédent. Ne négligez pas également
les articles que je mentionne dans la bibliographie, certains sont
vraiment remarquables.
Introduction
Le développement rapide de l'Internet haut débit
s'accompagne d'une croissance impressionnante des téléchargements
illégaux de musiques et films. Les raisons de ce phénomène
sont multiples, et vont au delà du simple intérêt
financier (qui à lui seul est déjà un moteur
important).
- Internet est un outil aux potentialités extraordinaires,
ce qui crée chez le consommateur de nouvelles attentes, auxquelles
les fournisseurs de contenus ne répondent pas
- La réaction des fournisseurs de contenus, axée
sur la répression et le rejet d'Internet, est totalement
inappropriée car ils engagent ainsi une guerre perdue d'avance
contre leurs propres clients. [2]
Cependant, cette réaction est compréhensible, car
comme nous allons le voir, répondre à ces attentes
nécessite une très forte remise en question des fournisseurs
de contenus. Seulement, s'ils ne s'adaptent pas, ils ne pourront
pas survivre face à la déferlante Internet.
D'autre part, il est certes possible de réprouver le lien
de cause à effet entre la baisse actuelle des ventes de musique
et le développement du téléchargement sur Internet.
On peut en effet attribuer la baisse des ventes à d'autres
causes que le seul téléchargement illégal:
crise économique, qualité et diversité restreintes
des oeuvres proposées, explosion de l'offre de loisirs (CD,
DVD, DVD musicaux, téléphones mobiles, TV par satellite,
activités diverses…) alors que les budgets des ménages
n'augmentent pas particulièrement… La mise à
disposition gratuite d'œuvres sur Internet peut même
être un moteur de vente (c'est de la publicité gratuite).
Cependant, il est plus que probable qu'un certain transfert s'amorce
concernant l'accès aux œuvres musicales et cinématographique
: du support physique vers l'Internet. Ce qui peut éventuellement
être considéré comme un faux problème
aujourd'hui en sera très certainement un vrai à terme,
lorsque le mouvement se sera accentué. Il est donc temps
de réagir.
Les nouveaux droits des utilisateurs
Le numérique n'est pas une simple évolution technologique.
C'est une petite révolution car l'introduction du numérique
dans notre vie modifie profondément les habitudes et même
dans une certaine mesure la mentalité des consommateurs.
Le numérique apporte donc ces changements structurels auxquelles
notre société doit s'adapter. Parmi ces adaptations,
on remarque le besoin de reconnaissance de nouveaux droits pour
le consommateur.
• Le droit d'usage
•
Les nouvelles technologies numériques rendent caduques et
absurde toute restriction au droit d'usage privé (et à
but non onéreux) des œuvres dont l'utilisateur a dument
acquis les droits d'usage (achat d'un CD par exemple).
Avec les dernières technologies numériques, toute
redevance pour droit à la copie privé n'a plus lieu
d'être car il n'est raisonnablement pas imaginable de vouloir
limiter ou dénombrer ces copies :
- Les outils les plus modernes (baladeurs mp3 par exemple) et les
plus fonctionnels sont basés sur l'usage intrinsèque
et massif de copies des œuvres (qui n'ont pas forcément
vocation à être illégales).
- La multitude de supports disponibles rend impossible l'application
de cette redevance sur tous les supports.
- Plus grave, les supports sont maintenant banalisés et
multi-usages (contrairement à une cassette audio, un CD Rom
ne sert pas à stocker que de la musique, mais tout type de
données, à commencer par des données ne justifiant
aucune redevance). Dans ce contexte, il devient inacceptable et
injuste de ‘taxer' aveuglement les supports concernés.
- Enfin, la baisse vertigineuse et constante des prix des supports
informatiques amène à une situation où la part
de la redevance dans le prix final du support est absolument déraisonnable
(déjà aujourd'hui, près de la moitié
du prix d'un CD vierge correspond à la redevance).
L'innovation technologique apporte une multiplication des supports
disponibles à chacun mais pas forcément une augmentation
du taux d'écoute de musique (idem pour les films).
Il est donc absurde et méprisant de vouloir que le consommateur
paye plusieurs fois pour pouvoir écouter une même œuvre
‘à la demande', qu'il utilise ou non différents
supports (nécessitant autant de copies). C'est absolument
injustifié et de toutes façons ce n'est en pratique
plus applicable. Par exemple, les technologies DRM, visant à
limiter techniquement l'usage que fait l'utilisateur de son fichier,
en plus d'être facilement contournables, sont inacceptables
car elles ne respectent pas les attentes légitimes des utilisateurs
et vont de plus à l'encontre d'un des principes de base de
l'informatique : l'indépendance entre contenus et supports
[3]
Il est donc temps de simplifier et clarifier la législation,
qui reconnaît aujourd'hui un droit à la copie privée
particulièrement restreint et fait payer ce droit via des
redevances. Il est temps d'accorder enfin à l'utilisateur
les droits qui auraient toujours dû être les siens :
A partir du moment où l'utilisateur a acquis un droit d'usage,
ou « d'écoute » d'une œuvre (quel que soit
le moyen : achat d'un CD par exemple, ou toute autre méthode),
il ne doit subir aucune restriction concernant l'utilisation de
ce droit dans un cadre privé et à but non onéreux.
L'utilisateur doit pouvoir librement et gratuitement réaliser
toutes les copies dont il a besoin pour écouter sa musique/visionner
son film où, quand, et comment il le souhaite.
Ne pas reconnaître ce droit serait se placer en décalage
complet avec l'évolution des technologies et l'évolution
des habitudes des consommateurs qui en découle naturellement.
• Le droit de partage
•
Qu'on le veuille ou non, Internet est un monde de partage. Le partage
est une des raisons d'être d'Internet. En effet, Internet
est un réseau qui permet de partager facilement et à
moindre coût tout type d'information numérique. Les
œuvres musicales et cinématographiques étant
numérisables (autant que les livres d'ailleurs), ce sont
des contenus susceptibles d'être partagés sur le net.
Certes, cela pose aujourd'hui un problème vis-à-vis
des droits d'auteurs (sauf pour ceux qui ont l'audace de placer
leurs œuvres sous copyleft et non copyright), mais il n'est
pas envisageable de mettre un frein à ce comportement pour
diverses raisons :
- Internet et ses capacités de partage sont bien plus qu'un
simple moyen technologique ; c'est un nouvel état d'esprit,
presque un phénomène de société, dont
les intérêts et les implications à long terme
sont bien supérieurs et plus globaux que ceux de la seule
industrie des fournisseurs de contenus. C'est donc aux fournisseurs
de contenus de s'adapter à Internet et non à Internet
de s'adapter aux besoins des fournisseurs de contenus.
- aucun moyen technologique fiable et acceptable n'est envisageable
pour lutter contre le phénomène
- compte tenu de l'ampleur qu'a pris le phénomène
du téléchargement illégal sur Internet, il
parait un peu trop tard pour envisager une simple réponse
répressive, qui n'a aucune chance d'être réellement
efficace (contrairement à ce que voudraient faire croire
certains sondages bidons)
Avec Internet, apparaît donc le besoin de reconnaissance
d'un nouveau droit :
Le droit à la diffusion a but non onéreux des œuvres,
accompagné du droit à accéder librement, et
sans limites à tout le contenu disponible via ce système
(vous reconnaîtrez le P2P). Appelons simplement ce droit le
droit de partager.
Bien entendu, l'accès à ce nouveau droit ne pourra
pas être gratuit : l'efficacité extraordinaire des
systèmes P2P (ou autres) quant à la diffusion de contenus
n'affranchit pas du problème de rémunération
des auteurs. Il est donc important de mettre en place un système
qui permette à l'utilisateur de disposer de ce droit, moyennant
une rétribution financière acceptable pour tous (le
consommateur, les artistes et accessoirement les producteurs). Après
tout, lorsqu'on va au Cinéma ou à un concert, on paye
bien une certaine somme pour avoir le droit d'accéder à
la salle.
La mutation nécessaire des intermédiaires
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord,
la création n'est pas en danger. Il y a toujours eu des artistes,
bien avant l'apparition des majors, des disques et d'Internet. Certes,
si rien n'est fait pour préserver la rémunération
des artistes, c'est tout un système qui s'effondrera et toute
une génération d'artistes qui en subira les conséquences.
Cependant, il ne fait aucun doute que le monde artistique saura
à terme s'impliquer dans un nouveau système qui lui
permette de survivre, tout simplement car des sociétés
comme les nôtres ne sauraient se passer d'eux.
Ceux qui risquent le plus gros dans cette affaire sont clairement
les intermédiaires (producteurs/majors, distributeurs…).
En effet, la diffusion massive de contenu sur Internet n'enlève
en rien la nécessité de disposer de créateurs
pour ces contenus, mais minimise considérablement le rôle
des intermédiaires. L'immobilisme intellectuel des majors
face au problème des téléchargement sur Internet,
bien qu'inacceptable, est compréhensible : elles ont beaucoup
à perdre avec ce système, à commencer par la
mainmise absolue qu'elles détiennent sur la création.
En effet, en quelques années, cette poignée de sociétés
a réussi
• d'une part à prendre le contrôle de la création,
les artistes étant totalement à leur merci
• d'autre part à profiter odieusement du public en
pratiquant des prix dissuasifs (expliquant en partie le succès
du piratage) avec des marges abominablement élevées.
De plus, la distribution, diffusion et promotion d'une œuvre
via Internet nécessite infiniment moins de moyens que dans
les circuits traditionnels. Internet permet de rapprocher les artistes
de leur public comme jamais ils ne l'ont été ! En
effet, grâce à la démocratisation du numérique
et d'Internet, un artiste courageux et un peu au fait des technologies
web peut se débrouiller seul, et s'auto-produire à
moindres frais. La part revenant de droit aux intermédiaires
(producteurs) doit donc pouvoir être réduite en conséquence.
Grâce ou à cause d'Internet, le rôle fonctionnel
et économique des intermédiaires est considérablement
réduit, car ils ne sont plus indispensables mais seulement
'potentiellement utiles' (pour décharger l'artiste de tâches
dont il ne désire pas s'acquitter lui-même).
D'une situation de monopole, les intermédiaires vont devoir
revenir au réel service des artistes et, c'est nouveau, devenir
également fournisseur de services pour les consommateurs.
Les producteurs, et non plus les artistes, sont les demandeurs.
N'étant plus en position de force, les intermédiaires
ne seront plus en mesure d'exiger les marges démesurées
qu'ils font actuellement, ce qui réduit encore d'autant la
valeur commerciale de la musique en ligne.
La musique en ligne a donc une valeur commerciale infiniment moindre
que dans nos circuits actuels, sans pour autant remettre en cause
les revenus théoriques de ceux qui méritent pleinement
de vivre de la création : les artistes.
C'est donc bien aux intermédiaires d'être moins gourmands
et de se restructurer en conséquence.
Tentative de bilan économique
Admettons que la baisse des ventes de CD (et DVD… mais occupons
nous déjà des CD) soit majoritairement due aux téléchargements
sur Internet (c'est probablement faux aujourd'hui mais ce sera sûrement
bientôt vrai).
En se référant à la répartition des
coûts d'un CD vendu dans le commerce [4], il est possible
d'analyser la valeur commerciale correspondant à chaque CD
non vendu à cause du téléchargement : il suffit
de retirer du prix du CD tous les coûts qui n'ont plus lieu
d'être dans le cas d'une migration de la distribution vers
le net.
Le but de ce calcul est d'estimer tant bien que mal la somme d'argent
globale qui devrait en toute rigueur et justice être payée
par les internautes pour compenser la baisse des ventes de CD.
La méthode consistera à rechercher :
• la préservation des revenus globaux accordés
actuellement aux artistes
• la juste valorisation de la part de travail des intermédiaires
(producteurs…) qui restera nécessaire, même dans
le cadre d'un transfert de la consommation vers le téléchargement
sur Internet.
Le prix courant d'un CD est environ 20 euros TTC, soit 16,72 euros
HT.
Dans les meilleurs cas, 26% vont aux artistes (auteurs et interprètes),
soit 4,35 euros. Il n'est bien sur pas question de ‘toucher'
à cette part.
22%, soit 3,68 euros vont au distributeur. Dans le cas d'une diffusion
via Internet, les coûts de diffusion sont nuls (si un système
P2P est utilisé) ou simplement dérisoires (cas d'un
système propriétaire). On doit donc déduire
ce coût de la valeur du CD, ce qui nous amène à
13.04 euros HT.
52% (8,69 euros) vont ensuite au producteur, dont les rôles
sont multiples. N'ayant pas accès aux comptes détaillés
des majors, il est bien difficile d'estimer précisément
quelle est la part de valeur qui se justifie encore dans un environnement
« Internet » et celle qui ne se justifie plus. Cependant,
il est possible de réaliser quelques estimations. Les coûts
de fabrication interviennent pour 1,82 euros (21% des 52% du producteur).
Bien sur, ce coût est à déduire. Sur Internet,
le coût de fabrication est nul. Cela nous chiffre la valeur
d'un CD à 11.22 euros. Reste dans ce montant la part des
frais d'enregistrement (0,52 euros), totalement indépendant
du mode de distribution donc intouchable, et
- les frais de promotion (2,69 euros, soit 31% des 52% du producteur)
- les frais généraux de la maison de disques (2,17
euros, soit 25% des 52%)
- sa marge d'exploitation (1,48 euros soit 17% des 52%)
Internet permet de réaliser la promotion d'une œuvre
à moindre coût (via des sites Internet et les réseaux
P2P). Il serait inacceptable que les Internautes aient à
payer pour des circuits de promotion coûteux qui ne les concernent
pas. Même s'il est difficile d'évaluer ce que serait
le coût de la promotion sur Internet, on peut l'estimer largement
inférieure à 1 euro, ce qui fait une économie
d'au moins 1,69 euros supplémentaire. La valeur de chaque
CD non vendu tombe donc à 9,53 euros. Les frais généraux
des producteurs représentent 25% de leurs 52%, donc de leur
chiffre d'affaire ce qui est assez habituel dans les grandes entreprises.
Cependant :
- si l'on met de coté la marge brute (démesurément
élevée pour cause de position dominante), les frais
généraux représentent 30% des coûts totaux.
Dans la mesure où le rôle de l'intermédiaire
est considérablement amoindri (pas de distribution, frais
de promotion réduits, pas de fabrication…), ce travail
devient accessible à de plus petites structures, mieux organisées
et plus productives. Dans cette optique, des frais généraux
représentant 25% des coûts globaux (hors marge d'exploitation)
me parait être le maximum acceptable. Or nous venons juste
d'évaluer les frais directs de l'intermédiaire à
seulement 0,52euros (enregistrement)+1euro (promotion)+ 0 euro (fabrication),
soit 1,52 euros, ce qui représente des frais généraux
de 0,51 euros par CD, soit 1.66 euros de moins que ce que dépensent
les intermédiaires dans le système actuel ! Ceci nous
ramène le prix du CD à 7,87 euros.
D'autre part, le développement de la musique sur Internet
place les intermédiaires plus en situation de ‘demandeurs'
que ‘demandés'. La concurrence sera forcément
plus forte dans ce milieu étant donné que leur action
nécessitera des capitaux bien moindres qu'aujourd'hui. Dans
ce contexte, une marge d'exploitation confortable de 1,48 euros
n'est absolument plus envisageable. Ajoutons un raisonnable 10%
de marge d'exploitation aux 1,52 euros + 0,51 euros ‘consommés'
par l'intermédiaire, et nous arrivons à une marge
de 20 centimes d'euros (à comparer aux 1,48 euros actuels),
et nous baissons ainsi encore la valeur d'un CD à 6,59 euros.
Ajoutons 19,6% de TVA, ce qui nous donne une valeur finale du CD
invendu à 7.9 euros TTC.
Pour calculer le montant global de la valeur de la musique diffusée
via Internet, il suffit donc simplement de multiplier cette somme
par le nombre de CD correspondant à la baisse des ventes.
Attention, le coefficient multiplicateur à appliquer est
bien le nombre de CD correspondant à la baisse de ce marché,
et non le nombre de téléchargement. Qu'une œuvre
soit téléchargée autant de fois qu'elle se
vend aujourd'hui en CD ou 100 fois plus, les coûts pour les
acteurs de ce marché (artistes et intermédiaires)
seront pratiquement les mêmes. Rien ne justifie donc que leurs
revenus globaux soient influencés par l'augmentation des
‘acquisitions'. Cette sur-diffusion est rendue possible par
la seule technologie et non par le travail des artistes et producteurs.
C'est donc à l'utilisateur de cette technologie (l'internaute)
de bénéficier de ces avantages : pouvoir accéder
à un contenu pratiquement illimité pour le même
coût que représentait auparavant l'accès restreint
aux œuvres accordé par son budget.
Toute la question est de savoir comment prélever cet argent
auprès des internautes ‘téléchargeurs
de créations copyrightées', ce qui permettrait de
légaliser leur action sans préjudice pour la création.
Les pistes pour sortir de la crise
En fait, il existe différentes pistes pour améliorer
la situation.
La première, je l'ai déjà largement évoquée
dans mon premier article :
Concurrencer les systèmes pirates
Les fournisseurs de contenus doivent entrer en concurrence avec
les systèmes permettant les téléchargements
illégaux.
Cependant, pour être compétitifs aux yeux des internautes,
ils doivent proposer un système infiniment plus séduisant
que les premiers systèmes existants comme iTunes. Les intermédiaires
doivent assimiler les règles et la culture d'Internet. Moyennant
un prix raisonnable pour les utilisateurs, ils doivent offrir,
• la possibilité de télécharger massivement
des œuvres. Pour cela, le principe de l'abonnement (accès
illimité) ou éventuellement du forfait (donnant accès
à un nombre limité, mais malgré tout assez
élevé de téléchargements) est tout à
fait envisageable.
• des services à valeur ajoutée, que les services
P2P basiques seraient incapables de fournir, et qui rendraient donc
cette offre plus attractive que le piratage auprès des internautes
bien qu'elle soit payante (à condition bien entendu que le
prix demandé soit raisonnable par rapport à ce que
sont prêts à accepter les internautes). Parmi ces services
à valeur ajoutée, on peut imaginer, par exemple réductions
sur les places de concerts et éditions collector de CD, possibilité
de re-télécharger simplement (et gratuitement) l'ensemble
des œuvres déjà téléchargées
en cas de pertes de données, page d'accueil personnalisée
qui informe l'internaute des nouveautés en fonction de ses
goûts, moteur de recherche évolué…
Un tel système aurait pour avantage de créer une
rupture minimale par rapport au système actuel. Les intermédiaires
pourraient garder le contrôle des contenus téléchargés
via ce système légal. L'internaute, certes devrait
payer pour avoir ce qu'il a aujourd'hui gratuitement, mais il y
gagnerait en confort d'utilisation et en service.
Il y a tout de même quelques limites non négligeables
à ce système :
• rien ne garantie que les intermédiaires ne soient
capables de construire cette offre de manière suffisamment
attractive pour que les adeptes du piratage changent leurs habitudes.
• ce système ne respecte pas le « droit au partage
» précédemment évoqué puisque
les intermédiaires gardent le contrôle sur les téléchargements
(via un système qui ne peut d'ailleurs être que plus
coûteux que les systèmes P2P actuels).
Enfin, ce système, et c'est aussi un de ses avantages, ne
pourrait être mis en place qu'à la seule initiative
des intermédiaires actuels. Or, quand on voit la réduction
de leur activité (de leur importance) que « l'Internetisation
» de la création représente, on peut comprendre
qu'ils soient plus que frileux à mettre en place un tel système.
Il est évident que les intermédiaires actuels préfèrent
vendre des CD que mettre en place un système où ils
ont beaucoup moins à gagner. Ce qu'il n'ont pas compris,
c'est que le public ne leur laisse plus le choix : s'adapter (ce
qui signifie aussi se restructurer et ‘dégraisser')
ou disparaître (pour être remplacés ensuite par
une nouvelle génération d'intermédiaires, en
phase avec le monde d'aujourd'hui).
Dans le cas où les intermédiaires actuels ne trouvent
pas le courage d'engager cette mutation, il y a peut être
un moyen de leur donner une dernière chance, en leur ‘forçant
la main'. De plus, ce coup de pouce pourrait passer par un système
particulièrement séduisant pour l'utilisateur :
La légalisation du partage d'œuvre copyrightées.
Il s'agirait de légaliser l'échange d'œuvres
copyrightées (quel qu'en soit le moyen... Internet en tête),
moyennant bien entendu une rétribution destinée à
compenser pour les artistes et leurs intermédiaires les pertes
engendrées par cette nouvelle pratique.
Cette idée, au début fortement critiquée a
depuis fait son chemin. Plusieurs avant-projets particulièrement
réfléchis ont déjà vu le jour, tel que
la Licence de Diffusion Culturelle (LDC) de Guillaume Champeau [5]
ou celui de l'EFF [6]. La mise en place d'un tel système
pose de nombreux problèmes, très bien détaillés
dans le projet de LDC, qui ne demande qu'à mûrir.
Je ne détaillerai pas ici ces projets, cependant, il me
parait important de revenir sur quelques aspects du projet LDC qui
mérite précisions ou critiques :
Il faut distinguer deux caractéristiques possibles de cette
rétribution : le caractère obligatoire et le caractère
systématique. Bien évidement, le paiement de cette
rétribution doit être obligatoire pour toute personne
voulant accéder aux réseaux de partage (que ce soit
pour fournir du contenu et/ou en capter). Cependant, elle ne doit
pas nécessairement être systématique.
En effet, il me parait fondamental que cette rétribution
soit prélevée au plus près de l'utilisation
des réseaux d'échange. Cela signifie que seul un système
faisant payer les utilisateurs réels de ces systèmes
est acceptable.
Une redevance payée par tous, par exemple sur l'achat de
supports, sur l'accès Internet ou même seulement sur
le trafic montant serait inacceptable car elle pénaliserait
gravement des utilisateurs qui n'ont rien à voir avec ces
réseaux d'échange et serait perçue comme une
taxe supplémentaire dans notre pays dont l'un des plus grand
maux est justement la surcharge de prélèvements obligatoires.
[5] et [8]
Or ; il n'existe pas aujourd'hui de moyen fiable pour contrôler
précisément (et en respectant les libertés
individuelles) l'usage que l'internaute fait de sa connexion et
même de ses outils numériques au sens large (le numérique,
ce n'est pas que Internet). L'existence d'un tel moyen permettrait
de rendre le prélèvement de cette rétribution
systématique (ou automatique, si vous préférez).
Mais à défaut, un système basé sur une
déclaration volontaire et un système répressif
dissuasif (qui cette fois serait justifié) n'est-il pas le
plus acceptable (à l'image de notre déclaration de
revenus) ?
Autre détail, qui peut paraître évident mais
qu'il est tout de même bon de préciser : le droit de
partage inclut un droit de mettre les oeuvres en notre possession
à disposition d'autres personnes. Pour que le système
fonctionne, il est évident que ce droit de mise a disposition
ne peut s'exercer que vis-à-vis de tiers ayant eux même
acquis ce droit en ayant payé la rétribution.
Dans le cas ou cette rétribution se fasse sous forme d'abonnement,
ce qui est le plus probable, il serait bon de se poser la question
du devenir des droits de l'utilisateur lorsqu'il décide de
mettre fin à cet abonnement. La fin de l'abonnement signifie
évidement la fin du droit à partager (donner et/ou
recevoir), mais devrait très certainement s'accompagner d'une
conservation du droit d'usage (à titre privé et non
onéreux) pour les œuvres acquises lorsque l'utilisateur
payait son droit de partage.
Enfin, la part de la rétribution revenant aux intermédiaires
doit évidement être évaluée avec soin
(tout comme le montant global et unitaire de cette rétribution).
La LDC évoque 25% pour les intermédiaires: C'est
un chiffre qui parait raisonnable compte tenu du rôle réduit
de ces derniers dans un système basé sur L'Internet
et l'échange direct entre internautes. Si l'on se réfère
à ma tentative de bilan économique, qui vaut ce qu'elle
vaut, on arrive à 28.33%, ce qui est du même ordre
de grandeur.
Cependant, il faut bien comprendre que pour pouvoir se contenter
d'une part aussi faible par rapport à ce qu'ils gagnent aujourd'hui,
les intermédiaires vont évidement devoir se restructurer,
au même titre que pour la première solution évoquée.
L'avantage de cette solution est qu'elle leur force un peu la main.
Mais le plus important, c'est que cette solution respecte le droit
au partage revendiqué plus ou moins explicitement par les
Internautes. Ce serait un progrès considérable !
La dernière solution, la plus osée et ambitieuse,
remet profondément en question le fonctionnement actuel du
monde artistique :
Remplacer le Copyright par le Copyleft.
Une poignée de créateurs préfèrent
aujourd'hui placer leurs œuvres sous Copyleft plutôt
que copyright. C'est un pari osé, mais qui peut s'avérer
gagnant.
Le copyleft consiste, sur seule décision du créateur
de l'œuvre, à reconnaître (et accorder gratuitement)
les deux droits fondamentaux de l'utilisateur mentionné au
début de cet article : droit d'usage, mais également
droit à la copie et diffusion, à condition que le
but ne soit pas commercial (certaines licences de copyleft accorde
néanmoins un droit d'usage commercial, ndlrc).
On pourrait penser de prime abord que ce principe viole fondamentalement
les droits d'auteurs.
Or, ce type de réflexion, courant, « montre à
quel point la culture dominante (fondée sur le principe de
la propriété) et l'industrie du divertissement ont
égaré le public […]. Seuls les fraudeurs et
les parasites de toute sorte ont intérêt à faire
croire que “copyright” et “droit d'auteur”
sont la même chose - ou que “droit d'auteur” s'oppose
à “piratage”. Mais la réalité est
tout autre. […]
Le concept du “copyleft” a été inventé
dans les années 80 par le “Mouvement pour les logiciels
libres” de Richard Stallman et qui est désormais appliqué
dans de nombreux secteurs de la communication et de la créativité.
[…]
Le “copyleft” (jeu de mots dense et intraduisible)
est une philosophie qui se traduit par plusieurs types de licences
commerciales, dont la première a été la GNU
Public License (GPL) du logiciel libre. Elle est née précisément
pour protéger ce dernier et empêcher quiconque […]
de s'emparer des résultats du travail des communautés
libres d'utilisateurs et de programmeurs, et d'en faire sa propriété
privée. Si le logiciel libre était simplement demeuré
dans le domaine public, tôt ou tard, les vautours de l'industrie
lui auraient mis le grappin dessus. La solution fut de retourner
le copyright comme une crêpe afin qu'il cesse d'être
un obstacle à la liberté de reproduction, pour en
devenir la garantie suprême. » [9]
En d'autres termes, le copyleft consiste à placer une œuvre
sous copyright et profiter du pouvoir que cela confère pour
dire que des tiers peuvent en faire ce qu'ils veulent : il est possible
de la copier, la diffuser, la modifier, mais pas d'empêcher
quelqu'un d'autre de le faire, autrement dit, il est impossible
de s'approprier cette oeuvre et empêcher sa libre circulation,
ou de mettre à son tour un copyright parce qu'il y en a déjà
un.
Dans le cas des œuvres artistiques (musique, films, ou même
littérature), il est important de noter que le copyleft accorde
un droit d'usage à but non commercial. Toute personne désirant
réaliser un usage commercial d'une œuvre copyleftée
(donc gagner de l'argent grâce au travail du créateur)
retombera dans un système classique ou il devra verser des
droits au créateur. En effet, il parait juste que les auteurs
puissent vivre de leur travail, et d'autant plus si ce travail permet
de générer de la valeur économique.
Cependant, le copyleft, s'il devenait massivement appliqué
par les auteurs, risquerait de réduire considérablement
leurs revenus, toute une partie de l'usage de leur travail devenant
gratuit.
Les auteurs travaillant aujourd'hui sous copyleft prétendent
en général s'y retrouver économiquement : le
copyleft permet une diffusion massive de leur travail, et donc une
formidable promotion gratuite. Cet effet ‘publicité'
se ressent sur les distributions commerciales de leurs œuvres
et assurent ainsi leur viabilité économique. Mais
ce principe peut-il fonctionner sur tous les types d'œuvres
(le copyleft concerne aujourd'hui essentiellement les livres) et
est-il toujours viable s'il est appliqué à grande
échelle ? C'est probable, mais cela nécessiterait
un changement de mentalité de la part de tout le monde. Un
usage massif du copyleft ne serait possible qu'accompagné
de mesures complémentaires, destinées à compenser
le manque à gagner qui ne manquerait pas de se produire,
tout au moins pour certains. Les artistes devraient apprendre à
gagner de l'argent autrement que via la diffusion de leurs œuvres
(les musiciens devraient peut-être faire beaucoup plus de
concerts, par exemple, ou valoriser plus les produits dérivés).
Il serait également appréciable de revaloriser le
mécénat. On pourrait par exemple imaginer la mise
en place d'un système permettant de rétribuer un auteur
très facilement via Internet, de manière totalement
volontaire et non plus obligatoire. Quel Fan conscient de la nécessité
des artistes de vivre refuserait de verser une rétribution
raisonnable au créateur dont il apprécie tant le travail
? Bref, c'est toute une économie à recréer,
et ce ne pourra pas se faire en un jour.Economie de la culture numérique
: la réflexion avance (4/5)
par La rédaction publié le Lundi 10 mai 2004 à
00h53
Conclusion
Que de chemin parcouru en quelques mois ! On voit aujourd'hui que
les moyens de sortir de la crise qui oppose les artistes à
leur public sont multiples. Certes, aucune solution n'est simple,
parfaite ni facile à appliquer, mais une chose apparaît
clairement : la solution qui consisterait à simplement empêcher
le public d'utiliser Internet pour ce qu'il est (un lieu d'échange,
de partage et d'accès massif à du contenu, à
moindre coût) est la pire des solutions : irréaliste
et inacceptable.
D'un autre coté, le préjudice pour le monde de la
création est ou sera réel. Dans l'hypothèse
probable d'une croissance d'Internet forte, au détriment
des autres média (CD , DVD…), il faudra bien trouver
un moyen de préserver la rémunération globale
des artistes (à un niveau équivalent au niveau actuel),
et la juste rémunération du travail des intermédiaires
(dont le rôle diminue dans un contexte de diffusion du contenu
sur Internet, et donc dont le poids économique global doit
diminuer).
Dans tout les cas, ce sont de forts bouleversements qui sont à
prévoir et à accompagner. La réflexion et le
dialogue doivent encore avancer pour que les choses changent réellement,
à commencer par le comportement des majors. La réalité
est triste pour eux, car la fin de leur règne sur la création
est proche, mais l'évolution technologique et le public ne
leur donnent clairement pas le choix : s'adapter ou disparaître.
L'adaptation est la seule issue possible pour leur survie. Plus
ils seront moteurs dans cette mutation, moins ils y perdront.
Bibliographie
[1] Mon précédent article sur le sujet :
http://www.ratiatum.com/p2p.php?id_dossier=1422
[2] Un article remarquable, pertinent, très construit et
documenté sur le sujet, écrit par Daniel Kaplan, délégué
général de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération)
:
http://www.fing.org/index.php?num=4496,2#_ftnref21
[3] Une des principales sources de l'article précédent,
à lire absolument :
http://www.foruminternet.org/publications/lire.phtml?id=581
[4] Prix des CD : où va votre argent ?
http://www.ratiatum.com/p2p.php?id_dossier=1215
[5] La Licence de Diffusion Culturelle
http://www.champeau.info/ldc/index.php
[6] L'EFF : un autre projet de licence :
http://www.eff.org/share/collective_lic_wp.pdf
[7] Un petit article coup de gueule contre le discours des majors
:
http://vlan.org/breve359.html
[8] Une étude très discutable de l'école des
Mines de Paris, mais comportant tout de même quelques éléments
intéressants (malgré une conclusion quelque peu fantaisiste)
:
http://www.cerna.ensmp.fr/Documents/OBetalii-P2P.pdf
[9] Extraits de l'excellent article CULTURE LIBRE !, Pourquoi nous
écrivons sous "copyleft",
IL MUCCHIO SELVAGGIO Rome, 15-01-04, Numéro 689, disponible
sur http://www.courrierinternational.com
[10] Les chiffres de vente de la musique en France :
http://www.disqueenfrance.com
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