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Critique du revenu garanti universel


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Date: 14 Oct 2003

Objet: [infozone_l] Critique du revenu garanti universel


Le secteur spectacle du syndicat de la communication, de la culture et du spectacle CNT région parisienne a produit un texte de critique du revenu
garanti universel. Le voici, ci-après :


Confédération Nationale du Travail
Syndicat de la communication, de la culture et du spectacle rp
Secteur Spectacle
33 rue des Vignoles
75020 Paris
spectacle.rp@cnt-f.org

Critique du revenu garanti universel

L’épreuve de force engagée par le patronat et l’État vise à détruire le système de protection sociale par répartition, basée sur la solidarité interprofessionnelle entre tous les salariés. Tandis que les pontes du MEDEF gèrent la plupart des entreprises d’assurance privée, et tentent d’accroître leurs profits, l’État s’est donné pour tache de gérer la masse salariale en faisant tout pour la réduire.

Réduire le nombre des salariés pour accroître les profits Car, le capitalisme d’aujourd’hui n’a plus besoin de la même masse salariale qu’au 19e siècle, ou pendant l'ère fordiste, garce en particulier au progrès technologique. Au contraire, il cherche plus que jamais à élargir les bénéfices au profit des actionnaires, donc à réduire la part du capital consacrée aux salariés à travers les salaires . Pour s’en convaincre, nous n’avons qu’à nous remémorer les multiples plans sociaux de Mark’s et Spencer à Metaleurop en passant par Alstom, et bien d’autres. Ces plans sociaux qui ont mis au chômage plusieurs milliers de personnes sont intervenus alors que ces entreprises jouissaient selon tous les experts économiques d’une bonne santé.

Normaliser la précarité et détruire la solidarité interprofessionnelle entre les salariés : l’État et le patronat, main dans la main C’est pourquoi l’État et le patronat ont veillé au développement du travail précaire en convoquant toute leur imagination pour multiplier les contrats et statuts précaires. La précarité salariale leur permet de disposer d’une main d’œuvre flexible, corvéable et d’abord sous contrôle. Il s’agit de précariser tous les salariés ; le CDI ne doit plus être qu’une exception, d’ où la naissance et la croissance des intérims, des CDD, puis des CDD dits d’ usage (notamment dans les professions du spectacle et de l’audiovisuel), des piges, des emplois-jeunes, CES , CEC, CIE… Parallèlement, les salariés et les chômeurs ne doivent plus pouvoir compter sur la solidarité interprofessionnelle et le système de protection sociale tel qu’il est, basé sur la répartition entre tous les travailleurs. En effet, ce système juste et solidaire est né au sortir de la seconde guerre mondiale, de la faiblesse du patronat - qui avait par ailleurs activement collaboré avec l'occupant nazi. L'ordonnance du 30 octobre 1946 donne la majorité aux syndicats ouvriers dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale.

Un grignotage constant Depuis, l’État et le patronat n’ont cessé de chercher à le grignoter afin de le détruire totalement. Ce grignotage se traduit par plusieurs choses : * l’imposition de la gestion paritaire des caisses de sécurité sociale, d’ assurance chômage , et de retraites en lieu et place de la gestion par les seuls salariés et leurs représentants syndicaux, comme c’était le cas en 1945 pour la sécurité sociale, * l’immixtion de l’État dans la gestion des caisses, aux cotés des patrons et des syndicats de salariés * la séparation des risques sociaux en de nombreuses caisses La réforme de 1967 de la Sécurité sociale La réforme de 1967 de la sécurité sociale est une étape importante dans ce mouvement de dépossession des salariés. Car, d’une part, elle met en place la gestion paritaire en supprimant la majorité syndicale des 3/4 dans les conseils d’administrations des caisses de sécu, dont les membres étaient initialement élus au suffrage universel. La gestion paritaire signifie que les caisses sont gérées à 50% par des représentants des salariés et à 50% par des représentants du patronat, alors qu’à leur création, l’ordonnance de 1945 instaure la « gestion des institutions de la sécurité sociale par les intéressés eux-mêmes » : les salariés. Par ailleurs, la réforme supprime l’élection des administrateurs qui seront désormais désignés par les partenaires sociaux, tandis que les directeurs des caisses seront désignés par les ministères de tutelle donc par l’État. Enfin, la réforme de 1967 sépare les caisses par risque : l’assurance vieillesse, l’assurance maladie, et les prestations familiales sont désormais des caisses distinctes, qui doivent parvenir chacune à l’ équilibre, alors qu’auparavant, les trois branches pouvaient se compenser. La séparation des risques fait aussi partie de la volonté d’ individualisation des salariés qui ne sont plus considérés en tant que travailleurs, mais en tant que personnes isolées. On s’éloigne à grands pas de la logique du salaire socialisé.

Individualiser les salariés, déconnecter revenu et travail Toutes ces mesures ont pour objectif d’une part de casser le poids des salariés et de leurs représentants dans la gestion des caisses de protection sociale et d’autre part, d’individualiser au maximum l’attribution des allocations sociales. En outre, au départ, ces allocations, étaient basées et indexées sur les salaires, donc sur le travail, elles constituaient donc un salaire différé, socialisé, qui était versé aux salariés privés d’ emplois, ou ayant eu un accident. Mais elles sont progressivement déconnectées du travail pour devenir un revenu lié à l’existence.

L’État, usurier des pauvres La paix sociale assurant la bonne marche du capital, il importe que l’État joue bien son rôle de gardien (comme on dit gardien de la paix) des minima sociaux (ASS,RMI...).

L’immixtion de l’État dans la gestion et le contrôle des caisses de protection sociale fait partie intégrante de la stratégie de l’État et du patronat pour déposséder les salariés de leurs droits. Cette stratégie s’est particulièrement illustrée dans les années 80 avec le passage (subtile mais fatal) d’un régime dit « d’assurance », fonctionnant par répartition et basé sur les cotisations sociales, à un régime dit de « solidarité », financé et géré par l’État, donc par les impôts et déconnecté du travail (revenu d’ existence). La création du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) en 1988 impose la charité publique en lieu et place de la solidarité entre les travailleurs. Tout comme le contrôle et le pouvoir grandissants exercés par l’État à l’intérieur des caisses de sécurité sociale. Par ailleurs, la gestion par l’État induit une opacité bien peu démocratique ; en effet, le budget de l’État obéit à la seule règle de non-affectation des ressources : il est donc impossible de contrôler l’utilisation de l’ argent prélevé par les impôts ; c’est le cas par exemple des impôts comme la Contribution Sociale Généralisée ou le Remboursement de la Dette Sociale, qui tendent à remplacer les cotisations sociales. Enfin, la fiscalisation par l’impôt de l’État fonctionne sur le même principe que la capitalisation par les fonds de pension pour les retraites, c’est le principe de l’épargne : individuelle et profondément inégale.

Dans ce contexte, on peut imaginer à terme que le revenu d’existence - alloué aux plus précaires, et distribué gracieusement par charité, à la place de tout revenu basé sur le travail (chômage, retraites…) - deviendrait le fond de pension du pauvre qui serait ainsi une sorte d’actionnaire de l’ État providence ! En effet, il s’agit de maintenir la population à un niveau de revenu tout juste suffisant pour survivre, voire en la contraignant à accepter les emplois les plus précaires pour compléter : les allocataires ne doivent pas se complaire dans leur oisiveté ! Des syndicats aux ordres du pouvoir Il faut aussi souligner le rôle important des syndicats dits représentatifs dans le sabotage des droits sociaux des salariés. Tout d’abord, ils ont laissé et accepté la mise en place du paritarisme dans les caisses de protection sociale, au profit des patrons, pour des intérêts d’appareils de bureaucratie syndicale. Ensuite, à la tète de la gestion des caisses, et abondamment subventionnés par l’État, ils ont contribué à fabriquer, aux côtés de l’État et des patrons, les hypothétiques déficits des caisses. Enfin, ils ont bradé les droits des travailleurs. Ils ont accepté l’ individualisation des salariés et des chômeurs, la diminution des indemnités et des allocations en encourageant ainsi la concurrence des salariés sur le marché du travail, alors que les patrons bénéficiaient encore de nouvelles exonérations de charges sociales… Les ressources humaines, la contrepartie du revenu d’existence L’heureux allocataire du revenu d’existence est donc en général contraint de cumuler son revenu avec une activité. Quand on sait que 80% des offres d’ emploi à l’Anpe sont des CDD qui n’excèdent pas deux mois, on comprend la logique visée et par l’État et par le patronat. L’objectif est bien d’ appauvrir tous azimuts pour disposer d’une main d’œuvre flexible, toujours plus soumise : que ce soit sur son lieu de travail (soumise aux contrats les plus précaires) ou par l’intermédiaire de l’attribution du revenu d’ existence (soumise au contrôle social). Dans tous les cas, l’ex-salarié devenu allocataire à vie perd tout pouvoir sur son outil de production et sur sa vie, qui est entre les mains de l’État et du patronat. Le revenu d’ existence est un revenu qui exige une contrepartie en ressources humaines… Ce contrôle total sur la vie et la production des salariés pourrait devenir réalité avec le projet de loi sur le Revenu Minimum d’Activité.

Le RMA : un mixte de contrat et statut précaire en dehors de la solidarité interprofessionnelle Le dernier né (pas encore en place) dans la grande famille des contrats et statuts précaires, c’est le Revenu Minimum d’Activité, véritable modèle du genre. Il concerne les RMIstes, soit des personnes déjà en dehors de la solidarité interprofessionnelle, dont le revenu dépend de l’État. Le RMA est un contrat de travail de minimum 20h par semaine, en CDD de 6 mois renouvelable deux fois. La nouveauté du RMA est le versement du RMI (attribué à l’origine à la personne) directement à son patron, qui devient en outre son tuteur. Le patron bénéficie ainsi d’une énorme diminution du coût du poste occupé. Le RMA correspond totalement à l’idéologie de mise au travail prônée par le MEDEF et les tenants du pouvoir puisqu’il soumet l’individu à un contrôle social permanent, tout en le faisant travailler à des prix défiant toute concurrence (moins de 3 euros de l’heure, alors que le SMIC horaire est de 6.83 euros), en éliminant toute participation à la solidarité interprofessionnelle ou à la protection sociale puisque le RMAste ne paiera une cotisation sociale que sur la base de la part très réduite de salaire versé par le patron.

Le revenu garanti universel : au service du capitalisme Dans ce contexte, la revendication d’un revenu garanti universel, basé sur l ’existence et non sur le travail, s’accorde à merveille avec les projets de l’État et du patronat.

On peut tout à fait imaginer une version de « Revenu Garanti Universel d’ Activité », sur le modèle amélioré du RMA, où le bénéficiaire devrait justifier de sa production « immatérielle » tous les 3 ou 6 mois, en étant de fait contraint de participer à l’« essor high-tech et subjectif de l’ entreprise ». Car, avec l’idéologie actuelle du travail, il serait illusoire de croire que le revenu garanti universel n’exigera pas une contrepartie sociale. Au regard des rapports économiques actuels, l’inconditionnalité du revenu est donc largement erronée .

Par ailleurs, ce revenu s’oppose à la conscience de classe encore présente dans les mobilisations pour la défense des régimes de répartition. L’ individu, et non plus le travailleur, serait encore plus individualisé et atomisé, ne devant sa survie de consommateur qu’au bon vouloir de l’État, qui renforcerait ainsi le contrôle et le fichage de la population.

La seconde contradiction réside dans l’universalité du revenu garanti universel. Car, il suppose un prélèvement de richesses à l’échelon planétaire. Comment peut-on demander la gestion par l’État (national) et parallèlement revendiquer une redistribution universelle? Si le revenu était accordé sur une zone limitée, comment l’État ou le pouvoir administratif de cet espace gérerait-il les nouveaux candidats extérieurs ou étrangers, sans passer par un contrôle plus répressif aux frontières ? De plus, revendiquer un revenu garanti universel conduit à encourager un renforcement du capitalisme mondial - tout comme la réclamation de la « Taxe Tobin ». En effet, redistribuer les capitaux nationaux dans les pays - où le revenu sera efficient - nécessiterait de s’appuyer sur les avancées néo-libérales faites en matière de délocalisations.

Ce revenu ferait de nous des petits actionnaires solidaires à leur détriment. Solidaires, non des caisses de sécurité sociale, ni des exploités des pays en voie de développement capitaliste, mais des multinationales en concurrence pour le contrôle des humains et des richesses vivantes, « immatérielles » ou au contraire très concrètes) à travers le monde entier.

La mise en place d’un tel revenu, qui peut d’abord paraître séductrice, conduit directement en fait à l’élimination de tout le système de protection sociale basé sur la solidarité entre les salariés. Il s’agit d’ individualiser tous les salariés, et à terme de les priver de tout moyen de pression, et en premier lieu de la pression qu’ils peuvent exercer à travers la réappropriation ou la confiscation de leur outil de travail. Mais aussi de les priver de tout pouvoir sur leur propre vie, soumise à un contrôle permanent et à la merci de l’État, distributeur du « Dividende garanti universel », et des patrons, n’offrant plus que des emplois précaires… La « subjectivation » de l’entreprise Pour tenir le coup, les salariés seront obligés de toujours plus subjectiver » l’entreprise, le capital et le travail étant réconciliés. Ce mouvement a déjà commencé à se mettre en place et il gagne toujours plus de terrain. Il correspond à la pensée ultra-libérale qui hisse l’entreprise au rang de véritable famille et de point d’orgue central dans la vie du salarié. Le salarié doit servir l’entreprise aussi bien dans son travail, que dans sa manière de travailler, et plus loin, sa manière d’être. Aujourd’ hui, les entretiens et les stages proposés aussi bien par l’Anpe que par les entreprises à leurs salariés cherchent à développer les capacités personnelles de travail et de comportement des travailleurs au service de l’ entreprise. L’engagement associatif par exemple sera considéré comme un plus » par le patron, car il est le signe des capacités de « dévouement » et d’investissement personnel du salarié. Il est ici question de véritable coopération, pour ne pas dire collaboration, appelée « immatérielle », entre les patrons et les salariés dans une optique de bonne entente, pour la santé de l’entreprise… Rien de tel pour éloigner le danger de la lutte des classes ! Le remplacement du rapport capital/travail par le rapport capital/vie (sur lequel s’appuie la revendication du revenu garanti universel), ne sert qu’à renforcer l’État et le patronat. Le revenu garanti universel pourrait être leur nouvel argument - si tant est qu’ils aient besoin d’arguments - pour accélérer la récupération des acquis sociaux défendus par des syndicats qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, domestiqués aux règles fatalistes de l ’apathie et de la coercition économique.

La classe dirigeante a donc bien un réel programme en ce qui concerne la protection sociale. Et pendant que certains négocient les reculs, d’autres font le jeu - volontairement ou non, avec ou sans bonnes intentions - des économistes payés par le pouvoir. La réflexion sur la mise en pratique et l’ institutionnalisation du revenu garanti universel s’inscrit dans la continuité du système capitaliste.

Ce que propose la CNT
Face à ces attaques contre la protection sociale basée sur la répartition et la solidarité interprofessionnelle, Pour défendre la logique du salaire socialisé, Contre toutes les formes de précarité, la CNT oppose son outil de lutte, à savoir le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme et revendique : par rapport aux conditions de travail : * augmentation générale des salaires, * lutte contre l’inégalité salariale * application du code du travail, des conventions collectives * transformation des contrats précaires en CDI quand c’est choisi * réduction massive du temps de travail sans flexibilité * partage du travail pour que tous aient accès au cycle de production, dans la perspective d’une société basée sur la répartition des richesses et fondée sur le travail socialement utile par rapport au système de protection sociale par répartition : * amélioration et revalorisation des minima sociaux et de toutes les allocations grâce à une augmentation des cotisations patronales qui rééquilibreraient la hausse constante des cotisations salariales et permettraient aux salariés de se réapproprier la plus-value et les bénéfices patronaux * élargissement de l’accès aux allocations sociales pour tous (sécu, retraites, assurance chômage…) dans une harmonisation par le haut des conditions d’accès, au bénéfice de tous les salariés précaires et de tous ceux qui ont été exclus de la solidarité interprofessionnelle * unification des caisses pour une caisse unique de protection sociale, contre tous les risques sociaux * réappropriation de la gestion des caisses sécu, retraites, assurance chômage… par les seuls salariés (exclusion du patronat et refus du paritarisme) * élections des administrateurs des caisses sur des mandats précis, révocables à tout moment, contrôlés par les salariés à la base

Paris, le 5 octobre 2003.


I N F O Z O N E
s a m i z d a t . n e t
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