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Origine : http://www.revue-quasimodo.org/PDFs/SV16-ConstructionDomination.pdf
« Mike Tyson est un génie et c’est une espèce plus rare que l’espèce des filles – et donc elle doit être davantage protégée. [...] Tu as frappé Robin, Mike – et, on ne peut s’empêcher de penser que ç’a dû être vachement bon. Elle a, c’est un fait, un petit visage tendre, sexuel et cabossé qui appelle les coups. »
Patrick Besson,
Le Viol de Mike Tyson, Paris, Scandéditions, 1993
In Frédéric Baillette et Philippe Liotard (avec la collaboration de Marie-Victoire Louis et Richard Montaignac), Sport et virilisme, Montpellier, Éditions Quasimodo & Fils, 1999, p.
L’analyse des violences exercées sur les femmes par des hommes qu’elles côtoient dans le cadre de leur pratique sportive, fait apparaître qu’elles sont agressées parce qu’elles sont des femmes. Et uniquement pour cela.
Bombardé d’imaginaires masculins, leur corps est maintenu dans un statut d’objet sexuel potentiel.
La pouvoir masculin s’exerce, notamment, par l’usage média- tique qu’il fait du corps des sportives. La mise en scène valorise le regard que les hommes portent sur les femmes et contribue à le renforcer. Les caméras isolent les cuisses ou les fesses des sprinteuses. Elles s’arrêtent sur de longs ongles vernis, saisis- sent une boucle d’oreille, des doigts bagués, un visage maquillé. Les commentateurs y vont de leurs remarques qui soulignent que le spectacle offert n’est pas seulement celui de l’affrontement sportif mais aussi celui de la hiérarchisation symbolique visant à désigner la plus belle ou la plus femme.
Soumises par le regard des hommes, les sportives sont jaugées à l’aune de leur féminité autant qu’elles sont évaluées en fonction de leurs résultats. Les manières de montrer et les manières de dire leur corps participent à l’érotisation par les hommes du corps des femmes. Insidieusement, le spectacle des femmes dans le sport diffuse les poncifs sur la différence sexuée des corps, tels qu’ils sont construits par le pouvoir masculin. D’ailleurs, à cette valorisation du corps des femmes dans le sport, répondent les attaques méprisantes qui prennent pour cible les corps performants ne correspondant pas aux idéaux esthétiques masculins.
Qu’on les dise belles ou disgracieuses, les jugements portés sur l’apparence corporelle des sportives les maintiennent dans un système d’inégalités où elles occupent la place de dominées. Dans les deux cas, ces commentaires font du corps des femmes un corps apprécié à partir des standards corporels conventionnels, définis par l’idéologie mâle dominante.
Il est donc impossible de comprendre les violences sexuelles faites aux femmes dans le sport (comme ailleurs) sans tenir compte du rapport de domination masculin, entretenu par le virilisme, idéologie de l’imposition physique, du plus fort, du plus violent, du plus brutal.
Le virilisme fonctionne, en effet, de manière latente dans tous les domaines déterminés par le pouvoir masculin. Il est réactivé à l’occasion du théâtre de l’affrontement sportif qui en appelle à de supposées valeurs permettant de s’imposer efficacement sur autrui. Réservoir de toutes les vertus machistes, l’institution spor- tive fait du virilisme une idéologie fonctionnelle qui justifie l’usage de la force et survalorise l’identité masculine.
Car la confrontation sportive est structurellement violente, elle institue toujours une domination. Elle confirme (scores à l’appui) une supériorité physique autant que symbolique. L’appareil bureaucratique du sport – formidable machine à mesurer, classer, comparer des individus ou des groupements d’individus entre eux – établit ainsi une hiérarchie entre les corps. Ce classement enferme « logiquement » les femmes dans une position de dominées. Le principe de mesure ne fait qu’objectiver les perceptions subjectives de la différence entre les sexes. La domination masculine est alors étayée par la magie des chiffres qui la soutiennent dans son entreprise de justification permanente. La compétition et son administration naturalisent ainsi les rapports de domination et apportent la « preuve » de l’existence de différences anthropologiques entre les sexes, les « races », les classes sociales, les âges, etc.
Ce renforcement des idées reçues, concernant les hiérarchies imaginées entres les humains, est légitimé par le présupposé selon lequel le sport est une école de la vérité, une épreuve où il est impossible de tricher sur les résultats. Même si cette assertion a de quoi amuser ceux qui connaissent la réalité quotidienne des pratiques sporti- ves, elle alimente le discours des idéologues du sport et crédibilise la suprématie des évidences biologiques. L’exploitation esclavagiste des robustesses (le capital corporel, la force de travail sportif) est une illustration de cette supposée suprématie. L’institution sportive est en effet négrière. Sa puissance économique, politique et symbolique l’autorise à puiser dans le flot intarissable des apprenti-e-s champion-ne-s afin de disposer de leurs corps, qu’elle assujettit à ses intérêts.
Ainsi, le problème est bien d’analyser et de dénoncer les rap- ports de domination, de subordination, d’exclusion produits par la société sportive, historiquement fondée sur la masculinité conquérante. Cette analyse permet de comprendre non seule- ment comment la domination masculine s’est instituée et surtout comment elle se perpétue. Car le fonctionnement patriarcal de l’institution sportive contribue, à son échelle, à la pétrification de l’ordre social.
Et il n’est nullement besoin d’être un pratiquant assidu, ni même un joueur occasionnel pour subir l’influence de la culture sportive. Celle-ci peut très bien se vivre en l’absence de toute pratique réelle, les hommes y adhèrant spontanément parce qu’ils s’y reconnaissent. Le sportisme 1 et le virilisme imbibent notre vie quotidienne, et personne n’échappe à ce furtif façonnage des modes de pensée.
C’est pour cela que tout au long de l’ouvrage, nous avons été guidés par la « nécessité, si l’on veut changer les choses dans les rapports de sexe, [...] de s’en prendre aux fondements symboliques où s’enracine la domination, donnée pour naturelle, universelle, inéluctable » 2.
- Sur l’idéologie sportiste, voir Michel Caillat, « Les dangers du sportisme », Libération, 24 décembre 1997, p. 4 et, du même auteur, L’Idéologie du sport en France depuis 1880 (Race, guerre et religion), Montreuil, Les Éditions de la Passion, 1989.
– Michelle Perrot, Libération, 27 août 1998.
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