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Éléments pour la construction d’une métasociologie du sport
Magali Uhl


Origine : http://www.cairn.info/revue-staps-2004-1-page-63.htm

Magali Uhl Docteur en sociologie, membre du CETCOPRA (Centre d’études des Techniques, des Connaissances et des Pratiques, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne), responsable de rédaction de Prétentaine (Université de Montpellier III, Paul Valéry). magali.uhl (at) wanadoo.fr

Résumé : Cet article se propose de problématiser les conditions de possibilité de la recherche en sociologie du sport. Sa visée épistémologique s’attache à élucider réflexivement la construction sociale des sociologies du sport. Différentes topiques sont proposées afin de circonscrire l’objet de recherche, le champ thématique, le corpus théorique et la démarche méthodologique : la question du cloisonnement disciplinaire et des connaissances spécialisées ; le rôle des déterminations objectives dans la constitution d’un savoir ; la complexité inhérente à la réalité corporelle et sa dimension de fait social total ; les types de recherches en sociologie du sport et leurs intentions spécifiques ; les modes de connaissances et les enjeux épistémologiques majeurs ; le rapport du chercheur à ses objets de recherche et la problématique intersubjective. Ces niveaux d’intelligibilité mettent en évidence la nécessité du pluralisme explicatif, de la multiréférentialité et du complémentarisme épistémologique dans la recherche en sociologie du sport sous peine d’amoindrir sa capacité heuristique et de relativiser ses apports cognitifs.

ARGUMENTS

Quelles sont les conditions de possibilité de la recherche en sciences humaines, et particulièrement en sociologie du sport ? Quelle est la nature de cette recherche dans laquelle tout chercheur, notamment le chercheur en sociologie, se débat nécessairement avec toute une série d’interrogations, de doutes, d’incertitudes, de difficultés : délimitation de l’objet de recherche, conformité de la problématique et de la démarche au regard des exigences des instances de légitimation, choix d’un « terrain » ou d’un corpus, accord d’une équipe de recherche, soutiens institutionnels et financiers, possibilités de publication, mais aussi et peut-être surtout identification progressive à un ethos de chercheur, c’est-à-dire désignation de soi comme chercheur, ce qui ne va pas sans de multiples questionnements existentiels, puisqu’on ne devient pas simplement chercheur par « choix » d’une profession, mais aussi, d’une certaine manière, par conversion à une vocation ou acquiescement à une conviction ? Ce sont ces questions que je voudrais thématiser à partir d’un corpus d’ouvrages consacrés à la sociologie du sport en France. Ce questionnement me semble par ailleurs revêtir un double aspect complémentaire dans le champ de la sociologie du sport :

D’une part la sociologie du sport est tributaire, dans sa constitution même, d’une approche sociologique des diverses activités physiques et pratiques corporelles qui accompagnent les pratiques sportives proprement dites, soit en les préparant dans le cadre de l’éducation physique, soit en les remplaçant dans le cadre des multiples activités d’entretien et de loisir.

Les STAPS représentent d’autre part un champ de production important au sein de la sociologie française du sport qui a été assez sensiblement influencée par elles. De nombreuses références bibliographiques se situent ainsi à la croisée des travaux sociologiques extérieurs aux STAPS et des recherches sur le sport faites au sein même des STAPS (Ardoino & Brohm, 1991).

Ma contribution est donc d’abord une recherche sur la recherche. Cette méta-recherche (Uhl, 2000) comprend, comme toute recherche, une série de réquisits qu’il convient de mettre à jour dans une perspective (auto)-réflexive (Morin, 1994) : processus institutionnels de légitimation (entrée dans la recherche, habilitation du chercheur, intégration dans une équipe de recherche) ; présupposés théoriques (appartenances à des champs disciplinaires spécifiques, références paradigmatiques et épistémologiques, cadres méthodologiques) ; visions du monde (conceptions de la culture et du sport, positions politiques, philosophies et métaphysiques implicites, modèles de réussite sociale) ; implications temporelles (dialectique de l’identité et de l’altérité du chercheur dans le temps) ; urgences administratives et délais temporels (contradictions entre la pluralité des temporalités sociales et la durée intérieure de la recherche) (Ardoino & Brohm, 1991). Le propos vise essentiellement à interroger les préalables épistémologiques, institutionnels et idéologiques d’une réflexion approfondie sur les conditions de possibilité spécifiques aux diverses sociologies du sport qui s’opposent aujourd’hui dans ce champ. L’intention première n’est donc pas de procéder à un examen comparatif des différents travaux épistémologiques relatifs à la sociologie du sport, ni bien sûr d’établir un bilan critique des recherches en ce domaine, mais de développer les prolégomènes obligés d’une sociologie multi-référentielle et complémentariste du sport en tant que réalité complexe. Cet article pose ainsi les linéaments d’un programme de recherche pour la construction d’une métasociologie du sport qui cherche à rendre explicites les présupposés ontologiques (la nature des objets étudiés), les systèmes de pensée (les catégories et principes d’intelligibilité), les constructions théoriques (les concept fondateurs) et les intentionnalités constitutives de la recherche (axiologies et finalités).

Pour cerner plus précisément la problématique de cet article il faut rappeler que toute recherche sur le sport (compte rendu expérimental, étude clinique, description des pratiques, analyse historique, essai critique, etc.) (cf. : Arnaud, 2000 ; Bouet, 1968 ; Bruant, 1992 ; Jeu, 1972 ; Léziart, 1990 ; Meynaud, 1966 ; Pociello 1999 ; Vigarello, 1988 ; Yonnet, 1998) ; se situe plus ou moins nettement dans un champ de recherche à la fois disciplinaire et thématique en se classant par conséquent dans un genre donné. Or, cette « architextualité », pour reprendre l’expression de Gérard Genette1, est déjà l’objet d’une première difficulté, puisque le genre « recherche en sociologie du sport » est supposé respecter certains critères de forme, d’argumentation et de rigueur, alors que toute l’histoire de la sociologie du sport, et plus généralement des sciences humaines, est l’histoire d’une lutte ininterrompue pour la définition légitime du genre et des sous-genres : rapport de la discipline en question avec les disciplines voisines ou complémentaires philosophie, psychologie, histoire, anthropologie, biologie, notamment –, division de la sociologie du sport en diverses spécialisations (par exemple : l’étude des addictions sportives dans la haute compétition, des pratiques de glisse extrêmes, des histoires de vie des champions, de l’évolution des techniques sportives ou des publics de supporters), clivage entre le théorique et l’empirique (parfois dit aussi de « terrain »), et, in fine, opposition récurrente entre la théorie du sport dite « scientifique » et la théorie du sport dite « littéraire », « philosophique » ou « essayiste » (Bourdieu, 1980, 1987 ; Brohm, 1992, 1993 ; Corneloup, 2002 ; Defrance, 1995). Or, toutes ces désignations de genres sont évidemment performatives en ce sens que leurs dénominations constituent également des qualifications ou des disqualifications. Dans le champ universitaire on constate en effet qu’énoncer c’est faire advenir. D’où les luttes de légitimité entre les genres, les disciplines, les champs de recherche, les démarches méthodologiques, et bien entendu aussi entre les universités et centres de recherche. Pour prendre quelques exemples significatifs qui permettent de comprendre la hiérarchie des genres : on sait que suivant les orientations théoriques qui prévalent au sein des divers courants de la sociologie du sport, le genre « recherche empirique » sera privilégié sur le genre « réflexion épistémologique », le genre « recueil et traitement des données quantitatives » sur le genre « observation clinique », le genre « management des organisations sportives » sur le genre « histoire politique du sport » ou inversement (Quel Corps ?, 1993).

PRINCIPES CONSTITUTIFS

Cette situation de cloisonnement thématique et disciplinaire n’est pas nouvelle, puisque Descartes constatait déjà la répartition des objets entre les diverses sciences et ses conséquences : la particularisation des disciplines et des « études spéciales ». La première règle cependant pour la direction de l’esprit n’est pas de s’approprier séparément chaque discipline en laissant de côté toutes les autres, mais de rechercher la « solide connaissance du vrai » qui est le but général de toute recherche. En effet, puisque tous les champs du savoir sont étroitement liés entre eux, « si quelqu’un donc veut sérieusement rechercher la vérité, il ne doit pas faire choix d’une science particulière : elles sont toutes unies entre elles et dépendantes les unes des autres. Qu’il pense seulement à accroître la lumière naturelle de sa raison, non pour résoudre telle ou telle difficulté d’école, mais pour que, dans chaque circonstance de sa vie, son entendement montre à sa volonté ce qu’il faut choisir » (Descartes, 1628, 4).

De toute évidence, la recherche sociologique en STAPS ne peut être seulement une « étude spéciale » sur un « objet spécial » puisqu’elle concerne au premier chef la totalité des déterminations sociales, économiques, scientifiques, technologiques, politiques, culturelles, etc. de ce fait social total qu’est le sport en tant que croisement d’instances : institutions et organisations sportives, pratiques et techniques sportives, discours sur le sport, sciences de la motricité et de l’apprentissage moteur, management et économie du sport, images du corps, etc. (Duret, 2002 ; Ehrenberg, 1991 ; Gasparini, 2000 ; Simmonot, 1988).

1 Gérard Genette (1992) définit l’architextualité comme le genre ou la qualité générique d’un texte, son essence différentielle. Ainsi en littérature il existe des romans, des récits, des nouvelles, des poésies, des comédies, des tragédies, etc. Cette architextualité peut être l’objet d’un enjeu tant du côté de l’auteur du texte que du côté de la réception pour la valorisation ou la définition légitime du genre en question. Ainsi un roman policier relève d’un genre littéraire moins prestigieux qu’une tragédie de Racine. De même, en sociologie du sport les conflits architextuels explicites ou implicites renvoient à une hiérarchie des genres consacrés par les normes du champ officiel…

La sociologie du sport se doit donc de respecter les principes de totalité, de complexité et de multi-référentialité. En effet, « les vérités séparées comportent une part d’erreur qui est leur mutilation. Il faut un autre type de connaissance, et c’est la connaissance complexe, qui permet de relier tout et parties en boucle, de traiter la multi-dimensionnalité. Ce faisant elle intègre les connaissances produites au sein de disciplines spécialisées, tandis que la connaissance spécialisée, isolée, désintègre la complexité du réel » (Morin, 2000, 11).

Il s’agit par conséquent de problématiser les conditions de possibilité de la sociologie du sport. En ce sens la visée méta-sociologique de mon propos en tant que sociologie de la sociologie du sport s’attache à l’élucidation réflexive de la construction sociale de ses objets de recherche (Bourdieu & Wacquant, 1992). Or, la construction de la réalité sociale (Searle, 1998) est de toute évidence indexée sur les cadres cognitifs qui rendent possible toute forme de sociologie, y compris, bien sûr, la sociologie du sport. Il s’agit là d’un domaine fondamental sinon fondateur de l’épistémologie qui s’est toujours posé la question des sources et ressources sociales des sciences : savoirs, systèmes de pensée, catégories de l’entendement, facultés cognitives, cadres conceptuels, représentations, croyances, visions du monde, mythologies, etc. Cette épistémologie des sciences qui étudient les pratiques corporelles (Le Breton, 1992) renvoie, bien évidemment, à la sociologie de la connaissance, sous sa forme particulière de la sociologie du sport, ou à la sociologie du sport comme connaissance de la réalité sociale, puisque cette sociologie, au même titre d’ailleurs que les autres sciences humaines qui traitent des phénomènes corporels, prétend être une forme de connaissance particulière du réel : la réalité corporelle dans son infinie diversité, dans sa complexité synchronique et diachronique (Prétentaine, 2001). La sociologie du sport se voit donc obligée, non seulement de procéder à une sociologie de la recherche, puisque les chercheurs sont aussi des sujets sociaux et que la sociologie du sport se situe dans le jeu des institutions sociales, mais plus fondamentalement encore à une métasociologie ou théorie de la sociologie, c’est-à-dire à une critique théorique ou transcendantale de ses conditions de possibilité2 en tant que forme de pensée (avec ses catégories, ses concepts, ses raisonnements), mode d’investigation (avec ses méthodes d’objectivation, d’observation, d’enregistrement, de mesure), et type d’écriture (avec ses genres codifiés, ses normes de communication, ses procédures de validation, ses règles de publication).

C’est ce que souligne justement Georg Simmel en insistant sur les fondements de la sociologie : « De même que certains termes du problème se situent au-dessous des connaissances concrètes de l’existence sociale, il en est d’autres par contre qui la dépassent : ils essayent de restituer par les hypothèses et la spéculation en une image d’ensemble close le caractère inévitablement fragmentaire de cette empirie […] ; ils affirment ou ils mettent en doute les deux processus découlent également d’une vision supra-empirique du monde que tout le jeu des événements socio-historiques est habité par une signification religieuse, un rapport connaissable ou supposable concernant les fondements métaphysique de l’être » (Simmel, 1991, 104).

La sociologie du sport, pas plus d’ailleurs que les autres sciences humaines, ne peut prétendre être une simple science empirique, positive ou factuelle qui pourrait se dispenser au nom de la thèse hégémoniste que toute connaissance serait sociale et donc objet prioritaire de la sociologie de rendre compte à son tour de son projet de connaissance, de ses capacités cognitives, de ses résultats effectifs dans l’extension du savoir3.

2 « Pas plus que la psychologie en effet une sociologie intéressant l’humanité de l’homme en la mettant en jeu ne saurait se passer d’une assise transcendantale, laquelle consiste en l’intersubjectivité qui est au fondement de tout phénomène social quel qu’il soit » (Henry, 1988, 192-193).

3 Habermas rappelle que dans les sciences humaines les théories dépendent « d’interprétations générales qui ne peuvent être confirmées ou infirmées selon des critères immanents, du type de ceux des sciences empiriques ». Le rapport aux valeurs est un exemple parmi d’autres de ces instances transcendantes qui déterminent les démarches de recherche. « C’est pourquoi les sciences sociales sont tenues à déclarer la dépendance de leurs hypothèses théoriques fondamentales à l’égard de ces présuppositions normatives » (Habermas, 1987, 24).

Si toute connaissance est relative à des conditions sociales institutionnelles, culturelles, politiques, etc. la sociologie du sport, en tant que champ de connaissance particulier, est elle aussi nécessairement relative, limitée, partielle et donc dépendante de ses conditions institutionnelles de production, de circulation et de réception. La prétention sociologique à assigner la connaissance à un domaine de validité s’applique par conséquent ipso facto à elle-même : la sociologie devient elle aussi relative. Et ce n’est pas le recours incantatoire aux « faits » qui permet de résoudre cette aporie, mais seulement la recherche des conditions de possibilité qui autorisent des énoncés valides sur les compétences réelles de la sociologie à comprendre les pratiques humaines et particulièrement les pratiques corporelles et sportives dans leur diversité. Autrement dit, la réflexion fondamentale sur l’intention constituante même de la recherche, en un mot sur son essence (Uhl, in press), est ici non seulement inévitable, mais la condition même de compréhension de toute forme de recherche relative au donné corporel, qu’il soit sportif ou extra-sportif. Comme le souligne en effet Theodor W. Adorno, « confrontées au projet de pénétrer l’essence de la société moderne, les études empiriques ressemblent à des gouttes sur une pierre brûlante » (Adorno, 1979, 61). Aussi ne peut-on pas, pour poursuivre la métaphore, s’en tenir au simple donné par exemple transcrit en données statistiques et ignorer le feu de la pierre, c’est-à-dire l’essence même des choses, sous peine de se brûler les doigts.

« Le donné c’est-à-dire les faits auquel elle [la recherche sociale] se heurte suivant ses méthodes comme si c’était la chose ultime, n’a rien d’ultime en soi-même, c’est une chose conditionnée. Dès lors, elle ne peut confondre le fondement de sa connaissance le caractère de données de faits à propos desquels sa méthode consacre tous ses efforts avec le fondement réel : un être en soi des faits, leur immédiateté pure et simple, leur caractère fondamental » (Adorno, 1979, 73).

Il apparaît alors évident qu’un paradigme unique, même fort, ne peut pas rendre compte de la totalité de la réalité sociale, notamment dans le domaine de la sociologie du sport. Par conséquent, « au lieu de choisir un paradigme à l’exclusion des autres, ou d’en tenter une synthèse, peut-être convient-il de laisser s’ouvrir les cent fleurs. Il ne s’agit pas pour autant de renoncer à l’espoir d’identifier les critères d’une explication satisfaisante. Bien au contraire, il s’agit d’identifier les concepts clefs de voûte devant permettre d’évaluer la validité des modes d’analyse disponibles » (Brown, 1989, 19). Par ailleurs, toute réduction du complexe au simple, de la multiplicité à l’unité ne peut être que source de distorsion intellectuelle (Morin, 1994). Même si de nombreux auteurs réfutent la thèse du pluralisme épistémologique, en soutenant qu’il ne serait que le résultat de la prégnance des philosophies et des idéologies passées sur la pensée, des imprécisions et confusions langagières ou de l’usage restreint de la formalisation mathématico-logique, on peut penser qu’à « l’illusion possible de la pluralité des schèmes d’intelligibilité [on peut] opposer tout aussi légitimement le fantasme unitaire d’une science ramenée à un espace à deux dimensions : la logique et l’expérience » (Berthelot, 1990, 147).

La réflexion épistémologique sur la sociologie du sport porte ainsi avant tout sur le conditionnant, le constituant, l’instituant de la recherche, même si le conditionné, le constitué, l’institué représentent des régions d’être qui ont leur importance. À cet égard, mon travail se présente comme une propédeutique métasociologique sur les fondements de la connaissance sociologique dans le domaine du sport. Je ne fais ici que reprendre une recommandation de Jean Duvignaud : « Tout sociologue commence par s’interroger sur la sociologie. Comme s’il fallait qu’une révision générale précédât l’analyse. Comme si chaque génération portait avec elle son image de la sociologie, à la façon d’un promeneur qui se déplace avec son arc-en-ciel » (Duvignaud, 1968, 7). Et cette révision générale ne peut que concerner la totalité de la démarche de recherche sociologique, plus particulièrement ses fondements, généralement impensés comme des allants de soi ou des doxa. En ce sens, il n’est pas besoin de préciser que ma recherche n’est pas ici une recherche empirique de terrain, encore moins une socio ou ethnographie avec application des méthodes standards, mais d’abord un travail théorique, une recherche fondamentale, c’est-à-dire un travail d’analyse critique des catégories, concepts, idées, références, etc., utilisés par les principales disciplines des sciences humaines qui abordent le sport, ses institutions et ses pratiques, mais aussi une argumentation épistémologique en faveur d’une démarche transversale, multi-référentielle, complémentariste, herméneutique qui tente d’éviter les réductions, les cloisonnements, les schématismes.

ÉPISTÉMOLOGIE DE LA COMPLEXITÉ

Dès que l’on accepte la complexité inhérente à l’étude de la connaissance en sociologie du sport, surdéterminée par le fait que le chercheur est lui-même un sujet épistémique impliqué parmi les sujets sociaux, il s’ensuit que l’objet de recherche ne peut être appréhendé que sur le mode de la multiréférentialité. Les fonctions sociopolitiques du sport contemporain, les multiples dimensions de la corporéité anatomo-physiologique, bio-mécanique, bio-énergétique, pulsionnelle, esthétique, etc. –, la diversité des goûts et habitus sportifs, les différents paliers en profondeur (Gurvitch, 1968.) de l’histoire des pratiques corporelles, pour ne prendre que ces exemples classiques, sont redevables d’une démarche multi-référentielle. Autrement dit, une seule approche disciplinaire ne peut rendre compte de la complexité de l’objet de recherche. En insistant sur le rôle des différentes sciences humaines dans la sociologie du sport, il s’agit de comprendre en quoi la question de la multi-référentialité est cruciale d’un point de vue épistémique. À cet égard il importe de rétablir les communications avec les autres sciences humaines, non seulement pour ouvrir le champ de la sociologie du sport à d’autres domaines de la réalité sociale qui peuvent également être soumis à son investigation, mais aussi pour rendre complémentaires les différentes approches disciplinaires. Il paraît ainsi peu pertinent de se limiter à une seule perspective disciplinaire ou à une démarche méthodologique exclusive. Peuton sérieusement comprendre le sport contemporain en se limitant par exemple à l’économie du sport ou à la biomécanique des gestes sportifs ? Peut-on étudier la trajectoire de carrière d’un athlète en se contentant de lui faire passer des tests de personnalité sans se poser la question du sens que revêt sa pratique pour lui ? (Le Pogam, 1993).

Il apparaît ainsi que si la sociologie du sport veut se donner pour tâche de comprendre la complexité des pratiques sportives et la diversité des institutions qui les gèrent, elle doit refuser le piège des frontières disciplinaires. « Nous devons, souligne Charles Wright Mills, refuser les spécialisations arbitraires des départements universitaires, régler notre spécialisation au gré du sujet, et surtout au gré du problème ; enfin, ce faisant, puiser dans les vues et dans les idées, dans la documentation et dans les méthodes de toutes les sciences humaines qui octroient à l’homme le rôle d’acteur historique » (Mills, 1977, 137). Les cloisonnements disciplinaires, qui ne donnent de l’objet qu’un éclairage spécialisé, sont en effet incapables de restituer la complexité de l’objet, mais ils le mutilent de surcroît parce qu’ils occultent fondamentalement la façon dont l’objet est constitué, c’est-à-dire aussi les présupposés épistémologiques qui guident la recherche. Les questions essentielles qui peuvent se poser rompent alors avec l’habitus du cloisonnement : quel est cet objet que nous cherchons ?, comment l’appréhendons-nous ?, suivant quelles perspectives comptons-nous l’élucider ?, quels domaines de la réalité notre problématique touche-t-elle ?, quels champs du savoir embrasse-t-elle ? En un mot, quels concepts, méthodes, matériaux, paradigmes nous sont indispensables pour rendre possible l’intelligence de notre objet ? Dans ce type de questionnement il est clair que « l’idée du “cloisonnement” se fonde moins sur de solides problématiques que sur des concepts en carton-pâte » (Mills, 1977, 144). En se privant en effet d’une perspective plurielle qui donne de la richesse et de la profondeur à son objet, le morcellement disciplinaire dissout la réalité dans une généralité abstraite ou la mutile dans une spécialisation hasardeuse, à l’évidence incomplète. C’est ce qu’a bien mis en avant Marcel Mauss dans ses études sur les techniques du corps, la magie ou le don où il applique les principes de la méthode multidimensionnelle (Mauss, 1950).

Il ne faut donc pas hésiter à recourir à d’autres disciplines notamment la sociologie de la connaissance, particulièrement la sociologie phénoménologique –, pour aborder sous divers angles la question des fondements de la recherche en sociologie du sport. À ce titre l’image de l’arc-en-ciel évoquée par Jean Duvignaud est particulièrement significative puisque c’est l’unité de la pluralité qui permet d’éclairer les choses. Et, malgré une sorte de disqualification contemporaine implicite de la recherche théorique au profit du « terrain », et plus spécialement au profit de la sociologie du sport « appliquée » ou « commanditée » par une demande sociale, en somme utilitaire ou prestataire de services, il reste que la réflexion théorique, particulièrement le questionnement épistémologique sur les fondements de l’activité sportive, est une absolue nécessité, même pour ceux qui privilégient le « terrain ».

D’autre part, dans un contexte de crise de la sociologie4, qui se (re)pose aujourd’hui les questions fondamentales de son identité, de ses intentions, de ses compétences, de ses méthodes et surtout de ses champs d’application (par exemple dans ses rapports avec l’économie, l’histoire, les sciences politiques, l’ethnologie, la psychologie), il n’est pas illégitime d’insister sur les préalables ou les principes constituants de toute recherche sociologique, surtout en sociologie du sport, discipline relativement récente et souvent négligée, incomprise ou soumise à controverses (Brohm, 2002 ; Bromberger, 1998 ; Caillat, 1989 ; Mignon, 1998 ; Thomas, 1993 ; Vargas, 1992).

En effet, comme l’a rappelé Jean Piaget, « la sociologie intéresse l’épistémologie à deux points de vue distincts et complémentaires : d’une part, elle constitue un mode de connaissance digne d’être étudié pour lui-même, notamment dans ses rapports (de différence comme de ressemblance) avec la connaissance psychologique ; d’autre part, c’est en son objet ou en son contenu mêmes que la connaissance sociologique conditionne l’épistémologie, puisque la connaissance humaine est essentiellement collective et que la vie sociale constitue l’un des facteurs essentiels de la formation et de l’accroissement des connaissances préscientifiques et scientifiques » (Piaget, 1977a, 15). On peut alors rappeler que la sociologie du sport a elle-même besoin d’être fondée ou refondée, c’est-à-dire d’être interrogée et mise en question par le « pur pouvoir de la raison ». Ce qui est très exactement la tâche d’une métasociologie des pratiques corporelles.

Il ressort de ces considérations que mon champ de recherche est constitué par le corpus des œuvres, écrits, livres, articles, publications, etc., des auteurs sociologues, philosophes, psychanalystes, écrivains, journalistes, pratiquants et dirigeants sportifs, etc. qui ont écrit sur le sport. Emmanuel Kant (1783) avait expliqué que son principal souci était de distinguer avec soin les modes de connaissance. On peut aussi estimer qu’une exigence épistémologique majeure de la sociologie du sport est de ne pas confondre tous les modes de connaissance en les réduisant à un mode unique (par exemple l’approche empirique, seule considérée comme « scientifique ») et surtout de ne pas fétichiser une seule forme de « terrain » (par exemple l’échantillon dit

« représentatif » ou l’immersion prolongée dans un groupe sportif). Le terrain ou plutôt le territoire de l’historien est constitué aussi bien par des entretiens avec des témoins que par un dépouillement d’archives dans une bibliothèque. Le linguiste, lui, travaille sur des récits de la tradition orale ou des écrits produits par une langue donnée (ou plusieurs). L’ethnologue peut « aller sur le terrain » (il sera africaniste, orientaliste, océaniste, etc.), mais il lui arrive aussi de lire les ouvrages de ses collègues et prédécesseurs dans son cabinet de travail. Le psychanalyste peut aussi bien travailler en institution, dans un centre de consultation, qu’à domicile derrière le divan.

4. Raymond Boudon, dans un ouvrage qui constate la corrélation entre la crise sociale et universitaire de la fin des années soixante et la « remise en question de la sociologie », souligne les éléments qui caractérisent la crise d’identité et d’orientation de la sociologie contemporaine. Son analyse du « polymorphisme » sociologique est plus que jamais d’actualité (Boudon, 1971).

L’épistémologue confronte les travaux scientifiques (qui ne sont pas forcément les siens) au sein d’une discipline ou compare les démarches de différentes disciplines. Le philosophe, enfin, travaille nécessairement sur des textes, des concepts, des doctrines. De toute évidence, il ne s’agit pas dans ces différents exemples des mêmes terrains, mais il paraît difficile de leur dénier la qualité de terrain, sauf, encore une fois, à identifier la notion de terrain à l’une de ses formes particulières. Je dirais donc volontiers que toute recherche se crée son propre terrain et que l’imagination épistémologique consiste à adapter son terrain à l’objectif de la recherche et à la démarche utilisée.

Il va de soi de ce point de vue qu’une approche phénoménologique ne se situe pas sur le même terrain qu’une méthodologie ethnographique ou une procédure d’enquête par questionnaire. La phénoménologie reste dans la perspective d’un horizon de sens qui ne peut être localisé comme un terrain, un territoire ou un champ, au sens géographique, ethnologique ou sociologique. Cet horizon se donne comme un flux temporel subjectif, source et réceptacle de toute réflexion, de toute investigation, de toute donation de sens, y compris, bien sûr, du sens de la recherche (Husserl, 1994). Et cet horizon phénoménologique est aussi réel, original et spécifique que par exemple le cadre psychanalytique type avec son dispositif d’associations libres qui se déroulent dans le « lieu psychique » de la scène fantasmatique ou la situation expérimentale dans un laboratoire de psychologie cognitive.

RÉFLEXIVITÉ ET AUTO-RÉFLEXIVITÉ

En me proposant d’étudier les modalités de la connaissance dans la sociologie du sport, j’ai donc eu recours à une démarche de recherche qui est une démarche sur la démarche, une méta-démarche, c’est-à-dire une recherche sur les démarches de recherche. Il s’agit alors de définir une analytique des fondements possibles de la connaissance sociologique, analytique placée sous l’hypothèse générale de la vie constituante du sujet. Kant remarquait dans son analyse du pouvoir pur de la raison que « la vie est la condition subjective de toute notre expérience possible » (Kant, 1783, 111). Je conclurai pour ma part à la permanence du sujet dans la vie, y compris, bien sûr, dans la vie sportive.

Il apparaît alors que dans le cadre d’une sociologie de la connaissance des « mondes du sport », « la théorie de la connaissance et la théorie de la vie nous paraissent inséparables l’une de l’autre. Une théorie de la vie qui ne s’accompagne pas d’une critique de la connaissance est obligée d’accepter, tels quels, les concepts que l’entendement met à sa disposition : elle ne peut qu’enfermer les faits, de gré ou de force, dans des cadres préexistants qu’elle considère comme définitifs. Elle obtient ainsi un symbolisme commode, nécessaire même peut-être à la science positive, mais non pas une vision directe de son objet. D’autre part, une théorie de la connaissance, qui ne replace pas l’intelligence dans l’évolution générale de la vie, ne nous apprendra ni comment les cadres de la connaissance se sont constitués, ni comment nous pouvons les élargir ou les dépasser. Il faut que ces deux recherches, théorie de la connaissance et théorie de la vie, se rejoignent, et, par un processus circulaire, se poussent l’une l’autre indéfiniment » (Bergson, 1969, IX).

Cette circularité de la connaissance et de la vie implique par ailleurs une réciprocité de l’objet et du sujet de la recherche. On peut dire en effet que toute recherche est tributaire d’une double visée : du sujet vers l’objet qui représente l’intentionnalité du sujet de la recherche ; de l’objet vers le sujet qui représente l’intentionnalité de l’objet de recherche, surtout lorsque cet « objet » est lui-même un sujet individuel ou collectif –, comme c’est très souvent le cas en sociologie du sport. Le problème que pose cette double intentionnalité renvoie à la question de la constitution. Le sujet est-il constitué (déterminé) ou constituant (déterminant) ? En d’autres termes, les motifs du chercheur sont-ils conduits par des institutions, un champ, un marché, des interactions sociales, des déterminations de classe, des appartenances culturelles, une identité sexuelle, etc., ou dépassent-ils dans le cadre de la recherche ces divers niveaux du constitué ?

Cette interrogation renvoie alors à l’idée même de recherche, au type de recherche dont il est question. Je considère qu’il y a deux archétypes de recherche qui correspondent à deux visées essentiellement différentes : la recherche professionnalisée (selon une demande, une expertise, un appel d’offre, etc.) et la recherche fondamentale qui ne tend pas vers une finalité de reconnaissance économique ou d’embauche (recherche universitaire théorique). Je travaille pour ma part sur le second type de recherche dont le but n’est pas l’application pratique ou le débouché immédiat sur le marché du travail, mais l’enquête réflexive sur les paradigmes, références théoriques et projets de recherche ainsi que l’explicitation des valeurs, visions du monde, ontologies savantes ou spontanées, idéologies professionnelles, formes de langage, etc., à l’œuvre dans toute recherche sociologique, généralement en tant qu’impensé épistémologique, politique et, pour finir, métaphysique. Pour donner une illustration de l’opposition entre ces deux idéaltypes de recherches, donc de chercheurs, on peut mentionner dans un autre registre la différence de principe qui existe entre l’artiste salarié (l’art pour vivre) et son homologue désintéressé (vivre pour l’art), entre une œuvre d’art au service d’une cause (caritative, politique, pédagogique, etc., par exemple une musique de commande écrite à la gloire d’un prince) et une pure œuvre d’art (par exemple une symphonie de Mahler). Aussi le désir de recherche dont il est ici question ne concerne pas les finalités immédiatement accessibles telles qu’elles prévalent dans la recherche professionnalisante ou la recherche administrative faut-il en effet « livrer notre destin planétaire aux experts parcellaires, confier la pensée à ceux qui n’ont pas de pensée » (Morin, 2000, 13) mais rejoint le pathos originaire de la connaissance qu’Aristote traduit dès les premiers mots de sa Métaphysique :
« L’homme a naturellement la passion de connaître » (Aristote, 1991, 39).

Cette volonté de réintroduire le sujet, dans sa complexité ontologique, au cœur même du procès de connaissance est la pierre de touche de la pensée d’Edgar Morin, elle fonde également sa critique du déterminisme sous toutes ses formes. Il apparaît en effet que dans une certaine conception déterministe en vogue5 les problèmes de la connaissance en sciences humaines se résolvent par le recours incantatoire à des déterminations causales : historiques, sociales, économiques, politiques, culturelles. Dans ce type de théorie, la connaissance se trouve essentiellement déterminée par les conditions objectives de sa production. De la même manière les orientations du chercheur sont déterminées par les conditions objectives de production, de circulation et de publication de ses recherches. Avant d’être un sujet singulier dans sa radicale ipséité, il est d’abord membre d’un laboratoire de recherche, possède un ethos de classe, a incorporé des habitus culturels, intériorisé des cadres d’expérience et des schèmes de construction sociale de la réalité, etc. Ainsi son orientation épistémologique sera-t-elle la conséquence directe de sa position dans le champ considéré : « On est empiriste, formaliste, théoricien, ou rien de tout cela, beaucoup moins par vocation que par destin, dans la mesure où le sens de sa propre pratique advient à chacun sous la forme du système de possibilités et d’impossibilités que définissent les conditions sociales de sa pratique intellectuelle » (Bourdieu, Chamboredon & Passeron, 1983, 99). Dès lors, les choix épistémologiques deviennent surtout des « idéologies professionnelles » dont le but est de légitimer la place et la position du chercheur au sein des structures normatives de son milieu d’appartenance scientifique.

SUJET ÉPISTÉMIQUE ET INTERSUBJECTIVITÉ

La recherche suppose donc un environnement de recherche, un processus de recherche, des objets, des visées de recherche, des résultats, etc. Mais ce qu’elle implique surtout c’est un sujet de recherche, autrement dit un chercheur vivant, qui n’est pas un être de fiction ou un agent épistémique abstrait, mais une personne en chair et en os, impliquée par tout son être, même en cas de dénégation, dans sa recherche.

5. Edgar Morin critique ici les théories de Pierre Bourdieu et de ses disciples : « C’est bien le point de vue qu’expriment les conceptions sociologiques de Bloor ou Bourdieu, comme celles d’une vulgate marxiste qui fait de la science une idéologie » (Morin, 2000, 40).

C’est ce sujet-là qui appréhende, élabore, traite et modifie ces différents niveaux de la recherche. Et comme le souligne Jean Piaget, « le chercheur […] en tant que sujet humain est une source de connaissances, et constitue en fait le point de départ de toutes les connaissances, naïves, techniques, scientifiques, etc. » (Piaget, 1977b, 363-364).

Cette source de connaissances est donc fondamentalement subjective, ou plus exactement interou transsubjective en ce sens que le sujet de recherche est confronté à un jeu complexe d’interactions transférentielles et contre-transférentielles entre lui et les objets de recherche, notamment le sien, et entre lui et les autres sujets de recherche. Cela revient à constater que la recherche, avant d’être un traitement de choses, est d’abord et avant tout une intention subjective dans un monde lui-même subjectif. La société est sans doute aussi un agencement objectif de rapports sociaux objectifs, d’institutions matérielles, d’appareils, de lois, de normes, etc., mais elle est d’abord une sphère de subjectivité et d’intersubjectivité. « La société est subjective, écrit Theodor W. Adorno, parce qu’elle renvoie aux hommes qui la forment et parce que ses principes d’organisation renvoient à la conscience subjective » (Adorno, 1979, 3233). Il en découle que l’épistémologie des sciences qui étudient les pratiques corporelles et les pratiques sportives doit considérer cette subjectivité non pas comme un obstacle à neutraliser, éliminer, refouler au nom de la fameuse distanciation objectivante et de la neutralité scientifique –, mais comme la substance, la vie, la force et la finalité mêmes de la recherche. Par ailleurs et ceci est d’une importance capitale pour la sociologie du sport la connaissance de la subjectivité n’est pas une connaissance ordinaire, mais une connaissance auto-réflexive, une connaissance de soi, une connaissance où il y a identité partielle ou totale du sujet et de l’objet dans une circulation dialectique incessante. Dès lors, « les sciences sociales, comme le remarque Norbert Elias, s’occupent des relations entre les hommes. Sur ce plan de la recherche, les hommes se rencontrent eux-mêmes aussi bien que les uns les autres ; les “objets” sont en même temps des “sujets”. C’est la tâche des chercheurs en sciences sociales que de trouver les moyens de comprendre les configurations mouvantes que les hommes tissent entre eux, la nature de ces liaisons ainsi que la structure de cette évolution. Les chercheurs sont eux-mêmes inscrits dans la trame de ces motifs. Ils ne peuvent s’empêcher car ils sont immédiatement concernés de les vivre de l’intérieur ou par identification. » (Elias, 1994, 24).

Il s’avère en définitive que toute recherche repose sur une ontologie implicite ou explicite (Berthelot, 2000). Cette postulation sur l’être concerne aussi bien le sujet de la recherche que ses objets de recherche dans la mesure où, en sciences humaines et particulièrement en sociologie du sport, les objets du chercheur sont presque toujours des sujets humains, des rapports entre sujets humains ou des réalités médiatisées par des sujets humains. Dès lors, il n’est plus « possible de traiter les faits sociaux comme des choses. Ils ont un mode propre de se donner qui n’est pas celui des choses. En tant que phénomènes, ils sont de prime abord ambigus. Et de plus, ne sont que si une condition humaine située et datée vient leur donner un sens. En sorte que la sociologie n’atteint quelque efficace dans l’ordre de la connaissance que si, en dernier ressort, elle se réfère à des états-vécus » (Monnerot, 1946, 61).

Lorsqu’on accepte le principe qu’aucun savoir ne permet à lui seul la compréhension d’un objet, que la science par conséquent, comme le souligne Alain Besançon (1971), ne peut exister qu’à titre de savoir partiel, on peut alors formuler les principes d’une épistémologie qui offre au chercheur la possibilité de comprendre son objet de la façon la moins mutilante possible. C’est essentiellement par la médiation d’une épistémologie de la complémentarité (Devereux, 1985) qui articule plusieurs disciplines sans les confondre que l’on peut dépasser les limites d’une connaissance fragmentaire de l’univers sportif.

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