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Virilité et violence
22 octobre 2011

Origine : http: //antisexisme.net/tag/virilisme/

« Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. »
Pierre Bourdieu 1

Une virilité précaire

Force, agressivité et stoïcisme : voici un homme viril

Dans de très nombreuses cultures, la virilité, contrairement à la féminité, est perçue non comme quelque chose d’inné, mais comme un statut social, prestigieux, qui s’acquiert 2,3,4,5. Cela est sans doute à mettre en relation avec le patriarcat6 : la virilité est un statut social « supérieur », un honneur,  permettant à l’homme de réellement se distinguer de la femme.

De ce fait, cela explique pourquoi les jeunes garçons adoptant des comportements dits féminins sont jugés très négativement, bien plus qu’une fille adoptant un comportement traditionnellement masculin 7,8.

Dans certaines cultures, des rites permettent aux garçons de devenir « un vrai homme » : circoncision, mise à mort d’une antilope, scarification2,3… Tous ces « rites de passages » se démarquent soit pas leur dangerosité soit pas leur caractère douloureux. En effet, la virilité est toujours synonyme de force, de courage et d’impassibilité devant la douleur ou la mort.

En Occident, il n’existe pas de rites de passages formels, qui permettraient de prouver que le garçon est devenu un vrai homme. Cela expliquerait pourquoi les hommes occidentaux passeraient une bonne partie de leur temps à prouver leur virilité par des démonstrations publiques informelles, telles que : jouer à des jeux à boire, faire des paris stupides, rouler vite, avoir de nombreuses conquêtes sexuelles… De la taille d’un poisson pêché au nombre de conquêtes sexuelles, les hommes cherchent toujours à montrer qu’« ils ont la plus grosse » dans tous les domaines de la vie. Difficile à obtenir, la virilité se perdrait très facilement, à chaque moment de faiblesse. Ainsi, beaucoup d’hommes refusent de demander de l’aide par peur de perdre leur virilité 9.

Les caractéristiques de la virilité sont assez constantes d’une culture à une autre. L’anthropologue David Gilmore a pu montrer que, que ce soit en Europe, en Inde ou en Afrique, la virilité correspond à la dureté, l’action, l’agressivité, le stoïcisme émotionnel et une sexualité quasi-incontrôlable2. Plusieurs travaux ont montré qu’aux Etats-Unis, agression, dureté et action physique sont les éléments centraux du concept de virilité 10,11.

Menace sur la virilité, anxiété et résolution par l’agression physique

Angoisse et agressivité

Une virilité menacée conduit à l'angoisse, que l'agression physique résolve.

Il a été montré qu’une virilité menacée est source d’angoisse pour les hommes3,5. On a ainsi fait croire à des hommes qu’un test psychologique avait permis d’estimer qu’ils étaient plus féminins que masculins. Leur  niveau de stress était significativement plus fort que ceux dont la virilité n’était pas menacée. A l’inverse, les femmes ne vivaient pas ce genre d’angoisse quand on leur disait qu’elles avaient un esprit plutôt masculin3

Les hommes se suicident trois fois plus que les femmes 12. Quand on demande ce qui fait le plus peur aux femmes, celles-ci répondent que c’est le viol et le meurtre. Quant aux hommes, c’est l’idée qu’on puisse rire d’eux, autrement dit de perdre leur honneur, leur virilité 6…

Or, l’agression physique serait une tactique pour rétablir la virilité menacée. En effet, les hommes dont la virilité est menacée ont plus de pensées agressives que des hommes non menacés 3,5… Cela est corroboré par une autre étude, dans laquelle un groupe d’hommes a été forcé de se comporter de manière «féminine» : ils ont du tresser des cheveux. Dans un autre groupe, des hommes ont du  tresser une corde. Les deux groupes d’hommes avaient ensuite le choix entre soit frapper un sac ou soit résoudre un puzzle. Les hommes ayant tressé les cheveux ont majoritairement choisi de taper le sac, contrairement à ceux ayant tressé une corde. De plus, les hommes ayant tressé des cheveux cognaient plus fort que les autres. Enfin, quand les hommes ayant fait des nattes n’avaient pas la possibilité de boxer le sac, leur niveau d’anxiété était plus élevé que s’ils avaient la possibilité de le frapper 13.

Mais qui sont les principaux juges de la virilité ? Les hommes. Ce sont les hommes qui jugent de la virilité des autres hommes. Leur virilité doit être approuvée par leurs pairs6 . Les femmes ne sont pas celles qui punissent le plus sévèrement les “tapettes” ayant perdu leur virilité. De plus, les hommes juge la virilité plus précaire que les femmes. Il la lie clairement à l’action et à l’agression, alors que la femme la relie plus à l’endurance4.

Femmes, homosexuels, « tapettes »… qu’arrive t-il à ceux qui ne sont pas virils ?

L’homophobie est également l’un des grands aspects de la virilisation extrême. En réalité, l’homophobie n’est pas seulement la haine des homosexuels, mais la haine de tout ce qui n’est pas considéré comme viril 6 : hommes féminins, homosexuels (les deux étant souvent abusivement associés), femmes. En effet, ces derniers sont censés représenter  l’anti-virilité, ceux contre lesquels se construit l’homme hétérosexuel viril6. Pas étonnant donc que l’homme viril les infériorise.

Les insultes homophobes sont utilisées chez les jeunes garçons bien avant la puberté. Dans ce cas-là, en réalité, elles sont souvent peu en rapport direct avec l’orientation sexuelle de la cible14. Elles servent avant tout à designer un garçon ou un homme considéré comme faible, émotif, studieux ou peu sportif. Bref, elles servent avant tout à stigmatiser l’homme « féminin » qui perd en prestige en se comportant comme le « sexe faible ». Les insultes homophobes sont considérées comme extrêmement offensantes14, prouvant par là à quel point la société occidentale est sexiste : être assimilé au genre féminin, aux femmes, est la pire chose qui puisse arriver à un homme. Le problème n’est donc pas tant l’orientation sexuelle que le genre.
Suicide des homosexuels

Les homosexuels se suicident beaucoup plus que les hétérosexuels.

Ces insultes homophobes à l’école peuvent avoir des conséquences dramatiques. Ainsi, une étude a montré que la majorité des jeunes hommes responsables de fusillades dans des lycées ont tous été victimes d’harcèlement, et en particulier d’insultes homophobes15. A nouveau, la violence a été ici utilisée comme moyen pour rétablir la virilité des assassins. Par ailleurs, les hommes homosexuels, en particulier les jeunes, ont 4 à 7 fois plus de risques d’avoir déjà fait une tentative de suicide que les hétérosexuels16.

La « virilisation » dans ses formes extrêmes conduit également à l’hostilité à l’égard des femmes 6,17. Les hommes les plus stéréotypés peuvent être prédisposés aux violences sexuelles. Ils perdent également leur capacité à ressentir de l’empathie et le besoin d’intimité avec autrui 17.

D’après Turvey 1999 18, qui a proposé une classification des violeurs en fonction de leur motivation, la virilité pourrait être impliquée de deux façons dans le viol :

-  Un individu anxieux par rapport à sa virilité peut vouloir se rassurer en violant. Cela rétablira à ses yeux sa virilité.

- A l’inverse, un individu ayant le sentiment d’avoir une virilité importante, croit qu’il est en  droit d’agresser sexuellement, afin de montrer sa supériorité. Le violeur recherche alors à contrôler, humilier sa victime qui est ici considérée comme un objet.
Violences conjugales

La virilité de son compagnon était sans doute menacée...

Il a été mis en évidence que la menace sur la virilité était un important facteur explicatif des violences conjugales 19. Une étude montre que, en particulier dans les cultures où le sens de l’honneur est important, la réputation d’un homme est vue comme salie, si sa compagne le trompe. Dans ce cas, l’usage de la violence contre la femme infidèle, est considéré comme un moyen de rétablir l’honneur (et donc la virilité) de l’homme 20.

Conclusion

On l’a vu, les hommes se suicident trois fois plus que les femmes12. Leur espérance de vie est également réduite, notamment à cause de comportement à risques (tabac, accident de voiture)21. Enfin, ils représentent l’immense majorité de la population carcérale (96,3 %)22. La peur de la perte de virilité est sources d’angoisses permanentes, source de prises de risques inutiles et source de violence. On peut ainsi supposer que l’injonction d’« être un vrai homme, un vrai de vrai » est source d’énormément de souffrance dans notre société.

Or l’idée que la virilité est un statut particulier qui distingue l’homme de la femme tire son origine de l’infériorisation de la femme. Elle provient également du côté prestigieux de la force, de la puissance et de la violence dans notre société.

A la fin du XIXème siècle, les juifs d’Europe Centrale refusèrent le modèle masculin traditionnel basé sur l’action et l’agression23. Ils dévalorisèrent l’exercice physique et le sport au profit de l’intellect et du développement de dispositions douces et pacifiques. Dans la communauté juive de cette époque, on peut noter la remarquable absence de crimes liés à l’ivrognerie (très communs dans les milieux chrétiens d’alors), de délits provoqués par des rivalités d’hommes, de violences exercées contre les femmes. Les crimes de sang et les viols sont extrêmement rares dans la criminalité juive 23.

Il semble donc nécessaire de venir à une société plus égalitaire et réfléchir à une nouvelle masculinité, moins construite contre les femmes et sur l’agressivité.

Pour aller plus loin :

Maïa Mazaurette. La boîte. 1. Théorie. 16 May 2011

Christophe Gentaz. L’homophobie masculine : préservatif psychique de la virilité ? 1994

Références

1. Bourdieu P. La domination masculine. Paris: Éditions du Seuil ; 1998.

2. Gilmore D. Manhood in the making : Cultural concepts of masculinity. New Haven  Conn.: Yale University Press ; 1991.

3. Vandello JA, Bosson JK, Cohen D, Burnaford RM, Weaver JR. Precarious manhood. Journal of Personality and Social Psychology. 2008 ; 95: 1325-1339.

4. Weaver JR, Vandello JA, Bosson JK, Burnaford RM. The Proof is in the Punch: Gender Differences in Perceptions of Action and Aggression as Components of Manhood. Sex Roles. 2009 ; 62: 241-251.

5. Bosson JK, Vandello JA. Precarious Manhood and Its Links to Action and Aggression. Current Directions in Psychological Science. 2011 ; 20: 82-86.

6. Kimmel MS. Masculinity as homophobia: Fear, shame and silence in the construction of gender identity. Toward a new psychology of gender. Feminism and masculinities. 1997.

7. Kenneth Sandnabba N, Ahlberg C. Parents’ Attitudes and Expectations About Children’s Cross-Gender Behavior. 1999 ; 40(3-4): 249-263.

8. Martin CL. Attitudes and expectations about children with nontraditional and traditional gender roles. Sex Roles. 1990 ; 22: 151-166.

9. Addis ME, Mahalik JR. Men, masculinity, and the contexts of help seeking. Am Psychol. 2003 ; 58(1): 5-14.

10. Levant RF. The new psychology of men. Professional Psychology: Research and Practice. 1996 ; 27: 259-265.

11. Oswald DL, Lindstedt K. The Content and Function of Gender Self-stereotypes: An Exploratory Investigation. Sex Roles. 2006 ; 54: 447-458.

12. WHO | Country reports and charts available | Suicides rates. Available at: http: //www.who.int/mental_health/prevention/suicide/country_reports/en/index.html. Consulté octobre 21, 2011.

13. Bosson JK, Vandello JA, Burnaford RM, Weaver JR, Arzu Wasti S. Precarious Manhood and Displays of Physical Aggression. Personality and Social Psychology Bulletin. 2009 ; 35: 623-634.

14. Plummer D. The quest for modern manhood: masculine stereotypes, peer culture and the social significance of homophobia. Journal of Adolescence. 2001 ; 24: 15-23.

15. Kimmel MS, Mahler M. Adolescent Masculinity, Homophobia, and Violence: Random School Shootings, 1982-2001. American Behavioral Scientist. 2003 ; 46: 1439-1458.

16. Firdion JM, Verdier E. Suicide et tentative de suicide parmi les personnes à orientation homo/bisexuelle. Homosexualités au temps du sida. Tensions sociales et identitaires. 2003.

17. Lisak D, Ivan C. Deficits in Intimacy and Empathy in Sexually Aggressive Men. Journal of Interpersonal Violence. 1995 ; 10: 296-308.

18. Turvey B. Criminal profiling : an introduction to behavioral evidence analysis. San Diego  Calif.: Academic Press ; 1999.

19. Jakupcak M, Lisak D, Roemer L. The role of masculine ideology and masculine gender role stress in men’s perpetration of relationship violence. Psychology of Men & Masculinity. 2002 ; 3: 97-106.

20. Vandello JA, Cohen D. Male honor and female fidelity: Implicit cultural scripts that perpetuate domestic violence. Journal of Personality and Social Psychology. 2003 ; 84: 997-1010.

21. Meslé F. Espérance de vie : un avantage féminin menacé ? Population et sociétés. 2004 ; (402).

22. Statistique du Ministère de la Justice sur la population écrouée et détenue en France en mars 2007. Ministère de la Justice ; 2007.

23. Karady V. Les Juifs et la violence stalinienne. Actes de la recherche en sciences sociales. 1997 ; 120(123): 3-