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JO de Londres: “On les appelle ‘journalistes’, mais ce sont des supporters”
02/08/2012

Origine : http://www.lesinrocks.com/2012/08/02/actualite/on-les-appelle-journalistes-mais-ce-sont-des-supporters-11283249/

Michel Caillat, sociologue (très) critique du sport, a une sérieuse dent contre les Jeux Olympiques. “Défaite de la raison”, Londres 2012 noie toute critique du sport dans un flot d’émotions et de chauvinisme, enrage le chercheur.

Que ressent un sociologue du sport devant Londres 2012 ?

Michel Caillat - Je suis choqué par le matraquage médiatique qu’on nous inflige. RMC parle des JO 15 heures par jours ! L’événement balaie tout ; seule une troisième Guerre mondiale pourrait confisquer l’antenne aux journalistes sportifs. On les appelle “journalistes”, mais ce sont des supporters. Vous avez vu quand ils interviewent les sportifs après un match ? De purs moments de complicité indignes d’une carte de presse. Ils alimentent le grand mythe olympique (pureté, loyauté) comme si c’était une évidence. Normal, ils ne veulent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Ça vous étonne ?

Pas du tout. Un des principes de base du journalisme sportif est de “collaborer avec les organisations sportives”. C’est écrit dans les statuts de l’Association internationale de la presse sportive depuis 1924. Ça n’empêche pas de s’en indigner, encore aujourd’hui. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que les autres journalistes apprécient d’avoir des confrères aussi complaisants.

Est-ce que ça n’est pas de la passion plus que de la complaisance ?

La passion n’empêche pas de prendre du recul. On fait croire que les JO sont un moment hors du réel, un moment d’émotion pure vécu par le patron et l’employé côte à côte dans le même stade. Le mythe absolu ! Le sport ne gomme pas les inégalités. Au contraire, il véhicule les valeurs du dominant : concurrence, rendement… Les sportifs ne sont pas des génies, ce sont d’excellents techniciens qui appliquent à la perfection le “travailler plus pour gagner plus” de Nicolas Sarkozy.

Et battent des records…

Oui, les records. Les journalistes ne parlent que de ça. Ils manquent de s’étouffer sur celui de Tony Estanguet, qui “entre dans la légende du sport” avec ses trois médailles d’or (à trois olympiades différentes, et pour la même épreuve). Mais personne ne se donne la peine de relativiser l’info. En expliquant notamment que le canoë à haut niveau permet des carrières plus longues que dans la plupart des autres disciplines, et qu’il aurait été impossible qu’un nageur décroche ce record par exemple. Au lieu de ça, on va dire à Estanguet qu’il est le premier à aligner ces médailles… mais je pense franchement qu’il s’en fout.

Au-delà du record en lui-même, une médaille joue sur le classement de la France.

Ce classement des nations a été inventé par les pays eux-mêmes. Mais c’est quelque chose que le CIO n’a jamais voulu faire ! On a une approche très nationaliste des Jeux. Les commentateurs sportifs veulent voir le Français gagner.

Chauvins, complaisants… les JO sans journalistes sportifs, ça serait quoi ?

On devrait profiter de l’événement pour aborder certains problèmes. Tenez, qui se souvient d’Emilie Le Pennec, 16 ans, encensée à Athènes pour sa médaille d’or aux barres asymétriques ? Pas grand monde, elle a raccroché quatre ans plus tard parce que son corps ne pouvait plus suivre… Au début des années 1980, l’Académie nationale de médecine dénonçait déjà les risques de l’entraînement intensif précoce : ça a fait trois lignes dans l’Equipe. A Londres, on nous envoie une masse d’infos inutiles qui ne sont que la face visible de l’iceberg.

N’y a-t-il vraiment aucune critique qui réussit à émerger sur le sport-business ou le dopage ?

Dans le flot continu des articles sur Londres 2012, les quelques papiers critiques sont noyés. Quant à l’explication qui veut que “l’argent a miné la compétition”, elle masque le vrai problème. Car les JO ont toujours été basés sur l’argent ! Depuis le début, les Jeux dépendent des intérêts privés, parce que les Etats ne croyaient pas au projet. En 1913, dans la Revue olympique, Coubertin se plaignait déjà de la “danse des millions” autour de ses Jeux.

A vous écouter, l’idéal olympique est une douce chimère.

Disons que par définition, les JO renforcent l’ordre établi. Quand je dis ça, on m’oppose souvent les JO de Mexico en 1968, quand les deux athlètes noirs ont fait le signe des Black Panthers. Très bien, mais quelle est la fin de cette histoire ? Ils ont été exclus à vie des Jeux Olympiques par le CIO.

Ancien journaliste sportif devenu professeur de droit et d’économie, Michel Caillat a créé le Centre d’Analyse Critique du Sport (CACS). Ses derniers ouvrages parus sont Le Sport (ed. Le Cavalier Bleu, 2008) et Pensées critiques sur le sport (ed. L’Harmattan, 2000)