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Origine : http://www.humanite.fr/journal/2006-05-17/2006-05-17-829988
Bientôt le 9 juin 2006 et le coup d’envoi de la Coupe
du monde de football. Pas moins de 200 000 personnes accréditées,
une vraie marée d’hommes mais... semble-t-il, c’est
celle des femmes qui déconcertera le plus, puisqu’un
méga bordel de 3 000 m² pouvant accueillir jusqu’à
650 clients et 40 000 prostituées (selon les estimations
des associations luttant contre la prostitution) trône déjà
à côté du principal stade berlinois. À
lire l’ouvrage de Jean-Marie Brohm et de Marc Perelman (1),
rien de moins étonnant à cela : si nous aimons tant
le foot, c’est parce que le foot est, avant tout, tout sauf
du foot : corruptions, affairismes, arrangements, mais aussi violences,
dopages, xénophobies. Loin d’être des dérives,
ces réalités constituent la substance même du
football spectacle : « l’idolâtrie du football
joue là le rôle d’un mirage mystificateur ou
d’un écran de fumée opaque derrière lequel
se dissimulent les secrets honteux d’une honorable société
».
Alors pour ceux qui s’illusionnent sur les vertus éducatives
du ballon rond et qui continuent de dissocier « l’esprit
valeureux de ce sport » du business qu’il génère,
simplement quelques chiffres : selon France Football, le revenu
annuel de Ronaldinho (BRA-FC Barcelone, ESP) qui comprend le salaire
(710 000 euros par mois), les primes et contrats publicitaires,
s’élève à 23 millions d’euros.
Suivent les 18 millions de David Beckham (ENG-Real Madrid-ESP),
les 17,4 millions de Ronaldo (BRA-Real Madrid-ESP), les 16,1 millions
de Wayne Rooney (ENG-Manchester United- ENG)... Premier Français
en lice : Zinédine Zidane (FRAReal Madrid-ESP), avec 15 millions.
La question est donc très simplement celle-ci : combien faudra-t-il
d’argent, d’institutionnalisation de la fraude organisée
(destinée à masquer le coût réel des
transferts et des salaires des joueurs), de pots-de-vin, et d’inflation
des droits de retransmission - rappelez-vous, fin 2004, Canal Plus
emportait la mise en proposant la somme de 600 millions d’euros
par saison pour obtenir l’exclusivité des droits de
diffusion du championnat de Ligue 1 de football de 2005 à
2008 — pour qu’enfin cessent ces cris du cœur qui
définissent le football comme étant « citoyen
» et les joueurs de foot comme des « héros exemplaires
».
Mais il n’y a pas que la surcapitalisation du foot qui pose
problème. Pire encore est l’entreprise de crétinisation
et d’assujettissement dont il se fait le vecteur : en effet,
le football spectacle n’est pas, selon Brohm et Perelman,
« un jeu collectif » mais une « politique d’encadrement
des foules, un moyen de contrôle social » bien connu
des régimes autoritaires et fascistes. On s’inscrit
ici dans la tradition bien connue d’un Wilhelm Reich et de
sa réflexion sur la « massification régressive
des émotions ». Le football serait-il cette «
peste émotionnelle » dont parle le philosophe ? Faut-il
y voir une forme de « chloroformisation des esprits »
? ....
Force est de reconnaître que devant le « veau d’or
football », l’esprit critique tend à disparaître...
et l’on est « bien obligé de constater que le
désert s’avance chaque fois que se profile la grande
fête mondiale du ballon rond ». Après tout, on
a la « cause du peuple » qu’on peut... J’en
profite pour vous rappeler, à ce propos, les 40 000 filles
de l’Est censées venir goûter aux joies de l’expérience
footballistique en juin prochain..., à moins que ce ne soit
l’inverse ...
Au fil des pages, le portrait dressé par Brohm et Perelman
continue d’être fortement à charge : «
les batailles du football - « matches décisifs »,
« matches à hauts risques » [...] et autres euphémisations
des chocs footballistiques - sont ainsi des « machines désirantes
» perverses où se distillent les émotions belliqueuses,
les passions mégalomaniaques, les excitations haineuses [...].
Les idéologues qui déplorent périodiquement
la « recrudescence » du racisme, de l’antisémitisme
et de la xénophobie sont incapables de comprendre que l’exaspération
des appartenances identitaires, l’exaltation des différences,
les crispations communautaristes, ne peuvent pas ne pas engendrer
la haine de l’autre, dès qu’elles sont portées
par la fureur de vaincre à tout prix qui est aujourd’hui
la logique impitoyable du football business ». Et moi - qui
adore aller au stade scruter les appels croisés, mater les
passements de jambe et les petits ponts, trembler à chaque
corner ou à chaque penalty - j’ai donc la « peste
» docteur ?...
Franchement, le coup-du-sombrero... ça vaut bien un peu
de peste...
(1) Le Football, une peste émotionnelle , Folio Actuel Inédit,
2006.
Article paru dans l'édition du 17 mai 2006.
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