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Origine :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-669420,36-783998,0.html
http://darkincorporated.forumactif.fr/sutra717-Le-football-nouvel-opium-du-peuple.htm
http://www.minorites.org/article.php?IDA=16609
Outre le signe de croix du joueur à l'entrée sur le
terrain, quels sont les nouveaux rituels religieux du football ?
Ils ne sont pas forcément nouveaux ni religieux. Je pense
aux cercles formés par les joueurs, main dans la main, avant
le début d'un match, comme pour une sorte d'ultime "training"
spirituel. Il y a aussi l'empilement des corps sur le joueur qui
a marqué un but, dans lequel certains ont cru devoir déceler
des tendances homosexuelles latentes. Ou encore la "chenille"
qui réunit, après la victoire, une équipe avançant
à genoux sur la pelouse.
Ce sont des rituels collectifs. Ils ont désormais plus de
place que les pratiques individuelles anciennes comme le signe de
croix à l'entrée sur le terrain ou le baiser sur la
pelouse qu'on va fouler.
Plus récent, le rituel qui consiste, pour le joueur qui
a marqué, à lever son maillot et exhiber devant le
public et les caméras son tee-shirt porteur d'un message
à destination familiale ou à connotation religieuse.
On a vu des tee-shirts " I love Jesus". Et les joueurs
de la Côte d'Ivoire prier en groupe sur le terrain, lors de
la finale de la Coupe d'Afrique des nations, perdue contre l'Egypte
!
Quant au geste du "berceau" - le balancement de bras
portant un enfant fictif, inventé par le Brésilien
Bebeto au Mondial américain de 1994, afin de saluer la naissance
de son propre enfant -, il a été largement imité
depuis. Ce n'est certes pas un symbole religieux explicite, même
si on peut y voir une louange à la vie et au Créateur.
Je le comprends plutôt comme un bel hommage rendu à
la femme dans ce monde de "mecs" que demeure le football
malgré une mixité plus grande (dans le public et le
corps arbitral). C'est un heureux correctif proposé au machisme
ambiant de ce milieu.
Ces gestes ne traduisent-ils pas un retour du "religieux"
dans un univers marchand, sécularisé, laïcisé
?
Non, pas nécessairement. Il est probable que les signes
de croix sont plus fréquents dans les équipes nationales
de pays marqués par la tradition catholique ou orthodoxe
: je pense, dans le premier cas, à l'Italie, à l'Espagne,
à l'Amérique latine, à l'Afrique et, dans le
deuxième, aux pays slaves.
Les pays protestants semblent ignorer cette pratique. Je ne suis
pas sûr qu'il y ait autant de signes religieux dans les équipes
d'origine arabe ou asiatique. De là à parler d'un
renouveau du religieux, je n'en suis pas absolument convaincu.
D'une part, il faudrait distinguer entre la pratique religieuse
sincère - qu'il ne faut pas exclure pour certains joueurs
- et la pratique superstitieuse. D'autre part, cette religiosité
a quelque chose d'une fiction, fortement mise en valeur par la télévision
et les angles des caméras. Il y a là un effet de verre
grossissant de la Mondiovision.
Par ailleurs, l'idée que Dieu puisse vouloir donner la victoire
à "notre" équipe plutôt qu'à
l'adversaire révèle une mentalité religieuse
assez primaire et une "théologie" bien peu critique
!
Le football est d'abord un révélateur universel de
tous les antagonismes sociaux et mondiaux : la faute et la grâce,
le jeu et la violence, la fortune inouïe des stars du ballon
rond et le marché des joueurs, souvent recrutés dans
les pays pauvres et transformés en esclaves modernes du sport-spectacle.
Reste une liturgie proprement religieuse dans les stades de football
...
Oui, et ce n'est pas un hasard si de grands prédicateurs,
comme Billy Graham ou Jean Paul II, ont choisi des stades pour réunir
leurs foules. Communauté de foi, célébration
émotive, desservants, hymnes, cantiques, invocation du bien
et dénonciation du mal : la mise en scène comporte
bien des analogies entre la manifestation sportive et le rite religieux.
Une sorte de rivalité mimétique s'est instituée,
accréditant la thèse que le football est une autre
religion (une quasi-religion, aurait pu dire le théologien
Paul Tillich), voire une nouvelle religion se substituant à
la première.
A la liturgie forcément présente et impressionnante
des grandes rencontres de football, j'ajouterai l'histoire et la
tradition propres à chaque club, de celles qui cimentent
des communautés entières. Les publics de Naples à
l'époque de Maradona, de Marseille ou de Turin, avec leurs
simulacres religieux (ex-voto, invocation de la Bonne Mère
dans la cité phocéenne), ont été bien
étudiés par Christian Bromberger.
Très typique aussi est le cas des publics de supporteurs
anglais d'Arsenal à Highbury (le vieux stade mythique qui
va être détruit et remplacé), de Liverpool et
autres, chantant, pendant tout le match, des "carols"
(cantiques) à la gloire de leur équipe, venus de la
plus ancienne tradition chrétienne locale et des écoles
du dimanche du XIXe siècle.
Les équipes en rouge - Manchester United, Liverpool - sont
plutôt de tradition catholique, en bleu - Manchester City,
Everton - de tradition protestante, comme les Glasgow Rangers opposés
à leur rival local du Celtic, habillé en vert, d'origine
irlandaise et catholique. Et il n'est pas rare dans les tribunes
d'entendre des insultes racistes ou homophobes sur des airs de "O
When The Saints Go Marching In !"
La religion et le football se rejoignent, pour le meilleur comme
pour le pire. Ce n'est pas le moindre paradoxe d'un sport-spectacle
mettant en scène les ambivalences de la condition humaine
: juste et pécheur, tantôt génial tantôt
odieux, chanceux ou maudit, le footballeur, cet esclave adulé
mais si vite déchu des temps modernes, n'est-il pas un miroir
de notre propre destinée ?
Propos recueillis par Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 16.06.06
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