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Origine :
http://www.rinoceros.org/article.php3?id_article=439
Cet été, les Jeux Olympiques, l’événement
sportif planétaire par excellence, retrouveront leur berceau
d’origine, la Grèce. A cette occasion, les valeurs
éternelles du sport ne manqueront pas d’être
célébrées... tandis que de multiples sponsors
et autres “partenaires officiels” trusteront les écrans
à chaque retransmission télévisée et
que les produits dérivés déferleront dans les
temples modernes, ceux de la consommation.
Car le sport s’est fait rattraper. « Le nouveau modèle
sportif est fondé sur l’assujettissement direct du
sport à la raison économique » explique William
Gasparini, sociologue du sport. Au mépris, par exemple dans
l’industrie du sport, du respect des principes éthiques
fondamentaux dont se réclame le mouvement olympique. Voilà
pourquoi nous vous proposons, en clôture de ce dossier, la
pétition que lance ce mois de mars le collectif De l’éthique
sur l’étiquette.
Sommaire :
* « Le modèle sportif assujetti à la raison
économique », entretien avec le sociologue du sport
William Gasparini
* Le sport n’est pas un jeu mais une vision du monde. Entretien
avec Michel Caillat, auteur de Le Sport et membre du Mouvement critique
du sport
* A quand un “alter-sport” ?, par Arnaud Jean
* Course aux profits : à vos marques, prêts..., par
Maude Feral
* En savoir plus
« Le modèle sportif assujetti à la raison économique
»
Entretien avec William Gasparini [1], propos recueillis par ->Pierre
Jobert
- Peuples en marche - Sponsors, achat de sportifs par les grands
clubs, culte de la performance et du résultat, explosion
des droits de retransmission télévisées et
son corollaire : la course à l’audience... L’impression
domine que, comme dans la plupart des secteurs de la vie sociale,
l’idéologie néo-libérale s’est
à son tour emparée du sport... Qu’est-ce qui
a présidé à cette évolution ?
William Gasparini - Le nouveau modèle sportif qui tend à
s’imposer progressivement est d’abord fondé sur
l’assujettissement plus direct du sport à la raison
économique. Il relève d’un économisme
apparemment simpliste dont l’axiome premier est que les institutions
en général et les organisations sportives en particulier
(clubs, associations de loisirs, dispositifs sportifs municipaux)
n’ont de sens que dans le service qu’elles doivent rendre
aux usagers-consommateurs et dans leur efficacité managériale.
Comme un virus informatique, la doxa néo-libérale
pénètre sournoisement le sport de l’intérieur
pour mieux le coloniser. Le football, le rugby et le basket contemporains
illustrent parfaitement ce processus : les caractéristiques
de la transformation du sport n’ont pas simplement été
déterminées par la cohérence d’un projet
des élites économiques visant à réguler
l’univers sportif selon des critères marchands. Cette
mutation a également été rendue possible par
l’attitude ambivalente des sportifs, supporters, téléspectateurs,
consommateurs de biens et services sportifs et par la conviction
qui s’est peu à peu installée que les changements
introduits étaient “inéluctables”.
L’idéologie néo-libérale dans le sport
apparaît nettement dans la conjoncture politique particulière
du début des années 80 qui voit d’une part la
gauche au pouvoir mettre fin à la double utopie étatiste
de la réalisation de la société assurantielle
et de l’alternative au capitalisme et, d’autre part,
la constitution d’un nouveau marché libre-échangiste
: le marché sportif.
Cette mutation doit évidemment être replacée
dans le cadre plus général des transformations du
capitalisme depuis les années 1980. L’enjeu crucial
en est l’affaiblissement de tout ce qui, institutionnellement,
juridiquement, culturellement, limite l’expansion sociale
de la pensée libérale : le néo-libéralisme
vise alors à l’élimination de toute “rigidité”,
y compris psychique, au nom de l’adaptation aux situations
les plus variées que rencontre l’individu dans son
travail comme dans ses loisirs et son existence en général.
Dans ce contexte, le sport va constituer dans le même temps
le laboratoire et le fer de lance des idées néo-libérales.
- Pem - Vous êtes, à l’Université de
Strasbourg, spécialisé en sociologie du sport. Quelle
est la fonction sociale traditionnellement remplie par le sport,
et qu’est-ce que ce glissement du sport sur une pente libérale
traduit ?
W.G. - Travail, discipline éducative, spectacle, vecteur
de propagande politique, moyen de prévention des risques
sanitaires, outil de gestion des ressources humaines, vecteur d’intégration
sociale, fabrique de rêve, rapport au monde... Le sport n’a
pas une seule fonction sociale, comme il ne porte pas de seules
valeurs éducatives. Il ne contient pas de valeurs intrinsèques,
il n’est pas vertueux, éducatif ou intégrateur
en soi ; il porte les valeurs qu’on lui attribue. Ce qui signifie
que la pratique sportive peut aussi bien constituer un facteur d’intégration
qu’un facteur d’exclusion. Les formes de chauvinisme,
d’élitisme, de rejet des moins forts, de nationalisme
et de racisme dans les pratiques sportives nous montrent bien la
difficulté à affirmer que le sport intègre
“naturellement”.
Ces réserves énoncées ne doivent cependant
pas occulter les vertus éducatives, rééducatives
et thérapeutiques des activités physiques et sportives
qui ont été reconnues de longue date mais qui dépendent,
pour une large part, des objectifs assignés au sport et de
la qualité du lien et du dialogue social créés
au travers de la pratique sportive. Dans certaines conditions de
pratique sportive réflexive (notamment en Education physique
et sportive ou dans certaines associations), le sport peut développer
le respect de l’autre (adversaire et partenaire) et de la
règle, le respect de son corps, etc. Dans sa conception libérale,
au contraire, la pratique sportive marchande vise avant tout l’activité
corporelle ou le spectacle sportif sans détour réflexif
et critique : la seule utilité sociale du sport est une utilité
marchande. On observe d’ailleurs que la consommation de biens,
de spectacles, de médias et de services sportifs devient
progressivement l’un des éléments structurants
majeurs de la société française. Les équipementiers
sportifs ne s’y trompent pas et leur politique marketing vise
prioritairement les “jeunes”. Selon la directrice du
marketing produits de la société Adidas France, «
les 12-20 ans représentent le cœur de cible d’Adidas
car ils sont surconsommateurs d’articles de sport et de formidables
prescripteurs pour leurs parents ». Orangina ne s’y
trompe pas non plus en lançant une campagne conjointe avec
l’Union nationale du sport scolaire (UNSS) dans les collèges
et lycées pour soutenir financièrement des projets
pédagogiques à caractère sportif.
- Pem - N’y a-t-il pas un clivage entre ce qu’on pourrait
appeler, pour reprendre une formule qui fait florès, le “sport
d’en haut” et le “sport d’en bas”
? Si les grands clubs, les grandes fédérations lorgnent
vers le marché (l’Olympique lyonnais est une holding
avec ses filiales OL taxis, OL Voyages, OL Restauration...), le
tissu sportif français repose lui largement sur un réseau
associatif, bénévole, qui fonctionne avec d’autres
valeurs.
W.G. - Il ne faudrait pas opposer de manière dichotomique
les “forces du marché” à celles des traditions
associatives en matière de sport. Mon propos n’est
pas de systématiquement “stigmatiser” le sport
professionnel qui existe officiellement en France depuis les années
30 et qui constitue un secteur d’emploi à part entière,
avec ses débouchés professionnels mais aussi ses salariés
précaires et exploités. Ni de dénoncer naïvement
la marchandisation des biens sportifs ou le “contrôle
des masses” (sportifs, supporters et téléspectateurs
de spectacles sportifs) par les appareils idéologiques sportifs.
En tant que sociologue, j’essaye d’analyser selon quels
mécanismes sociaux un nouvel imaginaire économique
s’installe progressivement dans des univers sportifs dont
il était traditionnellement absent. Pour comprendre ce processus,
il ne s’agit pas de séparer le sport “d’en
haut” et le sport “d’en bas”, mais au contraire
d’étudier les interactions entre les deux ainsi que
la diffusion de ce modèle dans toute la société
française, y compris dans les associations sportives.
En schématisant, le monde sportif associatif est actuellement
partagé entre la tradition d’encadrement de la jeunesse
sportive (mission d’utilité publique) et le “renouveau”
associatif qui vise davantage la “prestation de services sportifs”
(mission d’utilité ludique et économique). Derrière
l’apparente homogénéité du “monde
sportif associatif” se dégagent des singularités
non seulement sportives et structurelles, mais aussi politiques
et éthiques. D’un côté, nous avons un
monde sportif civique fonctionnant selon une éthique sportive
associative où le sport remplit une fonction intégrative
et réglementaire mais aussi une mission de service public
(par délégation). Il comprend aussi bien le système
sportif fédéral (le sport de compétition, pour
aller vite) que le système des loisirs sportifs où
le sport n’est pas une fin en soi mais est considéré
comme un moyen pour atteindre des objectifs sociaux, éducatifs,
récréatifs, politiques ou religieux. Ce deuxième
système englobe aussi bien les fédérations
sportives affinitaires que les mouvements d’Education populaire
qui visent à encadrer la jeunesse à travers notamment
les centres de plein air et les colonies de vacances.
D’un autre côté, nous avons un monde sportif
marchand qui est régi par les principes qui servent habituellement
à définir les lois du marché. Etre concurrentiel,
capter la clientèle, réussir une affaire, obtenir
le meilleur prix, tirer profit d’une transaction... sont autant
d’objectifs qui illustrent le fonctionnement de clubs sportifs
professionnels (mais qui se situent paradoxalement dans le monde
sportif associatif). Deux arguments du monde marchand reviennent
souvent pour légitimer la rapide commercialisation du sport
professionnel : rattraper les retards par rapport aux autres pays
européens et “libérer” le sport de son
“carcan étatique”. En partie contrôlé
par des acteurs non sportifs (médias, équipementiers,
sociétés de communication et marketing, sponsors,
etc.), ce monde remet en question l’éthique d’intérêt
général et le principe de solidarité véhiculés
par le monde précédent.
- Pem - Le ministre des Sports, Jean-François Lamour, a
travaillé à une loi. D’une manière plus
générale, de quelle latitude disposent les politiques
dans un domaine où la dimension européenne (avec la
pression médiatique et économique des différentes
rencontres sportives), voire mondiale (les JO, Coupe du monde) est
déterminante ?
W.G. - En effet, les politiques sportives publiques se transforment
peu à peu, tant au niveau national qu’au niveau local,
sous la pression de dynamiques qui proviennent des champs économiques
et médiatiques mais aussi de l’Union européenne.
Si l’on prend l’exemple du spectacle sportif télévisé,
les changements proviennent d’abord de la privatisation des
télévisions dès le début des années
80, dans un contexte de libéralisation du paysage audiovisuel
dans tous les pays européens. Comme le marché des
téléspectateurs sportifs intéresse les annonceurs
(public important et fiable), les organisateurs de spectacles sportifs
vont progressivement augmenter le tarif des droits de retransmission
pour les TV. Avec la multiplication des chaînes privées
et payantes qui sont en concurrence, les sports professionnels médiatisés
vont voir arriver des sommes colossales, avec comme conséquence,
une explosion des salaires des joueurs de foot. L’offre en
matière de retransmissions sportives s’est largement
libéralisée depuis, avec le développement de
réseaux thématiques (TVSport en 1988 et Eurosport
en 1989) et de bouquets numériques (Canal satellite, TPS
et AB Sat en 1996). L’autre conséquences est non seulement
la diffusion par les médias privés dominants (Canal+,
TF1) de sports uniquement “spectacularisables”, qui
produisent de l’audimat en flattant le grand public (au détriment
des sports non télégéniques), mais aussi le
retrait progressif du service public dans le monde du sport et la
propagande de schèmes de pensée néo-libéraux
notamment auprès des jeunes.
Dans ce contexte de libéralisation, les politiques publiques
ont pour rôle de réguler le marché des retransmissions.
Or, avec la libéralisation des droits TV prévue dans
la loi Lamour du 1er août 2003, on assiste au contraire à
une nouvelle offensive libérale du gouvernement Raffarin,
puisque cette loi accentue la dérégulation du sport.
Dans ce texte, il est dit que les fédérations ont
la possibilité de céder la propriété
des droits de retransmission des matchs aux sociétés
(clubs pro), pour qu’ils les négocient individuellement,
directement avec les chaînes de TV. Alors que jusqu’à
présent, les fédérations étaient les
seules propriétaires du droit d’exploitation des manifestations
sportives qu’elles organisent. Ce qui permettait d’une
part aux fédérations de mutualiser les recettes et
d’en redistribuer une partie aux clubs amateurs et, d’autre
part à l’Etat de contrôler le respect de la liberté
de l’information au public (pour éviter la mainmise
de chaînes privées à péage qui supprimeraient
l’accès libre du public aux retransmissions de matchs
importants). En instituant une copropriété de droit
entre des fédérations assurant une mission de service
public et des clubs (sociétés privées), le
gouvernement, sous la pression des grands clubs de football, vient
de créer les conditions d’une privatisation et une
libéralisation à terme de ces droits de diffusion.
La boîte de Pandore vient de s’ouvrir et les regards
des ultralibéraux du football professionnel sont résolument
tournés vers les modèles italien, espagnol ou anglais.
Dans cet exemple on voit que le ministre des Sports applique finalement
les principes de son gouvernement à son secteur, notamment
celui de la privatisation progressive des services et du retrait
de l’Etat dans les différents secteurs de la vie sociale.
Il s’agit en réalité de réduire l’aire
d’emprise de l’Etat et son rôle à ses seules
fonctions régaliennes (sécurité, justice et
défense du territoire).
- Pem - Le généticien Albert Jacquard raconte souvent
cet exemple, en Afrique, de matchs de foot où le buteur change
d’équipe pour redonner à la rencontre son intérêt.
Quels modèles sportifs alternatifs existe-il ? Et par qui
sont-ils portés ?
W.G. - La réalisation intégrale de la doxa sportive
néo-libérale n’est en rien une fatalité.
A travers les actions d’éducation populaire dans les
milieux sportifs, la création de collectifs visant la critique
de la consommation sportive (comme, par exemple, le “Collectif
De l’éthique sur l’étiquettes”),
les forums sociaux du sport, les revendications pour davantage de
solidarité entre clubs professionnels et clubs amateurs,
les luttes syndicales des fonctionnaires du service public des sports
et de l’éducation nationale (notamment de l’éducation
physique et sportive), l’engagement des sociologues du sport...
nombre d’entre eux tentent de s’organiser pour lutter
symboliquement contre l’offensive néo-libérale,
non seulement dans les univers sportifs mais aussi dans tous les
espaces d’éducation par le sport et de réflexion
sur cette éducation (IUFM, UFR STAPS [2]). Il me semble alors
possible de proposer un modèle universaliste alternatif et
cohérent s’opposant au modèle néo-libéral
et doté de chances raisonnables de se réaliser. Cette
« utopie scientifique et réaliste » selon Pierre
Bourdieu (1998) devrait réaffirmer la valorisation des vertus
éducatives du sport, le renforcement du soutien moral et
juridique de l’Etat social aux conceptions et aux intérêts
des dirigeants bénévoles oeuvrant pour un sport fédéral
réellement humaniste, l’intensification des actions
contre la corruption mafieuse dans le sport professionnel et le
développement du service public d’éducation
par le sport dans les établissements scolaires et dans les
banlieues.
- Pem - En quoi ces modèles, ces pistes de réflexion,
s’intègrent-elles à une alternative plus globale
au néo-libéralisme ?
W.G. - Comme dans tous les secteurs de la vie sociale, pour le
néolibéralisme, tout ce qui n’est pas néolibéral
est archaïque, vieillot, passéiste, quelque chose comme
un mixte entre le Front national et le Parti communiste. En préconisant
le libre-échange et la réduction du rôle de
l’Etat à ses fonctions régaliennes, la conception
néo-libérale du sport veut prendre les traits de la
modernité. L’un de mes projets est de montrer que le
sport constitue un laboratoire de cette nouvelle conception où
l’on teste des dispositifs qui seront par la suite appliqués
dans d’autres secteurs. Ainsi en est-il de la gestion des
associations, de la télévision numérique à
péage ou de la gestion des ressources humaines. Comme tout
système idéologique et institutionnel, la vision libérale
du sport traverse tout le champ de l’expérience sociale.
Et c’est bien là sa force. Elle s’insinue dans
les institutions et les rouages des Etats et s’insère
dans les structures mentales avec le consentement (passif ou actif)
de certaines fractions de la population. Sa propagande ne mène
pas une attaque frontale mais pénètre le corps social
par les faiblesses de la cuirasse, le talon d’Achille de la
culture de la résistance : la jeunesse, les classes populaires,
les enfants d’immigrés enclins à adhérer
aux discours du sport business, du marketing sportif (qui promeut
la marque sportive symbole d’une identité juvénile
“branchée”) et du politiquement correct (le sport
comme “ascenseur social” pour les jeunes défavorisés).
Le sport n’est pas un jeu mais une vision du monde
Entretien avec Michel Caillat, propos recueillis par Arnaud Jean
Michel Caillat est auteur de Le Sport et membre du Mouvement critique
du sport [3].
- Peuples en marche - Quel est l’objet du Mouvement critique
du sport ?
Michel Caillat - Le Mouvement critique du sport est une association
dont le but est d’analyser les fonctions politiques, idéologiques,
économiques et mythologiques du sport. Nous affirmons que
le sport n’est pas un jeu mais une vision du monde, et qu’on
ne peut pas être sportif ou non-sportif innocemment.
Le rôle de la sociologie critique est d’inciter à
la réflexion, de faire du sport, “fait social total”,
un lieu de pensée, de prise de conscience. Nous cherchons
à “désenchanter un monde” où l’on
parle trop souvent de ce qui n’existe pas pour ne pas avoir
à parler de ce qui existe.
Ce dont nous traitons (le sport entendu comme pratique compétitive
institutionnalisée qu’il ne faut pas confondre avec
l’exercice physique) ne saurait faire l’objet d’une
quelconque révélation, qu’elle prenne la forme
du vécu (qui met les émotions à la place de
l’analyse) ou de l’évaluation quantitative (qui
met l’obsession du résultat à la place du sens).
- Pem - Peut-on dire que le sport est mondialisé, à
quelle initiative ou sous contrôle de qui ?
M.C. - Depuis 1896, l’activité sportive a une dimension
internationale. Un système sportif de plus en plus intégré
s’est mis en place à la fin du XIXème et au
début du XXème siècle avec ses institutions
(Comité international olympique, fédérations
internationales et nationales...), l’ensemble organisant un
espace global de compétition quasiment unifié.
L’erreur est de croire que la mondialisation est un phénomène
nouveau. Le processus de marchandisation et son extension à
l’échelle planétaire est aussi ancien que le
capitalisme, la particularité actuelle (depuis 1980) étant
la financiarisation. Le sport n’échappe pas à
ce “faux nouveau monde” marqué par des flux économiques
sans précédent, le poids croissant de la télévision,
l’arrivée en masse de firmes géantes, la déréglementation
généralisée, la liberté de circulation
des sportifs, la création d’instruments financiers
qui bouleversent la donne (l’entrée en Bourse des clubs
par exemple). Pourquoi le sport aurait-il échappé
au bouleversement général ?
La mondialisation sportive s’intègre dans (et participe
de) la mondialisation, terme peu signifiant si l’on ne précise
pas “mondialisation capitaliste”, c’est-à-dire
ce « processus d’achèvement de la marchandisation
de toutes les activités humaines dans le monde, processus
conduit par le capital financier » selon Jean-Marie Harribey.
Parler de mondialisation sans qualification ou sans autre qualification
que libérale à la place de capitaliste est un non-sens.
Parler de sport sans y voir la marque du capitalisme également.
- Pem - Quelles sont les dérives majeures constatées
de cette mondialisation ?
M.C. - On ne peut pas parler de dérives puisque le sport
n’a jamais été ce qu’il dit être.
L’idéal sportif est une pure construction idéologique.
Affirmer comme certains que « la perméabilité
du sport à l’économie de marché met en
cause les valeurs éthiques traditionnelles constituant l’essence
même du sport » et conduit à sa “propre
négation” (affairisme, dopage, corruption, tricherie,
violence), c’est oublier que tout a changé dans le
sport sauf sa logique interne.
Le monde du sport s’est créé un univers fictif,
guidé dans l’action par des exigences morales en oubliant
les conditions concrètes de ladite action. Il proclame de
beaux idéaux (pureté, loyauté, fraternité)
sans tenir compte de la réalité de la pratique. La
mondialisation sportive comme la mondialisation économique
« ne peut fonctionner que si les acteurs ont une morale contraire
à celle qu’elle propage ».
- Pem - Par exemple, le Paris-Dakar est-il un symbole du déséquilibre
Nord sud ?
M.C. - En 1988, René Dumont déclarait : « Ce
rallye est indécent. Je compare cela à une bande de
fêtards qui organisent un banquet mais pas chez eux, et qui
entrent chez un pauvre pour ripailler sans l’inviter à
partager [...]. La vraie aventure c’est la lutte contre la
faim ». En exploitant les terres africaines, les terres de
la pauvreté, du sida, de la famine, de la sous-nutrition,
des carences sanitaires, de l’analphabétisme, en faisant
des pays pauvres des terres de compétitions sportives, on
est entré dans la catégorie d’obscénité.
Et n’oublions pas la dimension symbolique : supprimer le
“Telefonica-Dakar” (sa dénomination officielle)
ne supprimerait pas la faim mais effacerait la tâche indélébile
qui consiste pour les sportifs à aller partout en toute “neutralité”
: à Berlin en 1936, en Argentine en 1978, à Moscou
en 1980 et peut-être en Chine en 2008. Et toujours au nom
d’un apolitisme aveugle. Le rallye ne sert pas l’Afrique,
il se sert de l’Afrique. Se taire c’est être le
complice d’une insulte à ce continent.
- Pem - Sur le phénomène de la mondialisation du
sport, y voyez-vous des améliorations ou des évolutions
possibles ?
M.C. - Le sport est passé par l’institutionnalisation
et par le marché ; il n’a pas échappé
à la “marchandisation du monde”. Il est l’activité
physique du capitalisme, et la sportivisation planétaire
est à la fois l’exemple-type et la conséquence
de la mondialisation capitaliste. L’Histoire le prouve, vouloir
réformer le sport et en limiter les excès est aussi
crédible que de vouloir vider la mer avec une petite cuillère.
A quand un “alter-sport” ?
Signe des temps : plus de pays adhèrent au Comité
international olympique qu’à l’Organisation mondiale
de la santé... Et les Iraniens sont capables de donner les
derniers résultats de l’Inter de Milan. Le sport, comme
le reste, est mondialisé. Reste à trouver, loin du
modèle fédéral compétitif, le moyen
d’en faire un instrument de vraie solidarité. Un “alter-sport”
est-il possible ?
Le sport est mondialisé, c’est certain, et on imagine
mal comment il pourrait ne pas l’être puisque tous les
grands champs le sont : la culture, les échanges financiers,
les médias, l’économie, l’environnement...
Il est mondialisé à travers les pratiques sportives.
Football, basket, rugby... les principaux sports s’internationalisent,
souvent sous l’impulsion des ligues professionnelles des pays
développés qui drainent ainsi de plus larges audiences
télé et créent une norme. « Quand je
me promène dans les plus petits villages iraniens, je suis
souvent étonné de constater que mes interlocuteurs
connaissent les derniers résultats de Chelsea ou de l’Inter
de Milan », avoue Christian Bromberger, ethnologue, spécialiste
du monde persan et du football. La dernière Coupe du monde
de rugby en Australie est l’exemple le plus récent
de la mondialisation organisée d’un sport qui, jusqu’en
1987 et le premier mondial néo-zélandais, se vivait
en comité restreint, de part et d’autre du planisphère.
Cette dernière coupe fut donc celle de la mondialisation
triomphante du rugby. Dans ce contexte, difficile pour les pratiques
locales d’émerger et de rayonner, même si certaines
disciplines “identitaires” survivent et parfois se renforcent,
au-delà de cette concurrence. Après l’exception
culturelle, peut-il exister une exception sportive ?
Autre observation symptomatique : les grandes assemblées
mondiales rassemblent moins que les regroupements sportifs. Ainsi,
192 pays constituent l’Office mondial de la santé (OMS)
alors qu’ils sont 199 à adhérer au Comité
international olympique (CIO).
Les effets de la mondialisation
Comment analyser les effets de cette mondialisation ? Ils sont
malheureusement souvent négatifs et reflètent des
schémas de dominants et dominés déjà
répandus. Argent, dopage, trafic de jeunes talents, surcompétition...
les exemples ne manquent pas et se multiplient depuis une dizaine
d’années.
Les pratiques sportives sont elles aussi concernées par
le déséquilibre Nord/Sud. Entre pillage et coopération,
le match tourne à l’avantage du pillage. L’actualité
des derniers mois est cruelle : l’achat des footballeurs africains
de plus en plus jeunes, l’équipe de football nationale
du Brésil où seul le gardien de but joue dans son
pays d’origine, la difficulté des équipes nationales
africaines qui n’ont pu compter sur leurs joueurs jouant en
Europe durant la dernière Coupe d’Afrique des nations,
la vente par certains athlètes de leur nationalité...
Malgré tout, certaines initiatives apportent un peu d’espoir,
comme par exemple l’Académie de football de Jean Marc
Guillou au Sénégal qui développe les talents
des jeunes footballeur sénégalais en tentant de les
préserver du pillage des grands clubs. Mais malheureusement,
dans ces pays, l’aide de l’Etat est insuffisante pour
faire face aux pressions financières venant souvent du Nord
: les politiques de développement du sport reposent sur des
moyens financiers très faibles, et les cadres techniques
sont très peu nombreux. Illustration avec le Conseil supérieur
du sport africain : il est idéalement composé de cinquante
pays, mais seuls dix d’entre eux versent leur cotisation.
L’aide internationale est anecdotique avec, par exemple, un
fonds symbolique de solidarité olympique de 210 millions
de dollars pour tous les pays africains et ceci pour 4 ans. De plus
- détournements obligent - certaines de ces sommes ne sont
jamais arrivées à leurs destinataires.
La naissance d’une alternative sportive
Depuis quelques années pourtant, une pensée différente
non seulement s’organise mais devient lisible. Tout d’abord
en France où, depuis longtemps, des fédérations
sportives offrent une pratique différente, reposant sur des
valeurs humanistes et non sur une pratique de haut niveau. Ces fédérations
dites “affinitaires” envisagent le sport comme un outil
d’éducation, un prétexte à échanger,
le support d’un projet associatif, vecteur de l’apprentissage
et de l’exercice de la citoyenneté. L’Ufolep
(Union française des œuvres laïques d’éducation
physique) souhaite par exemple s’associer localement pleinement
à la prochaine campagne du collectif “De l’éthique
sur l’étiquette” (lire p.32). Le Comité
national olympique et sportif français (CNOSF) vient de s’engager
volontairement dans la voie de cette réflexion et propose
lui-même un engagement du mouvement sportif français
autour, entre autres, de la mondialisation. Le CNOSF, qui regroupe
toutes les fédérations sportives, a présenté
le 18 décembre dernier, son “agenda 21”, charte
pour un développement durable de tout le mouvement sportif.
Ce premier “agenda 21” du secteur associatif concerne
différents secteurs du développement durable (politiques
sportives, environnement, solidarité, économie). Des
objectifs généraux sont affichés et des déclinaisons
concrètes sont proposées : conduire les actions de
coopération internationale dans le respect des principes
du développement durable et en particulier avec les pays
en voie de développement, privilégier dans les achats
les produits fabriqués selon les principes du développement
durable (matériaux recyclables, refus du travail des enfants,
commerce équitable), veiller au respect, par les employeurs
sportifs, des droits des personnes et des réglementations
sociales etc. Quant au Mouvement critique du sport (lire interview
p.24) il propose aussi depuis plusieurs années une pensée
alternative à la libéralisation sportive.
Sport et Forums sociaux
A l’extérieur de nos frontières, la dynamique
s’enclenche avec une présence de plus en plus importante
du sport dans les rassemblements altermondialistes. Un séminaire
a été organisé dans le cadre du dernier Forum
social européen de Paris/St-Denis autour de trois thématiques
: les conséquences négatives de la marchandisation
du sport, la politique sportive et l’économie du sport.
En août 2003, le Forum mondial du sport organisé à
Saint Denis (93) proposait une réflexion alternative à
la grande foire médiatique des championnats du monde d’athlétisme.
Ainsi des problématiques engagées ont été
abordées, comme “mixité et pratique”,
“le sport éducatif”, “l’équilibre
Nord/Sud” en présence de nombreuses personnalités.
Succès au rendez vous avec plus de 2 000 participants à
ce moment de débats et d’échanges de vues. Ces
thèmes, transversalité et éducation globale
obligent, étaient émaillés de rendez-vous culturels
(expositions, concerts, ateliers découvertes). La fréquentation
importante de ce rendez-vous a d’ailleurs été
une heureuse surprise et démontre l’intérêt
porté. Il est déjà envisagé de reproduire
un autre moment de réflexion et de sensibilisation lors des
Jeux olympiques d’Athènes.
Il est possible de faire du sport « un instrument de solidarité
et d’expression du besoin de vivre mieux, que l’idée
d’un “alter-sport” doit puiser sa source dans
des conceptions qui se démarquent du modèle compétitif
fédéral » affirme René Moustard, du mouvement
des Assises nationales du sport. Il faudra de toute façon
que toute cette problématique se développe puisqu’après
2004, année européenne d’éducation par
le sport, les Nations unies viennent d’annoncer 2005 comme
“Année mondiale du sport”. A chacun de démontrer
que 2005 ne sera pas uniquement l’année du sport mondialisé.
Arnaud Jean
Course aux profits : à vos marques, prêts...
Vous serez peut-être de ceux qui suivront les Jeux Olympiques
d’Athènes. L’un des temps forts sera sans conteste
la cérémonie d’ouverture, toujours fortement
médiatisée, avec la parade des équipes nationales.
Peut-être apercevrez-vous, entre deux drapeaux et quatre paires
de jambes bien musclées, les logos de quelques grandes marques
du sport et autres multinationales. Vous les remarquerez à
peine. Et pourtant...
Les Jeux Olympiques d’été 2004 retournent dans
leur berceau d’origine, la Grèce. A cette occasion,
les médias et le CIO (Comité international olympique)
ne manqueront pas de rappeler les principes fondateurs de l’un
des événements sportifs internationaux les plus fameux.
La Charte olympique, élaborée par Pierre de Coubertin
en 1894 lors de la réinitialisation des Jeux tels que pratiqués
dans la Grèce Antique, précise notamment : «
Le rôle des Jeux Olympiques est de placer partout le sport
au service du développement harmonieux de l’Homme,
dans l’optique d’encourager l’établissement
d’une société pacifique et soucieuse de la préservation
de la dignité humaine ».
Quel est aujourd’hui l’équilibre entre respect
et mise en œuvre effective de ces principes et recherche de
fonds pour pérenniser et rendre toujours plus spectaculaire
cet événement ?
Marketing et JO
Depuis une vingtaine d’années, la politique de marketing
a pris une place prépondérante dans l’organisation
et la gestion des Jeux Olympiques. Sur son site officiel, le CIO
n’hésite d’ailleurs pas à proclamer que
le programme de marketing « est devenu le moteur de la promotion,
de la sécurité financière et de la stabilité
du mouvement olympique ».
Ce programme se résume essentiellement à deux opportunités
offertes aux multinationales. La première permet de devenir
sponsor en apportant un appui financier, technique et logistique
aux Jeux et de bénéficier en retour d’une plate-forme
marketing idéale : non seulement les multinationales peuvent
communiquer autour d’un événement marqué
fortement par des idéaux et des valeurs connus de tous, mais,
en plus, elles se retrouvent au cœur d’un des événements
les plus médiatisés au monde. Pendant deux semaines
tous les deux ans (les JO d’hiver alternent avec ceux d’été),
les “JO” sont présents à travers tous
types de médias dans plus de 200 pays et touchent plusieurs
milliards de personnes.
La seconde opportunité offerte aux multinationales est l’obtention
d’une licence qui leur permet de produire des accessoires
et vêtements portant le logo des Jeux.
Pour 2001-2004, le parrainage représente 40% des revenus
du CIO, soit 1 815 millions de dollars pour les Jeux d’Athènes.
Quant aux royalties attendues liées aux ventes de produits
sous licence, elles se montent à 66 millions de dollars.
Coquettes sommes... qui génèrent de confortables revenus
redistribués aux comités d’organisation des
Jeux, aux comités nationaux olympiques (pour développer
la pratique du sport et prendre en charge les frais d’entraînements
et de formation) et aux fédérations internationales
de sport. Le CIO en conserve 8% pour ses propres frais et dépenses
administratives.
Le marketing qui venait du foot...
L’inspirateur de cette politique marketing est Joao Havelange,
président de la Fifa (Fédération internationale
de football association) dans les années 70. Cette fédération,
dont l’objet est la promotion du football, compte aujourd’hui
parmi les plus grandes au monde. Elle est aussi, grâce notamment
à sa politique marketing mise en œuvre depuis 30 ans,
une puissance économique mondiale dont les revenus dépassent
le PIB de nombreux pays et qui génère de manière
directe ou indirecte de multiples profits. C’est sa stratégie
commerciale qui a fait de la Fifa une institution mondiale puissante
dont les liens et les ramifications dépassent maintenant
largement le monde du sport.
Dans sa course au développement des bénéfices
et à la popularité, la Fifa et Joao Havelange ont
pu bénéficier de l’appui de deux alliés
de taille expérimentés : Coca-Cola et Adidas. Chacune
à sa façon a appuyé Havelange. Coca-Cola a
notamment permis de financer les voyages du président de
la Fifa, la construction de terrains d’entraînement
dans ces pays et l’obtention des voix des Etats dont le président
avait besoin pour se maintenir à ce poste.
Les deux multinationales lui ont permis de concevoir et de développer
une stratégie commerciale qui est aujourd’hui un véritable
succès. L’idée de génie : créer
des liens toujours plus forts entre la Coupe du monde, les médias
et les sponsors.
Il suffit pour cela d’appliquer la loi de l’offre et
de la demande. Les sponsors assurent à la Fifa revenus financiers,
appuis techniques et communication tandis que la Fifa leur accorde
un accès libre à l’un des espaces publicitaires
les plus vastes au monde. Les multinationales y ont trouvé
leur compte, notamment les grandes marques de sport qui ont trouvé
là un terrain de jeux à la mesure de leurs ambitions.
Les victimes de la guerre des marques
En 2002, le marché des vêtements et accessoires de
sport représentait plus de 58 billions de dollars. Les trois
plus grandes marques (Nike, Adidas et Reebok) réalisaient
respectivement, 1 123, 408 et 195 millions de dollars de profits.
La féroce concurrence et la guerre de marketing qui se joue
entre les marques de sport est à la mesure des marchés
à conquérir ou préserver. Dans un tel contexte,
l’espace médiatique offert par ces grands événements
internationaux ne peut être qu’attractif. Quoi de mieux
pour y développer son image autour de valeurs fortes d’équité,
d’esprit d’équipe... ?
Seulement voilà. Loin du discours, il y une autre réalité...
Comme l’exprime Blanca Velasquez du CAT [4], « il faut
à tout prix montrer le double visage des multinationales
du sport : derrière les grands coups publicitaires, il y
aussi la violation des droits de l’homme au travail »...
et le détournement de principes essentiels au profit des
lois du commerce.
Pour être toujours plus compétitives, les multinationales
du sport réduisent sans cesse les coûts de fabrication
au profit des budgets de conception et de marketing. En 2002, Nike
investissait ainsi plus de 1 000 millions de dollars dans la publicité
et la promotion de sa marque. Adidas y consacrait 775 millions et
Puma, 107 millions.
Parallèlement, les prix de vente des produits baissent afin
de répondre à la demande des consommateurs et à
la pression exercée par les distributeurs, notamment Foot
Loocker et Décathlon.
Les délocalisations s’imposent donc dès les
années 80 et, aujourd’hui, la quasi totalité
des produits se fabrique chez des sous-traitants dans les pays du
Sud.
Les politiques d’achats de ces grands noms du sport pèsent
directement sur les fournisseurs et les sous-traitants et, par voie
de conséquence, sur les ouvriers qui produisent à
la chaîne les vêtements et accessoires.
Lorsque Nike, Adidas, Reebok, ou encore Puma ou Lotto passent commande,
ils exigent les prix les plus bas, les délais les plus courts
et la qualité la plus haute.
Résultat : les conditions de travail dans les sites de production
sont bien loin du respect des normes internationales et nationales
du droit du travail, comme en témoigne Melle Phan, ouvrière
dans une usine thaïlandaise cliente de Puma : « Tous
les jours, nous travaillons de 8h à midi. Ensuite, c’est
la pause repas et nous travaillons encore de 13h à 17h. Nous
devons effectuer tous les jours des heures supplémentaires
qui débutent à 17h30. Durant la haute saison, nous
devons travailler jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. Bien
que nous soyons exténués, nous n’avons pas le
choix. [...] Je gagne environ 50 dollars par mois [...]. Certains
mois, pendant la basse saison, quand je gagne moins d’argent,
il ne me reste que 30 ou 40 cents. [5] »
Au-delà des salaires bas, de la rémunération
à la pièce, des heures supplémentaires forcées
et des conditions de santé et de sécurité non
respectées, il y a une précarité intense :
l’emploi est très volatile car le secteur de la confection
et du textile est saisonnier. Egalement parce que la concurrence
entre fournisseurs, voire entre pays, est particulièrement
aiguë. Dans de telles conditions, difficile pour les ouvriers
de créer des syndicats. Et lorsque de telles velléités
existent, elles sont seulement réprimées mais peuvent
être à l’origine de menace de fermeture d’un
site de production.
Codes de conduite
L’adoption de codes de conduite par les grandes marques de
sport, suite aux campagnes internationales de dénonciation
menées depuis les années 90, est un premier pas qui,
pour l’instant, n’a pas apporté de grandes améliorations
dans les conditions de travail et relève plutôt, une
fois n’est pas coutume, de l’opération de communication.
Les grandes marques doivent aller plus loin, notamment en mettant
en place des moyens de contrôle des conditions de travail,
et en favorisant l’organisation des travailleurs et leur implication
dans ce processus. Bien évidemment, elles doivent aussi accepter
de remettre en cause leurs politiques d’achats et reconnaître
leur responsabilité directe dans le non respect des droits
fondamentaux des ouvriers des zones de production.
Ces campagnes de dénonciation n’ont pas suscité
de promptes réactions du mouvement olympique et sportif en
général. Des codes de conduite ont été
adoptés par certaines organisations comme la Fifa... mais
restent lettre morte. Le monde du sport ne semble pas s’émouvoir
des partenariats ou des licences accordées à des multinationales
dont on connaît bien les pratiques sociales et qui ont été
maintes fois remises en cause.
Pour les JO d’Athènes, on retrouve d’ailleurs
des partenaires de longue date du mouvement olympique et de la Fifa
: Coca-Cola et McDonald’s, ainsi qu’Adidas, fournisseur
officiel des uniformes 2004. Sur son site officiel, la Fifa déclare
encourager ses partenaires « à être plus que
des noms vus et revus par des millions de personnes ». Elle
ajoute même que leur réputation et la nature de leurs
produits reflètent sérieux et respect pour les valeurs
du plus grand sport au monde... !
Le CIO affirme de son côté que l’un des objectifs
de son programme marketing est de « préserver le caractère
spécial des Jeux Olympiques, de protéger et promouvoir
l’image et les idéaux olympiques à travers le
monde, et d’œuvrer avec tous les partenaires de marketing
à la mise en valeur de l’olympisme ». Certes,
mais à quel prix ? Les idéaux et les valeurs qui fondent
le mouvement sportif ne doivent pas être des produits de marketing
de plus, vides de tout sens et de toute réalité pour
satisfaire aux ambitions de pouvoir des uns et aux velléités
d’expansion des autres.
Maude Feral
- Ouvrages
* Une nouvelle citoyenneté pour la planète : aspects
sociaux du développement durable, Peuples Solidaires, 2003,
36 p.
* Codes de conduite des multinationales : outils de progrès
social ou coup de pub ? Peuples Solidaires, 2003, 111 p.
* Revue des évolutions européennes en matière
de vérification et de suivi des conditions de travail dans
les secteurs de l’habillement et des articles de sport, Amsterdam,
SOMO, 2001, 32 p.
* Agenda 21 du mouvement olympique : le sport pour le développement
durable, Comité international olympique, [sans lieu], CIO,
1999, 50 p.
* Vers un label social ? Articles de sport et droits de l’Homme,
les consommateurs agissent, Centre Français d’Information
sur les Entreprises (CFIE), Paris, mai 1998, 62 p.
* Forum mondial du sport, actes, éditions PSD (Agenda 21,
à télécharger sur le site www.franceolympique.com)
- Revues
* Revue Enjeu de l’UFOLEP USEP, « Sport et mondialisation
», n° 376
* « Sport passion », Le Courrier de l’Unesco,
n° 9904, avril 1999, p. 17-36.
* « Que développe le sport ? », Défis-Sud,
n° 32, avril 1998, p. 13-34.
* « Jeux olympiques et société globale »,
Ecologie et politique, n° 17, juin 1996, p. 7-17.
- Sur le web
* [www.ethique-sur-etiquette.org/cp9.htm] Pour consulter le dossier
de presse de la campagne internationale : “Jouez le jeu pour
les JO”
* www.oxfam.org/fr Oxfam international est une confédération
de 12 organisations qui, avec leurs 3 000 partenaires répartis
dans plus de 100 pays, élaborent des solutions durables à
la pauvreté et à l’injustice
* http://europa.eu.int/abc/doc/off/bu... Résolution du
Parlement européen sur le travail des enfants dans la production
d’articles de sport
* www.franceolympique.com Agenda 21, à télécharger
sur le site
- Publications de William Gasparini
* Sociologie de l’organisation sportive, Ed. La Découverte,
Paris, 2000
* Les concours de la fonction publique dans les métiers
du sport et de l’EPS, Ed. Vigot, Paris, 2000
* L’organisation sportive (Dir.), Ed. Revue EPS, Paris,
2003
* Direction de l’ouvrage : Sport, performance et santé.
Perspectives éthiques, Ed. Université Marc Bloch,
Strasbourg, 2004.
* Ainsi que des tribunes dans Libération sur la pensée
néo-libérale dans le sport (6 articles depuis 2000)
[1] W. Gasparini est maître de conférence en Sciences
et techniques des activités physiques et sportives (Staps)
à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, spécialisé
en sociologie du sport. Il est également membre du Conseil
scientifique d’Attac.
[2] IUFM : Institut universitaire de formation des maîtres,
STAPS : Sciences et techniques des activités physiques et
sportives
[3] CAILLAT Michel, Le Sport, Collection “Idées reçues”,
Editions Cavalier Bleu, 2002. Mouvement Critique du Sport : critique.sport@libertysurf.fr.
[4] Comité d’appui aux travailleurs, organisation
basée au Mexique, dans la région de Puebla, “riche”
en maquillas...
[5] Témoignage extrait du rapport “Play fair at the
Olympics” de la Clean Clothes Campaign et d’Oxfam.
document de référence rédigé le : avril
2004
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