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Ceux qui vont mourir te saluent
Sunday, March 27, 2005 -

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Le sport s'identifie aujourd'hui complètement au système capitaliste dont il constitue l'un des piliers. Transformation du corps, esprit guerrier, conditionnement des esprits, exacerbation du nationalisme, autant d'éléments qui appellent une critique radicale du sport actuel. Le sport s'identifie aujourd'hui complètement au système capitaliste dont il constitue l'un des piliers. Transformation du corps, esprit guerrier, conditionnement des esprits, exacerbation du nationalisme, autant d'éléments qui appellent une critique radicale du sport actuel.

Réaliser une histoire du sport nous pousse à conclure que " l'idéal olympique ", cet " idéal sportif ", celui du jeu et de l'amusement tant vanté par les pères du sport moderne dont le nationaliste, sexiste et grand admirateur des cérémonies fascistes et nazies, Pierre de Coubertin, est une supercherie. Porteur des pires idéologies de l'histoire contemporaine 1, le sport a réussi à traverser le vingtième siècle sans dommage pour devenir aujourd'hui l'amant d'un monde ou le muscle lui-même est devenu une marchandise. Les médias qui nous abreuvent d'exploits quotidiens sont parvenus à en débarrasser ces excès les plus visibles et à nous faire prendre les vessies pour des lanternes ! A quel prix pour les laudateurs sportifs ? Trahisons, compromissions, négociations secrètes, droits exorbitants (cf. Canal +), voilà le quotidien de nos médias 2. Au delà des clichés le sport repose toujours sur une conception totalisante de l'humanité et participe pleinement à la formation d'un homme nouveau : celui rêvé autant par les idéologues du Medef que par les " communistes " de la Chine populaire.

Le sport c'est la guerre !

Quand quelques courageux journalistes arrivent à nous sortir de notre torpeur télévisuelle en nous présentant autre chose que des héros bodybuildés s'écroulant d'un plaisir jouissif sur une ligne d'arrivée, leur critique donne toujours une image du sport reflet du monde dans lequel il évolue. Le " sport reflet des tensions politiques ", titrait le très bon numéro de Manière de Voir du Monde Diplomatique 3. Si le sport est bien la projection de nos passions politiques, en rester là c'est en faire la victime innocente d'un environnement qu'il ne contrôlerait pas ! " C'est le nationalisme qui est écœurant, ce n'est tout de même pas notre faute si les sportifs furent manipulés par des régimes peu soucieux de l'idéal olympique ! " Dépassons cette critique bien-pensante, et pas forcément dérangeante pour le mouvement sportif, et tournons nous vers une critique plus radicale qui fait du sport non plus une malheureuse victime d'un système mais l'un de ses principaux agents.

Tout comme les principaux totalitarismes exerçaient leur pouvoir de séduction plus aisément sur les groupes de jeunes au travers d'organismes d'endoctrinement, le sport aujourd'hui agit de la même manière que les mouvements de jeunesse des Etats totalitaires en modelant les " âmes et les esprits " au modèle dominant. Le sport participe pleinement à la mise en place d'un climat social unanime dont l'objectif est bien la réalisation, ou plutôt la poursuite, d'une société nouvelle, celle du modèle capitaliste. La volonté de créer un homme nouveau, pour le " meilleur des mondes ", au travers d'une fonction totalisante de la société se retrouve dans le milieu sportif : pour parvenir à la conquête du trophée tant convoité et des subsides et du prestige qui en découle, on façonne le sportif au culte de la performance, on lui demande de rentabiliser au maximum ses performances guerrières : déformation des corps et valorisation du muscle, dopage, manipulation mentale et endoctrinement par des équipes de psychologues et de " coach ", sans oublier, de plus en plus, les manipulations génétiques. Un docteur Mengele (médecin du régime nazi) aurait toute sa place dans cette univers dont l'objectif est bien de sélectionner le meilleur produit, l'élite vigoureuse, vitrine d'une nation conquérante, à qui l'on ouvrira les portes de l'Elysée et les buffets présidentiel. Les écoles totalitaires dans leur souci de " pureté de l'espèce " suivaient le même processus d'aliénation : déshumanisation par la déstructuration puis reconstruction selon les règles idéologiques. Les échecs étaient nombreux, les " parasites éliminés ". Combien de chinoises et chinois ont été sacrifié pour une malheureuse médaille en athlétisme ? Et nous devrions applaudir ! Combien de jeunes d'Afrique recrutés par des clubs européens sans scrupules à qui l'on a promis fortune et gloire se retrouvent après leurs échecs sans ressources et sans-papiers ? Et nous devrions applaudir à une finale de coupe d'Europe ? Et nous devrions enfin applaudir au come-back d'un condamné du cancer qui par la lutte, le courage et l'abnégation sont parvenus à monter les pentes des cols à la vitesse d'une mobylette ? Combien de millions de dollars aura coûté à la médecine américaine ce retour ? Ce n'est plus la gloire du sport qui est ici célébré mais celle d'une médecine à plusieurs vitesse, fortement concurrentielle qui, pour un coup de pédale d'Amstrong a laissé sur le carreau tant d'autres.

L'entraînement reflète bien cette transformation idéologique. Il place le sportif dans une perpétuelle situation de compétition ou chaque mouvement se doit d'être rationalisé et répété jusqu'au moment où son corps devient complètement étranger à son esprit, afin d'optimiser le geste parfait. Il y a bien conditionnement à la taylorisation : répétition, spécialisation, rendement, recherche du profit et de la performance, inhibition de tout ce qui peut être un frein à la compétition 4. Ce qui pour certains peut aller jusqu'au contrôle de la vie sexuelle, avec mariage provoqué pour assurer une stabilité du champion. Lors des grandes compétitions internationales il y a ceux qui utilisent largement la prostitution comme par exemple lors de la finale des championnats du Monde de Hockey en 97 en Finlande où les hôtels voisins des athlètes étaient remplis de prostitués de Lituanie et d'Estonie, ou bien ceux qui prônent et obligent l'abstinence sexuelle et une vie monacale. Tel fut le cas de l'équipe du Portugal finalistes de l'Euro 2004 5. On recherche avec cette aliénation à maximiser le corps à la performance en faisant de la souffrance quotidienne une jouissance future. On demande à l'athlète une pureté morale, toute chrétienne, qui donne à la douleur une valeur exemplaire : le sportif défiguré par les stigmates de l'effort est un christ qui s'ignore. La lutte des " cadres ", " jeunes travailleurs dynamiques " et autres " grands prêtres " sortis des écoles de commerce, ne passent-elle pas par des " plans de carrière " sur fond de souffrance, le plus souvent intériorisée pour la gloire de l'entreprise ?

L'éthique du capitalisme

D'ailleurs le patronat a depuis longtemps compris l'utilisation qu'il pouvait faire du sport. Par le biais des équipes d'entreprises, de travailleurs, ou subventionnées comme le club de foot de Sochaux par Peugeot, il a réussi à souder les liens entre les salariés et l'usine et donc à les enchaîner encore plus à celle-çi. Dans un même creuset, autour de la machine, se trouvent moulé tous les acteurs de la production. C'est exactement la même fonction sociologique que le fameux slogan " black, blanc, beur " de la coupe du Monde 1998 : tous ensemble dans la rue pour célébrer la gloire de ces intégrations exemplaires ! Après la fête, chacun retourna dans son ghetto.

Aujourd'hui les passerelles entre le monde de l'entreprise et du sport sont de plus en plus nombreuses, il suffit d'ailleurs d'analyser le vocabulaire de l'entreprise, on y retrouve de plus en plus celui du sport et vice et versa : entraîneurs repris dans les sociétés ou dans les cabinets de consultation, sportifs d'entreprise dont le principal intérêt est qu'ils servent d'intermédiaire entre la direction et ses employés. Ils deviennent les principaux partenaires de la collaboration d'entreprise. Le sport c'est la victoire de la bourgeoisie dans la lutte de classe !

Mais si cette servitude du sport au capitalisme est un risque pour toute forme d'émancipation et de luttes, le danger provient aussi d'une quasi absence de critique radicale à part quelques revues comme récemment L'Emancipation syndicale pédagogique 6, et quelques auteurs (Caillat, Brohm). La critique du sport existe pourtant depuis l'antiquité, notamment chez Euripide : " Parmi les mille maux qui affligent la Grèce, il n'en n'est de pire que la race des athlètes […] Tout d'abord, ils sont incapables de vivre ou d'apprendre à vivre convenablement. Comment, en effet, un homme qui est l'esclave de ses mâchoires et le serviteur de son estomac pourrait-il amasser assez d'argent pour nourrir son vieux père ? En outre, les athlètes ne peuvent pas supporter la pauvreté et ne savent pas faire fructifier leurs biens. Habitués aux mauvaises mœurs, ils se tirent difficilement d'embarras. Ils brillent comme des statues dans leur jeunesse, mais lorsque vient l'amère vieillesse, ils ressemblent à des vieux tapis défraîchis et déchiquetés ". Si ce n'est un petit cercle de contestataires rien ne perce de ce mouvement 7et l'absence de débat fait du désir de vaincre une loi universelle et de la révolution de la performance (qui devient aussi la règle à l'école avec Thélot et Fillon) une vérité indiscutable. Pour reprendre les propos Zeev Sternhell sur le fascisme " levier d'une révolution des âmes et des esprits " 8, le sport rempli pleinement ce rôle.

Le consensus médiatique

Seulement, à la différence des totalitarismes laissés dans les poubelles de l'histoire, le sport fait presque l'unanimité et le consensus. Il est en passe de réussir là où les mouvements de jeunesses totalitaires et autres brigades de jeunes ont échoués. En tant que libertaire, il nous faut donc contribuer à casser ce consensus construit autour d'une collaboration de classe heureuse et enthousiaste. Il nous faut batailler contre ces journalistes (la caricature en revenant au Journal des Sports de France 2) écrivains et autres laudateurs des exploits homériques et de la petite anecdote du Tour de France. Le peloton est d'ailleurs à l'image même du capitalisme 9. Une critique radicale des médias doit être portée par au moment des grandes compétitions nationales et internationales et doit s'attaquer à cette machinerie de formatage cérébrale et de légitimation du système ambiant. Les grands maîtres du totalitarisme, ne pouvaient mieux rêver que de voir les medias participer aussi servilement à cette entreprise d'aliénation. Là, où ils deviennent carrément vulgaires c'est quand ils nous sortent leur pompeux discours sur les fonctions thérapeutiques du sport : modérateur social de la violence, antidote aux crises, émancipant les foules ! Ils sont arrivés à nous faire avaler les pires couleuvres sur la neutralité politique et l'absence d'idéologie du sport ! Par leur soi-disant apolitisme ils sont de véritables danger public pour les libertés. Une campagne de boycott des Jeux olympiques de Pékin en 2008 (les arguments sont faciles à trouver) et surtout le refus de voir Paris devenir la capitale du muscle marchandisé en 2012, semble en l'état actuel difficilement réalisable. Le discours consensuel trouve un écho très accueillant chez une grande partie d'une gauche rabougrie, voire chez certains camarades révolutionnaires ! Socialistes parisiens (pour les JO et à titre d'exemple, les socialistes à Paris ne se démarquent nullement du reste de la social-démocratie européenne ), CFDTistes annonçant une trêve si l'épreuve est nationale, nos apôtres du capitalisme soft ont vidé de son sens toute idée de lutte de classe afin de lancer le grand nettoyage pour préparer Paris à 2012.

Pourtant, c'est un combat auquel il nous faut réfléchir, au moins pour parvenir à fédérer autour d'un même objectif tout les courants contestataires et au-delà de la critique radicale du sport réfléchir et débattre à une alternative à ce grand déballage médiatique. Car, il est hors de question d'abandonner le sport mais de le rendre à ce qu'il doit être : un jeu, un amusement populaire débarrassé de sa fonction nationale, compétitive et marchande, violente et totalitaire. Un autre sport est possible, à ceux qui y croient d'en débattre !

Eric



1. Pierre Milza, François Jequier et Philippe Tétart (dir.), Le Pouvoir des anneaux. Les Jeux Olympiques à la lumière de la Politique ; Jean-Marie Brohm, Le Mythe olympique ; Jean-Marie Brohm, 1936, Jeux olympiques à Berlin.

2. Eric Maitrot, Sport et Télé, les liaisons secrètes.

3. " Le sport c'est la guerre ", Manière de Voir, n° 30, mai 1996 ; " Football et passions politiques ", Manière de Voir, n° 39, juin 1998.

4. Michel Caillat, L'Idéologie du sport en France.

5. A. Billebault et O. Beaufays, " Affreux, sales et méchants ", Sport et Vie, septembre 2004.

6. L'Emancipation syndicale pédagogique, Dossier " Retour partisan de la critique du sport ", juin 2004.

7. Et ce n'est pas le récent plaidoyer du populaire Albert Jacquard contre les jeux qui risque d'inverser la tendance. Halte aux jeux, par A. Jacquard.

8. Zeev Sternhell, Mario Sznajder, Maia Ashéri, Naissance de l'idéologie fasciste.

9. À ce propos lire le très intéressant L.A Confidentiel, pour avoir une réalité de ce que peut-être un peloton.