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Comment le monde se shoote au football...

Origine http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=883


Des hourras planétaires s’élèvent pour la Coupe du monde de football 2006 organisée en Allemagne. Stade ultime de la mondialisation pour Pascal Boniface, de manière plus nette que l’économie de marché et Internet, cette compétition offre à trente-deux équipes venant de tous les continents, dont six anciens vainqueurs, de captiver jusqu’aux deux milliards de téléspectateurs attendus pour la finale le 9 juillet 2006. Depuis la première Coupe du monde de juillet 1930 au stade Centenary de Montevideo, le football s’est imposé comme l’un des sports les plus achevés de la modernité. Mais si tous les supports médiatiques sont saturés de mondialisation footballistique, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et l’Australie sont moins concernés.

Le football est aussi l’un des sports les plus ambivalents. Car il donne à voir dans le miroir qu’il nous tend, ce désolant reflet des inégalités et des injustices de nos sociétés capitalistes : une part de loterie, une bonne dose de chance, de la cruauté aveugle, de la violence et, pour certains, un phénomène d’aliénation qui entretient l’instinct de guerre... Mais Marc Perelman pense que le football « n’est pas le miroir de la société, c’est un projet à part entière où un discours idéologique - l’appel à la jeunesse, le fair play, l’art, la neutralisation du racisme... - recouvre une pratique et une politique de la violence ». Mais il peut donner à lire aussi la perfection d’une défaite, dans un match entre la France et l’Allemagne, (5-4 aux tirs au but, en 1982) ou la main de Dieu, grâce à Maradona entre l’Argentine et l’Angleterre (2-1, en 1986).

Les pays participant à la phase finale de la Coupe du monde de football 2006

Au grand jeu des nations, le Mondial 2006 offre, pour la première fois, l’accès à cette phase finale à six sélections : Angola, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Trinidad, Ukraine, qui tenteront de mener la vie dure aux tenants du titre, les Brésiliens, et aux nombreux Européens qui restent le plus gros contingent avec quatorze pays. Ira-t-on, dans ces joutes, chercher un quelconque rôle précurseur au football abolissant les frontières les plus difficiles à faire tomber, à l’instar d’un match Iran-Etats-Unis (1998), sans enjeu sportif, qui fut annoncé comme « un choc des civilisations » ? Sans doute, comme le rappelle Bruno Metsu, ancien sélectionneur du Sénégal aujourd’hui aux Emirats arabes unis : « le football est une porte d’entrée vers l’autre ». La Ligue des champions sait mélanger les nationalités dans les clubs, mais comment expliquer que Chelsea où ne joue aucun Britannique soit toujours perçu comme un club anglais ? Comment l’ex-Brésilien Santos, buteur sans frontières, qui a aidé la Tunisie à gagner la Coupe d’Afrique des nations 2004, est-il devenu l’idole des petits Tunisiens à défaut de faire rêver les gosses des favelas de Rio ? Plus grave est l’accusation de néocolonialisme portée contre la Fifa (Fédération internationale de Football Association) complice de ce nouveau pillage de l’Afrique au bénéfice de l’Europe, par les transferts très nombreux de joueurs vers les équipes du Nord. En Côte d’Ivoire où la désorganisation politique a atteint son maximum, on se plaint que les subventions de la Fifa n’arrivent plus, que les stades soient vides, que les vedettes s’exilent. Il reste qu’aux échelons locaux, ce sont les publics qui créent les légitimités nécessaires à la vie des équipes. Des « traditions » sont inventées pour maintenir l’élan : les habitants du Nord de la France s’identifient à Lens plutôt qu’à une équipe composée d’Africains, comme l’ont fait remarquer les supporters du stade Bollaert. De même que le Real doit son palmarès éclatant à l’attachement des aficionados madrilènes.

Ces processus d’identification expliquent aussi les relations étroites - incestueuses - entre le football et la politique. Les récupérations par Mussolini des dividendes de la Coupe de 1934 ou de la sinistre dictature argentine après la victoire de 1978 sont des cas d’espèce. Mais tout régime politique tente de capitaliser les bénéfices d’une victoire. De là, à attribuer un rôle géopolitique au football, il y a un dribble qu’on ne fera pas. La victoire de l’Allemagne de l’Ouest en 1954 n’a rien changé à la carte européenne, le match RFA-RDA en 1974, en pleine Ostpolitik, n’a rien arrangé non plus pas davantage que le Belgrade-Zagreb de 1989, à la veille de l’éclatement de la Yougoslavie. La Palestine, reconnue par la Fifa, a-t-elle tiré des dividendes du football après 1998 ? Il faudrait le montrer... On attend cette année un bon classement des Eléphants ivoiriens pour voir comment ils pourraient favoriser le retour à l’unité nationale.

Ces postures généreuses de paix sur les terrains, saluées par un Shimon Peres, prix Nobel de la paix 1994, qui s’émeut d’un « football rapprochant les cœurs », peuvent signifier un petit miracle : le onze d’une petite ville arabe pauvre de Galilée, Sahnine, s’est hissée comme la première équipe arabe en coupe de l’UEFA, lui valant d’être félicitée en son temps par Ariel Sharon et Yasser Arafat. Mais cette saga n’ôte pas au football de puiser ses origines dans une histoire de la régulation de la violence. Le jugement de l’arbitre est à la racine de l’enjeu éthique du foot : « permettre le jeu, tout en contenant la violence ; instituer la compétition comme mise en forme de la contradiction démocratique ; consacrer la règle comme lieu de possibilité du jeu » Et D. Müller conclut : « en définitive, dépasser la compétition par l’esthétique et par la gratuité ».

Ces règles sont malheureusement entachées par la corruption qui gagne les clubs, les joueurs, les arbitres. Le budget de la Fifa est équivalent à celui de la France. Les dérives commercialistes liées aux choix de Joao Havelange attirant beaucoup de sponsors d’Asie n’y sont pas pour rien. Et les achats de joueurs passent par des compromis dont les déboires du Real de Madrid ont été de tristes illustrations. L’industrie des managers de joueurs, depuis le fameux arrêt Bosman de 1995 libéralisant la circulation des champions, a ouvert une boîte de Pandore : la médiatisation et les querelles entre la Fifa et l’UEFA conduisent à des formes d’exploitation peu reluisantes des joueurs du tiers monde. Où donc se réjouir ?

Certains géographes partagent l’enthousiasme de Jean Giraudoux : « tous les grands jeux de l’homme sont les jeux avec une balle, que ce soit le tennis, la chistera ou le billard. La balle est dans la vie ce qui échappe le plus aux lois de la vie. Elle a sur la terre l’extraterritorialité de quelque bolide provisoirement apprivoisé ». La balle aurait libéré l’humanité des lois de la gravité, des pesanteurs du territoire, de la prison des limites. On ira d’ailleurs bien au-delà de ce que rapportent la plupart des historiens sur les origines anglaise et italienne du football, une origine peu aristocratique expliquant le peu d’intérêt de P. de Coubertin qui l’aurait écarté des Jeux olympiques. Tout cela est vrai. Mais Norbert Elias et Eric Dunning ont montré que les premières mentions du football sont liées à des interdictions pour contrer des jeux brutaux et populaires, qui datent d’au moins 1314 qui est la première connue. Ce serait une erreur de lier le football à l’industrialisation anglaise.

Alors, le football promoteur de la paix ? Comme aime à le souligner P. Boniface qui montre combien sa conquête du monde a été pacifique, combien les populations conquises ont adhéré à ses valeurs. Dans sa livrée 2006, la Coupe du monde offre à l’Angola de retrouver au stade de Cologne le... Portugal, son ancien colonisateur. Sept Palancas negras (Antilopes noires), joueurs de l’équipe d’Angola, évoluent au Portugal ! Il faut espérer, à ces retrouvailles lusophones, moins de ratés qu’en octobre 2001, lors d’un certain match amical France-Algérie.

La partie que vont siffler les nations le 9 juin est un bel exemple de ces freins à la mondialisation. Les identités nationales résistent fort et la compétition, pour une fois, n’est pas dominée par les Etats-Unis. Dans le respect inconditionnel de l’adversaire qu’imposent les règles, « la joie de jouer plutôt que de tuer » (D. Müller), peut donner à ces matches inutiles de recomposer la géographie du monde, au moins le temps d’une saison.



Sur Internet :

- www.wearefootball.org

- Les lieux du stade, modèles et médias géographiques : article de Claude Mangin dans Mappemonde.

Des films :

- Zidane, Philippe Parreno, Douglas Gordon, 2006
-
Green Street Hooligans, Lexi Alexander, 2006

Des livres :

- Jean-Pierre Augustin, voir tous les travaux de ce géographe de Bordeaux.

- Pascal Boniface, Football et mondialisation, Armand Colin, 2006

- Tayeb Belmihoub, Une balle pour la paix, Ed. traditionnelles, 2005

- Paul Dietschy, Histoire politique des Coupes du monde de football, Vuibert, 2006

- Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, 1994

- Franck Evrard, Dictionnaire passionné du football, PUF, 2006

- Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, Climats-Flammarion

- Denis Müller, « Le football comme miroir », Etudes, mai 2006

- Marc Perelman et Jean-Marie Brohm, Le football, une peste émotionnelle, Folio-Gallimard, 2006