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Origine http://etudes.lacaniennes.free.fr/Etudes/Psychanalyse/perversion/perv-crime.htm
Le crime est un " passage à l'acte " de type trans-structurel,
concernant aussi bien les sujets névrosés que pervers
ou psychotiques. Les névrosés criminels sont souvent
des enfants non désirés ou s'imaginant tels, fixés
à ce temps du stade du miroir où, normalement, se
produit le recouvrement du trou dans l'image par le regard de l'Autre
; mais si celui-ci traduit un désir de mort, le sujet sera
contraint de se fabriquer l'image d'un moi fort, en tentant d'incarner,
au niveau du moi idéal, le signifiant de l'idéal du
moi, et lorsque le vide réel du moi transparaît à
l'occasion, le sujet se précipite dans le passage à
l'acte pour fuir l'angoisse. Il s'agit toujours d'une angoisse de
castration imaginaire que le symptôme, trop fragile ou insignifiant
pour conférer un sens à l'existence, chez ces sujets
enclins au passage à l'acte, ne parvient pas à endiguer.
Inconsciemment, ils s'identifient à un déchet (non
désiré) dans le regard de l'Autre.
Mais, par un mécanisme de défense, ils ne peuvent
tolérer d'être vus autrement que sous les auspices
du moi fort (idéal) qu'ils ont dû se forger ; toute
signification étrangère venant de l'Autre, pouvant
remettre en cause ce narcissisme, est interprétée
comme destructrice. Du coup, ils prennent les devants et peuvent
aller jusqu'à tuer leur semblable ; ne pouvant s'inscrire
dans l'Autre via le symbolique, ils s'inscrivent (comme " sujets
criminels ", et bientôt prisonniers-déchets) en
agissant contre l'Autre dans le réel.
Les cliniciens relèvent une intolérance particulière,
chez ces sujets, à ce qui est perçu comme une féminisation
de leur image par l'Autre, et donc directement comme une menace
de castration. Cette angoisse face au regard de l'Autre, son désir
mortifère à l'égard du sujet, conduit celui-ci
moins à replâtrer une identification défaillante
qu'à se désidentifier, au moment du passage à
l'acte, en faisant table rase. Ils sont acculés à
la logique du choix forcé, qui est la logique du pire : ne
pouvant être ni ceci, ni cela pour l'Autre, ils choisissent
tout ou rien, ils tuent ou bien se tuent.
Si ces sujets n'ont pas le choix, si la plupart des névrosés
délinquants ou criminels sexuels récidivent, c'est
qu'ils sont soumis à une véritable contrainte de répétition
: le trauma, la rencontre avec le réel non symbolisable,
épouse le rythme métronomique de la pulsion, et des
impasses du désir. Il n'en va pas de même chez le sujet
pervers, qui n'a cure (c'est le cas de le dire) des énigmes
du désir de l'Autre. Le pervers n'interroge pas l'Autre sur
son désir, il apporte une réponse à son désir
(supposé) de jouissance.
En l'occurrence, ne pouvant symboliser la castration maternelle,
et se désintéressant du problème de la différence
des sexes, il se propose lui-même comme unique objet-réponse
au manque dans l'Autre, c'est-à-dire instrument de sa jouissance.
Dans un premier temps, cherchant à incarner le phallus manquant
de la mère, l'enfant s'identifie effectivement au père,
en tant que possesseur dudit. Mais dans un second temps, se produit
l'identification au phallus maternel, via un objet supplantant la
loi du père, faisant désormais la loi : au mieux un
fétiche inoffensif, au pire un enfant (pédophilie)
pris pour le phallus imaginaire de la mère. Le tout repose
sur un leurre étonnant, que permet la métonymie :
faire passer l'objet du désir pour l'objet d'amour primordial.
Notons l'amalgame sans cesse entretenu, entre l'inconsistance (symbolique)
de l'Autre et son incomplétude (imaginaire), ou encore la
confusion rêvée entre corps et jouissance ; les deux
erreurs faisant système, puisque c'est pour restituer au
corps toute sa jouissance (en niant la médiation du symbolique)
qu'il est identifié à l'objet. Venons-en plus précisément
à la problématique du passage à l'acte chez
les pervers. Il ne faudrait pas s'imaginer que le passage à
l'acte est constitutif de la perversion.
En fait, il est plutôt le résultat d'un échec
(assez rare) du scénario répétitif qui soutient
généralement, et disons " normalement ",
le pervers dans sa jouissance. Le fantasme de celui-ci est structuré
de manière à figurer la restitution de 'a' à
'A'. En matière d'objet le pervers est expert, et il ne vient
jamais à douter de son savoir ; mais cela n'empêche
pas la restitution d'échouer.
Car naturellement, en pleine contradiction avec lui-même,
il cherche à exprimer cette totalité (complétude)
en terme de vérité (consistance), faire passer la
jouissance dans le discours. Il se fait même fort de démontrer
l'impératif de jouissance à l'œuvre dans le discours
de l'Autre.
Que se passe-t-il lorsque le sujet pervers en vient au meurtre
et au viol ? Cela prouve simplement, dans certains cas, l'échec
de la perversion, la faiblesse du scénario de défense
contre l'angoisse de castration. En revanche, chez les sujets psychotiques,
les crimes sexuels correspondent à une stabilisation perverse
; Père-version qui, dans certains cas, permet de pacifier
leur rapport à la loi. Il arrive donc que les voix, les hallucinations,
voire le délire poussent le sujet à commettre un meurtre.
Le crime est signé par son aspect extraordinairement violent
et cru, incompréhensible, le corps sacrifié étant
pour et par le psychotique vidé de toute signifiance.
A la différence du pervers qui, à travers l'acte
criminel, met en scène une jouissance incestueuse, le psychotique
tente une séparation d'avec la mère, pour faire cesser
le temps d'un acte cette malédiction qui le réduit
n'être que déchet, et qui s'avère par moment
trop angoissante. Le crime apparaît comme une protection contre
l'angoisse, elle-même causée par la confrontation avec
une situation sans issue. Inversement, la perversion fonctionne
comme une garantie contre d'éventuels passages à l'acte
criminels.
Contrairement à l'impression péjorative léguée
par le sens commun, qui moralise et assimile la perversion avec
le crime, en confondant au passage perversion et perversité,
on ne veut articuler la perversion qu'avec le crime déjà
réalisé (ou passé) qui lui sert de cause, à
la fois intrinsèque et occasionnelle. Le crime ne sera pas
actualisé (passage à l'acte) s'il se conjugue au passé,
grâce à la perversion, et si le passé n'est
pas lui-même constitutif de l'acte (théorie de l'inceste
et du trauma classique, psychanalytique) mais de l'agi comme passivité
radicale.
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