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Date: 15 Juin 2004
Objet: Re: [atsx] Fwd: [Malvira] "Je suis une créature"
Je suis une créature par Isabelle Sorente
Je ne suis pas une femme quand je jouis. Je suis une tempête
de nerf et de météorites, de cheveux dressés
sur la tête, de la sueur, un ventre qui tremble, un coeur
qui bat, une tête qui fantasme. Le corps n'éprouve
pas le genre de la jouissance. Et les magazines ont beau nous parler
de jouissances féminine et masculine, le ventre, les mains,
la bouche se moquent des concepts. Bien sûr, mon ventre n'est
pas celui d'un mâle. Il est amas de nerfs, clitoris, vagin,
disposition propre à la femelle. Mais où se situe
exactement mon sexe? Où commence t-il? À l'intérieur
des cuisses ? A la plante des pieds ? Au clitoris ? Au bas ventre
? À l'arrière de la nuque ? Passe-t-elle par la colonne
vertébrale, la jouissance ?? La peau, les lèvres,
les cuisses, les seins, les fesses, les yeux, la parole, les oreilles,
le cerveau lui sont-ils étrangers ? Quel est le genre d'un
oeil ? Quelle est le genre d'une langue, d'une dent, d'une peau
? Que celui dont la jouissance ignore la vue et la peau, le gout,
le toucher et l'odorat, que celui-là me dise ce qu'est le
genre.
Je ne suis ni homosexuelle ni bisexuelle ni hétérosexuelle,
je suis un humain sexué en interdanse avec d'autres humains,
sexués. Je suis un humain sexué aimant d'autres humains
sexués, et leur façon singulières de jouir
et de faire jouir. Je rend grâce aux différences physique,
comme à autant de témoignages amoraux de la diversité
humaine.
Il n'est pas question de nier la singularité ; il est impossible
de la réduire au genre. Le genre n'est qu'un travestissement
qu'on prend et puis qu'on abandonne, un archétype surgi au
coeur de la jouissance, qui nous traverse, nous fait jouir et nous
quitte. Avant d'être remplacé par un autre. Le genre,
comme les émotions, n'est qu'un élément météorologique
de mon climat humain. Pour les maîtres zen, jouir de son humanité
signifie ne pas se confondre avec la tristesse quand on est triste,
ne pas se prendre pour la joie quand on est enthousiaste, ne pas
se prendre pour Dionysos quand on est ivre. Que la femme me traverse,
l'homme ou le léopard, je demeure travesti, ciel changeant.
Femme est un nom de jouissance, demain il sera homme, océan
ou montagne. Une main s'ouvre, l'autre griffe. Tout se déplace
vite, à grandes enjambées le genre change, j'ai des
chevilles de proie et des nerfs de chasseur. Je ne suis pas femme,
je ne deviendrai pas homme. Je suis une créature.
La créature parfois se travestit en femme. Oui j'aime les
talons aiguilles et toutes ces chaussures qu'on ne met pas pour
marcher, oui je peux glousser aux bonnes blagues d'un homme, et
croire que je glousse et qu'il est un garçon. Oui je sais
me perdre pour demander ma route à l'inconnu qui passe, et
croire que je bande pour son sens de l'orientation. Oui je veut
qu'il soit macho, qu'il me frappe s'il veut quand viendra le moment.
Bien sur je peux suivre les fesses dures d'un garçon, si
la journée est chaude et le jean serré, et me promettre
que lui, je vais le faire gueuler et qu'il serra ma femme. Bien
sûr une fille peut me tordre. Surtout si elle est maquillée.
Toutes les créatures le savent, le genre est fait pour jouir
et jouer.
LE genre est fait pour jouir et jouer, toutes les créatures
le savent depuis la cour d'école, quand nous glissions de
chat aux pirates aux billes au hamster à l'instituteur, quand
nous glissions de jeu en jeu de l'un à l'autre. Fille salope,
fleur bleue, gourde, gamine, garçon, tordu, vicieux, macho,
chat, baudet, loup prisonnier, indien, victime, et chef de bande
sont quelques-uns des noms de nos travestissements.
Les créatures le savent depuis qu'elles jouent les X-men,
les requins blancs et les cavaliers. C'est la métamorphose
qui fait l'humain, notre ludique monstruosité, le passage
jouissif d'un pôle à l'autre. Et non un pôle
ou l'autre. Puis les créatures grandissent et entrent dans
le genre, oubliant parfois la fluidité du jeu et les vérité
multiple de l'enfance.
Mais ces vérités multiples et changeante ne cessent
pourtant de ressurgir, quand je voyage, quand je marche, quand je
respire suis-je une femme? Suis je une femme quand je pense, quand
j'aime les mathématiques? C'est idiot. Des études
ont beau parler des différence de cerveaux féminins
et masculins, de lobes plus ou moins dévellopés, je
ne crois pas que ces différences, comme la différence
de sexe, indiquent autre chose que ce qu'elles sont, une différence
physiologique. Oui. Et ensuite? Donner un sens social au fait physique,
c'est croire en la femme. Comme hier aux races. N'attendons pas
un jour de plus de plus pour balayer le genre et ses superstitions.
La femme n'existe pas. Le genre n'existe pas. L'humain est au delà
des genres, au delà des sexes, des races, au delà
de l'ego, vivant en métamorphose. C'est dans cette fluidité,
dans cette faculté de métamorphose qu'est, ou plutot
que marche, que glisse, que court, que se meut, se transforme l'humanité.
Nous naissons mouvants, ne nous fixons à aucune illusion
égotique, à aucun "je" économique.
À aucun sexe. A aucun genre.
Nous ne naissons pas femmes, nous ne naissons pas hommes, surtout
ne le devenons pas.
Tant que les femmes s'efforceront de libérer les femmes,
elles demeureront esclaves Tant qu'elles s'efforceront de réhabiliter
une soi-disant égalité dans la différence et
des soi-disant qualité féminines, elles demeureront
une humanité marquée par le genre, c'est à
dire une humanité de second rang, reniant ses capacités
de métamorphose. Tant que les hommes et les femmes ne poseront
pas les uns sur les autres un regard recréaturant, ils ne
déploieront rien de leur humanité. Le regard recréaturant
voit au-delà du genre, il ne s'arrête pas au critères
sociaux, psychologiques, physique, économiques. Il se moque
du poids, de la taille, de la couleur de la peau, il se moque des
préférences sexuelles. Aucun de ces critères
n'est pertinent, aucun ne signe l'homme oui la femme.
Quand une créature rencontre une créature, il peut
y avoir drague, amitié, déraillements instantanés,
discussions passionnées. Ou pas. La rencontre est entière,
illimitée, car entre deux créatures, "tout est
possible mais rien n'est nécessaire" comme le dit Tournier
dans "les météores". Rien n'est nécessaire,
surtout pas d'entrer dans les cases préfabriqués de
la rencontre homme femme, et sa batterie de questions réductrices.
Tout est sexué entre deux créatures, pas seulement
le sexe; tout danse; les fantasmes; l'esprit, le corps, la voix,
tout ondoie.
Vous croyez voir une femme, mais qui est derrière la femme?
Qui est derrière les yeux d'un homme? Regardez bien, posez
vous les question. Commencez des demain avec cotre voisine, avec
l'inconnu qui s'assiera en face de vous dans le métro. Avec
vous- même. Commencez à regardez les créatures
avec vos yeux de créatures.
Vous verrez. Les magies singulières dansent. Au delà
des genres, tous dansent.
La femme n'existe pas, le genre est une arme. Une arme économique
à très gros calibre. De la femme à l'homme
féminisé si cher à nos observateurs de tendances,
le féminin est industrie. La femme est une industrie qui
va de l'Oréal à la branche diététique
de Danone, traverse toute la mode...
Faites la liste vous même, elle est longue. Le genre est un
outil adapté à l'économie d'échelle.
La variété se limite à deux. Un homme, une
femme, deux modèles de voiture, deux parfums, un supplément
magazine, une seule journée par an pour le genre faible,
deux profils de carrière, deux type de crème de jour,
tout cela réécrit, décliné, diffusé,
produit en série. Dix femmes, dix hommes, une douzaine d'enfant
et quelques éléments dans une seule créature,
cela serait moins gérable. Mais plus humain qui sait.
La femme est un formidable outil d'urbanisation. La vraie femme
aime faire du shopping, c'est connu.
L'homme convaincu d'accepter sa féminité aussi. alors
en avant pour les rues piétionnes et les galeries marchandes,
les aérogare d'Heathrow ou de Hong Kong, les palais des congrès,
les Disneyland. La femme n'existe pas, l'économie du féminin
est florissante.
Le genre n'existe pas, il paye. Homme, femme, les rites d'initiation
ne sont jamais gratuits. Des vêtements aux régimes,
du club de sport à la berline, la féminité
ou la crise d'identité masculine se payent et payent. Un
certain shéma de consommation / production, n'est ce pas
en fin de compte, le seul élément tangible de ce genre
si autrement insaisissable?
Le journal féminin pour femmes, pour homme, constitue le
mode d'emploi du genre, son guide de savoir vivre c'est à
dire de shopping, adapté à chaque panoplie. Le journal
féminin nous parle petit nègre (fabuleux je vois la
vie en rose! vite un antiride!), mais comme c'est justement un journal
pour nègres, personne n'y trouve de racisme; belle logique,
belle opération. En tant que créature, je ne me sens
pas concernée. Si je l'étais, que l'on s'adresse à
moi comme à une gourde, qu'on réduise mon humanité
à un poids et un horoscope me réduirait au désespoir
ou au fou rire. À dire vrai, j'alterne l'un et l'autre les
mois pairs et impairs.
Mais enfin, je penche pour le rire, j'espère qu'un jour nos
enfants riront de notre obscurantisme. Alors oui, gardez vos articles
beauté, gardez les comme des textes collectors qui feront
rire les jeunes générations comme les dictionnaires
de 1870, quand on regarde nègre, à juif ou à
allemand, gardez les rubrique forme comme autant d'autant d'authentiques
"ya bon banania!" que les adolescents colleront dans leur
exposés sur le ridicule des vieilles superstitions. Ce ridicule
hélas à tué plus d'une fois.
Alors pitié, un peu moins de femme, un peu plus de métamorphose!
Dès à présent, devenons créatures.
Vite, avant que le genre tue l'humain.
Message paru sur la liste ATSX
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