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Derniers écrits sur la notion de gouvernementalité

Origine : http : //www.univ-tours.fr/ash/polycop/philo/chevalley/foucault/09.htm
Cours de la Fac de Tours Catherine Chevalley 2001

IX. Derniers écrits sur la notion de gouvernementalité

Dans les années 1980, Foucault annonce un livre sur Le gouvernement de soi et des autres, et pendant l'été 1983 il envisage d'écrire un autre livre, court, sur L'art de gouverne, dont l'idée directrice est qu'il convient d'analyser ce qu'il appelle la "fonction-parti", ie quelque chose comme la structure mentale des hommes de parti.

Ce dernier tournant en direction du problème de savoir ce que c'est que gouverner est en relation directe avec les volumes de l'Histoire de la sexualité : le but de UP et de SdS était de montrer que l'éthique de la subjectivité, dans les sociétés antiques, s'ordonnait autour de la notion de formation de soi, et non de celles de loi, de refoulement ou d'interdit. Les derniers textes de Foucault attestent du souci d'expliquer, avant de mourir, ce qu'il a voulu faire (les principes d'unité de son travail), amis ils attestent tous aussi de ce souci nouveau de lier éthique et politique, gouvernement de soi et gouvernement des autres.

Ce lien entre éthique et politique est exposé par Foucault dans ses cours du Collège de France du 17 février 1982, publiés in Foucault, L'Herméneutique du sujet, Seuil/Gallimard, mars 2001.

Commentaire :
le cours du 6 janvier 1982
le cours du 17 février 1982
(Note de F. Gros = passage de MF à une problématique proprement éthique dans le cours de janvier-mars 82. Ecrire l'histoire du souci de soi comme structure d'autosubjectivation. Suivre les modalités de l'autoconstitution éthique du sujet).


Le cours du 6 janvier 1982 : Subjectivité et vérité (Cours publié in Cités 2, Paris, P.U.F. 2000, 143-178).

La question philosophique la plus générale que pose Foucault est la suivante : "dans quelle forme d'histoire se sont noués en Occident les rapports entre ces deux éléments, qui ne relèvent pas de la pratique, de l'analyse historienne habituelle, le "sujet" et la "vérité" ? Mais on limitera ici l'analyse de ce cours à la mise en évidence de son hypothèse centrale : celle de l'oubli du souci de soi, de l'epimeleia heautou, notion traduite par les Latins en cura sui, mais négligée maintenant, dit Foucault, par l'historiographie de la philosophie. Cet oubli du souci de soi se serait fait, à l'occasion du "moment cartésien, avec tout un tas de guillemets", au profit de la notion considérée par tout le monde comme fondatrice de la question du sujet : "la fameuse prescription delphique du gnôthi seauton". Oubli du souci de soi, mise au premier plan du souci de la connaissance de soi : c'est en changeant de mode fondamental de subjectivation que l'individu moderne s'est constitué en sujet - en sujet assigné essentiellement à une tâche de connaissance. "Il me semble que l'enjeu, le défi que doit relever toute histoire de la pensée, c'est précisément de saisir le moment où un phénomène culturel, d'une ampleur déterminée, peut en effet constituer, dans l'histoire de la pensée, un moment décisif où se trouve engagé jusqu'à notre mode d'être de sujet moderne" (p. 15).

La notion de l'epimeleia heautou n'a pas cessé d'être un principe fondamental pour caractériser l'attitude philosophique presque tout au long de la culture grecque, hellénistique et romaine. Platon. Epicure : "Tout homme, nuit et jour et tout au long de sa vie, doit s'occuper de sa propre âme". Thérapie de l'âme - essentielle e. g. chez les Cyniques. Centrale chez les Stoïciens (cura sui chez Sénèque et Epictète). Et pas seulement chez les philosophes : "phénomène culturel d'ensemble propre à la société hellénistique et romaine".

Lorsque ce précepte apparaît en philosophie, c'est autour du personnage de Socrate. Mais chez Socrate, il n'est sans doute pas déjà interprété comme connaissance de soi au sens que cette expression prend à partir du christianisme. Le gnôthi seauton n'avait sans doute pas d'abord pour les Grecs la signification qu'il a prise ensuite : "ce n'était pas la connaisssance de soi qui était prescrite dans cette formule, ni la connaissance de soi comme fondement de la morale, ni la connaissance de soi comme principe d'un rapport aux dieux" (p. 146). C'était peut-être une recommandation rituelle en rapport avec la consultation de Delphes : examine bien en toi-même les questions que tu veux poser. Ou encore, un impératif de prudence, de modestie : se rappeler que l'on n'est qu'un homme et non un dieu. Mais chez Socrate, le souci de soi-même apparaît comme "une sorte d'aiguillon qui doit être planté là, dans la chair des hommes, qui doit être fiché dans leur existence et qui est un principe d'agitation, un principe de mouvement, un principe d'inquiétude permanent au cours de l'existence" (p. 151). Socrate reste l'homme de ce type de souci de soi, davantage que celui du gnôthi seauton).

Dans l'epimeleia heautou, il y a diverses choses : le thème d'une attitude générale, d'une certaine manière d'envisager les choses, de se tenir dans le monde, d'avoir des relations avec autrui ; une certaine forme d'attention, de regard. Reporter son regard vers l'intérieur : effectuer un certain nombre d'actions de soi sur soi, par lesquelles on se prend en charge, on se modifie, on se purifie, on se transfigure. Et de là toute une série de pratiques : autant d'exercices qui auront, dans l'histoire de la culture, de la philosophie, de la morale, de la spiritualité occidentale, une très longue destinée. Techniques de méditation. Techniques de mémorisation du passé. Techniques d'examen de conscience. (d'où la possibilité d'une histoire des pratiques de la subjectivité).

"C'est à partir de cette injonction de s'occuper de soi-même que se sont constituées les morales sans doute les plus austères, les plus rigoureuses, les plus restrictives que l'Occident ait connues, et dont je vous répète (…) qu'il ne faut pas les attribuer au christianisme, mais beaucoup plus tôt à la morale des premiers siècles avant notre ère et au début de notre ère (morale stoïcienne, morale cynique, et jusqu'à un certain point aussi morale épicurienne)" (p. 157).

Mais ensuite, dit Foucault, on "oublie" le principe du souci de soi (taxé de repli égoïste), tout en conservant les règles austères qui en accompagnaient l'application et de plus on réinterprète ces règles dans le contexte d'une morale du renoncement à soi. Qu'est-ce qui a fait que cette notion de souci de soi a été négligée dans la manière dont la pensée occidentale a refait sa propre histoire ?

La raison la plus essentielle de l'oubli, Foucault la voit dans "quelque chose qui tient au problème de la vérité et de l'histoire de la vérité". Elle est dans le "moment cartésien " : "Il me semble que le 'moment cartésien' (encore une fois avec tout un tas de guillemets) a joué de deux façons. Il a joué de deux façons, en requalifiant philosophiquement le gnothi seauton, et en disqualifiant au contraire l'epimeleia heautou" (p. 158). "Descartes" aurait opéré la première chose en mettant l'évidence au point de départ de la démarche philosophique. "C'est donc à la connaissance de soi, au moins comme forme de conscience, que se réfère la démarche cartésienne" (p. 159. à discuter!). Mais en même temps D. aurait disqualifié le souci de soi. Pendant toute l'Antiquité (jusqu'au NP), jamais le thème de la philosophie (comment avoir accès à la vérité ?) et la question de la spiritualité (quelles sont les transformations que je dois accomplir pour avoir accès à la vérité ?) n'avaient été séparées (avec l'exception, énorme, d'Aristote). A contrario : "on peut dire qu'on est entré dans l'âge moderne (je veux dire : l'histoire de la vérité est entrée dans sa période moderne) le jour où on a admis que ce qui donne accès à la vérité (…), c'est la connaissance, et la connaissance seulement" (p. 162). D'où "Descartes". Moment où, sans qu'on lui demande rien d'autre, sans que son être de sujet ait à être modifié ou altéré, le philosophe est capable de reconnaître la vérité, en lui-même et par ses seuls actes de connaissance. La vérité ne s'obtient pas sans conditions pour autant. Mais ces conditions sont internes à l'acte de connaissance. : "c'est de toute façon de l'intérieur de la connaissance que sont définies les conditions d'accès du sujet à la vérité" (p. 163). "La connaissance s'ouvrira simplement sur la dimension indéfinie d'un progrès (…) Telle qu'elle est désormais, la vérité n'est pas capable de sauver le sujet" (p. 163).

De fait, remarque cependant Foucault, la coupure ne s'est pas faite comme cela, brutalement, avec l'individu Descartes. Le coin était enfoncé bien avant ; et pas par la science : il faut le chercher du côté de la théologie. En se donnant comme réflexion rationnelle fondant - à partir du christianisme, bien sûr - une foi à vocation universelle, la théologie fondait en même temps le principe d'un sujet connaissant en général - sujet connaissant qui trouvait en Dieu à la fois son modèle, son point d'accomplissement absolu, son plus haut degré de perfection et son Créateur. Il faut donc bien comprendre le conflit qui traverse le christianisme de la fin du Ve s. au XVIIe. "Pendant ces douze siècles, le conflit n'a pas été entre la spiritualité et la science : il a été entre la spiritualité et la théologie" (p. 165). Il n'y a pas pendant toute cette période d'opposition constitutive entre la science et la spiritualité - l'opposition est entre pensée théologique et exigence de spiritualité (à discuter. Rôle de la philosophie et des Facultés des Arts ? Mais amplifier encore plus les implications de son hypothèse). "Donc le dégagement ne s'est pas fait brusquement avec l'apparition de la science moderne. Le dégagement, la séparation ont été un processus lent, processus dont il faut plutôt voir l'origine et le développement du côté de la théologie" (p. 165).

En tout état de cause, la spiritualité en Occident a pris trois caractères : elle a admis le postulat que la vérité n'est jamais donnée au sujet de plein droit, mais qu'il doit se modifier pour y avoir accès ; elle a admis ensuite que la vérité exigeait une conversion, ie un mouvement qui arrache le sujet à son statut et à sa condition actuels (par l'amour ou par le travail de soi sur soi : Eros et askèsis) ; enfin elle admis le postulat qu'il se produit alors des effets en retour sur le sujet, à qui la vérité apparaît maintenant comme ce qui donne la béatitude et la tranquillité de l'âme.

Remarque : pour comprendre le sens de ce que tente de faire Foucault à la fin de sa vie, il faudrait en toute rigueur traiter de 3 points : -- la critique de la notion traditionnelle de pouvoir -- la définition de la tache de l'intellectuel -- la mise au premier plan de la notion de gouvernementalité.

La critique de la notion traditionnelle de pouvoir
Cf. l'Entretien avec Jacques Rancière : "Pouvoirs et stratégies", Les Révoltes logiques, 1977 ; DE III, 418-428


La définition de la tache de l'intellectuel

"Me demanderait-on comment je conçois ce que je fais, je répondrais : si le stratège est l'homme qui dit : "qu'importe telle mort, tel cri, tel soulèvement par rapport à la grande nécessité de l'ensemble et que m'importe tel principe général dans la situation particulière où nous sommes, eh bien il m'est indifférent que le stratège soit un politique, un historien, un révolutionnaire, un partisan du shah ou de l'ayatollah : ma morale théorique est inverse. Elle est 'anti-stratégique' : être respectueux quand une singularité se soulève, intransigeant quand le pouvoir enfreint l'universel. Choix simple, ouvrage malaisé…" ("Inutile de se soulever ?", Le Monde, 11-12 mai 1979, 1-2 ; DE III, 794).

+ Entretien avec Deleuze

(c) la mise au premier plan de la notion de gouvernementalité


+ Conditions culturelles (sic. Insister et chercher les sources éventuelles de MF ?) = ne pas être "fou" - avoir fait des études - s'inscrire dans un certain consensus scientifique - faire des efforts - ne pas essayer de tromper son public - avoir assez d'argent pour faire de la recherche désintéressée, etc. Mais rien de tout cela ne concerne l'être du sujet en tant que tel.