|
Origine : http://www.mondialisme.org/article.php3?id_article=425&?id_rubrique=20
http://www.alternantesfm.net/sommaire.htm
Texte issu de l'émission de radio "Le Monde comme il va"
Hebdo libertaire d'actualité politique et sociale, nationale
et internationale
Sur la Côte d'Ivoire
Il est de bon ton, vous le savez, de se gausser de l'ignorance crasse
de ce malheureux Georges W. Bush. Cela nous permet d'oublier que
le locataire actuel de l'Elysée sait parfois se hisser au
niveau de son compère transatlantique. On connaissait «
le bruit et les odeurs », celles fétides des banquets
électoraux. Nous devrons désormais nous souvenir d'un
nouveau propos affligeant de notre si bien élu Président
de la République tenu à Marseille le 14 novembre dernier
devant un parterre d'étudiants.
Selon notre Président : « les Africains sont joyeux
par nature ». De Tunis au Cap, de Bamako à Nairobi,
« les Africains sont joyeux par nature ». Au Darfour
également, sur les collines rwandaises et burundaises idem.
De tout temps, en toutes saisons, l'Africain est joyeux car c'est
un être de nature qui rigole fort en découvrant ses
belles dents immaculées, comme sur les vieux emballages Banania,
tandis que le Blanc, lui, est un être de culture. Et pis on
ne dira jamais que les Blancs sont ceci ou cela. Les Blancs, eux,
ont le droit d'avoir des cultures nationales, des traits de caractère
nationaux : l'Allemand est discipliné, l'Ecossais radin,
l'Anglais flegmatique et le Français, quasi-parfait, touche
à l'Universel chaque matin. L'Africain, lui, est Africain
: il n'a pas de pays, de nation, de cultures spécifiques,
de langues... il est Africain et parle l'Africain sans accent comme
tout le monde le sait. Misère...
Cela me permet de rebondir sur l'actuelle crise ivoirienne. La
tension est montée d'un cran lorsque les troupes régulières
ivoiriennes s'en sont prises aux troupes d'interposition française
du côté de Bouaké. Cela a provoqué une
crise terrible, une atmosphère de pogromes dans la capitale
et le rapatriement rapide de milliers de ressortissants français
menacés dans leur intégrité physique par les
partisans du président Laurent Gbagbo. A écouter une
certaine presse grand public, le tableau est très simple,
de quoi ravir notre Président qui, vous l'avez vu, aime bien
les choses en noir et blanc : bref, dans ce tableau, nous avons
à gauche, un président pervers et manipulateur ; à
droite, une armée française en position de neutralité,
juste désireuse d'assurer le statu-quo entre les forces armées
ivoiriennes et les rebelles du Nord ; au centre, des ressortissants
français pris au piège de la crise politique. Même
si la simplification est souvent nécessaire pour faire ressortir
l'essentiel et nous faire mieux appréhender des situations
conflictuelles, je vous avoue la supporter de moins en moins quand
il s'agit des pays africains : ces pays ont une histoire politique,
économique, sociale et culturelle singulière qui mérite
notre attention ; ils sont dans ce que l'on appelle la Modernité,
leurs conflits ne sont pas plus archaïques que les débats
qui secouent périodiquement notre scène politique.
Permettez donc que j'offre à votre sagacité quelques
éléments de réflexion sur cette crise.
Pour comprendre cette crise, il ne faut pas oublier trois choses
:
1 - Durant plusieurs décennies, un homme a incarné
la Côte d'Ivoire : Félix Houphoüet-Boigny. Protégé
par l'Etat français, ce vieux Sage si cultivé a rempli
ses poches et celles de sa très nombreuse clientèle
en laissant l'économie du pays entre les mains de différents
réseaux, français et libanais, qui sont tout sauf
philanthropes. C'est en Côte d'Ivoire qu'un entrepreneur audacieux
pouvait faire fortune, se construire une rente dans le cacao, l'import-export
et je ne sais quoi… C'est en Côte d'Ivoire aussi que
certaines formations politiques hexagonales allaient chercher de
quoi financer de dispendieuses campagnes électorales…
Pour tous les différents locataires de l'Elysée, la
Côte d'Ivoire était donc un pays-modèle, plus
riche et moins répressif que ses voisins, et aussi «
indépendant » qu'il lui soit permis de l'être.
Et d'ailleurs, lorsque sous la pression du FMI, il lui vaudra vendre
ses entreprises publiques, les entreprises françaises seront
là, encore et toujours, pour soutenir, comme l'on dit, la
Côte d'Ivoire sur la voie du développement… Il
est donc assez risible que les grands médias passent sous
silence l'importance des investissements français dans ce
pays. Des sociétés aussi importantes que Bouygues
ou Bolloré ont tout à perdre d'une détérioration
de la situation ivoirienne : elles ont besoin d'un univers stable
pour continuer à prospérer sans risque.
2 - Les ennuis ont commencé à la mort de Félix
Houphoüet-Boigny. L'heure était à la libéralisation
politique certes, mais à une libéralisation politique
qui ne bouleverse pas les règles en cours. C'est donc Henri
Konan Bédié, un multimilliardaire issu du sérail,
qui fut aidé et soutenu par l'Etat français, face
à Laurent Gbagbo, l'opposant historique, après avoir
fait disqualifier son plus dangereux adversaire, Alassane Ouattara.
Alors que Bédié est un corrompu, Ouattara passe pour
être un politicien vertueux qui a fait ses classes dans les
grandes institutions internationales et qui n'est pas soumis aux
réseaux franco-africains. Il est donc dangereux de le laisser
ainsi remettre en question une « décolonisation »
si remarquable qui profite autant aux élites ivoiriennes
qu'à l'Etat français. Pour l'écarter, Bédié
va jouer sur les tensions existantes entre les Ivoiriens de vieille
souche et ceux issus de différentes mais récentes
vagues migratoires, venus essentiellement du Nord et pratiquant
l'Islam. Or avec la crise du cacao, des tensions sont vives entre
paysans pour le contrôle d'une terre de plus en plus rare
et chère, et de moins en moins rémunératrice.
En empêchant Ouattara de se présenter au prétexte
qu'il ne serait pas de père et mère ivoiriens conformément
à une loi électorale édictée pour l'occasion,
Bédié a joué avec le feu xénophobe.
Il serait donc opportun de souligner que cela ne lui fut possible
que parce qu'il avait le soutien clair du gouvernement français,
capable d'accepter tout, comme au Rwanda, au nom de la défense
des intérêts supérieurs de nos grandes entreprises.
3 - Laurent Gbagbo est en effet un président mal élu.
Si les dernières élections présidentielles
lui ont été profitables, c'est parce que la loi électorale
avait écarté de nouveau Ouattara de la course : Gbagbo
ne peut donc se targuer d'aucune légitimité intérieure
; quant à ses relations avec le gouvernement français,
elles sont redevenus exécrables après la période
d'accalmie qui a suivi son élection. Pour combler ces deux
handicaps, il ne peut jouer que sur deux tableaux :
1 - le nationalisme en stigmatisant l'impérialisme français.
Le « racisme anti-français » des médias
n'est qu'une des expressions politiques de la jeunesse éduquée
de l'Afrique francophone. Cette jeunesse est frustrée : elle
est vouée au chômage et à la misère parce
que leurs Etats, soumis aux directives du FMI, leur ont supprimé
toute possibilité de faire carrière dans la fonction
publique ; elle sait aussi que la France soutient toujours des autocrates
corrompus comme Paul Biya au Cameroun, Eyadema au Togo, Déby
au Tchad comme elle soutînt Henri Konan Bédié
en son temps. Elle sait aussi que sans le soutien de Blaise Compaoré,
président du Burkina-Faso, la rébellion n'aurait pu
avoir lieu. Le fait que la France ait refusé lors des accords
de Marcoussis à critiquer celui-ci, est un signe pour eux
que le gouvernement de Jacques Chirac a choisi son camps : Ouattara
ou un autre plutôt que Gbagbo !
2 - la xénophobie anti-nordiste, anti-musulman etc…
Il faut savoir que la base sociale de Laurent Gbagbo, les paysans
du sud-ouest ivoirien, est très favorable à ce que
les paysans burkinabés et maliens soient renvoyés
dans leur pays parce que cela libérerait de la terre pour
leurs plantations. Et même s'il n'est pas à l'origine
du discours ethno-nationaliste qui gangrène le pays depuis
Gbagbo s'est bien gardé de s'opposer à cette dérive...
avant d'en profiter au moment de la rébellion armée,
laissant ses partisans mener la chasse aux « faux Ivoiriens
» dans les bidonvilles d'Abidjan et d'ailleurs.
Alors : que retirer de tout cela ?
Premièrement que les temps ont bien changé. Il fut
un temps, justement, où l'Etat français aurait remis
de l'ordre très vite dans la maison ivoirienne : les coups
d'Etat, on sait faire. Aujourd'hui elle n'est même plus en
mesure d'être le gendarme de son pré-carré :
cela coûte cher et elle pourrait le payer encore plus cher
au sein des instances internationales. On ne peut pas critiquer
l'unilatéralisme et les stratégies impériales
américaines à la tribune de l'ONU et poursuivre ouvertement
une politique néo-coloniale dans le pré-carré
africain. On ne peut plus soutenir à bout des bras les économies
exsangues de nos amis africains parce que cela coûte trop
cher et que le FMI, au nom de la bonne gouvernance, supporte de
moins en moins les complaisances françaises avec les attitudes
prédatrices en cours dans nos anciennes colonies. L'Etat
français en est réduit à se draper sous le
drapeau de l'Humanitaire pour protéger et légitimer
une rébellion armée divisée et, en sous-main,
négocier avec Gbagbo un modus vivendi susceptible de sauver
l'essentiel.
Deuxièmement que Laurent Gbagbo n'a pas rompu avec l'héritage
de ses prédécesseurs. Tenir l'Etat, c'est tenir un
lieu essentiel pour faire sa fortune, celle de ses réseaux
politiques et de sa clientèle : l'argent, c'est le nerf de
la guerre et la condition sine qua non de la réussite politique.
Gbagbo et ses réseaux, sevrés depuis longtemps, n'ont
donc pas tardé à se jeter avec avidité sur
tous les trafics jusqu'alors contrôlés par les anciens
membres du parti unique, notamment les filières d'exportation
de café et de cacao.
Troisièmement que nous assistons à l'émergence
d'une nouvelle génération politique. Du côté
des leaders « patriotes » ou « rebelles »,
on retrouve des hommes jeunes qui ont milité ensemble quelques
années plus tôt dans la même organisation syndicale
étudiante et ont subi ensemble la répression du pouvoir
dans les années 1990. Derrière le combat des vieux,
Gbagbo contre Ouattara, se cache donc un combat entre jeunes pousses
qui se sont construit politiquement dans le rapport de forces violent
avec l'Etat et la clandestinité.
Enfin, un scénario à la rwandaise ou à la
libérienne n'est pas à exclure, soit massacre inter-ethnique
à grande échelle ou guerre civile animée par
des bandes armées incontrôlées. La rébellion
armée, divisée, ne contrôle pas sa zone, et
des groupes de jeunes sans avenir social pillent ou rançonnent
les commerçants qui se risquent encore à voyager ;
on sait également que chaque partie aide, finance et se serve
de différentes factions armées du Libéria dont
on connaît les horreurs qu'elles ont pu commettre durant la
guerre civile. Même en cas d'accord entre rebelles et patriotes,
je doute que le calme revienne dans une région où
la lutte armée est tout autant un choix économique
que politique pour une jeunesse sans perspectives d'émancipation
économique et sociale.
Patsy
Tous les jeudis de 19h à 19h50 Alternantes FM 98.1 Mgh (Nantes)
/ 91 Mgh (Saint-Nazaire) Alternantes FM 19 rue de Nancy BP 31605
44316 Nantes cedex 03
|